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22 novembre 2024  

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par Henri Wallon

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Procès de condamnation - procès ordinaire
Abjuration - 24 mai 1431

tem, le dit an, le jeudi après la Pentecôte, 24° jour du mois de mai, nous, juges susdits, nous rendîmes le matin en lieu public au cimetière de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen, où ladite Jeanne se tenait présente devant nous, sur un échafaud ou ambon. Là tout d'abord, nous fîmes prononcer une solennelle prédication, par maître Guillaume Erart, personne insigne, docteur en théologie sacrée, pour la salutaire admonition de ladite Jeanne et de tout le peuple, dont il y avait grande multitude.

 

  Nous assistaient : très révérend, père et seigneur en Christ Henri, par la permission divine cardinal-prêtre du titre de Saint Eusèbe de la sacro-sainte église de Rome, vulgairement appelé le cardinal d'Angleterre ; révérends pères en Christ messeigneurs les évêques de Thérouanne, de Noyon, de Norwich (1); messeigneurs les abbés de la Sainte-Trinité de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, du Bec-Hellouin, de Cormeilles, de Saint-Michel-au-péril-de-la-mer, de Mortemer, de Préaulx ; les prieurs de Longueville-Giffard et de Saint-Laud de Rouen ; maîtres Jean de Châtillon, Jean Beaupère, Nicolas Midi, Maurice du Quesnay, Guillaume Le Boucher, Jean Le Fèvre, Pierre de Houdenc, Pierre Maurice, Jean Fouchier, docteurs ; Guillaume Haiton, Nicolas Couppequesne, Thomas de Courcelles, Raoul Le Sauvage, Richard de Grouchet, Pierre Minier, Jean Pigache, bacheliers en théologie sacrée, Raoul Roussel, docteur en l'un et l'autre droit, Jean Garin, docteur en droit canon ; Nicolas de Venderès, Jean Pinchon, JeanLe Doulx, Robert Le Barbier, licenciés en droit canon ; André Marguerie, Jean Alespée, licenciés en droit civil, Aubert Morel, Jean Colombel, Jean Duchemin, licenciés en droit canon ; et plusieurs autres.

       

  Le docteur susnommé commença sa prédication en prenant pour thème la parole de Dieu, rapportée au chapitre XV de saint Jean (2) "Le sarment ne peut de lui-même porter fruit s'il ne demeure attaché au cep..." Et ensuite, solennellement, il déduisit que tout catholique doit demeurer dans la vraie vigne de notre sainte mère l'Église, que le Christ planta de sa droite ; il montra que cette Jeanne s'était séparée par des erreurs nombreuses et des crimes graves de l'unité de notre sainte mère l'Église, qu'elle avait maintes fois scandalisé le peuple chrétien : et il l'admonesta et l'exhorta, ainsi que tout le peuple, à suivre de saines doctrines.

  Cette prédication finie, le docteur parla à Jeanne en ces termes :

  "Voici messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont sommée et requise de vouloir bien soumettre tous vos faits et dits à notre mère l'Église ; ils vous ont fait voir et montré que dans vos dits et faits, comme il semblait aux clercs, il y avait beaucoup de choses qui n'étaient bonnes à dire ni à soutenir."
  A quoi Jeanne répondit :
- Je vous répondrai. Quant à la soumission à l'Église, je leur ai répondu sur ce point. Que toutes les œuvres que j'ai faites et dites soient envoyées à Rome, vers notre Saint-Père le pape (4) à qui, et à Dieu le premier, je m'en rapporte. Et quant aux dits et faits que je fis, je les ai faits de par Dieu.

  "Ecce dominos meos judices, qui repetitis vicibus vos sommaverunt et requisiverunt quod velletis submittere omnia dicta et facta vestra sanctæ matri Ecclesiæ, vobis aperiendo et remonstrando quod in dictis et factis vestris erant multa quæ, sicut videbatur clericis, erant male dicta et erronea."
  Ad quod dicta Johanna respondit :
- Ego respondebo vobis Quantum est de submissione Ecclesiæ, ego respondi eis de isto puncto. De omnibus operibus quæ ego dixi et feci, ipsa transmittantur ad Romam, penes dominun nostrum Summum Pontificem, ad quem et ad Deum primo ego me refero. Et quantum ad dicta et facta quæ ego feci, ego illa feci ex parte Dei.


