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Procès
de condamnation - procès d'office
Troisième
interrogatoire privé - 13 mars 1431. |
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tem
le mardi suivant, treizième jour dudit mois de mars, nous,
évêque susdit, nous rendîmes au lieu de la prison où, à la même heure, comparut vénérable
et discrète personne frère Jean Le Maistre, assisté
de vénérables et discrètes personnes seigneurs
et maîtres nommés plus haut : Jean de La Fontaine,
Nicolas Midi et Gérard Feuillet, et en présence de
Nicolas de Hubent et d'Ysambard de La Pierre, de l'ordre des frères
Prêcheurs. Ledit frère Jean Le Maistre, vu les lettres
à lui adressées par le seigneur inquisiteur et les
autres choses : considérer en cette matière, s'est
adjoint au dit procès, prêt à procéder
avec nous pour la décision ultérieure de l'affaire,
comme de droit et de raison. Ce que nous avons exposé charitablement
à ladite Jeanne, l'exhortant et l'avertissant, pour le salut
de son âme de dire la vérité dans cette cause
sur tout ce qui lui serait demandé. Et alors ledit vicaire
du seigneur inquisiteur,
voulant procéder plus avant en cette affaire, ordonna maître
Jean d'Estivet, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais,
pour promoteur de la sainte inquisition ; noble homme John Grey,
écuyer de corps du roi notre sire, et John Berwoit pour gardiens
de la geôle ; et maître Jean Massieu, prêtre,
pour l'exécution des citations et des convocations ; lesquels
ci-dessus nommés nous avons députés et ordonnés
ailleurs aux dits offices, comme il est contenu plus à plein
dans les lettres confirmées par nos sceaux : nos lettres
épiscopales sont transcrites plus haut, et plus bas on trouvera
nos lettres pour le dit vicaire. Et les dits officiers prêtèrent
serment au dit vicaire d'exercer fidèlement leur office.
Suit la teneur des lettres d'institution du promoteur par
ledit seigneur vicaire,
"A tous ceux qui ces présentes lettres
verront, frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères
Prêcheurs, vicaire général de révérend
père, seigneur et maître Jean Graverent, du même
ordre, insigne professeur en théologie sacrée et inquisiteur
de la perversité hérétique au royaume de France,
spécialement délégué par autorité
apostolique, salut en l'auteur et consommateur de la foi, notre
Seigneur Jésus-Christ. Comme révérend père
en Christ et seigneur, Pierre, par la miséricorde divine
évêque de Beauvais, juge ordinaire en cette matière,
et jouissant du territoire dans cette ville et dans le diocèse
de Rouen, avait invité par ses lettres patentes ledit révérend
père seigneur inquisiteur et l'avait sommé et requis
en faveur de la foi de se rendre dans cette cité de Rouen,
s'il le pouvait commodément, ou qu'il nous daignât
commettre à sa place, nous ou un autre bien disposé
à cela, pour instruire, avec ledit révérend
père, monseigneur l'évêque de Beauvais, la cause
de cette femme nommée vulgairement la Pucelle, en matière
de foi, évoquée par ledit évêque et entre
ses mains. Et le dit révérend père, seigneur
inquisiteur, ne pouvant aucunement se rendre en cette ville de Rouen,
nous a confié ses pouvoirs concernant cette affaire par ses
lettres, ainsi que ces choses et d'autres sont contenues dans les
lettres du dit seigneur inquisiteur, renfermant aussi la teneur
des lettres de sommation et de réquisition du dit seigneur
évêque, ainsi que notre commission ; et ces lettres
de notre commission, datées du quatrième jour du mois
de mars, l'an 1431, sont signées du sceau du seigneur inquisiteur
et du seing manuel de vénérable personne, maitre Nicolas
Ogier, prêtre, notaire public. C'est pourquoi nous, désirant
et souhaitant humblement remplir de toutes nos forces la commission
du dit inquisiteur par la louange de Dieu et l'exaltation de la
foi orthodoxe, comme nous sommes tenu de le faire, et de tout notre
pouvoir, ayant pris le conseil et les avis dudit seigneur évêque
et de plusieurs autres personnes savantes, tant en théologie
sacrée qu'en droit canon et civil, nous publions que pour
mener à fin cette affaire, il y a lieu de constituer et d'ordonner
un promoteur des causes de l'office de la sainte inquisition, des
notaires et un exécuteur de nos mandements, bienveillant
et notable. C'est pourquoi, en conséquence de l'autorité
apostolique et dudit révérend père monseigneur
l'inquisiteur dont nous jouissons en ce qui concerne cette affaire,
ayant pleine confiance en Notre Seigneur et dûment informé
