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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Réunion
- 5 avril 1431 (suite) |
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S'ensuivent
les délibérations données au sujet des assertions
susdites, et que nous reçûmes à divers jours
qui suivirent
Et d'abord seize docteurs et six licenciés ou bacheliers
en théologie délibérèrent comme il est
rapporté dans le présent procès-verbal fait
sur ce, dont la teneur s'en suit :
"Au nom du Seigneur, amen. Par ce présent
acte public, qu'il apparait évident à tous et soit
notoire que, l'an du Seigneur 1431, indication 9, le jeudi 12 avril,
la 14° année du pontificat de notre très saint
Père en Christ et Seigneur, monseigneur Martin, par la divine
providence V° du nom, qu'en présence de nous, notaires
publics et témoins souscrits, furent personnellement constitués
révérends pères et seigneurs, vénérables
et discrètes personnes, seigneurs et maîtres : Erard
Emengart, président ; Jean Beaupère, Guillaume Le
Boucher, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Miget, prieur
de Longueville ; Maurice du Quesnay, Jean de Nibat, Pierre Houdenc,
Jean Lefèvre, Pierre Maurice, le seigneur abbé de
Mortemer (1), Gérard Feuillet, Richard
Prat, et Jean Charpentier, professeurs en théologie sacrée
; Guillaume Haiton, bachelier en théologie ; Raoul Le Sauvage,
licencié en théologie ; et aussi Nicolas Couppequesne,
Ysambard de La Pierre, et Thomas de Courcelles, également
bacheliers en théologie ; et Nicolas Loiseleur, maître
ès-arts.
Ils nous dirent que révérend père
en Christ, monseigneur l'évêque de Beauvais et frère
Jean Le Maistre, vicaire de l'insigne docteur, maître Jean
Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique
au royaume de France, juges en certaine cause de foi introduite
devant eux, avaient requis lesdits docteurs et maîtres, et
chacun d'eux, au moyen de certaine cédule dont la teneur
commence ainsi : "Nous, Pierre, etc..." Suivent les articles
etc... Certaine femme etc..." Quand les susnommés docteurs
et maîtres eurent reçu, comme il convenait, ladite
cédule de réquisition, et son contenu, par grande
et mûre délibération, à plusieurs reprises,
ils l'examinèrent diligemment.
Attendu, dirent-ils, que tout docteur en théologie
sacrée est tenu, par les sanctions juridiques, de prêter
son conseil salutaire en matière de foi, chaque fois qu'il
en sera requis en faveur de la foi par les prélats de l'église
et les inquisiteurs de la perversité hérétique
; voulant donc, suivant le devoir de leur profession, autant qu'ils
le pouvaient et devaient, envers Dieu, obéir aux seigneurs
juges et à leur requête, ils ont protesté d'abord,
qu'étant requis plusieurs fois et instamment, par écrit
et de vive voix, par les seigneurs juges susdits, en faveur de la
foi, comme on l'a rapporté, pour satisfaire à cette
requête, ils entendent dire doctrinalement en cette matière
ce qui leur paraîtra conforme à la sainte Écriture
aux doctrines des saints, aux sanctions ecclésiastiques,
ayant uniquement devant les yeux, Dieu et la vérité
de la foi. Ils ont protesté en outre que tout ce qu'ils pourront
dire et délibérer, tant en cette matière qu'en
certaines autres, ils le soumettent à l'examen, à
la correction, à toute détermination de la sacro-sainte
Église romaine et de tous ceux à qui appartiennent
examen, correction, détermination, ou à qui il pourra
et devra appartenir dans l'avenir ; avec toutes les autres réserves
accoutumées en semblable matière, et par les meilleurs
forme et moyen dont on a coutume d'user en de telles protestations.
Sous lesdites réserves, les docteurs et maîtres délibérèrent
en la forme qui suit : "Nous disons, ayant diligemment considéré,
conféré tour à tour et pesé la qualité
de la personne, ses dits, ses faits, le mode de ses apparitions
et révélations, la fin, la cause, les circonstances,
et tout ce qui est contenu dans les articles susdits et dans son
procès, qu'il y a lieu de penser que lesdites apparitions
et révélations qu'elle se vante et affirme avoir eues
de Dieu, par le moyen de ses anges et de ses saintes, ne vinrent
pas de Dieu, par ses anges et ses saintes : ce sont bien plutôt
des fictions d'invention humaine ou procédant de l'esprit
du Malin. Elle n'a pas eu signes suffisants pour y croire et les
reconnaître ; dans lesdits articles, il y a des mensonges
forgés, de certaines invraisemblances, des croyances légèrement
acceptées par elle ; superstitions et aussi divinations ;
faits scandaleux et irréligieux ; certains dires téméraires,
présomptueux,
pleins de jactance ; des blasphèmes envers Dieu et les saintes,
[saint Michel et saint Gabriel] ; irrespect envers les parents ;
non conformité au commandement d'amour envers notre prochain
; idolâtrie, ou du moins fiction mensongère ; schisme
envers l'unité, autorité et puissance de l'Église
; choses mal sonnantes et véhémentement suspectes
d'hérésie.
