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Procès
de condamnation
- la cause de relaps
Constat
de relaps - 28 mai 1431 |
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tem, le lundi suivant, 28 mai, le lendemain de la Sainte-Trinité,
nous, juges susdits, nous rendimes dans la prison
de Jeanne, pour voir son état et disposition. Là furent
présents seigneurs et maîtres Nicolas de Venderès,
Guillaume Haiton, Thomas de Courcelles, frère Ysambard de
La Pierre, Jacques Le Camus, Nicole Bertin, Julien Flosquet et John
Grey.
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* *
Or, comme ladite Jeanne était vêtue d'un
habit d'homme, savoir
robe courte, chaperon, pourpoint, et autres vêtements à
l'usage des hommes (cet habit, elle l'avait cependant naguère
rejeté, sur notre ordre, et avait pris habit de femme), nous
l'avons interrogée pour savoir quand et pourquoi elle avait
repris cet habit d'homme. Cette Jeanne répondit qu'elle avait
naguère repris ledit habit d'homme et laissé l'habit
de femme.
Et quia dicta Johanna induta erat
habitu virili, videlicet tunica, capucio et gippone, cum
aliis ad usum viri pertinentibus (quem tamen habitum ex ordinatione
nostra per prius dimiserat, et muliebrem resumpserat), ipsam interrogavimus
quando et propter quam causam hujusmodi habitum virilem iterum acceperat.
Quæ quidem Johanna respondit quod super ipsum habitum virilem
acceperat et muliebrem dimiserat.
(1)
Interroguee pour quelle cause elle avoit derechef prins ledit habit
d'homme, respond qu'elle a nagaires reprins ledit abbit d'homme
et laissié l'abit de femme.
Interrogée pourquoi elle avait pris cet habit,
et qui le lui avait fait prendre, répondit qu'elle l'avait
pris de sa volonté, sans nulle contrainte et qu'elle aimait
mieux l'habit d'homme que celui de femme.
Interrogata cur ipsa ceperat hujusmodi
habitum virilem, et quis ipsam ad hoc induxerat, respondit quod
ex sua voluntate ipsum acceperat, nemine ipsam compellente, et quod
eumdem habitum prædiligebat quam muliebrem.
Interroguee pourquoy elle l'avois
prins, et quit luy avoit fait prandre, respond qu'elle l'a prins
de sa voulenté, sans nulle contrainte, et qu'elle ayme mieulx
l'abit d'homme que de femme.
Alors lui fut dit qu'elle avait promis et juré
de ne pas reprendre ledit habit d'homme. Répondit qu'onques
n'entendit qu'elle eût fait serment de ne pas le prendre.
Tunc fuit sibi dictum quod promiserat
et juraverat non recipere habitunt virilem. Ipsa veto respondit
quod nunquam intellixit quod fecerit juramentum de non recipiendo
ipsum virilem.
Item
luy fut dit qu'elle avoit promis et juré non reprandre ledit
abbit de homme, respond que oncques n'entendit qu'elle eust fait
serment de non le prandre.
Interrogée pour quelle cause elle l'avait repris,
répondit parce qu'il lui était plus licite de le reprendre
et d'avoir habit d'homme, étant entre les hommes, que habit
de femme. Item dit qu'elle l'avait repris parce qu'on ne lui avait
pas tenu ce qu'on lui avait promis, c'est assavoir qu'elle irait
à la messe et recevrait son Sauveur, et qu'on la mettrait
hors des fers.
Iterum interrogata propter quam
causam illum susceperat, respondit quod hoc fecerat quia erat sibi
magis licitum vel conveniens habere habitum virilem, dum erat inter
viros, quam habere habitum muliebrem. Item disit quod ipsa receperat,
propterea quia non sibi fuerat observatum promissum, videlicet quod
iret ad missam, reciperet corpus Christi et poneretur extra compedes
ferreas.
Interroguee
derechef pour quelle cause elle l'avoit reprins, respond que, pour
ce que il luy estoit plus licite de le reprendre et avoir habit
d'homme, estant entre les hommes, que de avoir habit de femme.
Item, dit qu'elle avoit reprins, pour ce que on ne luy
avoit point tenu ce que on luy avoit promis, c'est assavoir qu'elle
iroit a la messe et recepveroit son Sauveur et que on la mectroit
hors des fers.
Interrogée si elle n'avait auparavant abjuré,
et spécialement juré de ne pas reprendre cet habit
d'homme, répondit qu'elle aimait mieux mourir que d'être
aux fers ; mais si on veut la laisser aller à la messe et
ôter hors des fers, et la mettre en prison gracieuse, elle
sera bonne et fera ce que l'Église voudra.
Interrogata utrum fecerat prius
abjurationem, et specialiter de non recipiendo habitum virilem,
respondit quod prædiligit mori quam esse in compedibus ferreis
; sed si permittatur quod vadat ad missam et ponatur extra compedes
ferreas, deturque sibi carcer gratiosus, ipsa erit bona et faciet
illud quod Ecclesia voluerit.