de la probité, du zèle, de la suffisance et capacité
de la personne de vénérable maître Jean d'Estivet,
prêtre, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais
et promoteur des causes d'office dudit seigneur évêque
en cette partie, nous avons fait, constitué, créé,
nommé, ordonné, député et nous faisons,
constituons, créons, nommons, ordonnons et députons
ledit maître Jean notre promoteur ou procureur général,
pour cette cause et matière généralement et
spécialement ; et nous donnons audit promoteur et notre procureur
général, par la teneur des présentes, licence,
faculté et autorité d'ester et comparaître en
jugement et ailleurs contre ladite Jeanne ; de se faire partie,
de donner, bailler et administrer, produire et exhiber articles,
interrogatoires, témoignages, lettres, instruments, et tous
autres genres de preuves, d'accuser et dénoncer cette Jeanne,
de faire et de requérir qu'elle soit examinée et interrogée,
de conclure dans la cause, et de faire promouvoir, procurer, conduire,
exercer tous et chacun des actes qui sont reconnus concerner l'office
de promoteur et procureur, suivant le droit et la coutume. C'est
pourquoi à tous et à chacun en ce qui le concerne,
nous mandons obéissance, soumission, bonne volonté,
envers ledit maître Jean dans l'exercice de son office, et
qu'on lui prête secours, conseil et aide. En témoignage
de quoi nous avons ordonné d'apposer notre sceau à
ces présentes lettres."
Item suit la teneur de la lettre par laquelle ledit vicaire
de l'inquisiteur a constitué Jean Massieu, prêtre,
comme exécuteur des convocations et des citations à
faire dans la cause,
"A tous ceux qui ces présentes lettres
verront, frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères
Prêcheurs etc... Nous, ayant pleine confiance dans le Seigneur,
et dûment informé de la probité, du zèle,
de la suffisance et de la capacité de discrète personne
maitre Jean Massieu, prêtre, doyen de la chrétienté
de Rouen, commis et député pour exécuteur en
cette cause des mandements dudit seigneur l'évêque,
nous l'avons constitué, retenu et ordonné exécuteur
des mandements et convocations à faire de notre part en cette
matière ; et nous lui avons concédé et concédons
par ces présentes toute licence sur ce. En témoignage
de quoi nous avons fait apposer notre sceau à ces présentes
lettres.
Donné et fait à Rouen l'an du Seigneur 1431,
le mardi treizième jour de mars.
Ainsi signé : BOISGUILLAUME. MANCHON"
Cela fait, comme il a été dit au lieu
ci-dessus désigné, nous évêque susdit,
et frère Jean Le Maistre, vicaire de l'inquisiteur, nous
avons par la suite et d'un commun accord procédé à
interroger et à faire interroger ladite Jeanne, comme il
avait été commencé auparavant.
*
* *
Et premièrement sur notre ordre, Jeanne fut interrogée
sur le signe qu'elle bailla à son roi, à quoi elle
répondit :
- Seriez-vous contents que je me parjurasse ?
Et primo, ex ordinatione nostra,
fuit eadem Johanna interrogata quale signum fuit quod ipsa tradidit
regi suo. Ad quod respondit :
- Essetis vos contenti quod ego incurrerem perjurium ?
Interroguee premierement du signe
baillé a son roy, quel il fut, respond :
- Estes vous content que je me pariurasse.
Item interrogée si elle avait juré et
promis à sainte Catherine de ne pas dire ce signe, répondit
:
- J'ai juré et promis de ne pas dire ce signe, et de moi-même,
pour ce qu'on me chargeait trop de le dire. Et alors je me suis
dit à moi-même : Je promets que je n'en parlerai plus
à aucun homme. (1).
Item, interrogata utrum juraverat
et promiserat sanctæ Katharinæ non dicere illud signum,
respondit :
- Ego juravi et promisi non dicere illud signum. Et hoc ex me
ipsa, quia homines nimium onerabant ne me de dicendo.
Et tunc ipsamet promisit quod de hoc non amplius loqueretur
cuicumque homini.
Interroguee
par monseigneur le vicaire de l'inquisiteur se elle avoit juré
et promis a saincte Katherine non dire ce signe, respond :
- J'ai juré et promis non dire ce signe, et de moy mesme,
pour ce que on m'en chargoit trop de le dire. Et adoncq dist
elle mesme : "Je promect que je n'en parleray plus a homme".
Item dit que le signe ce fut que l'ange confirmait son
roi, en lui apportant la couronne, et en lui disant qu'il aurait
tout le royaume de France entièrement à l'aide de
Dieu, et cela au moyen du labeur de ladite Jeanne ; et qu'il la
mît en besogne, c'est assavoir qu'il lui baillat des gens
d'armes, autrement il ne serait pas de si tôt couronné
et sacré.