En proclamant que ces apparitions furent saint Michel, sainte
Catherine et Marguerite, et que leurs dits et faits sont bons, aussi
fermement qu'elle croit la foi chrétienne, on doit la tenir
pour suspecte d'errer en la foi car si elle entend que les articles
de la foi ne sont pas plus assurés que ses croyances à
elle, ses apparitions qu'elle nomme saint Michel, sainte Catherine
et Marguerite, et que leurs dits et faits sont bons, elle erre en
la foi. Dire aussi, comme il est contenu dans l'article V, et aussi
dans l'article I, qu'en ne recevant pas le sacrement d'eucharistie,
au temps ordonné par l'Église, elle a bien fait, et
que tout ce qu'elle a fait fut du commandement de Dieu, c'est blasphème
envers Dieu, erreur en la foi.
De tout ce qui précède, lesdits docteurs
et maîtres nous demandèrent, à nous notaires
publics, acte authentique, et voulurent qu'il soit transmis par
nous auxdits seigneurs juges. Ceci fut fait dans la chapelle du
manoir archiépiscopal de Rouen (2),
l'an, indiction, mois, jour et pontificat susdits, en présence
de discrète personne maître Jean de La Haye et Jean
Barenton, prêtres bénéficiers de l'église
de Rouen, témoins à ce appelés et requis."
Ainsi signé :
"Et moi, Guillaume Manchon, prêtre du
diocèse de Rouen, notaire public et juré par autorité
impériale et apostolique de la cour archiépiscopale
de Rouen, j'ai assisté à tout ce qui a été
dit, fait, comme il est rapporté, ainsi qu'un autre notaire
et les témoins suscrits, et l'ai vu et oui faire. C'est pourquoi,
à ce présent acte public, fidèlement écrit
de ma main, j'ai mis et apposé ma signature habituelle avec
mon seing et souscription de notaire public, en signe de foi et
témoignage, cela à la requête des susnommés."
G. MANCHON
"Et moi, Guillaume Colles, dit Boisguillaume,
prêtre du diocèse de Rouen, maire public par autorité
aspostolique et de la cour archiépiscopale de Rouen, notaire
juré en cette cause, j'ai assisté à tout ce
qui a été dit et fait, avec les témoins et
le notaire susnommés, et l'ai vu et ouï faire. C'est
pourquoi ce présent acte public, fidèlement rédigé,
mais écrit d'une main autre que la mienne, je l'ai signé
de mon seing et de mon nom habituels, requis et juré, en
foi et témoignage de la vérité de tout ce qui
précède."
COLLES
Maître Denis GASTINEL, licencié en l'un et l'autre
droit, donna son opinion sous cette forme :
"Avec les protestations accoutumées en matière
de foi, en me soumettant aux corrections de messeigneurs les juges,
et de tous les autres docteurs en théologie sacrée,
des savants en droit canonique et civil, à qui il convient
de pénétrer au cceur de cette matière, il me
semble à dire que la cause est en soi infectée, la
personne suspecte dans sa foi, véhémentement erronée,
schismatique, hérétique ; et tout cela est contre
le dogme, les bonnes mœurs, les décisions de l'Église,
les conciles généraux, les saints canons, les lois
civiles, humaines ou politiques ; cette femme est scandaleuse, séditieuse,
injurieuse envers Dieu, l'Église et tous les fidèles.
