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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Abjuration
- 24 mai 1431 |
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tem, le dit an, le jeudi après la Pentecôte, 24°
jour du mois de mai, nous, juges susdits, nous rendîmes le
matin en lieu public au cimetière
de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen, où ladite Jeanne
se tenait présente devant nous, sur un échafaud ou
ambon. Là tout d'abord, nous fîmes prononcer une solennelle
prédication, par maître Guillaume Erart, personne insigne,
docteur en théologie sacrée, pour la salutaire admonition
de ladite Jeanne et de tout le peuple, dont il y avait grande multitude.
Nous assistaient : très révérend, père
et seigneur en Christ Henri, par la permission divine cardinal-prêtre
du titre de Saint Eusèbe de la sacro-sainte église
de Rome, vulgairement appelé le cardinal
d'Angleterre ; révérends pères en Christ
messeigneurs les évêques de Thérouanne, de Noyon,
de Norwich (1); messeigneurs les abbés
de la Sainte-Trinité de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen,
de Jumièges, du Bec-Hellouin, de Cormeilles, de Saint-Michel-au-péril-de-la-mer,
de Mortemer, de Préaulx ; les prieurs
de Longueville-Giffard et de Saint-Laud de Rouen ; maîtres
Jean de Châtillon, Jean Beaupère, Nicolas Midi, Maurice
du Quesnay, Guillaume Le Boucher, Jean Le Fèvre, Pierre de
Houdenc, Pierre Maurice, Jean Fouchier, docteurs ; Guillaume Haiton,
Nicolas Couppequesne, Thomas de Courcelles, Raoul Le Sauvage, Richard
de Grouchet, Pierre Minier, Jean Pigache, bacheliers en théologie
sacrée, Raoul Roussel, docteur en l'un et l'autre droit,
Jean Garin, docteur en droit canon ; Nicolas de Venderès,
Jean Pinchon, JeanLe Doulx, Robert Le Barbier, licenciés
en droit canon ; André Marguerie, Jean Alespée, licenciés
en droit civil, Aubert Morel, Jean Colombel, Jean Duchemin, licenciés
en droit canon ; et plusieurs autres.
Le docteur susnommé commença sa prédication
en prenant pour thème la parole de Dieu, rapportée
au chapitre XV de saint Jean (2) "Le
sarment ne peut de lui-même porter fruit s'il ne demeure attaché
au cep..." Et ensuite, solennellement, il déduisit
que tout catholique doit demeurer dans la vraie vigne de notre sainte
mère l'Église, que le Christ planta de sa droite ;
il montra que cette Jeanne s'était séparée
par des erreurs nombreuses et des crimes graves de l'unité
de notre sainte mère l'Église, qu'elle avait maintes
fois scandalisé le peuple chrétien : et il l'admonesta
et l'exhorta, ainsi que tout le peuple, à suivre de saines
doctrines.
Cette prédication finie, le docteur parla à
Jeanne en ces termes :
"Voici messeigneurs les juges, qui plusieurs
fois vous ont sommée et requise de vouloir bien soumettre
tous vos faits et dits à notre mère l'Église
; ils vous ont fait voir et montré que dans vos dits et faits,
comme il semblait aux clercs, il y avait beaucoup de choses qui
n'étaient bonnes à dire ni à soutenir."
A quoi Jeanne répondit :
- Je vous répondrai. Quant à la soumission à
l'Église, je leur ai répondu sur ce point. Que toutes
les œuvres que j'ai faites et dites soient envoyées à
Rome, vers notre Saint-Père le pape (4)
à qui, et à Dieu le premier, je m'en rapporte. Et
quant aux dits et faits que je fis, je les ai faits de par Dieu.
"Ecce dominos meos judices,
qui repetitis vicibus vos sommaverunt et requisiverunt quod velletis
submittere omnia dicta et facta vestra sanctæ matri Ecclesiæ,
vobis aperiendo et remonstrando quod in dictis et factis vestris
erant multa quæ, sicut videbatur clericis, erant male dicta
et erronea."