Item dicit quod illud signum fuit
quod angelus certificabat hoc regi suo, sibi apportando coronam
et ei dicendo quod ipse haberet totum regnum Franciæ ex integro,
mediante auxilio Dei et mediante labore ipsius Johannæ ; et
quod ipse poneret eamdem Johannam ad opus, videlicet quod traderet
sibi gentes armorum, alioquin non esset ita cito coronatus et consecratus.
Item,
dit que le signe, ce fut que l'ange certiffioit a son roy en luy
apportant la couronne, et luy disant qu'il aroit tout le royaulme
de France entierement, a l'ayde de Dieu et moyennant son labeur
; et que il l'a mist en besongne ; c'est assavoir que aultrement
qu'il luy baillast des gens, il ne seroit mye si tost couronné
et sacré.
Interrogée si depuis hier ladite Jeanne a parlé
à sainte Catherine, répondit que depuis elle l'a ouïe
; et toutefois lui a dit plusieurs fois qu'elle répondît
hardiment aux juges sur ce qu'ils lui demanderont touchant son procès.
Interrogata utrum ipsa, depost
diem hesternum, locua fuerit cum sancta Katharinæ, respondit
quod, depost diem hesternum, audivit eam ; et tamen dixit ei pluries
quod respondeat audacter judicibus de hoc quod petent eidem, tangens
processum suum.
Interroguee
si depuis hier ladicte Jhenne a parlé a saincte Katherine,
respond que depuis elle l'a ouye. Et toutesfoys luy a dict plusieurs
foys qu'elle responde hardyment aux juges de ce que ilz demanderont
a elle, touchant son procez.
Interrogée en quelle manière l'ange apporta
la couronne et s'il la mit sur la tête de son roi, répondit
qu'elle fut baillée à un archevêque c'est assavoir
celui de Reims, comme il lui semble, en la présence du roi.
Et ledit archevêque la reçut et la bailla
au roi ; et elle-même était présente ; et fut
mise cette couronne au trésor de son roi.
Interrogata quomodo angelus ipse
apportavit prædictam coronam, et utrum ipse posuit super caput
regis sui, respondit quod corona fuit tradita uni archiepiscopo,
videlicet archiepiscopo Remensi, prout ei videtur, in præsentia
regis sui ; et dictus archiepiscopus eam recepit et tradidit eidem
regi suo ; et ipsamet Johanna erat præsens. Estque corona
predicta posita in tbesauro regis sui.
Interroguee
en quelle maniere l'ange apporta la couronne, et se il la mist sur
la teste de son roy, respond :
- Elle fut baillee a ung archevesque, c'est assavoir a celluy
de Rains, comme il luy semble.
Et ledit archevesque la receut, et la bailla au roy
; [et estoit elle-mesmes presente ; et est mise eu tresor du roy] (2)
Interrogée en quel lieu elle fut apportée,
répondit que ce fut en la chambre du roi au château
de Chinon.
Interrogée du jour et de l'heure, répondit
que du jour elle ne sait ; et de l'heure, il était haute
heure. Autrement n'a mémoire de l'heure. Et ce fut au mois
d'avril ou de mars, comme il lui semble. Au mois d'avril prochain
ou en ce présent mois, il y aura deux ans passés ;
et c'était après Pâques (3).
Interrogata quo loco fuit dicta
corona apporuna, respondit hoc fuit in camera regis sui, in castro
de Chinon.
Interrogata quo die et qua hora, respondit quod de die,
nihil scit ; et quantum est de hora, erat liora alta, aliter non
habet memoriam de hora. Et fuit hoc in mense aprilis vel martii,
prout ei videtur. Dixitque, in proximo mense aprilis aut in præsenti
mense martii, essent duo anni elapsi ; et quod hoc fuit post Pascha.
Interroguee
du lieu ou elle fut apportee, respond :
- Ce fut en la chambre du roy, eu chastel de Chinon.
Interroguee du jour et de l'heure, respond :
- Du jour, je ne sçay; et de l'heure, il estoit haulte heure.
Aultrement n'a memoire de l'heure ; et du moys, au moys d'apvril
ou de mars, comme il luy semble ; eu moys d'apvril prochain, ou
en ce present moys, a deux ans ; et estoit apprez Pasques.
Interrogée si, la première journée
qu'elle vit le signe, son roi le vit, répondit que oui et
qu'il l'eut lui-même.
