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Procès
de condamnation - procès d'office
Premier
interrogatoire privé - 10 mars 1431. |
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tem
le samedi suivant, dixième jour du mois de mars, nous évêque
susdit nous rendîmes en certaine chambre du chateau de Rouen qui avait été assigné comme
prison à ladite Jeanne, et là, assisté dudit
maître Jean de La Fontaine, notre commissaire et député,
comme il est dit plus haut, et des vénérables docteurs
en théologie sacrée, maîtres Nicolas Midi et
Gérard Feuillet ; en présence de Jean Secard, avocat,
et de maître Jean Massieu, prêtre, témoins cités,...
*
* *
... nous requîmes ladite Jeanne de faire et prêter le
serment de dire la vérité sur ce qui lui serait demandé.
Elle répondit disant :
- Je vous promets que je dirai la vérité sur ce
qui touche votre procès ; et plus vous me contraindrez de
jurer, plus tard vous la dirai.
...requisivimus prædictam Johannam ut
faceret et præstaret juramentum de dicendo veritatem his quæ
ab ea peterentur. Quæ respondit, dicens:
- Ego promitto vobis quod dicam veritatem de hoc quod tangit
vestrum processum ; et quanto amplius me compelletis ad jurandum,
tanto tardius dicam vobis.
...ladlicte Jhenne jut requise de dire verité,
respondit :
- Je vous prometz que je diray verité de ce qui touchera
votre procez. Je vous prie, ne me contraignez point a jurer. Car,
plus me contraindrez a jurer, et plus tard vous diray verité.
Ensuite maître Jean de La Fontaine, par nous spécialement
commis et député à ce,
interrogea ladite Jeanne. Et il lui demanda, par le serment qu'elle
avait fait, quand elle vint dernièrement à Compiègne,
de quel lieu elle était partie. Elle répondit qu'elle
était partie de Crépy-en-Valois.
Deinceps per supradictum magistrum
Johannem de Fonte, per nos ad hoc specialiter commissum et deputatum,
eadem Johanna fuit interrogata. Et ab ipsa petiit per juramentum
quod ipsa præstiterat, quando ultimate venit ad Compendium,
a quo loco recesserat. Ipsa autem respondit quod recesserat a villa
de Crespeyo in Valesio.
Interroguee
en apprez par maistre Jehan de La Fontaine, par le commandement
de monseigneur de Beauvoys, en ceste maniere : Par le serment que
vous avez faict, quand vous venistes dernierement a Compieigne,
de quel lieu estiez vous partie ?, respond : de Crespy en Valoys.
Interrogée si elle fut plusieurs jours à
Compiègne avant qu'elle fit aucune sortie, répondit
qu'elle vint à heure secrète du matin et entra dans
la ville sans que ses ennemis le sussent guère, comme elle
pense ; et ce même jour, sur le soir, fit la sortie où
elle fut prise (1).
Interrogata utrum ipsa fuerit
multis diebus in villa de Compiendio, antequam inde faceret exitum
seu aliquam salitionem, respondit quod venit de mane, hora secreta
; et intravit villam, absque hoc quod inimici ejus aliquid scirent
hoc multum, prout æstimat ; et illo eodem die, circa horam
serotinam, fecit illam salitionem gallice la saillie, unde
ipsa fuit capta.
Interroguee,
quand elle fut venue a Compieigne, se elle fut plusieurs journees
avant qu'elle feist aulcune saillye, respond qu'elle vint a heure
secrete du mattin ; et entra en la ville, sans que ses ennemys le
sceussent, comme elle pense. Et ce jour mesmes, sur le soir, feist
la saillye ou fut prinse.
Interrogée si, quand elle fit sa sortie, on sonna
les cloches, répondit que si on les sonna ce ne fut point
sur son commandement ou à son su ; et n'y pensait point ;
et aussi ne lui souvient si elle avait dit qu'on les sonnât.
Interrogata si, quando exsiliit,
pulsatte fuerunt campanæ, respondit quod, si pulsatæ
fuerunt, hoc non fuit de præcepto ipsius vel de scitu ; nec
ad hoc cogitabat, nec etiam recordatur utrum ipsa dixerat quod pulsarentur.