Ad quod dicta Johanna respondit :
- Ego respondebo vobis Quantum est de submissione Ecclesiæ,
ego respondi eis de isto puncto. De omnibus operibus quæ ego
dixi et feci, ipsa transmittantur ad Romam, penes dominun nostrum
Summum Pontificem, ad quem et ad Deum primo ego me refero. Et quantum
ad dicta et facta quæ ego feci, ego illa feci ex parte Dei.
(3)"Veecy
Messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont sommee et requise
que voulsissiez submectre tous vos fais et dis a nostre mere Saincte
Eglise, et que, en ses diz et fais, estoient plusieurs choses, lesquelles
comme il semblait aux clercs, n'estoient bonnes a dire ou soustenir."
A quoy elle respond :
- Je vous respondray. Et a la submission de l'Eglise, dist
:
- Je leur ay dit en ce point de toutes les œuvres que j'ay faictes;
et les diz soient envoyees a Romme devers nostre saint pere le pape,
auquel et a Dieu premier je me rapporte. Et quant aux dis et fais
que j'ay fais, je les ay fais de par Dieu.
Item dit que, de ses faits et de ses dits, elle ne charge
personne, ni son roi, ni autre ; et que s'il y a quelque faute,
c'est à elle et non à autre.
Item, dixit quod de factis et dictis suis
non onerat aliquam personam, nec suum regem, nec
alium ; et si sit quicumque defectus, est in ipsa et non in altero.
Item, dit que de ses fais et dis,
elle ne charge quelque personne, ne son roy, ne autre ; et s'il
y a quelque faulte, c'est a elle et non a autre.
Interrogée si les faits et dits, qu'elle a faits,
qui sont réprouvés, elle les veut révoquer,
répondit :
- Je m'en rapporte à Dieu et à notre Saint-Père
le pape.
Or, il lui fut dit que cela ne suffisait pas ; qu'on
ne pouvait pas aller quérir notre Saint-Père le pape,
si loin ; aussi que les Ordinaires (5)
étaient juges, chacun en leur diocèse. C'est pourquoi
il était besoin qu'elle s'en rapportât à notre
sainte mère l'Église ; qu'elle s'en tint à
ce que les clercs et gens qui s'y connaissaient disaient et avaient
déterminé de ses dits et faits. Sur quoi elle fut
admonestée par nous par trois monitions.
Interrogata
utrum velit revocare omnia dicta et facta sua, quæ sunt reprobata
per clericos, respondit :
- Ego refero me Deo et domino nostro Papæ.
Et fuit sibi dictum quod hoc non sufficiebat, et quod
non poterat fieri quod iretur quæsitum dominum nostrum Papam
ita remote ; etiam quod Ordinarii erant judices, quilibet in sua
diœcesi, et ideo erat necesse quod ipsa se referret sanctæ
matri Ecclesiæ, et quod teneret illud quod clerici et viri
talia cognoscentes dicebant et quod determinaverant de suis dictis
et factis. Et de hoc fuit monita per nos usque ad trinam monitionem.
Interroguee se les fais et dis
qu'elle a fais, qui sont reprouvez, s'elle les veult revocquer,
respond :
- Je m'en raporte a Dieu et a nostre saint pere le pape.
Et pour ce que il luy fut dit que il ne suffisoit pas,
et que on ne povoit pas pour aler querir nostre saint pere si loing
; aussi que les ordinaires estoient juges chacun en leur diocese
; et pour ce estoit besoing qu'elle se rapportast a nostre mere
Saincte Eglise, et qu'elle tenist ce que les clercs et gens en ce
se congnoissans en disoient et avoient determiné de ses diz
et fais ; et de ce fut amonnestee jusques a la tierce monicion.