Interrogata utrum, eodem die quo
ipsa vidit illud signum, suus rex etiam viderit, respondit quod
sic, et quod ipsemet rex suus habuit illud.
Interroguee
se, la premiere journee qu'elle vist le signe, son roy le veit,
respond que ouy ; et que il l'eut luy mesme.
Interrogée de quelle matière était
ladite couronne, répondit qu'il est bon à savoir qu'elle
était d'or fin ; et était si riche et opulente qu'elle
ne saurait en dénombrer et apprécier les richesses
: et signifiait la couronne que son roi tiendrait le royaume de
France.
Interrogata
de qua materia erat prædicta corona, respondit quod bonum
est scire quod erat de puro auro ; et erat corona adeo dives seu
opulenta quod divitias exsistentes in illa nesciret numerare seu
appretiari ; significabatque illa corona quod rex ejus teneret regnum
Franciæ
Interroguee
de quelle matiere estoit ladicte couronne, respond :
- C'est bon assavoir qu'elle estoit de fin or ; et estoit si riche
que je ne sçauroye nombrer la richesse. Et que la couronne
signifioit qu'il tiendroit le royaulme de France.
Interrogée s'il y avait pierreries, répondit
:
- Je vous ai dit ce que j'en sais.
Interrogée si elle la mania ou la baisa, répondit
que non.
Interrogata
utrum emnt ibi lapides pretiosi, respondit :
- Ego vobis dixi illud quod scio de hoc.
Interrogata
utrum tenuit vel osculata est coronam prædictam, respondit
iuod non.
Interroguee
se il y avoit pierrerie, respond :
- Je vous ay dict ce que j'en sçay.
Interroguee se elle la manya ou baisa, respond que non.
Interrogée si l'ange qui apporta cette couronne
venait de haut ou s'il venait par terre, répondit
que, quand il vint devant le roi, il fit révérence
au roi en s'inclinant devant lui et prononçant les paroles
que ladite Jeanne a dites du signe ; et, avec ce, l'ange lui remémorait
la belle patience qu'il avait eue selon les grandes tribulations
qui lui étaient advenues. Et depuis l'huis l'ange marchait
et allait sur la terre en venant au roi.
Interrogata
utrum angelus qui hanc coronam apportavit venerat ab alto, vel si
veniebat per terram, respondit quod, quando idem angelus venit coram
suo rege, fecit eidem reverentiam inclinando se coram eo, et pronuntiando
verba quæ ipsa Johanna supra dixit de hoc signo. Et cum hoc,
ipse angelus eidem regi suo reducebat ad memoriam pulchram patientam
quam ipse habebat, secundum magnas tribulationes quæ ipsi
contigerant. Et depost ostium, ipse angelus gradiebatur et ibat
super terram, veniendo ad dictum regem suum.
Interroguee se l'ange qui l'apporta
venoit de haut, ou se il venoit par terre respond :
- Il vint de haut. Et entend qu'il venoit par le commandement
de nostre Seigneur ; et entra par l'huis de la chambre.
Interroguee se l'ange venoit par terre et erroit depuis
l'huys de la chambre, respond : (4)
- Quand il vint devant le roy, il feist reverence au roy, en
se inclynant devant luy, et prononçant les parolles qu'elle
a dictes du signe ; et avecq ce luy ramantevoit la belle pascience
qu'il avoit eue, selon les grandes tribulacions qui luy estoyent
venues ; et depuis l'huis, il marchoit et erroit sur la terre, en
venant au roy.
Interrogée quel espace il y avait de l'huis jusqu'au
roi, répondit à ce qu'elle pense, qu'il y avait bien
l'espace de la longueur d'une lance ; et, par où ledit ange
était venu, s'en retourna.
Interrogata
quale spatium erat ab ostio usque ad locum, in quo tunc erat dictus
rex suus, respondit quod, prout credit, bene erat spatium longitudinis
unius lanceæ ; et per quem locum venerat præfatus angelus,
per eumdem reversus est.
Interroguee quelle espace il y
avoit de l'huis jusques au roy, respond : comme elle pense, il y
avoit bien l'espace de la longueur d'une lance ; et, par ou il estoit
venu, s'en retourna.
Item dit que, quand l'ange vint, elle l'accompagna et
alla avec lui par les degrés à la chambre du roi ;
et entra l'ange le premier et puis elle-même. Et elle dit
au roi :
- Sire, voilà votre signe, prenez-le.
Item
dicit quod, quando idem angelus venit, ipsa associavit eum, et ivit
cum eo per gradus ad cameram regis sui ; et intravit primo angelus,
deinde ipsa Johanna ; dixitque ipsa Johanna regi suo :
- Domine, ecce signum vestrum, capiatis ipsum.