Elle se prend pour une autorité, un docteur, un maître,
alors qu'elle est suspecte en la foi, véhémentement
dans l'erreur schismatique et hérétique, si elle persiste
à défendre la question soumise à l'autorité,
et dont elle fait plainte ; elle est séditieuse et perturbatrice
de paix. Celui qui poursuit une telle entreprise, professe une doctrine
tellement perverse et fausse, si, aussitôt qu'on lui aura
montré les erreurs et perversités d'une telle doctrine,
il ne revient pas spontanément à l'unité de
la foi catholique, ne consent pas à abjurer publiquement
une doctrine si erronée et la souillure obstinément
hérétique, ne montre pas une réparation congrue,
celui-là est à abandonner au jugement du juge séculier,
pour subir la punition due à son forfait. S'il veut bien
abjurer, qu'on lui laisse le bénéfice de l'absolution,
qu'on lui inflige ce qu'il est coutume d'infliger en tels cas :
en prison, pour mener pénitence, qu'on l'enclose, au pain
de douleur et à l'eau d'angoisse ; et qu'il pleure ses péchés,
et n'en commette plus sur lesquels il ait à pleurer !"
Signé : D.GASTINEL.
Maître Jean BASSET, licencié en droit canon,
official de Rouen, donna son avis en la manière qui suit
:
"Je n'ai que peu, ou presque rien à dire,
révérends pères et maîtres, messeigneurs
les juges en cette partie, dans une matière si grande pour
la foi, si ardue, si difficile, surtout en ce qui concerne les révélations
dont il est fait mention dans les articles que vos Hautesses m'ont
transmis. Cependant, avec les réserves accoutumées
en de telles matières, et sous la bénigne correction
de ceux qui y sont intéressés, il me semble à
dire articles, ce qui suit :
Et premièrement, au sujet des révélations
elles-mêmes, je dit qu'il se peut que les affirmations de
cette femme sur ces articles soient possibles en Dieu ; toutefois,
puisque cette femme ne les a pas confirmées en faisant des
miracles ou par le témoignage de l'Écriture sainte,
qu'il n'apparait pas d'évidence, on ne doit, sur ses révélations,
accorder aucune croyance aux dits et aux affirmations de cette femme.
Item, quant à son abandon de l'habit féminin,
si toutefois elle n'en a pas commandement de Dieu, ce qui n'est
pas croyable, elle a agi contre l'honneur, la décence du
sexe féminin, contre les bonnes mœurs.
Item par le cas ci-dessus rapporté qu'elle n'a
voulu recevoir la communion, au moins une fois l'an, elle vint expressément
contre la décision et le commandement de l'Église.
Item, en ce qu'elle ne voulut point se soumettre au
jugement de l'Église militante, il semble qu'elle enfreigne
l'article de la foi : Unam sanctam Ecclesiam catholicam.
Toutefois, j'entends tout ce qui précède
à la réserve que ses révélations ne
lui viennent pas de Dieu ; ce que je ne crois pas. Mais sur cela,
et sur d'autres de ses propositions, pour les qualifier et les nommer
chrétiennement, je m'en rapporte au jugement de messeigneurs
les théologiens et d'autres à qui appartient plus
la science de les déterminer. Quant au mode et à la
forme du procès de cette femme, s'il m'est manifesté
et expliqué suivant le chapitre dernier de hæreticis,
au livre V° [des Décrétales], en dépit
de l'incapacité de mon intellect, moi, bien qu'indigne et
ignare en droit, je m'offre d'y travailler de tout mon pouvoir.
Votre Jean Basset, indigne licencié en décret,
official de Rouen pendant la vacance du siège archiépiscopal."
Ainsi signé : Jean BASSET.
Père en Christ, Monseigneur Gilles, abbé de
la Sainte-Trinité de Fécamp, donna son opinion conformément
à celle desdits seigneurs et maîtres, comme on
la trouve mot à mot dans la cédule signée de
sa main dont la teneur suit :
"Révérend père et maitre très
insigne, très humble recommandation et promptitude de votre
serviteur à votre révérendissime paternité
! J'ai reçu hier, sur la dixième heure, vos lettres
contenant sententieusement comment votre révérende
paternité et le vicaire de l'inquisition aviez requis les
docteurs en théologie sacrée, se trouvant naguère
à Rouen, de vouloir bien délibérer doctrinalement
sur certains articles touchant matière de foi : ce qui fut
fait. Votre révérendissime paternité désire
en outre recueillir mon opinion sur ces articles. Mais, bien révérend
père et maître très insigne, alors que de tels
hommes, et en si grand nombre, sont peut-être introuvables
dans le monde entier, que peut concevoir mon ignorance, que peut
enfanter mon langage sans érudition ? Autant dire rien. Je
me range donc à leur avis, en tout et pour tout, et, en conformité
avec eux, j'adhère à leurs délibérations,
en ajoutant mes protestations et soumissions préalables et
accoutumées ; et j'y oppose mon seing manuel particulier,
en témoignage de tout cela. Révérendissime
père et maître très insigne, si quelque chose
vous fait plaisir, ordonnez-le ; car, pour exécuter vos volontés,
mon pouvoir pourra faire défaut mais jamais mon bon vouloir.