Alors, comme cette femme ne voulut dire autre chose,
nous, évêque susdit, commencâmes à lire
la sentence définitive. Comme nous l'avions déjà
en grande partie lue, Jeanne se prit à parler, et dit qu'elle
voulait tenir tout ce que l'Église lui ordonnerait, ce que
nous, juges, voudrions dire et sentencier, et obéir en tout
à notre ordonnance. Et elle dit par plusieurs fois que, puisque
les gens d'Église disaient que ses apparitions et révélations
qu'elle prétendait avoir eues (6)
n'étaient ni à soutenir, ni à croire, elle
ne les voulait soutenir ; mais, du tout, s'en rapportait à
notre mère sainte Eglise et aux juges. (7)
Alors en présence des susnommés, au vu
(6) d'une multitude de clergé
et de peuple (6), elle fit et proféra
sa révocation et l'abjuration, suivant la forme d'une certaine
cédule qui fut lue alors, rédigée en français.
Elle prononça cette abjuration de sa bouche et signa de sa
propre main (7) la cédule dont
le texte suit :
Deinceps, cum dicta mulier aliud
dicere non vellet, nos, episcopus prædictus, incepimus proferre
sententiam nostram definitivam. Quam cum pro magna parte legissemus,
eadem Johanna incepit loqui, et dixit quod volebat tenere totum
illud quod Ecclesiæ ordinaret, et quod nos judices vellemus
dicere et sententiare, dicens quod ex toto nostræ ordinationi
obediret. Dixitque pluries quod postquam viri ecclesiastici dicebant
quod apparitiones et revelationes quas dicebat se habuisse, non
erant sustinendæ nec credendæ, ipsa non vellet eas sustinere,
sed ex toto se referebat sanctæ matri Ecclesiæ et nobis
judicibus.
Tunc quoque, præsentibus prænominatis, et
in conspectucopiosæ multitudinis cleri et populi, fecit et
protulit revocationem et abjurationem, secundum formam cujusdam
schedulæ sibi tunc lectæ, verbis gallicis confectæ,
quam ipsamet etiam pronuntiavit, atque ipsam schedulam propria manu
signavit sub forma quaæ sequitur :
Et apres ce, comme la sentence
fut encommancee a luire, elle dist qu'elle vouloit tenir tout ce
que les juges et l'Eglise vouldroient tenir et sentencier, et obeir
du tout a l'ordonnance et voulenté d'eulx.
Et alors en la presence des dessusdizet grant multitude
de gens qui la estoient, elle revoqua et fist son abiuracion en
la maniere qui ensuit :
Abjuration de Jeanne :
"Toute
personne qui a erré et failli en la foi chrétienne
et qui depuis, par la grâce de Dieu, est retournée
à la lumière de la vérité et à
l'union de notre mère sainte Église, se doit très
bien garder que l'ennemi d'enfer ne la reboute et fasse rechoir
en erreur et en damnation. Pour cette cause, moi, Jeanne, communément
appelée La Pucelle, misérable pécheresse, après
que j'aie connu les lacs d'erreur par lesquels j'étais tenue,
et, par la grâce de Dieu, après avoir fait retour à
notre mère sainte Église, afin qu'on voie que, non
par feinte, mais de bon cœur et de bonne volonté je
suis retournée à elle, je confesse que j'ai très
gravement péché en feignant mensongèrement
d'avoir eu révélations et apparitions de par Dieu,
de par les anges et sainte Catherine et sainte Marguerite, en séduisant
les autres autres, en croyant follement et légèrement,
en faisant divinations superstitieuses, en blasphémant Dieu,
ses saints et ses saintes, en outrepassant la loi divine, la sainte
Ecriture, les droits canons ; en portant un habit dissolu, difforme