Interroguee s'elle avoit abiuré
et mesmement de celuy habit non reprandre, respond qu'elle ayme
mieulx a mourir que de estre es fers ; mais se on la veult laisser
aler a la messe et oster hors des fers, et meictre en prison gracieuse,
et qu'elle eust une femme, elle sera bonne et fera ce que l'Église
vouldra.
Item, comme certains nous avaient rapporté, à
nous les juges, qu'elle n'était point encore détachée
des illusions de ses prétendues révélations,
auxquelles elle avait précédemment renoncée,
nous l'interrogeâmes si, depuis jeudi, elle n'avait pas ouï
les voix des saintes Catherine et Marguerite, répondit que
oui.
Item, quia ab aliquibus nos, judices, audieramus quod
illusionibus suarum revelationum prætensarum, quibus antea
renuntiaverat, adhuc inhærebat, ipsam interrogavimus an, depost
diem jovis, ipsa audiverat voces sanctarum Katharinæ et Margaretæ,
respondit quod sic.
Interroguee
se, depuis jeudi, elle a point ouy ses uoix, respond que ouy.
Interrogée sur ce qu'elles lui ont dit, répondit
qu'elles lui ont dit que Dieu lui a mandé par saintes Catherine
et Marguerite la grande pitié de la grande trahison qu'elle
a consentie en faisant abjuration et révocation pour sauver
sa vie ; et qu'elle se damnait pour sauver sa vie.
Interrogata quid sibi dixerunt,
respondit quod Deus mandavit sibi, per sanctas Katharinam et Margaretam,
magnum pietatem illius grandis proditionis in quam ipsa Johanna
consenserat, faciendo abjurationem et revocationem pro salvando
vitam suam ; et quod ipsa se damnaverat pro salvando vitam suam.
(2)
Interroguee qu'elles luy ont dit, respond qu'elles luy ont dit que
Dieu luy a mandé, par sainctes Katherine et Marguerite, la
grande pitié de la trayson que elle consenty en faisant l'abiuracion
et revocacion pour sauver sa vie ; et que elle se dampnoit pour
sauver sa vie.
Item dit qu'avant jeudi, ses voix lui avaient dit ce
qu'elle ferait, et ce qu'elle fit ce jour-là. Dit en outre
que ses voix lui dirent, tandis qu'elle était sur l'échafaud
ou ambon, devant le peuple, qu'elle répondit hardiment à
ce prêcheur qui lors la prêchait. Et disait cette Jeanne
qu'il était faux prêcheur, et qu'il avait dit choses
qu'elle n'avait point faites.
Item dixit quod, ante diem jovis,
voces suæ sibi dixerunt illud quod ipsa illo die faceret,
et quod protunc ipsa fecit. Dicit ultra quod voces suæ sibi
dixerunt, quando erat in scafaldo seu ambone, coram populo, quod
audacter responderet illi prædicatori qui tunc praedicabat. Dicebatque
eadem Johanna quod ille erat falsus prædicator, et quod plura
dixerat eam fecisse quaæ ipsa non fecerat.
Item,
dit que, au devant de jeudi, que ses voix lui avoient dit ce que
elle feroit, et qu'elle fist ce jour. Dit oultre que ses voix luy
distrent en l'ercharfault que elle respondit ad ce prescheur hardiement,
et lequel prescheur elle appelloit faulx prescheur, et qu'il avoit
dit plusieurs choses qu'elle n'avoit pas faictes.
Item, dit que si elle disait que Dieu ne l'avait pas
envoyée, elle se damnerait, et
qu'en vérité Dieu l'a envoyée.
Item, dit que ses voix lui ont dit depuis jeudi qu'elle
avait fait grande injure de confesser qu'elle n'avait pas bien fait
qu'elle a fait.
Item, dit que tout ce qu'elle a dit et révoqué
ce jeudi, elle le fit et dit seulement par peur du feu.
Item dixit quod, si diceret quod Deus
non misisset eam, ipsa damnaret se, et quod veraciter Deus ipsam
misit.
Item dixit quod voces suæ dixerunt sibi,
depost diem jovis, quod ipsa fecerat magnum injuriam, confitendo
se non bene fecisse illud quod fecerat. Item, dixit
quod quæcumque dixit et revocavit, ipsa die jovis, hoc solum
fecit et dixit præ timore ignis.
Item,
dist que, se elle diroit que Dieu ne l'avoit envoyee, elle se dampneroit
; que vray est que Dieu l'a envoyee.
Item, dist que ses voiz luy ont dit depuis que avoit
fait grande mauvestié de ce qu'elle avoit fait, de confesser
qu'elle n'eust bien fait.
Item, dit que , de paour du feu, elle a dit ce qu'elle
a dit.
Interrogée si elle croit que ses voix qui lui
apparaissaient soient saintes Catherine et Marguerite , répondit
que oui, et qu'elles viennent de Dieu.
Interrogata
utrum credit quod voces illæ sibi apparentes sint sanctæ
Katharina et Margareta, respondit quod sic, et quod sunt a Deo.