Interroguee
se en la saillye l'on sonna les cloches, respond se on les sonna,
ce ne fut point a son commandement, ou par son sceu ; et n'y pensoit
point. Et si ne luy souvient s'elle avoit dist que on les sonnast.
Interrogée si elle fit cette sortie sur le commandement
de sa voix, répondit qu'en la semaine de Pâques dernièrement
passée, étant sur les fossés de Melun, il lui
fut dit par ses voix, c'est à savoir par sainte Catherine
et sainte Marguerite, qu'elle serait prise avant la Saint-Jean ;
et qu'ainsi fallait que fût fait ; et quelle ne s'ébahît
pas et prît tout en gré, et que Dieu lui aiderait.
Interrogata utrum fecit illam
salitionem de præcepto vocis suæ, respondit quod, in
septimana Paschali novissime præteria, ipsa exsistente supra
fossata villæ Meleduni, fuit eidem dictum per suas voces,
videlicet per voces sanctarum Katharinæ et Margaretæ,
quod ipsa caperetur antequam esset festum Beati Johannis ; et quod
ita oportebat fieri ; et quod inde non obstupesceret, sed accciperet
gratanter, et quod Deus adjuvaret eam.
Interroguee
se elle feist ceste saillye du commandement de sa voix, respond
que, en la sepmaine de Pasques derniere passee, elle estante sur
les fossez de Melun, luy fut dict par ses voix, c'est assavoir saincte
Katherine et saincte Margueritte, qu'elle seroit prinse avant qu'il
fust la sainct Jehan, et que ainsy falloit qu'il fust faict. Et
qu'elle ne se esbahist. Mais qu'elle print tout en gré, et
que Dieu luy ayderoit.
Interrogée si, depuis ce lieu de Melun, il ne
lui fut point dit par ses dites voix qu'elle serait prise, répondit
que oui, par plusieurs fois, et presque tous les jours. Et requérait
à ses voix, quand elle serait prise, qu'elle fût bientôt
morte sans longue peine de prison ; et elles lui dirent qu'elle
prit tout en gré, et qu'ainsi le fallait faire ; mais ne
lui dirent point l'heure ; et si elle l'avait su, elle n'y fût
pas allée. Et elle leur avait plusieurs fois demandé
pour savoir l'heure de sa prise, mais elles ne lui dirent point.
Interrogata an, depost illum
locum de Meleduno, fueritne dictum sibi per voces suas prædictas
quod ipsa caperetur, respondit quod sic, multotiens, et quasi quotidie.
Et requirebat a suis vocibus quod, quando esset capta, statim moreretur,
sine longa vexatione carceris ; et illæ voces sibi dixerunt
quod acciperet omnia gratanter et quod ita oportobat fieri ; sed
non dixerunt sibi horam. Et si ipsa scivisset horam, non ivisset
illuc. Petiveratque pluries ab eisdem vocibus scire horam captionis,
sed non dixerunt sibi.
Interroguee
si, depuis ce lieu de Melun, luy fut point derechef dit par sesdictes
voix qu'elle seroit prinse, respond que ouy, par plusieurs foys,
et comme tous les jours. Et a ses vois requeroit, quand elle seroit
prinse, qu'elle fust morte tantost, sans long travail de prison.
Et ilz luy disrent qu'elle print en gré ; et que ainsy le
falloit faire ; mais ne lui disrent point l'heure ; et si elle l'eust
sceu, elle n'y fut pas allee. Et avoit plusieurs foys demandé,
sçavoir l'heure. Mais ilz ne luy voulurent pas dire. (2)
[Et pria : Passez oultre.]
Interrogée, si les voix lui eussent commandé
qu'elle sortit de Compiègne et signifié qu'elle serait
prise, elle y serait allée, répondit que si elle eût
su l'heure et qu'elle dût être prise, elle n'y fut pas
allée volontiers ; toutefois elle eût fait leur commandement
à la fin, quelque chose qui lui dût advenir.
Interrogata si votes suæ
præcepissent sibi quod exsilisset de Compendio, significantes
ei quod fuisset capta, utrum ipsa ivisset illuc, respondit quod,
si ipsa scivisset horam et quod debuisset capi, non ivisset libenter
; tamen ipsa fecisset præceptum illarum vocum, quidquid sibi
debuisset contingere.