 
 (3)"Veecy Messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont sommee et requise que voulsissiez submectre tous vos fais et dis a nostre mere Saincte Eglise, et que, en ses diz et fais, estoient plusieurs choses, lesquelles comme il semblait aux clercs, n'estoient bonnes a dire ou soustenir."
  A quoy elle respond :
- Je vous respondray. Et a la submission de l'Eglise, dist :
- Je leur ay dit en ce point de toutes les œuvres que j'ay faictes; et les diz soient envoyees a Romme devers nostre saint pere le pape, auquel et a Dieu premier je me rapporte. Et quant aux dis et fais que j'ay fais, je les ay fais de par Dieu.


  Item dit que, de ses faits et de ses dits, elle ne charge personne, ni son roi, ni autre ; et que s'il y a quelque faute, c'est à elle et non à autre.

Item, dixit quod de factis et dictis suis non onerat aliquam personam, nec suum regem, nec
alium ; et si sit quicumque defectus, est in ipsa et non in altero.

  Item, dit que de ses fais et dis, elle ne charge quelque personne, ne son roy, ne autre ; et s'il y a quelque faulte, c'est a elle et non a autre.

  Interrogée si les faits et dits, qu'elle a faits, qui sont réprouvés, elle les veut révoquer, répondit :
- Je m'en rapporte à Dieu et à notre Saint-Père le pape.
  Or, il lui fut dit que cela ne suffisait pas ; qu'on ne pouvait pas aller quérir notre Saint-Père le pape, si loin ; aussi que les Ordinaires (5) étaient juges, chacun en leur diocèse. C'est pourquoi il était besoin qu'elle s'en rapportât à notre sainte mère l'Église ; qu'elle s'en tint à ce que les clercs et gens qui s'y connaissaient disaient et avaient déterminé de ses dits et faits. Sur quoi elle fut admonestée par nous par trois monitions.

  Interrogata utrum velit revocare omnia dicta et facta sua, quæ sunt reprobata per clericos, respondit :
- Ego refero me Deo et domino nostro Papæ.
  Et fuit sibi dictum quod hoc non sufficiebat, et quod non poterat fieri quod iretur quæsitum dominum nostrum Papam ita remote ; etiam quod Ordinarii erant judices, quilibet in sua diœcesi, et ideo erat necesse quod ipsa se referret sanctæ matri Ecclesiæ, et quod teneret illud quod clerici et viri talia cognoscentes dicebant et quod determinaverant de suis dictis et factis. Et de hoc fuit monita per nos usque ad trinam monitionem.


  Interroguee se les fais et dis qu'elle a fais, qui sont reprouvez, s'elle les veult revocquer, respond :
- Je m'en raporte a Dieu et a nostre saint pere le pape.
  Et pour ce que il luy fut dit que il ne suffisoit pas, et que on ne povoit pas pour aler querir nostre saint pere si loing ; aussi que les ordinaires estoient juges chacun en leur diocese ; et pour ce estoit besoing qu'elle se rapportast a nostre mere Saincte Eglise, et qu'elle tenist ce que les clercs et gens en ce se congnoissans en disoient et avoient determiné de ses diz et fais ; et de ce fut amonnestee jusques a la tierce monicion.