et déshonnête, contraire à la décence
de nature, et des cheveux rognés en rond à la mode
des hommes, contre toute honnêteté du sexe de la femme
; en portant aussi des armures par grande présomption ; en
désirant cruellement l'effusion du sang humain ; en disant
que toutes ces choses je les ai faites par le commandement de Dieu,
des anges et des saintes dessusdites, et qu'en ces choses j'ai bien
fait et n'ai point failli : en méprisant Dieu et ses sacrements
; en faisant sédition et idolâtrie, en adorant de mauvais
esprits et en les invoquant. Confesse aussi que j'ai été
schismatique, et par plusieurs manières que j'ai erré
en la foi. Lesquels crimes et erreurs, de bon cœur et sans
fiction, par la grâce de Notre Seigneur, retournée
à la voie de vérité, par la sainte doctrine
et par votre bon conseil, celui des docteurs et maîtres que
vous m'avez envoyés, j'abjure et renie, et en tout y renonce
et m'en sépare. Et sur toutes ces choses devant dites, me
soumets à la correction, disposition, amendement et totale
détermination de notre mère sainte Église et
de votre bonne justice. Aussi je voue, jure et promets à
monseigneur saint Pierre, prince des apôtres, à notre
Saint-Père, le pape de Rome, son vicaire et à ses
successeurs, à vous messeigneurs, monseigneur l'évêque
de Beauvais et à religieuse personne frère Jean Le
Maistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur de la foi, comme à
mes juges, que jamais, par quelque exhortation ou autre manière,
ne retournerai aux erreurs devant dites, desquelles il a plu à
Notre Seigneur de me délivrer et m'ôter ; mais, pour
toujours, je demeurerai en l'union de notre mère sainte Église
et en l'obéissance de notre Saint-Père le pape de
Rome. Et ceci je le dis, affirme et jure par le Dieu tout-puissant,
et par ces saints Évangiles. Et en signant de ce, j'ai signé
cette cédule de mon seing".
Ainsi signée : JEHANNE †
Et dist plusieurs fois que, puisque
les gens d'Eglise disoient que ses apparicions et revelacions n'estoient
point a soustenir ne a croire, elle ne vouloit soustenir ; mais
du tout s'en rapportoient aux juges et a nostre mere Saincte Eglise.
Suit la teneur de cette abjuration rédigée en latin
(9)
Enfin, après que nous, les juges, eûmes
reçu sa révocation et abjuration, comme il est dit
plus haut, nous évêque susnommé, rendîmes
notre sentence définitive en ces termes :
Sentence après l'abjuration
"Au nom du Seigneur, amen. Tous les pasteurs
de l'Église qui désirent et ont cure de conduire fidèlement
le troupeau du Seigneur, doivent réunir toutes leurs forces,
quand le perfide semeur d'erreurs travaille laborieusement à
infecter de tant de ruses et de poisons virulents le troupeau du
Christ, afin de s'opposer, avec d'autant plus de vigilance et d'instante
sollicitude, aux assauts du Malin. C'est une nécessité,
surtout en ces temps périlleux où la sentence de l'apôtre
annonça que plusieurs pseudo-prophétes viendraient
au monde et qu'ils y introduiraient sectes de perdition et d'erreur
; lesquels pourraient séduire, par leurs doctrines variées
et étranges, les fidèles du Christ, si notre mère
sainte Église, avec les secours de saine doctrine et des
sanctions canoniques, ne s'efforçait de repousser avec diligence
leurs inventions erronées.