Interroguee, se ses voix luy eussent commandé
qu'elle fust saillye et signifié qu'elle eust esté
prinse, se elle y fut allee, respond que, se elle eust sceu l'heure
que elle eust deu estre prinse, elle n'y fust pas allee voluntiers.
Toutesfoys elle eust faict leur commandement en la fin, quelque
chose que il luy en eust deu advenir.
Interrogée si, quand elle fit cette sortie de
Compiègne, elle avait eu voix et révélation
de partir et de faire cette sortie, répondit que ce jour-là
elle ne sut point sa prise et n'eut autre commandement de sortir
; mais toujours lui avait été dit qu'il fallait qu'elle
fût prisonnière.
Interrogata, quando exsiliit a
Compendio, utrum habuerat vocem seu revelationem de recedendo et
faciendo illam salitionem, respondit quod illo die nescivit suam
captionem, nec habuit aliud præceptum de exeundo : sed semper
dictum fuerat ei quod oportebat eam esse prisionariam.
Interroguee se, quand elle feist ceste saillye, se elle avoit eu
voix de partir
faire cette saillye, respond que ce jour ne sceust point sa prinse
; et ne eust aultre commandement de yssir ; mais tousiours luy avoit
esté dit qu'il falloit qu'elle fust prisonniere.
Interrogée si, quand fit cette sortie, elle passa
par le pont, répondit qu'elle passa par le pont et par le
boulevard (3), et alla avec la compagnie
des gens de son parti sur les gens de monseigneur de Luxembourg
; et les rebouta par deux fois jusqu'au logis des Bourguignons et,
à la tierce fois, jusqu'à mi chemin ; et alors les
Anglais qui étaient là, lui coupèrent le chemin,
à elle et à ses gens. En se retirant dans les champs,
du côté de Picardie, près du boulevard, elle
fut prise (4); et était la rivière entre Compiègne
et le lieu où elle fut prise ; et n'y avait seulement, entre
le lieu où elle fut prise et Compiègne, que la rivière,
le boulevard et le fossé dudit boulevard.
Interrogata utrum, quando fecit
illam salitionem, transiverit per pontem Compendii, respondit quod
transivit per pontem et per boulovardum, gallice boulovart,
et ivit, cum societate gentium de parte sua, supra gentes domini
Johannis de Luxemburgo, et eos repulit bina vice usque ad castra
seu logias Burgundorum, et in tertia vice, usque ad medium itineris.
Et tunc Anglici qui aderant præsciderunt iter ipsi Johannæ
et suis gentibus ; et ipsa, se retrahendo, fuit capta in campis,
ad illud latus quod est versus Picardiam,
prope dictum boulovardum ; et inter locum in quo capta fuit et Compendium
erat riparia media et boulovardum cum fossato ipsius ; nec aliquid
aliud mediabat.
Interroguee
se, a faire saillye, elle passa par le pond, respond qu'elle passa
par le pond et boulevert, avecques la compaignie des gens de son
party, sur les gens de monseigneur de Luxembourg. Et les reboutta
par deux foys, jusques au logis des Bourguignons. A la tierce foys,
jusques a my le chemin. Et alors les Angloys, qui la estoyent, coupperent
les chemyns a elle et ses gens, entre elle et le boulevert. Et pour
ce, se retrairent ses gens et elle. Et elle, en soy retirant, es
champs, eu costé de Pycardye, prez du boulevert, fut prinse
entre la riviere et Compieigne. Et n'y avoit seullement entre le
lieu ou elle fut prinse et Compieigne, que la riviere, le boulevert
et le fossé d'icelluy boulevert.
Interrogée si, en l'étendard qu'elle portait,
le monde était peint et deux anges, etc..., répondit
que oui ; et n' en eut jamais qu'un.
Interrogée quel sens cela avait de peindre Dieu
tenant le monde, et deux anges, répondit que sainte Catherine
et sainte Marguerite lui dirent qu'elle prît cet étendard,
et le portât hardiment, et qu'elle y fît mettre en peinture
le Roi du ciel. Et elle le dit à son roi, quoique très à contre-cœur. Et de la signification ne sait rien d'autre.
Interrogata utrum. in vexillo
quod ipsa deportabat erat mundus depictus, et duo angeli, etc...,
respondit quod sic, nec unquam habuit nisi unicum.