  Alors, comme cette femme ne voulut dire autre chose, nous, évêque susdit, commencâmes à lire la sentence définitive. Comme nous l'avions déjà en grande partie lue, Jeanne se prit à parler, et dit qu'elle voulait tenir tout ce que l'Église lui ordonnerait, ce que nous, juges, voudrions dire et sentencier, et obéir en tout à notre ordonnance. Et elle dit par plusieurs fois que, puisque les gens d'Église disaient que ses apparitions et révélations qu'elle prétendait avoir eues (6) n'étaient ni à soutenir, ni à croire, elle ne les voulait soutenir ; mais, du tout, s'en rapportait à notre mère sainte Eglise et aux juges. (7)
  Alors en présence des susnommés, au vu (6) d'une multitude de clergé et de peuple (6), elle fit et proféra sa révocation et l'abjuration, suivant la forme d'une certaine cédule qui fut lue alors, rédigée en français. Elle prononça cette abjuration de sa bouche et signa de sa propre main (7) la cédule dont le texte suit :

  Deinceps, cum dicta mulier aliud dicere non vellet, nos, episcopus prædictus, incepimus proferre sententiam nostram definitivam. Quam cum pro magna parte legissemus, eadem Johanna incepit loqui, et dixit quod volebat tenere totum illud quod Ecclesiæ ordinaret, et quod nos judices vellemus dicere et sententiare, dicens quod ex toto nostræ ordinationi obediret. Dixitque pluries quod postquam viri ecclesiastici dicebant quod apparitiones et revelationes quas dicebat se habuisse, non erant sustinendæ nec credendæ, ipsa non vellet eas sustinere, sed ex toto se referebat sanctæ matri Ecclesiæ et nobis judicibus.
  Tunc quoque, præsentibus prænominatis, et in conspectucopiosæ multitudinis cleri et populi, fecit et protulit revocationem et abjurationem, secundum formam cujusdam schedulæ sibi tunc lectæ, verbis gallicis confectæ, quam ipsamet etiam pronuntiavit, atque ipsam schedulam propria manu signavit sub forma quaæ sequitur :


  Et apres ce, comme la sentence fut encommancee a luire, elle dist qu'elle vouloit tenir tout ce que les juges et l'Eglise vouldroient tenir et sentencier, et obeir du tout a l'ordonnance et voulenté d'eulx.
  Et alors en la presence des dessusdizet grant multitude de gens qui la estoient, elle revoqua et fist son abiuracion en la maniere qui ensuit :


 

Abjuration de Jeanne :


  "Toute personne qui a erré et failli en la foi chrétienne et qui depuis, par la grâce de Dieu, est retournée à la lumière de la vérité et à l'union de notre mère sainte Église, se doit très bien garder que l'ennemi d'enfer ne la reboute et fasse rechoir en erreur et en damnation. Pour cette cause, moi, Jeanne, communément appelée La Pucelle, misérable pécheresse, après que j'aie connu les lacs d'erreur par lesquels j'étais tenue, et, par la grâce de Dieu, après avoir fait retour à notre mère sainte Église, afin qu'on voie que, non par feinte, mais de bon cœur et de bonne volonté je suis retournée à elle, je confesse que j'ai très gravement péché en feignant mensongèrement d'avoir eu révélations et apparitions de par Dieu, de par les anges et sainte Catherine et sainte Marguerite, en séduisant les autres autres, en croyant follement et légèrement, en faisant divinations superstitieuses, en blasphémant Dieu, ses saints et ses saintes, en outrepassant la loi divine, la sainte Ecriture, les droits canons ; en portant un habit dissolu, difforme et déshonnête, contraire à la décence de nature, et des cheveux rognés en rond à la mode des hommes, contre toute honnêteté du sexe de la femme ; en portant aussi des armures par grande présomption ; en désirant cruellement l'effusion du sang humain ; en disant que toutes ces choses je les ai faites par le commandement de Dieu, des anges et des saintes dessusdites, et qu'en ces choses j'ai bien fait et n'ai point failli : en méprisant Dieu et ses sacrements ; en faisant sédition et idolâtrie, en adorant de mauvais esprits et en les invoquant. Confesse aussi que j'ai été schismatique, et par plusieurs manières que j'ai erré en la foi. Lesquels crimes et erreurs, de bon cœur et sans fiction, par la grâce de Notre Seigneur, retournée à la voie de vérité, par la sainte doctrine et par votre bon conseil, celui des docteurs et maîtres que vous m'avez envoyés, j'abjure et renie, et en tout y renonce et m'en sépare. Et sur toutes ces choses devant dites, me soumets à la correction, disposition, amendement et totale détermination de notre mère sainte Église et de votre bonne justice. Aussi je voue, jure et promets à monseigneur saint Pierre, prince des apôtres, à notre Saint-Père, le pape de Rome, son vicaire et à ses successeurs, à vous messeigneurs, monseigneur l'évêque de Beauvais et à religieuse personne frère Jean Le Maistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur de la foi, comme à mes juges, que jamais, par quelque exhortation ou autre manière, ne retournerai aux erreurs devant dites, desquelles il a plu à Notre Seigneur de me délivrer et m'ôter ; mais, pour toujours, je demeurerai en l'union de notre mère sainte Église et en l'obéissance de notre Saint-Père le pape de Rome. Et ceci je le dis, affirme et jure par le Dieu tout-puissant, et par ces saints Évangiles. Et en signant de ce, j'ai signé cette cédule de mon seing".
Ainsi signée : JEHANNE