Que le Très-Haut daigne conserver votre révérendissime
paternité, et qu'il vous procure les heureux moments de la
prospérité et du succès ! Ecrit à Fécamp,
le 21 avril. De votre révérendissime paternité,
abbé de Fécamp."
Ainsi signé : G. de Fécamp
Maître Jacques GUESDON, frère mineur , docteur
en théologie sacrée, donna son opinion conformément
à celle desdits seigneurs et maîtres, suivant une cédule,
signée de sa main, dont la teneur suit :
"Ce mercredi, 13 avril, comparut devant monseigneur
de Beauvais vénérable père, maître Jacques
Guesdon, maître en théologie, du couvent des cordeliers
à Rouen. Il affirma qu'il avait assisté, avec messeigneurs
les théologiens et les maîtres de cette ville, dans
la chapelle de l'archevêché de Rouen, à la réunion
et aux délibérations qui avaient eu lieu dans ladite
chapelle sur le fait de Jeanne, dite vulgairement La Pucelle. Chacun
ayant donné son avis séparément, ainsi le fit
maitre Jacques, et tous en vinrent à une seule et même
opinion ; ledit maitre Jacques demeure toujours avec eux, ajoute
son opinion à la leur. Mais, comme il doit traiter ailleurs
une affaire, il demande congé à monseigneur de s'en
aller et de se retirer. Toutefois, il est toujours prêt à
besogner au procès, par obéissance, comme il est tenu
de le faire, et, quand il sera de retour, à prendre part
audit procès."
Ainsi signé : c'est exact GUESDON
Maître Jean MAUGIER, chanoine de Rouen, licencié
en droit canon, donna une opinion conforme à celle desdits
seigneurs et maîtres, comme on le trouve dans la cédule,
signée de sa main, dont la teneur suit :
"Révérend père, et vous monseigneur
le vicaire du seigneur inquisiteur, daignez, s'il vous plait, savoir
que j'ai reçu votre cédule avec toute l'humilité
et l'obéissance qui convient. J'ai vu son contenu et votre
requête ; que dis-je, les qualifications et opinions de mes
révérends seigneurs et maîtres, les notables
professeurs en théologie sacrée réunis en si
grand nombre dans une pensée et un jugement unanimes, et
je vais répondre à votre requête. Certes, leur
détermination et opinion me semblent bonnes, justes, saintes
et devoir être embrassées ; il me semble qu'elles marchent
et s'accordent avec les saints canons et les sanctions canoniques.
C'est pourquoi, suivant l'opinion de mesdits seigneurs et maîtres,
je me range à leur avis ; et me tiens pour elle en tout et
pour tout. Cela sous les protestations faites par mesdits seigneurs
et maîtres quand ils rendirent leur sentence, et sous celles
qui sont d'usage en en pareille matière."
Toujours prêt à faire votre bon plaisir : JEAN MAUGIER.
Maître Jean BRUILLOT, licencié en droit canon,
chantre et chanoine de la cathédrale de Rouen, donna son
opinion, conforme à celle desdits seigneurs et maîtres,
ainsi qu'on la trouve dans la cédule écrite de sa
main et signée de son seing manuel, dont la teneur est telle
:
"Vu les confessions
et assertions, et plusieurs autres choses que vous m'avez baillées
en écrit, révérend père et religieuse
personne, monseigneur le vicaire du seigneur inquisiteur, délégué
au royaume de France par le siège apostolique ; après
en avoir référé à plusieurs personnes
expertes et instruites tant en droit divin que civil ; ayant tourné
et retourné les feuillets des livres et médité
sur les actes de la femme dont il est question ; considéré
aussi les motifs qui peuvent me porter vers l'opinion de mes seigneurs
et maîtres, ces hommes instruits en droit divin et si expérimentés
en de telles matières qui en si grand nombre, sont absolument
unanimes, je m'en rapporte et opine suivant leur détermination
qui me semble conforme aux saints canons ; et je suis avec eux dans
leur sentiment, sous les protestations qu'il est de coutume de faire
en de tels cas."
Ainsi signé : J. BRUILLOT, chantre et chanoine de la cathédrale
de Rouen.
