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Procès
de condamnation - procès
d'office
Premier interrogatoire public - 21 février
1431 |
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e mercredi,
savoir le vingt-et-unième jour du mois de février,
sur les huit heures du matin, nous, évêque, nous sommes
rendu à la chapelle
royale du chateau de Rouen, où nous avions fait citer
la dite femme à comparaitre à ce jour et à
cette heure. Là nous avons pris séance, en tribunal,
assisté de révérends pères, seigneurs
et maitres : Gilles, abbé de la Sainte Trinité de
Fécamp, Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Chastillon,
Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Jean de
Nibat, Jacques Guesdon, Jean Le Fèvre, Maurice du Quesnay,
Guillaume Le Boucher, Pierre Houdenc, Pierre Maurice, Richard Prati,
Gérard Feuillet, docteurs en théologie sacrée
; Nicolas de Jumièges, Guillaume de Sainte-Catherine et Guillaume
de Cormeilles, abbés ; Jean Garin, chanoine, Raoul Roussel,
docteurs en l'un et l'autre droit. Guillaume Haiton, Nicolas Couppequesne,
Jean Le Maistre, Richard de Grouchet, Pierre Minier, Jean Pigache,
Raoul Le Sauvage, bacheliers en théologie. Robert Le Barbier,
Denis Gastinel, Jean Le Doulx, bacheliers en l'un et l'autre droit.
Nicolas de Venderès, Jean Basset, Jean de la Fontaine,
Jean Bruillot, Aubert Morel, Jean Colombel, Laurent du Busc et Raoul
Anguy, bacheliers en droit canon. André Marguerie, Jean Alespée,
Geoffroy du Crotay et Gilles Deschamps, licenciés en droit
civil.
En leur présence, il a été d'abord
donné lecture des lettres du roi sur la reddition et le renvoi
à nous fait de ladite femme ; puis des lettres du chapitre
de Rouen nous accordant territoire, lettres dont la teneur
est transcrite ci-dessus. Après cette lecture, le seigneur
Jean d'Estivet, notre promoteur, constitué et député
dans cette affaire, nous a rapporté qu'il avait fait citer
et évoquer ladite Jeanne par notre huissier dans cette cause,
afin qu'elle comparût au dit lieu, au jour et à l'heure
prescrits, pour répondre, comme de droit, aux interrogations
qui lui seraient proposées, ainsi qu'il résultait
clairement du rapport dudit huissier annexé à nos
lettres d'ajournement.
(1) "Pierre, par, la grâce
divine évêque de Beauvais, jouissant du territoire
dans la cité et le diocèse de Rouen sur l'autorisation
du vénérable chapitre de la cathédrale
de Rouen pendant la vacance du siège archiépiscopal,
afin de déduire et mener à terme l'affaire ci dessous
rapportée, au doyen de la chrétienté de Rouen,
à tous les prêtres, curés on non de cette cité
et diocèse, à qui ces présentes lettres parviendront,
salut dans l'auteur et consommateur de notre foi, Notre Seigneur
Jésus Christ. Comme une certaine femme, vulgairement dite
Jeanne la Pucelle, avait été capturée et prise
dans notre diocèse de Beauvais, puis nous avait été
été rendue, expédiée, baillée
et livrée par très chrétien et sérénissime
prince, monseigneur le roi de France et d'Angleterre, comme véhémentement
soupçonnée d'hérésie, afin que nous
fissions son procès en matière de foi, après
avoir ouï le bruit de ses faits et dits blessant notre foi
notoirement répandu non seulement à travers le royaume
de France mais encore à travers toute la chrétienté,
après une diligente information et sur l'avis de gens experts,
désirant mûrement procéder dans cette affaire,
nous avons résolu d'appeler ladite Jeanne, de la citer et
de l'entendre sur les articles et interrogatoires qui lui seront
donnés et faits concernant cette matière. C'est pourquoi
nous mandons à tous et à chacun de vous de ne pas
s'attendre l'un l'autre, s'il est requis par nous, ni de s'excuser
l'un sur l'autre. Citez donc péremptoirement ladite Jeanne
si fort suspecte d'hérésie, à comparaitre devant
nous, dans la chapelle royale du château de Rouen, le mercredi
21 du présent mois de février à huit heures
du matin, afin qu'elle dise la vérité sur lesdits
articles, interrogatoires et autres sur quoi nous la tenons pour
suspecte, et pour faire d'elle, comme il nous paraîtra juste
et de raison, en lui intimant qu'elle sera excommuniée faute
de comparaître ce jour là devant nous. Rendez-nous
fidèlement compte de tout ce qui aura été fait,
vous qui suivrez en personne cette affaire. Donné à
Rouen, sous notre sceau, l'an du Seigneur 1431, le mardi vingtième
jour du mois de février. Ainsi signées G. BOISGUILLAUME.