C'est pourquoi par devant nous, Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, et par devant frère
Jean Le Maistre, vicaire en ce diocèse et en cette cité
de l'insigne docteur maître Jean Graverent, inquisiteur de
la perversité hérétique au royaume de France
(10), et spécialement député
par lui en cette cause, tous deux juges compétents en cette
partie, toi, Jeanne, dite vulgairement la Pucelle, tu as été
déférée en raison de plusieurs crimes pernicieux
et tu fus citée en matière de foi. Et vu et diligemment
examiné la suite de ton procès et tout ce qui y fut
fait, principalement les réponses, confessions et affirmations
que tu y donnas ; considéré aussi la très insigne
délibération des maîtres de la Faculté
de Théologie et de Décret en l'Université de
Paris bien mieux encore de l'assemblée générale
de l'Université ; celle enfin des prélats, des docteurs
et des savants, tant en théologie qu'en droit civil et canon,
qui se rassemblèrent en cette ville de Rouen, et ailleurs,
en grande multitude pour qualifier et apprécier tes assertions,
tes dits et tes faits ; après avoir pris conseil et mûre
délibération des zélateurs pratiques de la
foi chrétienne ; ayant consideré et retenu tout ce
qui devait être par nous considéré et retenu
en cette matière, tout ce que nous, et chaque homme de jugement
droit, pouvions et devions remarquer :
Nous, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de
la foi orthodoxe, afin que notre jugement semble émaner de
la face du Seigneur, nous avons dit et décrété,
et nous prononçons que tu as très gravement délinqué,
en simulant mensongèrement révélations et apparitions,
en séduisant autrui, en croyant légèrement
et témérairement, en prophétisant superstitieusement,
en blasphémant Dieu et les saintes, en prévariquant
la loi, la sainte Écriture et les sanctions canoniques, en
méprisant Dieu dans ses sacrements, en suscitant des séditions,
en apostasiant, en tombant dans le schisme et en errant sur tant
de points en la foi catholique.
Cependant, après avoir été admonestée
charitablement à tant de reprises, après une attente
si longue, enfin, Dieu aidant, tu revins au giron de notre sainte
mère l'Église, et, comme nous aimons à le croire,
d'un cceur contrit et d'une foi non feinte, tu as révoqué
à bouche ouverte tes erreurs, alors qu'elles venaient d'être
réprouvées dans une prédication publique, et,
de ta propre bouche, tu les as abjurées de vive voix, ainsi
que toute hérésie. Suivant la forme voulue par les
sanctions ecclésiastiques, nous te délions par ces
présentes des liens de l'excommunication par lesquels tu
étais enchaînée ; pourvu que toutefois tu fasses
retour à l'Église, avec un cœur vrai et une foi
non feinte, et que tu observes ce qui t'est et te sera enjoint.
Mais toutefois, parce que tu as délinqué
témérairement envers Dieu et sainte Église,
comme on l'a dit plus haut, pour que tu fasses une salutaire pénitence,
nous te condamnons finalement et définitivement à
la prison perpétuelle, avec pain de douleur et eau de tristesse,
afin que tu y pleures tes fautes et que tu n'en commettes plus désormais
qui soient à pleurer, notre grâce et modération
étant sauves".
Le même jour après-midi :
Item (11), ce même
jour après-midi, nous, frère Jean Le Maistre, vicaire
susnommé, assisté de nobles seigneurs et maîtres
Nicolas Midi, Nicolas Loiseleur, Thomas de Courcelles et frère
Ysambard de La Pierre, et de plusieurs autres, nous nous rendîmes
dans la prison où Jeanne était alors. Il lui fut exposé
par nous et par nos assesseurs comment ce jour-là Dieu lui
avait fait grande grâce, et aussi que les hommes d'Eglise
lui avaient montré grande miséricorde en la recevant
à grâce et pardon de notre sainte mère Église
; c'est pourquoi il convenait que ladite Jeanne se soumit humblement
et obéit à la sentence et ordonnance de messeigneurs
les juges et des gens d'Église, qu'elle abandonnât
entièrement ses erreurs et ses inventions anciennes, et n'y
retournât jamais ; et ils lui exposèrent qu'au cas
où elle reviendrait à ses anciennes erreurs, jamais
plus à l'avenir l'Église ne la recevrait à
clémence, et qu'elle serait abandonnée complètement.
En outre il lui fut dit qu'elle quittât ses habits d'homme
et prît ceux de femme, comme il lui avait été
commandé par l'Église.
Or Jeanne répondit que volontiers elle prendrait
ces habits de femme, et qu'elle obéirait et se soumettrait
en tout aux gens d'Église.
Des habits de femme lui ayant été présentés,
elle les revêtit, ayant déposé sur-le-champ
ses habits d'homme ; elle voulut et permit en outre qu'on lui rasât
et enlevât les cheveux qu'auparavant elle portait taillés
en rond.