  Et dist plusieurs fois que, puisque les gens d'Eglise disoient que ses apparicions et revelacions n'estoient point a soustenir ne a croire, elle ne vouloit soustenir ; mais du tout s'en rapportoient aux juges et a nostre mere Saincte Eglise.

  

Suit la teneur de cette abjuration rédigée en latin (9)

  Enfin, après que nous, les juges, eûmes reçu sa révocation et abjuration, comme il est dit plus haut, nous évêque susnommé,  rendîmes notre sentence définitive en ces termes :

Sentence après l'abjuration

  "Au nom du Seigneur, amen. Tous les pasteurs de l'Église qui désirent et ont cure de conduire fidèlement le troupeau du Seigneur, doivent réunir toutes leurs forces, quand le perfide semeur d'erreurs travaille laborieusement à infecter de tant de ruses et de poisons virulents le troupeau du Christ, afin de s'opposer, avec d'autant plus de vigilance et d'instante sollicitude, aux assauts du Malin. C'est une nécessité, surtout en ces temps périlleux où la sentence de l'apôtre annonça que plusieurs pseudo-prophétes viendraient au monde et qu'ils y introduiraient sectes de perdition et d'erreur ; lesquels pourraient séduire, par leurs doctrines variées et étranges, les fidèles du Christ, si notre mère sainte Église, avec les secours de saine doctrine et des sanctions canoniques, ne s'efforçait de repousser avec diligence leurs inventions erronées.
  C'est pourquoi par devant nous, Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et par devant frère Jean Le Maistre, vicaire en ce diocèse et en cette cité de l'insigne docteur maître Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France (10), et spécialement député par lui en cette cause, tous deux juges compétents en cette partie, toi, Jeanne, dite vulgairement la Pucelle, tu as été déférée en raison de plusieurs crimes pernicieux et tu fus citée en matière de foi. Et vu et diligemment examiné la suite de ton procès et tout ce qui y fut fait, principalement les réponses, confessions et affirmations que tu y donnas ; considéré aussi la très insigne délibération des maîtres de la Faculté de Théologie et de Décret en l'Université de Paris bien mieux encore de l'assemblée générale de l'Université ; celle enfin des prélats, des docteurs et des savants, tant en théologie qu'en droit civil et canon, qui se rassemblèrent en cette ville de Rouen, et ailleurs, en grande multitude pour qualifier et apprécier tes assertions, tes dits et tes faits ; après avoir pris conseil et mûre délibération des zélateurs pratiques de la foi chrétienne ; ayant consideré et retenu tout ce qui devait être par nous considéré et retenu en cette matière, tout ce que nous, et chaque homme de jugement droit, pouvions et devions remarquer :
  Nous, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi orthodoxe, afin que notre jugement semble émaner de la face du Seigneur, nous avons dit et décrété, et nous prononçons que tu as très gravement délinqué, en simulant mensongèrement révélations et apparitions, en séduisant autrui, en croyant légèrement et témérairement, en prophétisant superstitieusement, en blasphémant Dieu et les saintes, en prévariquant la loi, la sainte Écriture et les sanctions canoniques, en méprisant Dieu dans ses sacrements, en suscitant des séditions, en apostasiant, en tombant dans le schisme et en errant sur tant de points en la foi catholique.
  Cependant, après avoir été admonestée charitablement à tant de reprises, après une attente si longue, enfin, Dieu aidant, tu revins au giron de notre sainte mère l'Église, et, comme nous aimons à le croire, d'un cceur contrit et d'une foi non feinte, tu as révoqué à bouche ouverte tes erreurs, alors qu'elles venaient d'être réprouvées dans une prédication publique, et, de ta propre bouche, tu les as abjurées de vive voix, ainsi que toute hérésie. Suivant la forme voulue par les sanctions ecclésiastiques, nous te délions par ces présentes des liens de l'excommunication par lesquels tu étais enchaînée ; pourvu que toutefois tu fasses retour à l'Église, avec un cœur vrai et une foi non feinte, et que tu observes ce qui t'est et te sera enjoint.
  Mais toutefois, parce que tu as délinqué témérairement envers Dieu et sainte Église, comme on l'a dit plus haut, pour que tu fasses une salutaire pénitence, nous te condamnons finalement et définitivement à la prison perpétuelle, avec pain de douleur et eau de tristesse, afin que tu y pleures tes fautes et que tu n'en commettes plus désormais qui soient à pleurer, notre grâce et modération étant sauves".