Item,
dit que, quand l'ange vint, elle l'accompaigna; et alla avecques
luy par les degrez a la chambre du roy, et entra l'ange le premier.
Et puis elle mesme dist au roy :
- Syre, vela vostre signe ; prenez le.
Interrogée en quel lieu l'ange lui apparut, répondit
:
- J'étais presque toujours en prière, afin que
Dieu envoyât le signe du roi, et j'étais dans mon logis,
qui est chez une bonne femme près du château de Chinon,
quand l'ange vint. Et puis nous en allâmes ensemble vers le
roi, lui et moi. Et l'ange était bien accompagné d'autres
anges avec lui, que chacun ne voyait pas. Et dit en outre, ce n'eût
été pour l'amour d'elle, et pour l'ôter hors
de la peine des gens qui l'arguaient, elle croit bien que plusieurs
gens qui virent l'ange dessus dit ne l'eussent pas vu.
Interrogata
quo loco angelus apparuit ipsi Johannæ, respondit :
- Ego eram quasi semper in oratione ut Deus mitteret signum ipsius
regis, et eram in hospitio meo, in domo unius bonæ mulieris,
prope castrum de Chinon, quando ipse angelus venit ; et postea ipse
et ego simul ivimus ad regem ; eratque idem angelus bene associatus
aliis angelis cum eo exsistentibus, quos non quilibet videbat. Et
dixit ultra quod, nisi fuisset pro amore suimet et pro ponendo eam
extra pœnam hominum arguentium eam, bene credit quod plures
viderunt angelum prædictum, qui non vidissent.
Interroguee en quel lieu il apparut
a elle, respond :
- Je estoye prezque tousiours en priere, affin que Dieu envoyast
le signe du roy ; et estoye a mon logis, qui est chieux une bonne
femme, prez du chasteau de Chynon, quand il vint. Et puis et nous
alasmes ensemble au roy ; et estoit bien accompaigné d'aultres
angelz avecques luy, que chascun ne voyoit pas.
Et dit oultre ce n'est pas pour l'amour d'elle, et de
la oster hors de peine des gens qui l'arguoyent, elle croit bien
que plusieus gens veirent l'ange dessusdit, que ne le eussent pas
veu.
Interrogée si tous ceux qui étaient là
avec le roi virent l'ange, répondit qu'elle pense que l'archevêque
de Reims, les seigneurs d'Alençon et de la Trémoille
et Charles de Bourbon le virent. Quant à la couronne, plusieurs
gens d'église et autres la virent, qui ne virent pas l'ange.
Interrogata utrum omnes qui illic erant cum rege suo
viderint prædictum angelum, respondit quod, prout credit,
archiepiscopus Remensi, domini de Alenconio et de Tramoilla, et
Karolus de Borbonio viderunt ipsum. Et, quantum est de corona, plures
viri ecclesiasti et alii viderunt eam, qui non viderunt angelum.
Interroguee
se tous ceulx, qui la estoyent avecq le roy, veirent l'ange, respond
qu'elle pense que l'archevesque de Rains, les seigneurs d'Alençon
et de la Trimouille et Charles de Bourbon le veirent. Et, quand
est de la couronne, plusieurs gens d'Eglise et aultres la veirent,
qui ne veirent pas l'ange.
Interrogée de quelle figure et de quelle grandeur
était cet ange, répondit qu'elle n'a point congé
de le dire ; et demain en répondra.
Interrogata
eujus figruræ et cujus magnitudinis erat angelus prædictus,
respondit quod de hoc dicendo non habet licentiam, et quod in crastino
responderet.
Interroguee
de quelle figure, et quel grand estoit ledit ange, respond qu'elle
n'en a point congé ; et que demain en respondra.
Interrogée si tous les anges qui étaient
en la compagnie de l'ange susdit étaient tous d'une même
figure, répondit que certains se ressemblaient assez entre
eux et les autres non, en la manière qu'elle les voyait :
certains avaient des ailes, et il y en avait de couronnés,
et les autres non ; et étaient en leur compagnie saintes
Catherine et Marguerite qui furent avec l'ange dessus dit et les
autres anges aussi jusque dedans la chambre du roi.
Interrogata
an omnes angeli qui comitabantur angelum prædictum erant unius
figuræ, respondit quod bene invicem assimilabantur aliqui
eorum, et alii non, in eo modo quo videbat eos ; et aliqui eorum
habebant alas, aliqui etiam erant coronati ; et erant in illa societate
sanctæ Katharina et Margareta, quæ fuerunt simul cum
dicto angelo, et etiam alii angeli, usque infra cameram regis sui.