Apprez laquelle sentence donnee,
comme dit est, le vicaire de l'inquisiteur et plusieurs aultres,
qui avoyent esté au jugement du procez, apprez disner, aller
visiter ladicte Jhenne en la prison ou elle estoit detenue. Et luy
remonstrerent comme l'Eglise luy avoit esté gracieuse. Et
qu'elle debvoit prendre la sentence aggreablement, et qu'elle obaysse
a l'Eglise; et qu'elle laisse ses revelacions et ses folyes ; et,
eu cas qu'elle renchiesse desormais en telles follyes, l'Eglise
ne la recepvera jamais ; en luy remonstrant qu'elle prensist l'habit
de femme, et qu'elle laissast l'habit d'homme.
Laquelle Jhenne respondit que volluntiers elle prendroit
l'habit de femme et qu'elle obayroit a l'Eglise.
Et presentement fut vestue d'habit de femme; et ses
cheveulx, qui estoyent rons, tonduz tout bas.
Sentence prononcée en partie avant l'abjuration :
(12)
Au nom du Seigneur, amen. Tous les pasteurs de
l'Église, qui désirent et ont cure de conduire fidèlement
le troupeau du Seigneur, doivent réunir toutes leurs forces
quand le perfide semeur d'erreurs travaille laborieusement à
infecter par tant de ruses et de poisons virulents le troupeau du
Christ, afin de s'opposer avec d'autant plus de vigilance et d'instante
sollicitude aux assauts du Malin. C'est une nécessité,
surtout en ces temps périlleux où la sentence de l'apôtre
annonça que plusieurs pseudo-prophètes viendraient
au monde et y introduiraient sectes de perdition et d'erreur ; lesquelles
pourraient séduire par leurs doctrines, variées et
étranges, les fidèles du Christ, si notre mère
sainte Eglise, avec les secours de saine doctrine et des sanctions
canoniques, ne s'efforçait de repousser avec diligence leurs
inventions erronées.
C'est pourquoi par devant nous, Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, et par devant frère
Jean Le Maistre, vicaire en ce diocèse et en cette cité
de l'insigne docteur, maître Jean Graverent, inquisiteur de
la perversité hérétique au royaume de France,
et spécialement député par lui en cette cause,
tous deux juges compétents en cette partie, toi, Jeanne,
dite vulgairement la Pucelle, tu as été déférée,
en raison de plusieurs crimes pernicieux, et tu fus citée
en matière de foi. Et, vu et diligemment examiné la
suite de ton procès, et tout ce qui y fut fait, principalement
les réponses, confessions et assertions que tu y donnas ;
considéré aussi la très insigne délibération
des maîtres de la Faculté de Théologie et de
Décret en l'Université de Paris, bien plus encore,
celle de l'assemblée générale de l'Université
; celle enfin des prélats, des docteurs et des savants, tant
en théologie qu'en droit civil et canon, qui se rassemblèrent
en cette ville de Rouen et ailleurs, en grande multitude, pour qualifier
et apprécier tes assertions, tes dits et tes faits ; après
avoir pris conseil et mûre délibération des
zélateurs pratiques de la foi chrétienne ; ayant considéré
et retenu tout ce qui devait être par nous considéré
et retenu en cette matière ; tout ce que nous, et chaque
homme de jugement droit, pouvions et devions remarquer :
Nous,
ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi orthodoxe,
afin que notre jugement semble émaner de la face du Seigneur,
nous avons dit et décrété que tu as été
menteuse en simulant tes révélations et apparitions,
pernicieuse, séductrice, présomptueuse, trop crédule,
téméraire, superstitieuse, devineresse, blasphématrice
envers Dieu, les saints et les saintes, contemptrice de Dieu en
ses sacrements, prévaricatrice de la doctrine sacrée
et des sanctions ecclésiastiques, séditieuse, cruelle,
apostate, schismatique, errant beaucoup en notre foi, et que tu
as témérairement délinqué envers Dieu
et sainte Église, par les manières susdites. Cependant,
bien que dûment et suffisamment, tant par nous que de notre
part, tu aies été, souvent et plus, admonestée
par certains maîtres et docteurs scientifiques et experts,
zélés pour le salut de ton âme, de vouloir bien
t'amender, de te corriger, de te soumettre à la disposition,
détermination et émendation de sainte mère
Église. Tu ne le voulus pas et n'en pris cure. Bien plus,
d'un cœur endurci obstinément et opiniâtrement,
tu as dit que tu ne le ferais pas, et expressément et à
diverses fois, tu as refusé de te soumettre à notre
Saint-Père le pape et au saint concile général.