Interroguee
s'elle croist que ses voix soient saincte Marguerite et saincte
Katherine, respond que ouy, et de Dieu.
Interrogée de dire la vérité sur
la couronne question plus haut, répondit :
- Du tout, je
vous en ai dit la vérité au procès, le mieux
que j'ai su.
Et quand on lui eut dit que sur l'échafaud ou
ambon, devant nous, les juges, et tous autres, et devant le peuple,
quand elle fit son abjuration, elle avait dit qu'elle s'était
vantée mensongèrement que ses voix étaient
saintes Catherine et Marguerite, répondit qu'elle ne l'entendait
point ainsi faire ou dire.
Interrogata
quod diceret veritatem de illa corona, de qua superius fit mentio,
respondit :
- Ego de omnibus dixi vobis inde veritatem in processu, quantum
melius ego scivi.
Tunc fuit ei dictum quod ipsa dixerat in scafaldo seu
ambone, coram nobis, judicibus, et aliis, et coram populo, quando
fecit abjurationem, quod mendose ipsa se jactaverat quod illæ
voces erant sanctæ Katharina et Margareta. Respondit quod
ipsa non intelligebat sic facere vel dicere.
Interroguee
de la couronne, respond :
- De tout je vous en ay dit la verité eu procés,
le mieulx que j'ay sceu.
Et
quant ad ce qui luy fut dit que en l'escharfault avoit dit
mansongneusement elle s'estoit vantee que c'estoient sainctes Katherine
et Marguerite, respond qu'elle ne l'entendoit point ainsi faire
ou dire.
Item dit qu'elle n'a point dit ou entendu révoquer
ses apparitions, c'est assavoir que ce fussent saintes Catherine
et Marguerite ; et tout ce qu'elle a fait, c'est par peur du feu,
et n'a rien révoqué que ce ne soit contre la vérité.
Item
dixit quod ipsa non dixit vel intellexit quod revocaret suas apparitiones,
videlicet quod essent sanctæ Katharina et Marguarita ; et
totum hoc quod fecit, ipsa fecit præ timore ignis, et nihil
revocavit quin hoc sit contra veritatem.
Item,
dit qu'elle n'a point dit ou entendu revoquer ses apparicions, c'est
assavoir que ce fussent sainctes marguerite et Katherine ; et tout
ce qu'elle a fait, c'est de paour du feu, et n'a rien revoqué
que ce ne soit contre la verité.
Item dit qu'elle aime mieux faire sa pénitence
en une fois, c'est assavoir mourir, que d'endurer plus longuement
peine en prison.
Item, dixit quod ipsa prædiligit facere pænitentiam
suam una vice, videlicet moriendo, quam longius sustinere pœnam
in carcere.
Item,
dit qu'elle ayme mieux faire sa penitence a une fois, c'est assavoir
a mourir, que endurer plus longuement paine en chartre.
Item dit qu'onques ne fit rien contre Dieu ou la foi,
quelque chose qu'on lui ait fait révoquer ; et que ce qui
était contenu en la cédule de l'abjuration, elle ne
le comprenait point.
Item dixit quod nunquam fecit aliquid contra Deum aut
fidem, quidquid jussum sibi fuerit revocare, et quod illud quod
continebatur in schedula abjurationis, ipsa non intelligebat.
Item, dit qu'elle ne fist oncques
chose contre Dieu ou la foy, quelque chose que on luy ait fait revoquer
; et que ce qui estoit en la cedule de l'abiuracion, elle ne l'entendoit
point.
Item dit qu'elle n'entendait point révoquer chose,
si ce n'était pourvu que cela plût à notre Sire.
Item dixit quod ipsa non intendebat aliquid revocare,
nisi proviso quod hoc placeret Deo.
Item, dit qu'elle dist en l'eure (3)
qu'elle n'en entendoit point revoquer quelque
chose, se ce n'estoit pourveu qu'il pleust a nostre Sire.
Item dit que si les juges le veulent, elle reprendra
l'habit de femme ; pour le reste, elle n'en fera autre chose.
Item dixit quod, si judices velint, ipsa recipiet habitum
muliebrem ; et de residuo nihil aliud faciet.
Item, dit que, se les juges veullent, elle
reprandra habit de femme. Du residu elle n'en fera autre chose.
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* *
Après avoir ouï ces déclarations,
nous la quittâmes pour procéder plus avant, ainsi que
de droit et de raison.
Sources
: "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Illustration :
- Fac-similé du manuscrit Ms5966 de la bibliothèque
nle.
- Maison de Nicolas Loiseleur à Rouen ("Au pays de
Jeanne d'Arc" J. de Metz - 1910)
Notes :
1 C'est la minute du manuscrit d'Urfé qui est reprios
pour cette séance.
2 Sur cette réponse, le notaire Manchon mettra le fameux
"responsio mortifera" en marge du procès latin.
3 "En l'eure" c'est à dire au moment de l'abjuration,
oubli grave de De Courcelles.
Nota : "en l'eure" ne figure pas dans la minute du ms
d'Orléans.
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