Interroguee
se ceulx qui estoyent en la compaignie de l'ange estoyent tous d'une
mesme figure, respond :
- Ilz se entresembloyent voluntiers les aulcuns. Et les aultres
non, en la maniere qu'elle les veoit ; et les aulcuns avoyent aelles
; et si y en avoyent de couronnez, et les aultres non ; et y estoyent
en la compaignie sainctes Katherine et Margueritte ; et furent avecq
l'ange dessusdit, et les aultres anges aussy, jusques dedens la
chambre du roy.
Interrogée comment cet ange la quitta, répondit
qu' il se départit d'elle dans une petite chapelle ; et fut
bien courroucée de son départ et pleurai ; et s'en
fusse volontiers allée avec lui, c'est assavoir son âme.
Interrogée si, au départ de l'ange, elle
demeura joyeuse, répondit qu'il ne la laissa apeurée
ni effrayée mais qu'elle était courroucée de
son départ.
Interrogata
qualiter angelus ille recessit ab ipsa, respondit quod ab ea recessit
in quadam parva cappella ; et bene fuit irata de recessu ejus ;
ipsa quoque flebat et libenter ivisset cum eo, hoc est quod anima
sua ivisset.
Interrogata utrum, in illo recessu angeli, ipsa remansit
gaudens, respondit quod ipse non dimisit eam in timore, nec frementem
; sed erat irata de suo recessu.
Interroguee
connme celluy ange se partit de elle, respond : il departit d'elle
en ceste petite chappelle ; et fut bien courroucee de son partement
; et plouroit; et s'en fust voluntiers allee avecques luy, c'est
assavoir son ame.
Interroguee
se au partement elle demoura joyeuse, ou effroyee et en grand paour,
respond :
- Il ne me laissa point en paour ne effroyee; mais estoye courroucee
de son partement.
Interrogée si ce fut pour son mérite que
Dieu lui envoya son ange, répondit qu'il venait pour une
grande chose ; et fut en espérance que le roi crût
au signe, et qu'on la laissât sans l'arguer, et pour donner
secours aux gens d'Orléans, et aussi pour les mérites
du roi et du bon duc d'Orléans.
Interrogata
utrum hoc fuerit per meritum ipsiusmet Johannæ quod Deus misit
ad eam suum angelum, respondit quod ipse angelus veniebat pro re
magna ; et fuit in spe quod rex suus crederet illud signum et quod
homines dimitterent arguere eamdem Johannam, et pro dando succursum
bonis gentibus de villa Aurelianensi, ac etiam pro meritis regis
sui et boni ducis Aurelianensis.
Interroguee se ce fut par le merite de elle que Dieu
envoya son ange, respond :
- Il venoit pour grande chose ; et fut en esperance que le roy
creust le signe ; et que on laissast a l'arguer ; et pour donner
secours aux bonnes gens d'Orleans ; et aussy pour le merite du roy
et du bon duc d'Orleans.
Interrogée pourquoi elle l'eut plutôt qu'une
autre, répondit qu'il plut à Dieu ainsi faire par
une simple pucelle pour bouter hors les adversaires du roi !
Interrogata quare ipsa hoc habuit
plus quam una alia, respondit quod placuit Deo ita facere per unam
simplicem puellam, pro repellendo adversarios regis.
Interroguee pourquoy elle, plus
tost que ung aultre, respond :
- Il pleut a Dieu ainsy faire par une simple pucelle, pour reboutter
les adversaires du roy.
Interrogée s'il lui a été dit où
l'ange avait pris cette couronne, répondit qu'elle a été
apportée de par Dieu et qu'il n'y a orfèvre au monde
qui la sût faire si belle ou si riche ; et où l'ange
la prit, elle s'en rapporte à Dieu, et ne sait point autrement
où elle fut prise.
Interrogata utrum sibi dictum
fuerit ubi angelus prædictus ceperat illam coronam, respondit
quod ipsa corona fuit apportata ex parte Dei, et quod non est aurifaber
in mundo qui scivisset facere ita pulchram vel ita divitem ; ubi
autem angelus eam coronam cepit, eadem Johanna de hoc se refert
Deo, et aliter nescit ubi fuit capta.
Interroguee
se il a esté dit a elle ou l'ange avoit prins celle couronne,
respond qu'elle a esté apportee de par Dieu ; et qu'il n'a
orfebvre eu monde, qui la sceust faire si belle ou si riche. Et
ou il la print, elle s'en rapporte a Dieu ; et ne sçait point
aultrement ou elle fut prinse.