Interrogata quæ significatio erat depingere ibidem
Deum tenentem mundum, et duos angelos, respondit quod sanctæ
Katharina et Margareta dixerunt ei quod ipsa caperet vexillum, et
ipsum audacter portaret, et quod faceret in eo depingi Regem cœli.
Et hoc dixit regi suo, licet invitissime ; et de significatione
nescit aliud.
Interroguee
se en icelluy estandard le monde et les deux angelz y estoyent paincts,
respond que ouy.
Interroguee quelle signifiance c'estoit que prendre
eudict estandart Dieu tenant le monde et ses deux angletz, respond
que saincte Katherine et saincte Marguerite luy dirent qu'elle print
en ceste façon, et le portast hardyment; et quelle feist
metre en paincture le Roy du Ciel. [Et ce dist a son roy, mais tres
envys.]
Et de la signifiance, n'en sçait aultrement.
Interrogée si elle n'avait pas écu et
armes, répondit qu'elle n'en eut onques ; mais son roi donna
à ses frères des armes, c'est assavoir un écu
d'azur, deux fleurs de lis d'or et une épée au milieu,
et, en cette ville, a décrit ses armes à un peintre
parce qu'il lui avait demandé quelles armes elle avait. Item
dit que ce fut donné par son roi à ses frères,
sans sa requête et sans révélation.
Interrogata utrum haberet scutum
et arma : respondit quod ipsa nunquam habuit ; sed rex suus dedit
suis fratribus arma, videlicet unum scutum asureum, in quo erant
duo lilia aurea et ensis in medio ; et, in ista villa, descripsit
cuidam pictori eadem arma, quia pieterat ab ea quæ arma gerebat.
Item dixit quod illud fuit datum per regem suum fratribus suis,
sine requesta ejusdem Johannæ, et absque revelatione.
Interroguee
se elle avoit point d'escu et d'armes, respond qu'elle n'en eut
oncques point. Mais son roy donna a ses freres armes. C'est assavoir
ung escu d'asur, deux fleurs de lys d'or et une espee parmy. Et
a devisé a ung painctre celles armes, pour ce que on luy
avoit demandé quelles armes elle avoit. Item,
dit que ce fut donné par son roy a ses freres, a la plaisance
d'eulx, sans sa requeste et sans sa revelacion.
Interrogée si elle avait un cheval quand elle
fut prise, coursier ou haquenée (5),
répondit qu'elle était à cheval ; et c'était
un demi-coursier.
Interrogée qui lui avait donné ce cheval,
répondit que son roi et ses gens le lui donnèrent,
de l'argent du roi ; et avait cinq coursiers de l'argent du roi,
sans les trottiers (6) qui étaient
plus de sept.
Interrogata utrunt ipsa habebat
unum equum, quando capta fuit, vel emissarium, vel gradarium, respondit
quod tunc erat super equum, et erat unus medius emissarius, gallice ung demi coursier.
Interrogata quis hunc equum sibi dederat, respondit
quod rex suus, vel gentes regis sui dederunt sibi ex pecuniis ejusdem
regis sui ; et habebat quinque emissarios ex pecuniis ejusdem regis
sui, absque trotariis qui erant plus quam septem.
Interroguee se elle avoit ung
cheval, quand elle jut prinse, et s'il estoit coursier ou hacquenee,
respond que elle estoit a cheval sur ung demy coursier, [celui sur
qui elle estoit quand elle fut prinse]
Interroguee
qui luy avoit donné celluy cheval, respond que son roy ou
ses gens luy donnerent de l'argent du roy. Et si dist qu'elle avoit
cinq coursiers, sans les trotiers ; ou il y en y avoit plus de sept.
Interrogée si elle eut onques autres richesses
de son roi que ses chevaux, répondit qu'elle ne demandait
rien à son roi, fors bonnes armes, bons chevaux, et de l'argent
pour payer les gens de son hôtel.
Interrogata utrum habuerit unquam
alias divitias a rege suo quam illios equos, respondit quod nihil
petivit a rege suo, nisi bona arma, bonos equos et pecunias pro
solvendo gentes suas de hospitio suo.
Interroguee
si elle eut oncques aultres richesses de son roy que ses chevaulx,
respond qu'elle ne demandoit rien a son roy, fors bonnes armes,
bons chevaulx, et de l'argent a payer les gens de son hostel.
