|
Procès
de condamnation
- préliminaires
Lettre de l'Université de Paris
au Seigneur Jean de Luxembourg - 14 juillet 1430. |
|
"Très
noble, honoré et puissant seigneur, nous nous recommandons
(1) moult affectueusement à vostre
haulte noblesse. Vostre noble prudence scet bien et cognoist que
tous bons chevaliers catholiques doivent leur force et puissance
emploier premièrement au service de Dieu ; et en après
au prouffit de la chose publique. En espécial, le serement
premier de l'ordre de la chevalerie si est garder et deffendre l'onneur
de Dieu, la foy catholique et sa sainte Église. De ce sacrement
vous est bien souvenu, quant vous avez vostre noble puissance et
présence personele emploiez à appréhender ceste
femme qui se dit la Pucelle ; au moyen de laquelle l'onneur de Dieu
a esté sans mesure offensé, la foy excessivement bleciée,
et l'Église trop fort déshonorée ; car par
son occasion, ydolatrie, erreurs, mauvaises doctrines et autres
maulx et inconvéniens inestimables se sont ensuys en ce royaume.
Et en vérité tous loyaulx chrestians vous doivent
mercier grandement de avoir
fait si grant service à nostre sainte foy et à tout
ce royaume ; et quant à nous, nous en mercions Dieu de tous
noz couraiges et vostre noble prouesse, tant acertes que faire povons.
Mais peu de chose seroit avoir fait telle prinse, s'il ne s'ensuyvoit
ce qu'il appartient pour satisfaire l'offense par icelle femme perpétrée
contre nostre doulx Créateur, et sa foy, et sa sainte Église,
avec ses autres meffaiz innumérables, comme on dit. Et seroit
plus grant inconvénient que oncques mais, et plus grant erreur
demourroit au peuple que par avant et si fort intolérable
offense contre la majesté divine, se ceste chose demouroit
en ce point, ou qu'il avenist que icelle femme fust délivrée
ou perdue, comme on dit aucuns des adversaires soy vouloir efforcier
de faire et appliquer à ce tous leurs entendemens par toutes
voyes requises, et qui pis est, par argent ou raençon. Mais
nous espérons que Dieu ne permettra pas avenir si grant mal
sur son peuple, et que aussi vostre bonne et noble prudence ne le
souffrera pas, mais y saura bien pourveoir covenablement ; car se
ainsi estoit faite délivrance d'icelle, sans convenable réparacion,
ce seroit déhonneur irréparable à vostre grant
noblesse et à tous ceulx qui de ce se seroient entremis ;
mais à ce que telle escande cesse le plus tost que faire
se pourra, comme besoing est. Et pource que en ceste manière
le délay est très périlleux et très
préjudiciable à ce royaume, nous supplions très
humblement, et de cordial affeccion à vostre puissant et
honorée noblesce, que, en faveur de l'onneur divin, à
la conservacion de la sainte foy catholique et au bien et exaltacion
de tout ce royaume, vous veuillés icelle femme mettre en
justice et envoier pardeça à l'inquisiteur de la foy,
qui icelle a requise et requiert instamment pour faire discucion
de ses grans charges, tellement que Dieu puisse estre content et
le peuple édifié deuement en bonne et sainte doctrine
; ou vous plaise icelle faire rendre et délivrer à
révérent père en Dieu et nostre très
honoré seigneur l'évesque de Beauvais, qui icelle
a pareillement requise, en la juridiction duquel elle a esté
appréhendée, comme on dit. Lesquels prélat
et inquisiteur de la foy ; et est tenu obéir tout chrestian,
de quelque estat qu'il soit, à eulx, en ce cas présent,
sur les peines de droit qui sont grandes. En ce faisant vous acquerrez
la grâce et amour de la haulte Divinité ; vous serez
moyen de l'exaltacion de la sainte foy, et aussi accroistrez la
gloire de vostre très hault et noble nom, et mesmement de
très hault et très puissant prince nostre très
redoubté seigneur et le vostre, monseigneur de Bourgoingne.
Et sera chascun tenu à prier Dieu pour la prospérité
de vostre très noble personne ; laquelle Dieu nostre Sauveur
vueille par sa grâce conduire et garder en tous ses affaires,
et finablement lui rétribuer joye sans fin, Escript...
à Paris le quatorziesme jour de juillet mil quatre cens trente)."
Notes
:
Source : E. O'Reilly - Procès de Jeanne d'Arc
- tome II - 1868
Texte original.
1 L'orthographe d'époque est copiée textuellement.
Illustrations :
- Sceau de Jean de Luxembourg (Arch.M. et M. - B765.50)
|