Interrogée si cette couronne ne fleurait pas
bon et n'avait point bonne odeur, et si elle n'était point
reluisante, répondit qu'elle n'a point mémoire de
cela, et s'en avisera. Et après dit qu'elle sent bon et sentira
toujours bon ; pourvu qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il
convient. Et était en manière de couronne.
Interrogata
an eadem corona erat boni odoris, et utrum erat relucens, respondit
quod non habet inde memoriam, et de hoc se advisabit. Postea vero
dicit quod est boni odoris, et erit, dummodo bene custodiatur sicut
decet ; et erat in modum coronæ.
Interroguee
se celle couronne fleuroit point bon et avoit bon odeur, et se elle
estoit point reluisant, respond : elle n'a point de memoire de ce.
Elle s'en advisera. Et apprez dit :
- Elle sent bon et sentira ; mais qu'elle soit bien gardee, ainsy
qu'il appartient. Et estoit en matiere de couronne.
Interrogée si l'ange ne lui avait point écrit
de lettres, répondit que non
Interrogée quel signe eurent le roi et les gens
qui étaient avec lui, et elle-même, de croire que c'était
un ange qui apporta cette couronne, répondit que le roi le
crut bien par l'enseignement des gens d'église qui étaient
là, et par le signe de la couronne.
Interrogée comment les gens d'église surent
que c'était un ange, répondit que c'était par
leur science, et parce qu'ils étaient clercs.
Interrogata
utrum angelus scripserat sibi litteras, respondit quod non
Interrogata
quale signum habuit rex ejus, et qui cum eo erant et ipsamet, ad
credendum quod esset unus angelus qui hanc coronam apportaverat,
respondit quod rex suus hoc credidit per instructionem seu documentum
virorum ecclesiasticorum qui erant illie, et per signum coronæ.
Interrogata
qualiter viri ecclesiastici sciverunt quod erat unus angelus, respondit
quod sciverunt hoc per scientiam suam, et per hoc quod erant clerici.
Interroguee se l'ange luy avoit aporté lectres (7), respond que
non.
Interroguee
quel signe eurent le roy, les gens qui estoyent avecques luy et
elle, de croire que c'estoit ung ange, respond que le roy le creut
par l'enseignement des gens d'Eglise qui la estoyent, et par le
signe de la couronne.
Interroguee
comme les gens d'Eglise sceurent que c'estoit ung ange, respond
:
- Par leur science, et parce que ilz estoyent clercs.
Interrogée d'un prêtre concubinaire et d'une tasse perdue dont on disait qu'elle les avait découverts (5), répondit que de tout cela elle ne
sait rien, ni onques n'en ouït parler.
Interrogata de uno sacerdote concubinario et de uno
scypho perdito, quos dicebatur indicasse, respondit quod de omnibus
his nihil scit nec unquam audivit loqui.
Interroguee d'ung prebstre concubinaire, etc...;
et d'une tasse perdue, respond :
- De tout ce, je n'en sçay rien ; ne oncques n'en ouy
parler.
Interrogée quand elle alla devant Paris, si elle
eut révélation de ses voix d'y aller, répondit
que non, mais y alla à la requête des gentils hommes
qui voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d'armes : et
avait bien l'intention d'aller outre et de passer les fossés
de Paris.
Interrogata
utrum, quando ivit ad villam Parisiensem, ipsa habuerit per revelationem
suarum vocum de eundo illuc, respondit quod non, sed ivit ad requestam
nobilium qui volebant facere unam invasionem, gallice une escarmouche,
vel unam valentiam armorum ; et bene habebat intentionem eundi ultra
et transeundi fossata villæ Parisiensis.
Interroguee se, quand elle alla devant Paris, se elle eust
par revelacion de ses voix de y aller, respond que non, mais a la
requeste des gentilzhommes, qui voulloyent faire une escarmouche
ou une vaillance d'armes ; et avoit bien intencion de aller oultre
et de passer les fossez.
Interrogée si elle n'eut point révélation
d'aller devant La Charité, répondit que non ; mais
elle y alla à la requête des gens d'armes, comme autrefois
elle a dit.
Interrogata
utrum etiam habuerit revelationem de eundo ante villam de Caritate,
respondit quod non, sed ivit ad requestam hominum armorum, velut
alias ipsa respondit.
Interroguee
aussi d'aller devant La Charité, se elle eust revelacion,
respond que non ; mais par la requeste des gens d'armes, ainsy comme
aultresfoys elle a dit.
Interrogée si elle n'eut point révélation
d'aller au Pont-Levêque répondit que, depuis qu'elle
eut révélation à Melun (6) qu'elle serait prise, elle s'en rapporta le plus souvent à
la volonté des capitaines au fait de la guerre ; et toutefois
ne leur disait point qu'elle avait révélation d'être
prise.