G. MANCHON."
(2) "A révérend
père en Christ monseigneur Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, et jouissant du territoire
dans cette cité et le diocèse de Beauvais sur l'agrément
du vénérable chapitre de la cathédrale de Rouen
pendant la vacance du siège archiépiscopal, afin qu'il
puisse déduire et terminer l'affaire ci-dessous rapportée,
l'humble, prétre Jean Massieu, doyen de la chrétienté
de Rouen, présente, en toute révérence et tout
honneur, prompte obéissance à tous ses mandements.
Sache votre révérende paternité que j'ai cite
péremptoirement, en vertu du mandement que vous m'avez adressé
et auquel est annexé mon présent exploit, la femme
vulgairement appelée Jeanne la Pucelle, le mercredi 21 février
à huit heures du matin, dans la chapelle royale du château
de Rouen ; cette femme, appréhendée personnellement
dans l'enceinte dudit château, et que vous tenez véhémentement
pour suspecte d'hérésie, devant répondre la
vérité aux articles et interrogatoires qui lui seraient
faits et posés touchant la matière de la foi, ainsi
qu'aux autres points sur lesquels vous l'estimez suspecte, et pour
faire à son sujet comme de juste et de raison suivant l'intimation
contenue dans vos lettres. Ladite Jeanne m'a en effet répondu
que volontiers elle comparaîtrait devant vous et répondrait
la vérité aux interrogations qui lui seraient faites
; que toutefois elle demandait que, dans cette cause, vous voulussiez
bien convoquer des ecclésiastiques des pays tenant le parti
de France, tout autant qu'il y en avait d'Angleterre ; en outre
elle suppliait humblement votre révérende paternité
de lui permettre d'entendre la messe demain avant de comparaitre
devant votre révérende paternité, et que j'eusse
bien à vous le signifier : ce que j'ai fait. Tout ce qui
précède a été fait par moi ; et je le
signifie à votre révérende paternité
par les présentes lettres, scellées de mon sceau et
signées de mon seing manuel. Donné l'an du Seigneur
1431, le mardi veille dudit mercredi. Ainsi signé : JEAN."
Puis le promoteur, après lecture des lettres susdites,
a requis instamment que cette femme reçût commandement
de se rendre ici pour comparaître devant nous en jugement,
ainsi qu'elle avait été citée, afin que nous
l'interrogions sur certains articles concernant la matière
de foi : ce que nous avons accordé. Mais comme, entre temps,
cette femme nous avait requis qu'il lui fût permis d'ouïr
la messe, nous avons exposé aux assesseurs que nous avions
tenu conseil à ce sujet avec des maîtres et de notables
personnes : vu les crimes dont ladite femme était diffamée,
notamment l'inconvenance de son habillement dans laquelle elle persévérait,
leur avis fut qu'il convenait de surseoir à lui accorder
licence d'ouïr la messe et d'assister aux divins offices.
Tandis que nous disions cela, cette femme fut introduite
par notre huissier. Puisqu'elle comparaissait en jugement devant
nous, nous commençâmes à exposer comment cette
Jeanne avait été prise et appréhendée
dans les termes et limites de notre diocèse de Beauvais ;
comment de nombreux actes accomplis par elle, non seulement dans
notre diocèse, mais encore dans beaucoup d'autres régions,
blessaient la foi orthodoxe ; comment le bruit public s'en était
répandu par tous les royaumes de la chrétienté.
Tout récemment, le sérénissime et très
chrétien prince, le roi notre sire, nous l'avait baillée
et délivrée afin que nous lui fissions son procès
en matière de foi, comme il apparaissait être de droit
et de raison. C'est pourquoi, vu la commune renommée et le
bruit public, ainsi que certaines informations dont nous fîmes
précédemment mention, après tout d'abord tenu
mûr conseil avec des personnes savantes en droit divin et
civil, nous avons donné mandement de notre office pour que
ladite Jeanne fût citée et évoquée par
lettre, répondre la vérité aux interrogatoires
en matière de foi qui lui seraient proposés et à
l'effet de procéder, comme de droit et de raison, ainsi qu'il
résultait des lettres susdites que le promoteur avait exhibées.