Interrogée si elle n'avait pas de trésor,
répondit que 10 ou 12.000 (7) qu'elle a vaillant n'est pas grand trésor à mener
la guerre, et que c'est peu de chose. Lesquelles choses ont ses
frères, comme elle pense. Et dit que ce qu'elle a, c'est
de l'argent en propre de son roi.
Interrogata utrum habebat thesaurum,
respondit quod habebat decem aut duodecim millia quæ habet
in valore, sed non erat magnus thesaurus pro ducendo guerram ; imo
hoc parum est ; et illa habent fratres ejus, prout a æstimat.
Dicitque quod illud quod habet est de propria pecunia regis sui.
Interroguee
se elle avoit point de tresor, respond que dix ou douze mil, qu'elle
avoit vaillant, n'est pas grand tresor a mener la guerre. Et que
c'est pou de chose. Et laquelle somme ses freres ont eue, comme
elle pense. Et dit que ce que elle en a, c'est de l'argent propre
de son roy.
Interrogée quel est le signe qu'elle donna à
son roi lorsqu'il vint à lui, répondit qu'il est beau,
et honoré et bien croyable ; et le meilleur et le plus riche
qui soit au monde.
Interrogata quod est illud signum
quod dedit regi suo, dum venit ad eum, respondit quod illud est
bonum, et honorabile, et bene credibile, et bonum, et ditius quod
sit in mundo.
Interroguee
quel est le signe qui vint a sont roy, respond qu'il est bel, honorable
et bon, et le plus riche qui soit.
Interrogée pourquoi elle ne veut aussi bien dire
et me montrer ce signe, comme elle voulut avoir le signe de Catherine
de La Rochelle, répondit que si le signe de Catherine eût
été aussi bien montré devant notables gens
d'églises et autres, archevêques et évêques,
c'est assavoir devant l'archevêque de Reims et autres dont
elle ne sait les noms (et même y étaient Charles de
Bourbon, de la Trémoille, le duc d'Alençon et plusieurs
autres chevaliers qui le virent et ouïrent, aussi bien qu'elle
voit ceux qui lui parlent aujourd'hui) comme le signe dessus dit
fut montré, elle n'eût point demandé à
savoir le signe de ladite Catherine. Et toujours elle savait déjà
par sainte Catherine et sainte Marguerite que du fait de ladite
Catherine de La Rochelle c'était tout néant.
Interrogata quare non ita bene
vult dicere et ostendere illud signum, sicut ipsa voluit habere
signum Katharinæ de Ruppella, respondit quod, si signum Katharinæ
ita bene fuisset ostensum, coram notabilibus viris ecclesiasticis
et aliis, archiepiscopis et episcopis, videlicet coram archiepiscopo
Remensi et aliis quorum nescit nomina, sicut fuit signum ipsius
Johannæ, ubi erat Karolus de Borbonio, dominus de Tremoilla,
dux Alenconii et plures alii milites qui viderunt et audiverunt
æque bene sicut eadem Johanna videt homines loquentes sibi
et stantes coram ea : tunc ipsa non petivisset scire signum prædicta
Katharinæ. Et tamen antea sciebat per sanctas Katharinam et
Margaretam quod, de facto dictæ Katharinæ de Ruppella,
nihil penitus erat.
Interroguee
pourquoy elle ne veult aussi bien dire et monstrer le signe dessudit,
comme elle voulut avoir le signe de Katherine de la Rochelle, respond
que, se le signe de Katherine eust esté aussi bien monstré
devant notables gens d'Eglise, c'est assavoir archevesques ou evesques,
comme le archevesque de Rains et aultres evesques, dont elle ne
sçait les nons. Et mesmes y estoit Charles de Bourbom, le
syre de la Trimouille, le duc d'Alençon et plusieurs aultres
chevalieres, qui le veirent et ouyrent aussi bien, comme elle voit
ceulx qui parloyent a elle aujourd'huy, comme celluy dessusdict
estre monstré, elle n'eust point demandé savoir le
signe de ladicte Katherine. Et toutesfoys elle sçavoit au
devant par saincte Katherine et saincte Margueritte, que, du faict
de ladicte Katherine de la Rochelle, c'estoit tout neant.
Interrogée si ledit signe dure encore, répondit
qu'il est bon à savoir ; et il durera jusqu'à mille
ans, et outre !