Interrogata
utrum habuerit aliquam revelationem de eundo ad Pontem-Episcopi,
respondit quod, postquam habuit revelationem supra fossata Meleduni
quod ipsa caperetur, ipsa se retulit ut in pluribus ad capitaneos
de facto guerræ ; et tamen non dicebat eis se habere revelationem
quod caperetur.
Interroguee
du Pontlevesque, se elle eut point de revelacion, respond que, puis
ce qu'elle ouit revelacion a Melun qu'elle seroit prinse, elle se
rapporta le plus du faict de la guerre a la volunté des cappitaines
; et toutesvoyes ne leur disoit point qu'elle avoit revelacion de
estre prinse.
Interrogée si ce fut bien fait, au jour de la
Nativité de Notre Dame, puisque c'était fête,
d'aller assaillir Paris, répondit que c'est bien fait de
garder les fêtes de Notre Dame ; et en sa conscience lui semblait
que c'était et ce serait bien fait de garder les fêtes
de Notre Dame d'un bout jusqu'à l'autre.
Interrogée si elle n'a pas dit devant la ville
de Paris : "Rendez la ville de par Jésus", répondit
que non ; mais dit : "Rendez-la au roi de France !"
Interrogata
utrum fuerit bene factum de eundo ad invadendum villam Parisiensem
in die Nativitatis Beatæ Mariæ, cum esset festum, respondit
quod est bene factum servare festa Beatæ Mariæ ; et
videtur ei in ejus conscientia quod esset bene factum servare festa
Mariæ Mariæ a principio usque ad finem.
Interrogata utrum dixeritne coram villa Parisiensi :
"Reddatis villam, Jhesu !", respondit quod non, sed dixit
: "Reddatis eam regi Franciæ".
Interroguee se ce fut bien faict
au jour la Nativité nostre Dame, qu'il estoit feste, de aller
assaillir Paris, respond :
- C'est bien faict de garder les festes de nostre Dame.
Et, en sa conscience, luy semble que c'estoit et seroit bien
faict de garder les festes nostre Dame, depuis ung bout jusques
en l'autre.
Interroguee
se elle dist point devant la ville de Paris : "Rendez la ville
de par Jhesus", respond que non ; mais dist : "Rendez
la au roy de France".
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Notes :
1 Phrase au sens un peu trouble
O'REILLY "Et alors je me suis dit à moi-même
: Je promets de n'en parler à homme au monde".
CHAMPION : Et alors se dit à elle-même
: "Je promets que je n'en parlerai plus à aucun
homme"
TISSET : Et elle-même promit alors qu'elle n'en parlerait plus à quiquonque.
O'Reilly traduit dans le sens où elle se remémore
sa promesse faite à elle-même autrefois. La traduction
de Champion laisserait plutôt penser qu'elle se fait cette
promesse pendant qu'elle est au tribunal. La minute française
(Urfé et Orléans identiques) ne clarifie pas la
situation.
Étant donné qu'elle va décrire le signe dans
les réponses suivantes, il faudrait plutôt penser
dans le sens O'REILLY. (ndlr)
2 La partie entre crochets figure dans la minute du ms de d'Urfé
et dans le résuisitoire de d'Estivet.
3 La date traditionnelle d'arrivée de Jeanne à Chinon
est le 6 mars 1429. Certains historiens penchent plutôt
pour le 23 février 1429 qui parait plus correcte. (Lire article très intéressant de P. Boissonade)
4 Toute cette partie est omise dans la rédaction latine :
"respond : Il vint de haut. Et entend qu'il venoit par
le commandement de nostre Seigneur ; et entra par l'huis de la
chambre.
Interroguee se l'ange venoit par terre et erroit depuis l'huys
de la chambre, respond :..."
Cela ressemble à une bévue de Courcelles, les deux
questions étant ressemblantes, il a pu sauter deux ou trois
lignes. Cette
partie est présente dans le réquisitoire de d'Estivet.
Encore une preuve de l'authenticité de la minute du ms d'Orléans.
5 De Courcelles a rajouté : "qu'elle avait indiqués",
ce qui ne figure ni dans le réquisitoire, ni dans la minute
française.
6 Jeanne alla à Melun dans la semaine de Pâques qui
tombe le 16 avril en 1430.
7 ndlr : C'était l'époque où circulaient des "lettres tombées du ciel". En posant la question à Jeanne, ses juges ont peut-être pensé aux "lettres de Michel à Satan" - Voir : Etienne Delaruelle "L'Archange St-Michel dans la spiritualité de Jeanne d'Arc" - dans "La piété populaire au Moyen-Age" - 1967.
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