Comme c'est le devoir de notre office de veiller à
la conservation et exaltation de la foi catholique, avec le bénin
secours de Jésus-Christ dont la cause est en jeu, nous avons
d'abord exhorté charitablement et requis ladite Jeanne, alors
assise devant nous afin que, pour l'abréviation du présent
procès et la décharge de sa conscience, elle déclarât
pleine vérité sur les questions qui lui seraient posées
en matière de foi, sans recourir aux subterfuges et ruses
l'éloignant de la vérité même .
*
* *
En outre, suivant notre office, nous avons requis judiciairement
ladite Jeanne de prêter serment en forme due, les mains sur
les sacrosaints Évangiles, et de dire la vérité
sur les questions qui lui seraient posées, comme il a été
dit ci dessus.
Ladite Jeanne a répondu de la sorte :
- Je ne sais sur quoi vous voulez m'interroger. Peut-être
pourrez-vous me demander telles choses que je ne vous dirai pas.
Insuper, ex officio nostro, ipsam
Johannam judicialiter requisivimus, quatenus juramentum in forma
debita, tactis sacrosanctis Evangelis, præstaret, de dicendo
veritatem, ut præmittitur, super his de quibus interrogaretur.
Quæ quidem Johanna ad hoc in hunc modum respondit
:
- Nescio super quibus vultis me interrogare. Forte vos poteritis
a me talia petere, quæ non dicam vobis.
La dessusdicte requeste accordee,
comme dit est, icelluy evesque feist venir ladicte Jhenne, et l'admonnesta
caritativement.
Et luy pria qu'elle dist verité des choses qui
luy seroyent demandees, tant pour l'abbreviacion de son procez que
pour la descharge de sa conscience, sans querir subterfuges ne cautelles;
et qu'elle jurast sur les sainctes Euvangilles de dire verité
de toutes les choses sur lesquelles elle seroit interroguee.
Laquelle Jhenne respondit :
- Je ne sçay sur quoy vous me voullez interroguer. Adventure
me pourriez vous demander telles choses que je ne vous diray point.
Sur quoi nous lui répondîmes :
- Jurerez vous de dire vérité sur ce qui vous sera
demandé, concernant la matière de foi, et sur ce que
vous saurez ?
Cum vero nos eidem diceremus :
- Vos jurabitis dicere veritatem de his quæ petentur a vobis,
fidei materiam concernentibus et quæ scietis.
Sur quoy ledit evesque luy dist :
- Vous jurerez de dire verité de ce que vous sera demandé
qui concerne la foy catholicque et de toutes aultres choses que
sçaurez.
Celle ci répondit que, au sujet de ses père et mère
et sur ce qu'elle avait fait depuis qu'elle avait pris le chemin
de France, volontiers en jurerait ; mais les révélations
à elle faites de par Dieu, elle ne les avait dites ni révélées
à personne, si ce n'est au seul Charles qu'elle dit être
son roi ; ces choses là, elle ne les révélerait,
dût on lui couper la tête ; car elle les avait eues
par visions ou par son conseil secret. Et dans les huit prochains
jours, elle saurait bien si elle les devait révéler.
Ipsa
rursum respondit quod de patre et matre, et his quæ fecerat,
postquam iter arripuerat in Franciam, libenter juraret ; sed, de
revelationibus eidem factis ex parte Dei, nunquam alicui dixerat
seu revelaverat, nisi soli Karolo quem dicit regem suum ; nec etiam
revelaverat, si deberet eidem caput amputari ; quia hoc habebat
per visiones sive consilium suum secretum, ne alicui revelaret ;
et quod, infra octo dies proximos, bene sciret si hoc deberet revelare.
A quoy ladicte Jhenne respondit que de ses
pere et mere, et de toutes les choses qu'elle avoit faictes depuis
qu'elle avoit prins le chemin pour venir en France, voluntiers en
jureroit. Mais de revelacions a elle faictes de par Dieu, que jamais
elle ne l'avoit dit ne revelé fors a Charles, que elle dit
estre son roy. Et si on luy debvoit coupper la teste, elle ne les
reveleroit ; pour ce qu'elle savoit par ses visions qu'elle les
debvoit tenir secretes. Mais que dedens huit jours elle sçaura
bien se elle les doibt reveler.