Le même jour après-midi :

  Item (11), ce même jour après-midi, nous, frère Jean Le Maistre, vicaire susnommé, assisté de nobles seigneurs et maîtres Nicolas Midi, Nicolas Loiseleur, Thomas de Courcelles et frère Ysambard de La Pierre, et de plusieurs autres, nous nous rendîmes dans la prison où Jeanne était alors. Il lui fut exposé par nous et par nos assesseurs comment ce jour-là Dieu lui avait fait grande grâce, et aussi que les hommes d'Eglise lui avaient montré grande miséricorde en la recevant à grâce et pardon de notre sainte mère Église ; c'est pourquoi il convenait que ladite Jeanne se soumit humblement et obéit à la sentence et ordonnance de messeigneurs les juges et des gens d'Église, qu'elle abandonnât entièrement ses erreurs et ses inventions anciennes, et n'y retournât jamais ; et ils lui exposèrent qu'au cas où elle reviendrait à ses anciennes erreurs, jamais plus à l'avenir l'Église ne la recevrait à clémence, et qu'elle serait abandonnée complètement. En outre il lui fut dit qu'elle quittât ses habits d'homme et prît ceux de femme, comme il lui avait été commandé par l'Église.
  Or Jeanne répondit que volontiers elle prendrait ces habits de femme, et qu'elle obéirait et se soumettrait en tout aux gens d'Église.
  Des habits de femme lui ayant été présentés, elle les revêtit, ayant déposé sur-le-champ ses habits d'homme ; elle voulut et permit en outre qu'on lui rasât et enlevât les cheveux qu'auparavant elle portait taillés en rond.

  Apprez laquelle sentence donnee, comme dit est, le vicaire de l'inquisiteur et plusieurs aultres, qui avoyent esté au jugement du procez, apprez disner, aller visiter ladicte Jhenne en la prison ou elle estoit detenue. Et luy remonstrerent comme l'Eglise luy avoit esté gracieuse. Et qu'elle debvoit prendre la sentence aggreablement, et qu'elle obaysse a l'Eglise; et qu'elle laisse ses revelacions et ses folyes ; et, eu cas qu'elle renchiesse desormais en telles follyes, l'Eglise ne la recepvera jamais ; en luy remonstrant qu'elle prensist l'habit de femme, et qu'elle laissast l'habit d'homme.
  Laquelle Jhenne respondit que volluntiers elle prendroit l'habit de femme et qu'elle obayroit a l'Eglise.
  Et presentement fut vestue d'habit de femme; et ses cheveulx, qui estoyent rons, tonduz tout bas.