Nicolas de VENDERÈS, licencié en droit canon,
archidiacre d'Eu, opina conformément à l'avis
desdits seigneurs et maîtres, ainsi qu'on le voit dans
la cédule signée de sa main, dont la teneur est telle
:
"Sous les protestations accoutumées à
être formulées dans de tels actes, et faites par mes
seigneurs et mes maîtres, les insignes professeurs en en théologie
sacrée, quand ils donnèrent leur avis, j'ai vu leurs
opinions que vous m'avez adressées, vous, mon révérend
père, et le seigneur vicaire de monseigneur l'inquisiteur,
leurs appréciations sur lesdites assertions et confessions.
Pour répondre à votre requête, suivant les facultés
que Dieu m'a accordées, le moins mal que je puis, je dis
et tiens que mes seigneurs et maîtres, bien, pieusement, doucement,
donnèrent leur opinion, procédèrent et agirent.
Et, en feuilletant mes livres, j'ai trouvé que leur opinion
était bonne, juridique, raisonnable ; et, que dis-je, non
seulement ne différant pas des sanctions canoniques, mais
bien plutôt en conformité avec elles. Par conséquent,
à mon avis, je dois embrasser leur opinion, suivre mes seigneurs
et mes maîtres ; et j'adhère à leur sentiment,
en tout et pour tout."
Ainsi signé : Votre serviteur et chapelain, Nicolas DE VENDERÈS.
Maître Gilles DESCHAMPS, licencié en droit civil,
chancelier et chanoine de la cathédrale de Rouen, opina conformément
aux avis desdits maîtres et seigneurs par une cédule,
signée de sa main, dont la teneur est telle :
"Révérend père en Christ,
et vous, seigneur vicaire du révérend seigneur, monseigneur
l'inquisiteur de la perversité hérétique, vous
m'avez envoyé, sur le fait d'une femme, certaines assertions
extraites par vos hautesses. Avec les soumissions et protestations
accoutumées en matière de foi, en n'affirmant rien
de téméraire, en entendant ne déroger en rien
à la Divine Puissance, tout réfléchi et pesé
; attendu et considéré la charitable admonestation,
les multiples sommations et le choix donné à Jeanne,
hier même, en présence de la vénérable
assemblée des prélats et des docteurs en l'un et l'autre
droit, par vos révérendissimes paternités et
monseigneur l'archidiacre d'Évreux (4),
député par vous, afin qu'elle soumît ses faits
et dits contenus dans ces articles et dans son procès à
la détermination et au jugement de l'Église universelle,
du souverain pontife ou de quatre notables personnes de son obédience
ou de l'Église de Poitiers (lesquelles sommations et exhortations
lui ont été faites justement et raisonnablement, à
mon sens ; et, par tous les moyens, lesdites charitables admonitions
et exhortations, commencées par vous louablement, à
l'honneur de Dieu, doivent être continuées, à
ce qu'il me semble, pour son salut) ; mais attendu tout ce qui précède,
les réponses qu'elles a données, et surtout qu'elle
n'a voulu aucunement optempérer à ces exhortations
et au choix qui lui a été accordé, à
moins qu'autre chose ne m'apparaisse et constate la correction et
l'amendement de ses dits, ou autre plus saine interprétation,
il me semble que lesdits articles sont suspects en la foi, contraires
aux bonnes mœurs et aux sanctions canoniques. Pour qualifier
plus savamment et plus lumineusement ces articles, il me semble
aussi que les jugements des docteurs en l'un et l'autre droit, savoir
en théologie et décret, sont fort à considérer."
Donné l'an du Seigneur1431, le 3 mai, sous mon seing manuel
ci apposé. Ainsi signé : G. DESCHAMPS.
Maître Nicolas CAVAL, licencié en droit civil,
chanoine de la cathédrale de Rouen, opina en conformité
avec lesdits seigneurs et maîtres, par une cédule signée
de sa main, dont la teneur est :
"Vu par moi les assertions que vous m'avez envoyées,
sous les seings des notaires publics, révérend père
en Christ et seigneur, monseigneur l'évêque de Beauvais,
et vous seigneur vicaire de monseigneur l'inquisiteur ; vu et ouï
l'opinion unanime de plusieurs notables maitres en théologie
sacrée, en grand nombre, et qui a été donnée
à votre révérende paternité ; attendu
que leur opinion, à mon jugement, est en accord avec les
sanctions canoniques, j'adhère à leur dite opinion
: toutefois sous vos corrections et les protestations accoutumées
en telle matière."
Votre humble Nicolas CAVAL, chanoine de l'église de Rouen.