Derechef, et par
plusieurs fois, nous, évêque, l'avons admonestée
et requise de vouloir bien prêter serment de dire vérité,
en ce qui toucherait notre foi. Ladite Jeanne, les genoux fléchis,
les deux mains posées sur le livre, assavoir le missel, jura
qu'elle dirait la vériré sur toutes les choses qui
lui seraient demandées, et qu'elle saurait, concernant la
matière de foi. Elle passa sous silence la condition susdite,
savoir qu'elle ne dirait à personne et ne dévoilerait
les révélations à elles faites (7).
Et
iterato, et vicibus repetitis, nos, episcopus prædictus, monuimus
et requisivimus eamdem Johannam quod in his quæ tangerent
fidem nostram juramentum præstare vellet de dicendo veritatem.
Quæ quidem Johanna, flexis genibus, ambabus manibus supra
librum, videlicet supra Missale, positis, juravit quod diceret veritatem
super his quæ requirerentur ab ea, fidei materiam concernentibus
quæ sciret, tacendo de conditione antedicta, videlicet quod
nulli diceret aut revelationes eidem factas (7).
Apprez lesquelles paroles ledit
evesque l'admonnesta et pria que, en ce que toucheroit la foy, elle
feist serment de dire verité. Laquelle Jehenne se mist a
genoulx, les deux mains sur le livre, c'est assavoir un messel,
et jura qu'elle diroit verité de toutes les choses qui luy
seroyent demandees, qui concernent la matiere de la foy. Mais que,
des revelacions dessus dictes, elle ne les diroit a personne.
Item ayant ainsi prêté serment, ladite
Jeanne fut interrogée par nous sur son nom et surnom.
A quoi elle répondit que dans son pays
on l'appelait Jeannette ; et, après qu'elle vint en France,
on l'appela Jeanne. Quant à son surnom, elle disait n'en
rien savoir. Ensuite, interrogée sur son pays d'origine :
elle répondit qu'elle naquit dans le village de Domrémy,
qui est uni avec le village de Greux (3)
; et c'est à Greux qu'est la principale église.
Item, juramento sic præstato,
eadem Johanna per nos interrogata fuit de nomine et cognomine ipsius.
Ad quæ respondit quod in partibus suis vocabatur Johanneta
et, postquam venit in Franciam, vocata est Johanna. De cognomine
autem suo dicebat se nescire. Consequenter, interrogata de loco
originis : respondit quod nata fuit in villa de Dompremi,
quæ est eadem cum villa de Grus ; et in loco de Grus est principalis
ecclesia.
(9)
Ce jour mesme, ladicte Jhenne interroguee, de son nom et surnom,
Respondit que, au lieu ou elle avoit esté nee,
on l'appeloit Jhannette, et en France, Jhenne ; et du surnom n'en
sçait riens.
Interroguee du lieu de sa naissance,
Respondit qu'elle avoit esté nee en ung villaige
qu'on appeloit Dompremy de Grus, euquel lieu de Grus est la principalle
eglise.
Item interrogée du nom de ses père et
mère, répondit que son père était nommé
Jacques d'Arc (4) et sa mère
Isabelle (5).
Item, interrogata de nomine patris
et matris : respondit quod pater vocabatur Jacobus d'Arc, mater
veto, Ysabellis.
Interroguee du nom de ses pere et mere,
respondit que son pere estoit nommé Jacques Tarc et sa mere
Ysabeau.
Interrogée où elle fut baptisée,
répondit que ce fut dans l'église de Domrémy
(6)
Interrogata quo loco fuit
baptizata : respondit quod in ecclesia de Dompremi.
Interroguee ou elle fut baptisee,
respondit que ce fut en l'eglise de Dompremy.
Interrogée qui furent ses parrains et marraines,
dit qu'une de ses marraines était nommée Agnès,
une autre Jeanne, une autre Sibille ; de ses parrains, un se nommait
Jean Lingué, un autre Jean Barrey : elle eut plusieurs autres
marraines, comme elle l'avait bien ouï dire à sa mère.
Interrogata qui fuerunt ejus patrini
et matrinæ : dicit quod una matrinarum vocabatur Agnes, altera
Johanna, altera Sibilla ; patrinorum vero unus vocabatur Johannes
Lingué, alter, Johannes Barrey ; aliasque plures
matrinas habuit, prout audivit a matre.
