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Procès
de condamnation
- procès d'office
Séance du 20 février 1431. |
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tem,
le mardi suivant, vingtième jour de février, comparurent
dans la maison où nous habitons frère Jean Le Maistre,
vicaire du seigneur inquisiteur; maître Jean Beaupère,
Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Nicolas de Venderès, Pierre
Maurice, Gérard Feuillet, Thomas de Courcelles, Nicolas Loiseleur,
chanoine de la cathédrale de Rouen, et frère Martin
Lavenu, de l'ordre des frères Prêcheurs. En leur présence
nous avons rapporté que nous avions vu la commission ou lettre
de vicariat baillée audit frère Jean Le Maistre par
le seigneur inquisiteur et que, de l'avis des gens experts à
qui l'on avait montré cette lettre de vicariat, ledit vicaire
pouvait, en vertu de cette commission, s'adjoindre à nous
; que cette commission était étendue à cette
cité et à tout le diocèse de Rouen ; qu'il
pouvait conduire le procès conjointement à nous, évêque.
Néanmoins, pour
plus de sûreté en ce procès, nous avons décidé
d'adresser audit seigneur inquisiteur une sommation et réquisition
sous forme de lettres patentes, pour qu'il veuille bien venir en
personne dans cette ville de Rouen conduire personnellement ce procès
ou se faire suppléer par un vicaire muni d'un pouvoir plus
étendu et plus particulier, comme il appert par la teneur
de nos lettres transcrites plus loin.
A notre exposé le frère Jean Le Maistre
a répondu, tant pour rasséréner sa conscience
que pour la conduite plus sûre du procès, qu'il ne
voulait pas s'entremettre en la présente affaire, à
moins de recevoir un pouvoir spécial et bien défini.
Toutefois, en tant qu'il le pouvait et qu'il lui était licite,
il a consenti à ce que nous, évêque, procédassions
plus avant, jusqu'à ce qu'il eut reçu un avis plus
clair sur la question de savoir si, en vertu de sa dite commission,
il pouvait assumer la charge de conduire le procès. Ayant
ainsi son consentement, nous avons offert de nouveau de lui communiquer
les actes de notre procédure, ce qui été fait
et ce qui demeurait à faire. Sur quoi, après avoir
recueilli les délibérations des assesseurs, nous avons
arrêté que ladite femme, par nos lettres de citation,
serait appelée à comparaitre devant nous le lendemain
mercredi, vingt neuvième jour du mois de février.
Leur teneur est transcrite ci dessous :
S'ensuit d'abord la teneur de la lettre de vicariat dudit
Jean le Maistre :
Frère Jean Graverent, de l'ordre des frères
Prêcheurs, professseur en théologie sacrée,
inquisiteur de la perversité hérétique délégué
par l'autorité apostolique dans tout le royaume de France,
à son bien aimé frère en Christ Jean Le Maistre,
du même ordre, salut en Notre Seigneur Jésus-Christ,
auteur et confirmateur de notre foi. L'hérésie est
une maladie qui chemine en rampant, tel le cancer, et qui tue occultement
les simples, à moins que le sarcloir de l'inquisiteur vigilant
ne la tranche. C'est pourquoi, confiant dans votre zèle en
faveur de la foi, dans votre discrétion et probité,
de par l'autorité apostolique dont nous jouissons en cette
partie, nous vous avons fait, créé et constitué,
nous vous faisons, créons et constituons, par la teneur des
présentes, notre vicaire dans la ville et le diocèse
de Rouen ; vous donnant et concédant, dans cette ville et
ce diocèse, contre tous hérétiques, ou suspects
d'hérésie, leurs affidés, fauteurs, défenseurs
et recéleurs, plein pouvoir d'enquêter, de citer, de
convoquer, d'excommunier, de prendre, de détenir, de corriger,
de procéder contre eux par tous moyens opportuns et autres,
jusqu'à sentence définitive inclusivement, ainsi que
d'absoudre et de prononcer de salutaires pénitences, de faire
et d'exercer généralement tous et chacun des actes
qui appartiennent à l'office d'inquisiteur, tant de droit
que de coutume et de privilège spécial ; en un mot
de faire tous les actes que nous ferions nous-même si nous
y vaquions en personne. Donné à Rouen, l'an du Seigneur
1424, le 21 août.