Robert LE BARBIER, licencié en droit canon, chanoine
de l'Église de Rouen, opina conformément aux avis
desdits seigneurs et maîtres par une cédule dont la
teneur est telle :
"Les assertions de cette femme qui m'ont été
baillées de la part de votre paternité, mon très
redouté seigneur, monseigneur l'évêque, et de
celle de votre grandeur, monseigneur le vicaire inquisiteur, je
les ai vues, ainsi que les opinions données en cette matière
par quelques seigneurs et maîtres, professeurs en théologie
sacrée. Après en avoir délibéré
avec certains d'entre eux, et d'autres personnes savantes en droit
canonique, je m'en rapporte et opine pour l'instant suivant l'opinion
que lesdits maîtres en théologie vous ont adressée
; sauf les protestations accoutumées en matière de
foi. Mais, à mon petit sens, et à la réserve
d'un meilleur jugement d'autrui, lesdites assertions sont à
envoyer, pour le bien de la matière et la justification du
procès, à notre sainte mère l'Université
de Paris, et principalement à la Faculté de Théologie
et de Décret : il faut avoir leurs opinions avant de rendre
le jugement sur l'affaire."
Ainsi signé : LE BARBIER.
Maître Jean ALESPEE, licencié en droit civil,
chanoine de l'Église de Rouen, donna un avis conforme à
celui des dits seigneurs et maîtres, ainsi qu'on le trouve
en la cédule signée de son seing manuel et écrite
de sa main, comme elle suit :
"A révérend père en Christ,
mon très redouté seigneur, monseigneur l'évêque
de Beauvais, juge ordinaire dans ce procès ; et à
vous aussi, vénérable père, maître Jean
Le Maistre, vicaire du seigneur inquisiteur, révérence,
honneur
et promptitude à vous servir. Bien que je n'en sois pas digne,
ni même suffisant entre les moindres, vous m'avez mandé
et ensuite requis sous les peines de droit, avant le jeudi qui suivra
(ce délai fixé une fois pour toutes à dater
du 16 avril l'an du Seigneur 1431), de vous donner ma délibération
en écrit, savoir si les assertions contenues dans les articles
baillés avec votre premier mandement, ou certaines d'entre
elles, sont contraires à la foi orthodoxe ou suspectes, contraires
à l'Écriture sainte, contraires à la sacro-sainte
Église romaine, contraires au jugement des doctes approuvés
par l'Église, aux sanctions canoniques, scandaleuses, téméraires,
injurieuses, recélant des crimes, offensantes pour les bonnes
mœurs en quelque façon ; et ce qu'il en convient de
dire au jugement de la foi. Moi, Jean Alespée, fils de l'obédience,
bien que la possibilité de mon entendement n'en sache pas
tant, cependant, pour ne point paraitre désobéissant
(ce qu'à Dieu ne plaise), sous les protestations faites et
qui vous ont été baillées en écrit par
les révérends pères et mes seigneurs et maîtres
les seigneurs théologiens, qui mieux que moi ont digéré
la matière, je tiens et crois que les assertions et propositions
envoyées et baillées par eux, ont été
bien, dûment, justement et saintement, à ce qu'il me
semble, bien jugées d'après les sanctions canoniques.
C'est pourquoi je dois m'en rapporter à leur délibération
et à leur opinion ; je m'y rapporte et veux y adhérer.
Si toutefois vous avez en délibération avec notre
mère l'Université de Paris, la Faculté de Théologie
ou de Décret, ou l'une d'elles, ou qu'il vous arrive d'en
avoir une, je n'entends nullement penser isolémentet me séparer
de leur délibération ; mais, bien plutôt, je
me soumets d'avance à leur jugement, à celui de la
sainte Église romaine et du saint concile général."
Ainsi signé J. ALESPEE.
Maître Jean de CHÂTILLON, archidiacre et chanoine
d'Évreux, docteur en théologie sacrée , opina
conformément aux dits maîtres et seigneurs dans une
cédule, signée de sa main, dont la teneur suit :
"Sous les protestations accoutumées en pareilles
matières, je dis que je suis d'accord et en conformité
avec lesdits professeurs en théologie sacrée, ne différant
en rien de leur opinion sur la qualité de la personne, ses
faits et dits... etc (5). Cela, je le
dis sous la correction de ceux à qui il appartient de ramener
les égarés au chemin de la vérité, avec
les protestations et soumissions susdites, sous mon seing, et de
ma propre main, en témoignage des choses ci-dessus transcrites,
suivant la forme de la requête."
Ainsi signé : Jean DE CHATILLON.