Interroguee que fut ses parrains
et marraines, respondit que une femme nommee Agnetz et ung aultre
nommee Jhenne ; et ung nommé Jehan Bavent fut son parrain.
Dist oultre qu'elle avoit bien ouy dire a sa mere que elle avoit
d'aultres parrains et marraines que les dessusdits.
Interrogée quel prêtre l'a baptisée,
répondit que ce fut maitre Jean Minet, à ce qu'elle
croyait.
Interrogée s'il vivait encore, répondit que
oui, à ce qu'elle croit .
Interrogata quis sacerdos eam
baptizavit : respondit quod dominus Johannes
Minet, prout credit.
Interrogata an vivat ipse : respondit quod sic, prout
credit.
Interroguee qui fut le prebstre
qui la baptisa, répondit que ce fut ung nommé messire
Jehan Nynet, ainsy comme elle croyt.
Interroguee
se ledit Nynet vist encoires, respondit que ouy, ainsy comme elle
croit.
Item interrogée quel âge elle avait, répondit
qu'elle avait environ dix-neuf ans, comme il lui semble. En outre
dit que sa mère lui apprit le Pater noster, l'Ave
Maria, le Credo ; et que nulle autre personne que sa
mère ne lui apprit sa croyance.
Item, interrogata cujus ætatis
ipsa erat : respondit quod, prout sibi videtur, est quasi XIX annorum.
Dixit præterea quod a matre didicit Pater noster, Ave
Maria, Credo ; nec alibi didicit credentiam, nisi a præfata
ejus matre.
Interroguee
quel aage elle avoit, respondit qu'elle avoit dix neuf ans ou environ.
Et oultre dist que sa mere luy apprint le Pater noster, Ave
Maria et Credo ; et que aultre personne que sadicte mere
ne luy apprins sa creance.
Item, requise
par nous de dire Pater noster, répondit que nous l'entendissions
en confession, et qu'elle nous le dirait volontiers. Et comme, à
plusieurs fois, nous l'avions requise de ce faire, elle répondit
qu'elle ne dirait Pater noster, à moins que nous ne
l'entendissions en confession. Or nous lui dîmes que volontiers
nous lui baillerons un ou deux notables personnages de langue française,
à qui elle dirait Paster noster, etc. ; à quoi
ladite Jeanne répondit qu'elle ne leur dirait point s'ils
ne l'entendaient en confession.
Item, requisita per nos quod diceret
Pater noster : respondit quod audiremus eam in confessione
et ipsa nobis diceret libenter. Cumque iterum pluries super hoc
requireremus eam : respondit quod non diceret Pater noster,
etc..., nisi eam audiremus in confessione. Tunc autem diximus quod
libenter sibi traderemus unum aut duos notabiles viros de lingua
gallicana, coram quibus ipsa diceret Pater noster etc...
Ad quod respondit ipsa Johanna quod non diceret eis, eam audirent
in confessione.
Requise
qu'elle dist Pater noster et Ave Maria, respond qu'elle
la dira voluntiers, pourveu que monseigneur l'evesque de Beauvoys,
qui estoit present, la vouldroit oyr de confession. Et, combien
qu'elle fust plusieurs foys requise de dire Pater noster
et Ave Maria, elle respondit qu'elle ne le diroit point,
se ledit evesque ne l'ouoyt de confession.
Et adoncq ledit euesque dist : Je vous ordonneray ung
ou deux notables personnaiges de ceste compaignie (8)
ausquelz vous direz : Pater noster et Ave Maria. A
quoy elle respondit :
- Je
ne le diray point, se ilz ne me oyent de confession.
Après quoi nous, évêque susdit, avons
défendu à Jeanne de sortir des prisons à elle
assignées, dans le château de Rouen, sans autorisation,
sous peine d'être convaincue du crime d'hérésie.
Nous a répondu qu'elle n'acceptait point cette défense,
ajoutant que si elle s'évadait, nul ne pourrait la reprendre
d'avoir enfreint ou violé son serment, puisqu'elle n'avait
donné sa foi à personne. Ensuite elle se plaignit
d'être incarcérée avec chaînes et entraves
de fer. Nous lui dîmes alors qu'elle s'était efforcée
ailleurs et par plusieurs fois de s'évader des prisons ;
et c'est à cette fin qu'elle fût gardée plus
fidèlement et plus sûrement que l'ordre avait été
donné de l'entraver de chaînes de fer. A quoi elle
répondit :
- Il est vrai qu'ailleurs j'ai voulu et que je voudrais m'évader,
comme il est licite à toute personne incarcérée
ou prisonnière.