Item dit que ledit signe est au trésor de son
roi.
Interrogée si c'est or, argent ou pierre précieuse,
ou couronne, répondit :
- Je ne vous en dirai autre chose ; et ne saurait homme décrire
aussi riche chose comme est ce signe ; et toutefois, le signe qu'il
vous faut, c'est que Dieu me délivre de vos mains ; et c'est
le plus certain qu'il vous sache envoyer !
Interrogata utrum prædictum
signum ipsius Johannæ duret adhuc, respondit quod bonum est
scire ; et durabit usque ad mille annos et ultra. Item
dicit quod dictum signum est in thesauro regis sui.
Interrogata
utrum sit aurum, argentum, lapis pretiosus vel corona, respondit
:
- Ego non dicam vobis aliud, nec homo sciret describere rem adeo
divitem sicut est signum ; et tamen signum quod oportet vobis est
quod Deus me liberet a manibus vestris, et est certius quod ipse
sciat vobis mittere !
Interroguee
si ledit signe dure encoires, respond :
- Il est bon asçavoir qu'il dure encoires ; et durera
jusques a mil ans et oultre.
Item, que ledit signe est au tresor du roy.
Interroguee se c'est or, argent, ou pierre precieuse,
ou couronne, respond :
- Je ne vous en diray aultre chose. Et ne sçauroit homme
deviser aussy riche chose, comme est le signe. Et toutesvoyes le
signe que vous fault, c'est que Dieu me delivre de voz mains. Et
est le plus certain qu'il vous saiche envoyer.
Item dit que quand elle dut partir pour aller vers son
roi, il lui fut dit par ses voix :
- Va hardiment ; quand tu seras devers le roi il aura bon signe
de te recevoir et croire en toi.
Item
dicit quod, quando debuit recedere pro eundo ad regem suum, fuit
eidem dictum per suas voces :
- Vade audacter ; quando tu eris ante regem, ipse habebit bonum
signum de recipiendo te et credendo tibi.
Item dit que, quand elle deust
partir a aller a son roy, luy fut dit par ses voix :
- Va hardyment ! Car, quand tu seras devers le roy, il aura bon
signe de te recepvoir et croire.
Interrogée quand le signe vint à son roi,
quelle révérence elle lui fit, et s'il vint de par
Dieu, répondit qu'elle remercia Notre Seigneur de ce qu'il
la délivra de la peine qui lui venait des clercs de son parti
qui arguaient contre elle ; et s'agenouilla plusieurs fois.
Interrogata, quando signum venit
ad regem suum, qualem reverentiam ipsa fecit sibi, et utrum illud
venerit ex parte Dei, respondit quod ipsa regratiata fuit Deo de
hoc quod liberavit eam a pœna quæ sibi fiebat per clericos
de illa parte, qui arguebant contra ipsam ; et pluries ipsa flexit
genua.
Interroguee,
quand le signe vint a son roy, quelle reverence elle y fist, et
se il vint de par Dieu, respond qu'elle mercya nostre Seigneur de
ce qu'il la delivra de la peine des clers de par dela, qui arguoyent
contre elle. Et se agenouilla plusieurs foys.
Item dit qu'un ange de par Dieu, et non de par autre,
bailla le signe à son roi ; et elle en remercia moult de
fois Notre Seigneur.
Item dit que les clercs cessèrent
de l'arguer quand ils eurent ledit signe.
Item dicit quod unus angelus,
ex parte Dei et non ex parte alterius, tradidit signum regi suo,
et ipsa de hoc multotiens gratias egit Deo.
Dicit ultra quod clerici cessaverunt
arguere eam, quando habuerunt signum prædictum.
Item,
dit que ung ange de Dieu, et non de par aultre, bailla le signe
a son roy. Elle en mercya moult de foys nostre Seigneur.
Item dit que les clers de par della cesserent a l'arguer,
quand ilz eurent sceu ledit signe.
Interrogée si les gens d'église de ce
parti virent le signe dessusdit, répondit que quand son roi
et ceux qui étaient avec lui eurent vu ledit signe, et aussi
l'ange qui le bailla, elle demanda à son roi s'il était
content ; et il répondit que oui. Et
alors elle partit et s'en alla en une petite chapelle assez près
et ouït alors dire qu'après son départ plus de
trois cents personnes virent ledit signe. Dit outre que pour l'amour
d'elle, et afin qu'ils cessassent de l'interroger, Dieu voulait
permettre que ceux de son parti, qui virent ledit signe, le vissent.