C'est pourquoi nous te déclarons de droit excommuniée
et hérétique, en tant qu'obstinée et opiniâtre
dans ces délits (13) excès
et erreurs ; et nous prononçons qu'il convient de t'abandonner
à la justice séculière, comme membre de Satan,
retranché de l'Église, infecté de la lèpre
d'hérésie, et nous t'y laissons : priant toutefois
cette puissance qu'elle veuille bien modérer envers toi son
jugement, en deça de la mort et de la mutilation des membres
; et si de vrais signes de repentir apparaissent en toi, que le
sacrement de pénitence te soit administré.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921),
"Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La
minute française des interrogatoires de La Pucelle"
- P.Doncoeur (1952)
Notes :
1 William Alnwick, évêque de Norwich puis plus tard
de Lincoln, avait une grande réputation de sainteté
et d'orthodoxie.
2 Jean, XV, 4. Sicut palmes non potest ferre fructum semetipso
nisi manserit in vite... "Je suis le vrai cep et mon Père
est le vigneron ; tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas
de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit,
il le nettoie, afin qu'il en porte davantage... Demeurez en moi
et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même
porter fruit, s'il ne demeure attaché au cep, ainsi vous
ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi... Si quelqu'un
ne demeure pas en moi, on le jette dehors, comme le sarment, et
il sèche ; puis on ramasse ces sarments, on les jette au
feu et ils brûlent..." (P.Champion)
3 Minute du ms de d'Urfé sur cette abjuration. Elle est absente
dans le ms d'Orléans.
4 L'appel au pape n'est pas obligatoirement suivi d'effet, en effet,
le pape délégue sa puissance aux inquisiteurs. Néanmoins,
pour une cause de cette importance, le saint-siège aurait
dû être partie prenante. Cauchon s'est bien gardé
de le faire intervenir.
Pourtant, il suffit de lire les archives ecclésiastiques
(y compris celles de Rouen) qui recèlent de nombreuses demandes
d'arbitrage du pape pour des broutilles, généralement
lorsque l'argent des ces prélats corrompus est en jeu. (ndlr)
5 C'est à dire des évêques, juges ordinaire
des hérétiques. (P.Champion)
6 Ajouté par Thomas de Courcelles qui a largement modifié
le texte de la minute.
7 Grâce au procès de réhabilitation en 1456,
nous verrons que le greffier de la cause (Manchon) est loin de rapporter
les faits tels qu'ils se sont déroulés. (ndlr)
8 Plutôt la main de Laurent Calot, le secrétaire du
Roi d'Angleterre (voir le procès
de réhabilitation)
9 Texte identique en latin.
10 Dont il est vraiment étonnant de ne l'avoir jamais vu
paraître au procès.
11 Variante dans la minute française.
12 Cette sentence se trouve dans le procès officiel après
la sentence prononcée le 30 mai au Vieux-Marché. Pour
une meilleure compréhension, nous l'avons replacée
dans son contexte. (ndlr)
13 Car ce n'est pas l'erreur en elle-même qui caractérise
l'hérésie, il faut qu'elle soit jointe à l'opiniâtreté.
Voir dans la bibliothèque les différentes études sur l'abjuration de Jeanne.
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