Quibus sic peractis, nos, episcopus
prædictus, prohibuimus eidem Johannæ ne recederet de
carceribus sibi assignatis infra castrum Rothomagense, absque licentia
nostra, sub pœna convicti de crimine hæresis. Ipsa vero
respondit quod non acceptabat illam inhibitionem dicens ulterius
quod, si evaderet, nullus posset eam reprehendere quod fidem suam
fregisset vel violasset, quia nulli unquam fidem dederat. Deinceps
conquesta fuit quod in vinculis et compedibus ferreis detinebatur.
Tunc quoque sibi diximus quod alias nisa fuerat a carceribus evadere
pluribus vicibus, et propterea, ut tutius et securius custodiretur,
jussa fuerat vinculis ferreis compediri. Ad quod respondit, dicens
:
- Verum est quod alias volui et vellem, prout licitum est cuicumque
incarcerato seu prisionario, evadere.
Ladicte
Jhenne soy plaignant des fers qu'elle avoit aux jambes, luy fut
dit par ledit evesque que par plusieurs foys elle se estoit efforcee
d'eschaper des prisons, pour quoy, affin qu'elle fust gardee plus
seurement, on avoit commandé qu'elle fust enferree.
A quoy ladicte Jhenne respondit qu'il estoit vray que
autresfoys elle avoit bien voullu eschapper de la prison, ainsy
qu'il est licite a chascun prisonnier. Et dist oultre que, quand
elle pourroit eschaper, on ne la pourroit reprendre qu'elle eust
faulcé ou viollé sa foy a aulcun ; car elle ne l'avoit
baillee jamais a personne.
*
* *
Nous avons ensuite commis à la garde sûre
de ladite Jeanne noble homme John Grey, écuyer du corps du
roi notre sire, et avec lui John Berwoit et William Talbot, en leur
enjoignant de bien et fidèlement la garder, sans permettre
à quiconque de conférer avec elle sans notre autorisation.
Ce qu'ils jurèrent solennellement de faire la main sur les
saints Evangiles. Enfin, après avoir accompli tous ces actes
préliminaires, nous avons assigné Jeanne à
comparaitre le lendemain jeudi, à huit heures du matin, en
la chambre de parement située au bout de la grande
salle dudit château de Rouen.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921),
"La minute française des interrogatoires de La Pucelle"
- P.Doncoeur (1952).
Quelques corrections du "Procès de condamnation de Jeanne
d'Arc" - Pierre Tisset (1970) - T. II p. 32 à 42.
Illustrations :
- sceau de la chapelle de Rouen (Bibl.nle.ms.po.2309)
- vitrail de la chapelle du chateau de Rouen représentant
St Pierre (Musée de Cluny)
- version du "Pater noster" de 1593.
Notes :
1 Teneur de la lettre d'ajournement
2 Exploit de l'huissier Jean Massieu
3 Greux : village touchant à Domrémy. Ne fut incorporé
au royaume que sous les premiers Valois. Dépendait d'Andelot
et non de Vaucouleurs.
4 C'est sous cette forme qu'est écrit d'Arc dans le procès
de condamnation. Jacques d'Arc serait né à Ceffonds
vers 1375 (Charles du Lys - 1628). Il s'est établi à
Domrémy vers le temps de son mariage. Jacques d'Arc était
de situation honorable sans être riche comme parfois insinué.
Il était doyen du village et donc exerçait des fonctions
semblables à celle d'un garde-champêtre. Il a été
anobli en 1429 par Charles VII et serait mort du chagrin que lui
causa la fin de sa fille (Boucher de Molandon, Jacques d'Arc, père
de la Pucelle d'Orléans - 1886).
5 Isabeau d'Arc, mère de la Pucelle. Son surnom était
Romée, son prénom en patois était aussi Zabilet. Isabelle Romée était de Vouthon,
village vers Gondrecourt à 7 km de Greux. Elle s'est rendue
au grand pélérinage du Puy-en-Velay au temps où
sa fille de rendait vers le Dauphin. Après le décès
de son mari sans doute, elle vint s'établir vers 1440 à
Orléans où elle fut logée dans la résidence
d'Henriet Anquetil et la municipalité lui alloua une pension
mensuelle. Elle avait alors 60 ans environ.