Interrogata utrum viri ecclesiastici
de illa parte viderunt signum prædictum, respondit quod, quando
rex suus et qui cum eo erant viderunt signum prædictum et
ipsummet angelum qui illud tradidit, ipsa petivit regi suo an erat
contentus ; quid respondit quod sic. Et tunc ipsa recessit et ivit
ad unam cappellam satis prope, et audivit tunc dici quod post ipsius
recessum plusquam trecentæ personæ viderunt signum prædictum.
Dicit ultra quod, pro amore ipsius et ut homines cessarent eam interrogare,
Deus volebat permittere quod illi de parte sua, qui viderunt signum
prædictum, viderent ipsum.
Interroguee
se les gens [d'Église] de par dela veirent le signe dessusdit,
respond que, quand son roy et ceulx qui estoyent avecques luy eurent
veu ledit signe et mesmes l'ange qui le bailla, elle demanda a son
roy se il estoit content. Et il respondit que ouy. Et lors elle
partit et s'en alla en une petite chappelle assez prez ; et ouyt
lors dire que, apprez son partement, plus de IIIcc personnes veirent
ledit signe. Dit oultre que, pour l'amour de elle, que ilz la laissassent
a interroguer, Dieu voulloit permetre que ceulx de son party, qui
veirent ledit signe, le veissent.
Interrogée si son roi et elle firent point de
révérence à l'ange, quand il apporta le signe
susdit, répondit qu'elle fit la révérence
et s'agenouilla, et découvrit sa tête.
Interrogata utrum rex suus et ipsa fecerunt aliquam
reverentiam angelo, quando attulit signum prædictum, respondit
quod ipsa fecit reverentiam, et flexit genua, et discooperuit caput
suum.
Interroguee
se son roy et elle feirent point de reverence a l'ange, quand il
apporta le signe, respond que ouy d'elle ; elle se agenouilla et
osta son chapperon.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Notes :
1 Elle a été prise le 23 mai 1429 vers 6 heures
du soir.
2 "Mais ilz ne lui dirent point" dans le ms de d'Urfé.
3 Boulevard : fortification protégeant le pont.
4 NDLR : Elle fut prise par le Bâtard de Wandonne qui était un écuyer de Jean de Luxembourg.
On lit de temps en temps sur de vieux textes "Vendôme". En fait Wandonne est un village du Pas de Calais, au riche passé historique, près de Renty, fief des seigneurs de Renty.
Les premiers Wandonne étaient pairs du Comte de St-Pol. La famille de Wandonne entrera dans l'histoire avec Lyonnel, batailleur et jouteur de son époque et son demi-frère Guillaume, le "bâtard de Wandonne". Les deux frères s'illustrent au service du Duc de Bourgogne, toute la région étant "bourguignonne" à cette époque.
Guillaume, gentilhomme sans le sou, bataille pour Jean de Luxembourg au siège de Compiègne lorsqu'il entre dans l'histoire en capturant Jeanne d'Arc le 23 mai 1430.
De fait, Jeanne passa d'office aux mains de Jean de Luxembourg mais cette capture allait assurer au bâtard de Wandonne des gages importants. Il termina sa vie comme Capitaine d'une centaine d'hommes d'arme.
A noter Alain de Wandonne, homme d'arme à cheval, qui faisait partie de l'aile gauche du premier corps d'armée à Azincourt commandé par Clignet de Brébant et fut tué au début de la bataille le 25/10/1415.
Depuis longtemps on aimerait savoir où se trouve l'épée de Jeanne d'Arc, celle de Ste-Catherine de Fierbois. De la capture de Jeanne par Guillaume Wandonne est née une légende locale selon laquelle l’épée de Jeanne d’Arc est emmurée dans le chœur de l’église de Wandonne. Des recherches ont même été entreprises... sans succès.
5 Coursier : cheval de guerre
Haquenée : cheval de service ou de fatigue.
6 Trottiers : cheval de trot peu apprécié en général.
7 10 à 12.000 écus. Monnaie frappée pour
la première fois en 1336.
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