Sentence prononcée en partie avant l'abjuration : (12)

  Au nom du Seigneur, amen. Tous les pasteurs de l'Église, qui désirent et ont cure de conduire fidèlement le troupeau du Seigneur, doivent réunir toutes leurs forces quand le perfide semeur d'erreurs travaille laborieusement à infecter par tant de ruses et de poisons virulents le troupeau du Christ, afin de s'opposer avec d'autant plus de vigilance et d'instante sollicitude aux assauts du Malin. C'est une nécessité, surtout en ces temps périlleux où la sentence de l'apôtre annonça que plusieurs pseudo-prophètes viendraient au monde et y introduiraient sectes de perdition et d'erreur ; lesquelles pourraient séduire par leurs doctrines, variées et étranges, les fidèles du Christ, si notre mère sainte Eglise, avec les secours de saine doctrine et des sanctions canoniques, ne s'efforçait de repousser avec diligence leurs inventions erronées.
  C'est pourquoi par devant nous, Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et par devant frère Jean Le Maistre, vicaire en ce diocèse et en cette cité de l'insigne docteur, maître Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France, et spécialement député par lui en cette cause, tous deux juges compétents en cette partie, toi, Jeanne, dite vulgairement la Pucelle, tu as été déférée, en raison de plusieurs crimes pernicieux, et tu fus citée en matière de foi. Et, vu et diligemment examiné la suite de ton procès, et tout ce qui y fut fait, principalement les réponses, confessions et assertions que tu y donnas ; considéré aussi la très insigne délibération des maîtres de la Faculté de Théologie et de Décret en l'Université de Paris, bien plus encore, celle de l'assemblée générale de l'Université ; celle enfin des prélats, des docteurs et des savants, tant en théologie qu'en droit civil et canon, qui se rassemblèrent en cette ville de Rouen et ailleurs, en grande multitude, pour qualifier et apprécier tes assertions, tes dits et tes faits ; après avoir pris conseil et mûre délibération des zélateurs pratiques de la foi chrétienne ; ayant considéré et retenu tout ce qui devait être par nous considéré et retenu en cette matière ; tout ce que nous, et chaque homme de jugement droit, pouvions et devions remarquer :
 
Nous, ayant devant les yeux le Christ et l'honneur de la foi orthodoxe, afin que notre jugement semble émaner de la face du Seigneur, nous avons dit et décrété que tu as été menteuse en simulant tes révélations et apparitions, pernicieuse, séductrice, présomptueuse, trop crédule, téméraire, superstitieuse, devineresse, blasphématrice envers Dieu, les saints et les saintes, contemptrice de Dieu en ses sacrements, prévaricatrice de la doctrine sacrée et des sanctions ecclésiastiques, séditieuse, cruelle, apostate, schismatique, errant beaucoup en notre foi, et que tu as témérairement délinqué envers Dieu et sainte Église, par les manières susdites. Cependant, bien que dûment et suffisamment, tant par nous que de notre part, tu aies été, souvent et plus, admonestée par certains maîtres et docteurs scientifiques et experts, zélés pour le salut de ton âme, de vouloir bien t'amender, de te corriger, de te soumettre à la disposition, détermination et émendation de sainte mère Église. Tu ne le voulus pas et n'en pris cure. Bien plus, d'un cœur endurci obstinément et opiniâtrement, tu as dit que tu ne le ferais pas, et expressément et à diverses fois, tu as refusé de te soumettre à notre Saint-Père le pape et au saint concile général.
  C'est pourquoi nous te déclarons de droit excommuniée et hérétique, en tant qu'obstinée et opiniâtre dans ces délits (13) excès et erreurs ; et nous prononçons qu'il convient de t'abandonner à la justice séculière, comme membre de Satan, retranché de l'Église, infecté de la lèpre d'hérésie, et nous t'y laissons : priant toutefois cette puissance qu'elle veuille bien modérer envers toi son jugement, en deça de la mort et de la mutilation des membres ; et si de vrais signes de repentir apparaissent en toi, que le sacrement de pénitence te soit administré.