Maître Jean DE BOUESGUE (6),
docteur en théologie aumônier de Fécamp, opina
sous cette forme :
"Moi, Jean de Bouesgue, docteur en théologie
de l'Université de Paris, depuis vingt-cinq ans aumônier
de la vénérable abbaye de Fécamp, attendu ce
qu'on a écrit sur ladite femme, contre ses dits et faits
; la qualité de la personne, les manières d'apparitions
et de révélations, etc...(5),
pense qu'elle est schismatique de l'unité, autorité
et puissance de l'Église ; entachée d'hérésie,
attendu son obstination, attendu ce qu'elle a dit de saint Michel,
des saintes Catherine et Marguerite, du sacrement de communion,
etc... et qu'elle a tout fait du commandement de Dieu, etc... C'est
pourquoi il faut la punir et que justice soit faite d'elle, pour
l'honneur de Dieu et l'exaltation de la foi."
Ainsi signé : J. DE BOUESGUE.
Maître Jean GARIN, docteur en décret, chanoine
de l'Église de Rouen, opina conformément aux seigneurs
et maîtres nommés ci-dessus dans un acte public,
ainsi qu'on le trouve dans la cédule signée de sa
main :
"Révérend père et seigneur,
par la miséricorde divine évêque de Beauvais,
et vous, frère Jean Le Maistre, vicaire de l'inquisiteur,
etc... Sachez que j'ai reçu avec révérence
et honneur les propositions, insérées dans certain
codicille, que vous m'avez transmises ; je les ai vues, ainsi que
leur contenu, et les avis des docteurs des saints canons à
leur sujet ; et je les ai étudiées suivant mon petit
intellect. Ensuite, avec des docteurs tant en droit divin que civil
et plusieurs autres, aussi savants en droit, réunis en assemblée,
après avoir ouï les appréciations de nos révérends
maîtres, les insignes professeurs en théologie, sur
lesdites propositions et assertions, réunis dans ce dessein
en grand nombre, après avoir conféré les unes
avec les autres, suivant la méthode juridique, je les ai
comparées. Ces appréciations, à mon petit jugement,
sont conformes au jugement de la sacro-sainte Église romaine,
à celui des docteurs approuvés par l'Église
ou par les sanctions canoniques ou autrement, et suivant la doctrine
des saints canons ; bien plus, elles sont entièrement d'accord
avec les saints canons. C'est pourquoi, avec les protestations de
nos révérends maîtres faites à ce sujet,
et aussi celles des docteurs en décret, dont je suis le moindre,
que l'on a coutume de formuler dans une telle matière et
tant d'importance, je m'en tiens à l'opinion de nosdits maitres,
si qualifiée, juridique et raisonnable, et, à mon
peu de jugement, conforme à la doctrine des saints canons.
D'un cceur empressé, autant qu'il est en mon pouvoir, je
suis prêt à obéir très promptement aux
commandements de l'Église et aux vôtres, en toutes
choses."
Ainsi signé : Le tout vôtre J. GARIN.
Le vénérable chapitre de la Cathédrale de
Rouen délibéra en cette manière :
"Révérend père et vous, vénérable
seigneur, vicaire de monseigneur l'inquisiteur de la perversité
hérétique, vous avez requis le chapitre de la cathédrale
de Rouen de vous donner, en faveur de la foi, un salutaire conseil
sur certaines propositions extraites et choisies parmi les aveux
et les dits d'une femme, vulgairement nommée la Pucelle :
assavoir si ces assertions, ou certaines d'entre elles, tout vu
et considéré, sont contraires à la foi orthodoxe,
etc..., ce qu'il en faut penser au jugement de la foi, ainsi qu'il
est contenu plus longuement dans l'exorde de la cédule de
ces assertions. Mais alors, en réfléchissant à
la grandeur de cette matière, nous avions différé
de vous bailler réponse, désirant auparavant, afin
de vous donner un conseil plus certain et plus assuré, prendre
connaissance des consultations, délibérations et déterminations
de l'insigne Université de Paris, surtout de celles des Facultés
de Théologie et de Décret. Par la suite, après
avoir vu et attentivement considéré les opinions de
plusieurs docteurs en théologie sacrée qui se trouvaient
en cette ville ; après cette assemblée de prélats,
de docteurs en théologie et en droit canon, de licenciés
en l'un et l'autre droit, savoir en droit canon, civil et autre
et d'autres scientifiques personnes savantes en droit divin et civil,
que vous avez tenue solennellement et présidée le
2 de ce mois de mai, et où furent faites à ladite
femme beaucoup de douces et de pieuses admonestations, de charitables