Item s'ensuit la teneur de la lettre que nous, évêque,
avons adressée au seigneur inquisiteur de la perversité
hérétique :
Pierre, par la miséricorde divine évêque
de Beauvais, à vénérable père maître
Jean Graverent, docteur en théologie, inquisiteur de la perversité
hérétique, salut et sincère dilection en Christ.
Le roi notre sire, dans le feu de son zèle en faveur de la
foi orthodoxe et de la religion chrétienne, nous a fait remettre
comme à son juge ordinaire une certaine femme du nom de Jeanne,
surnommée vulgairement la Pucelle, chargée notoirement
de divers crimes contre la foi et la religion chrétienne,
suspecte d'hérésie, et qui avait été
prise et capturée dans notre diocèse de Beauvais.
Le chapitre de la cathédrale de Rouen, puisqu'il y
avait vacance du siege archiépiscopal, nous ayant accordé
et assigné territoire dans cette cité et dans le diocèse
de Rouen pour conduire son procès, désirant chasser
toute erreur impie répandue parmi le peuple de Dieu et fixer
l'intégrité de la vérité catholique
qui souffre de continuelles blessures, afin que le peuple chrétien,
principalement dans notre diocèse et dans les autres parties
de ce royaume très chrétien soit vivement édifié
quant à son salut une saine doctrine, nous avons résolu
d'examiner l'affaire de ladite femme avec zèle et toute diligence
; de nous enquérir de ses faits et dits concernant la foi
orthodoxe : et, après avoir convoqué un certain nombre
de docteurs, tant en sacrée théologie qu'en droit
canon, ainsi que d'autres personnes d'expérience, nous avons
commencé son procès juridique dans cette ville, après
grande et mûre délibération. Mais comme cette
affaire concerne particulièrement votre office d'inquisiteur,
à qui il appartient de faire luire la vérité
dans les causes suspectes d'hérésie, nous prions votre
vénérable paternité, nous la sommons et requérons
en faveur de la foi, d'avoir à se transporter sans délai
dans cette ville pour la conduite ultérieure de ce procès,
afin d'y vaquer, comme il incombe à votre office, selon la
forme du droit et les sanctions apostoliques, en sorte que nous
procédassions dans la cause elle même d'un commun sentiment
et suivant une procédure uniforme. Que si vos occupations,
ou quelque autre excuse raisonnable dont vous pourriez arguer, devaient
causer quelque retard dans cette affaire, veuillez du moins confier
votre pouvoir à frère Jean Le Maistre, votre vicaire
dans cette ville et diocèse de Rouen, ou à tout autre
commissaire, de telle sorte que le retard causé par votre
absence, après une requête si fondée, ne puisse
vous être imputé, au préjudice de la foi et
pour le scandale du peuple chrétien. Tout ce que vous aurez
décidé de faire, par vos lettres patentes veuillez
nous le faire connaître de suite. Donné à Rouen,
sous notre sceau, l'an du Seigneur 1431 le vingt-deuxième
jour du mois de février.
Ainsi signé : G. BOISGUILLAUME. G. MANCHON.
Source
: Pierre Champion - condamnation de Jeanne d'Arc - 1921
Texte traduit du Latin.
Dans le calendrier d'époque : 20 février 1430
Illustration :
- Hôtel canonial (en 1882) habité par N.Loiseleur pendant
le procès de la Pucelle. Pierre Cauchon y a séjourné
fréquemment (A. Sarrazin - Jeanne d'Arc et la Normandie au
XV° siècle).
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