                                                 


Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)

Notes :
1 William Alnwick, évêque de Norwich puis plus tard de Lincoln, avait une grande réputation de sainteté et d'orthodoxie.

2 Jean, XV, 4. Sicut palmes non potest ferre fructum semetipso nisi manserit in vite... "Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron ; tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il le nettoie, afin qu'il en porte davantage... Demeurez en moi et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter fruit, s'il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi... Si quelqu'un ne demeure pas en moi, on le jette dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse ces sarments, on les jette au feu et ils brûlent..." (P.Champion)

3 Minute du ms de d'Urfé sur cette abjuration. Elle est absente dans le ms d'Orléans.

4 L'appel au pape n'est pas obligatoirement suivi d'effet, en effet, le pape délégue sa puissance aux inquisiteurs. Néanmoins, pour une cause de cette importance, le saint-siège aurait dû être partie prenante. Cauchon s'est bien gardé de le faire intervenir.
Pourtant, il suffit de lire les archives ecclésiastiques (y compris celles de Rouen) qui recèlent de nombreuses demandes d'arbitrage du pape pour des broutilles, généralement lorsque l'argent des ces prélats corrompus est en jeu. (ndlr)

5 C'est à dire des évêques, juges ordinaire des hérétiques. (P.Champion)

6 Ajouté par Thomas de Courcelles qui a largement modifié le texte de la minute.

7 Grâce au procès de réhabilitation en 1456, nous verrons que le greffier de la cause (Manchon) est loin de rapporter les faits tels qu'ils se sont déroulés. (ndlr)

8 Plutôt la main de Laurent Calot, le secrétaire du Roi d'Angleterre (voir le procès de réhabilitation)

9 Texte identique en latin.

10 Dont il est vraiment étonnant de ne l'avoir jamais vu paraître au procès.

11 Variante dans la minute française.

12 Cette sentence se trouve dans le procès officiel après la sentence prononcée le 30 mai au Vieux-Marché. Pour une meilleure compréhension, nous l'avons replacée dans son contexte. (ndlr)

13 Car ce n'est pas l'erreur en elle-même qui caractérise l'hérésie, il faut qu'elle soit jointe à l'opiniâtreté.

Voir dans la bibliothèque les différentes études sur l'abjuration de Jeanne.


Procès de condamnation en Français (1431)
- Index

Préliminaires :
- ouverture du procès
- séance du 9 janvier

- séance du 13 janvier
- séance du 23 janvier
- séance du 13 février
- séances des 14 au 16 fév.
- séance du 19 février
- séance du 20 février

Procès d'office :
séances publiques
- 1ère séance du 21 février
- séance du 22 février
- séance du 24 février
- séance du 27 février
- séance du 1er mars
- séance du 3 mars
- réunions du 4 au 9 mars
séances dans la prison
- séance du 10 mars
- séance du 12 mars
- séance du 13 mars
- séance du 14 mars
- séance du 15 mars
- séance du 17 mars
- réunion du 18 mars
- réunion du 22 mars
- séance du 24 mars
- séance du 25 mars

Procès ordinaire :
- réunion du 26 mars
- réquisitoire du 27 mars
- suite réquisitoire 28 mars
- séance du 31 mars
- réunion du 2 avril
- réunion du 5 avril - articles
- suite - délibération
- exhor. charit. du 18 avril
- admonition du 2 mai
- menace torture du 9 mai
- délibération du 12 mai
- délibération du 19 mai
- admonestation du 23 mai
- abjuration du 24 mai

La cause de relapse :
- constat relapse du 28 mai
- délibération du 29 mai
- citation du 30 mai

Actes postérieurs




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