Elle mourut le 28 novembre 1458 soit deux ans après la réhabilitation
de sa fille.
6 L'église de Domrémy existe encore mais a été
profondément remaniée au début du XIX°
siècle.
7 ..."Elle passa sous silence la condition susdite, savoir
qu'elle ne dirait à personne et ne dévoilerait les
révélations à elles faites"... mention
ajoutée au procès latin par T.de Courcelles. Jeanne
n'a pas passé sous silence les restrictions de son serment.
8 Le
texte de T. de Courcelles prête à confusion "duos
notabiles viros de lingua gallicana" souvent traduit par "deux notables de langue française"
ou "deux notables de votre parti" alors que tout le monde
parle Français dans ce procès et qu'on n'imagine pas
Cauchon faire venir deux importants personnages du parti français.
La minute du manuscrit d'Orléans semble correcte à
ce sujet.
9 La
minute française du ms d'Orléans, donne le texte dans
l'ordre ci-dessous. A noter que la minute précise "après
les interrogatoires faits à Jeanne concernant ses noms, prénoms..."
T. de Courcelles a donc remis le texte dans l'ordre chronologique.
Dans le texte ci-dessus, l'ordre de la minute française a
été mis dans l'ordre chronologique pour permettre
la comparaison avec la version latine officielle :
..."Item, ce mesme jour, apprez aulcuns
interrogatoires faictz a ladicte Jehenne, c'est assavoir du
nom de ses pere et mere, et du lieu ou elle avoit esté nee,
et de son aage.
Ladicte Jhenne soy plaignant des fers qu'elle avoit
aux jambes,
Luy fut dit par ledit evesque que par plusieurs foys
elle se estoit efforcee d'eschaper des prisons, pour quoy, affin
qu'elle fust gardee plus seurement, on avoit commandé qu'elle
fust enferree.
A quoy ladicte Jhenne respondit qu'il estoit vray que
autresfoys elle avoit bien voullu eschapper de la prison, ainsy
qu'il est licite a chascun prisonnier. Et dist oultre que, quand
elle pourroit eschaper, on ne la pourroit reprendre qu'elle eust
faulcé ou viollé sa foy a aulcun ; car elle ne l'avoit
baillee jamais a personne...
...Ce jour mesme, ladicte Jhenne interroguee, de son
nom et surnom,
Respondit que, au lieu ou elle avoit esté nee,
on l'appeloit Jhannette, et en France, Jhenne ; et du surnom n'en
sçait riens.
Interroguee du lieu de sa naissance,
Respondit qu'elle avoit esté nee en ung villaige
qu'on appeloit Dompremy de Grus, euquel lieu de Grus est la principalle
eglise.
Interroguee du nom de ses pere et mere,
Respondit que son pere estoit nommé Jacques Tarc
et sa mere Ysabeau.
Interroguee ou elle fut baptisee,
Respondit que ce fut en l'eglise de Dompremy.
Interroguee que fut ses parrains et marraines,
Respondit que une femme nommee Agnetz et ung aultre
nommee Jhenne ; et ung nommé Jehan Bavent fut son parrain.
Dist oultre qu'elle avoit bien ouy dire a sa mere que elle avoit
d'aultres parrains et marraines que les dessusdits.
Interroguee qui fut le prebstre qui la baptisa,
Répondit que ce fut ung nommé messire
Jehan Nynet, ainsy comme elle croyt.
Interroguee se ledit Nynet vist encoires,
Respondit que ouy, ainsy comme elle croit.
Interroguee quel aage elle avoit,
Respondit qu'elle avoit dix neuf ans ou environ. Et
oultre dist que sa mere luy apprint le Pater noster, Ave
Maria et Credo ; et que aultre personne que sadicte mere
ne luy apprins sa creance.
Requise qu'elle dist Pater noster et Ave Maria,
Respond qu'elle la dira voluntiers, pourveu que monseigneur
l'evesque de Beauvoys, qui estoit present, la vouldroit oyr de confession.
Et, combien qu'elle fust plusieurs foys requise de dire Pater
noster et Ave Maria, elle respondit qu'elle ne le diroit
point, se ledit evesque ne l'ouoyt de confession.
Et adoncq ledit euesque dist : Je vous ordonneray ung
ou deux notables personnaiges de ceste compaignie (8)
ausquelz vous direz : Pater noster et Ave Maria.
A quoy elle respondit : Je ne le diray point, se ilz
ne me oyent de confession."
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