exhortations et sommations, tant par vous que par vénérable
seigneur, monseigneur l'archidiacre d'Évreux, insigne professeur
en théologie sacrée, spécialement commis à
ce faire par vos ordres et autorité, afin que, pour le salut
de son âme et le bien de son corps, pour l'honneur et la louange
de Dieu, pour faire réparation envers la foi catholique,
cette femme voulût bien corriger et amender ses faits et dits
indécents, se soumettre, comme il convient à tout
catholique, au jugement et détermination de l'Église
universelle, de notre Saint-Père le pape, du concile général
et des autres prélats de l'Église qui en ont le droit,
ou de quatre notables et scientifiques personnes d'Église
de l'obédience temporelle et domination des gens de son parti,
des docteurs et autres avis ci-dessus nommés, se trouvant
alors ici et acquiesçant à cet avis. Or cette femme
n'a voulu pour rien au monde accueillir et recevoir ces justes admonestations,
exhortations et charitables sommations : loin de le faire, alors
qu'on les lui offrit si instamment et tant de fois par souci du
salut de son âme et de corps, damnablement et pernicieusement,
elle les méprisa et repoussa en tout. Elle a refusé
absolument de se soumettre à la détermination et au
jugement de l'Église, du Souverain Pontife, et de tout autre
de ses juges, cela nonobstant l'exposition et déclaration
de ses fautes et de ses erreurs, du jugement d'une éternelle
damnation auquel elle s'exposait, toutes choses qui lui ont été
fort clairement montrées. C'est pourquoi, présupposées
les soumissions et protestations qu'il est d'usage de faire en pareille
matière, nous disons ce qui suit en faveur de la foi. Oui,
les déterminations et appréciations portées
par lesdits docteurs en théologie sur ces assertions, le
furent doucement, justement, raisonnablement. Nous adhérons
à leur doctrine, ajoutant que, considérant avec attention
et réfléchissant aux dites admonitions, aux sommations,
aux exhortations charitables, aux déclarations, aux réponses
et accusations de cette femme, à l'obstination de son coeur,
il nous semble qu'elle doit être réputée hérétique."
Fait en notre chapitre, l'an du Seigneur 1431, le 3 mai
Ainsi signé: R. GUÉROULD.
Maîtres Aubert MOREL et Jean DUCHEMIN, licenciés
en droit canon, avocats de la cour de l'Official de Rouen, opinèrent
en cette forme :
"Sous les protestations qu'on a coutume de faire
en matière de foi, en nous soumettant à la correction
de nos seigneurs les juges, des autres docteurs en théologie
sacrée et autres savants en droit, à qui il convient
de décortiquer cette matière, il nous semble qu'il
y a à dire : premièrement, en ce qui concerne les
prétendues révélations de cette femme, que
suivant le droit écrit, il se peut qu'elles soient possibles
en Dieu ; cependant, comme cette femme ne les a pas fortifiées
par opération miraculeuse ou témoignage de la sainte
Écriture, qu'il n'y a pas en eux d'évidence, il n'y
a pas lieu de croire aux dits et assertions de cette femme. Item,
en ce qui concerne le rejet de l'habit féminin, du moment
qu'elle n'en a pas eu commandement de Dieu (ce qui n'est pas croyable,
puisqu'aussi bien elle fit seule la chose, de son propre gré,
contre l'honneur et la décence de son sexe et les bonnes
mœurs), du moment qu'on l'a dûment admonestée
sur ce, puisqu'elle a méprisé nos avertissements,
elle est et doit être excommuniée et anathème.
Item, cette femme, à défaut d'un motif raisonnable
ou du commandement de son propre curé, est tenue de recevoir
le sacrement de communion périodiquement, et au moins une
fois l'an ; autrement, elle va contre la détermination et
le commandement de l'Église. Item, cette femme est tenue
de se soumettre à l'Église militante ; et admonestée
de manière compétente sur ce point, si elle ne l'a
point fait, il semble qu'elle enfreigne l'article de la foi :
Unam sanctam Ecclesiam catholicam. Tout cela, nous l'entendons
sous réserve que ses révélations ne lui viendraient
pas de Dieu. Et en cela, et sur les autres propositions, assertions
et prétentions qualifiées et nommées, nous
nous en rapportons au jugement de nos seigneurs les théologiens,
que cela concerne plus particulièrement. D'où il nous
semble que cette matière est suspecte quant à la foi,
contraire aux bonnes mœurs, contraire au jugement de l'Église,
et même scandaleuse et séditieuse, rendant celle qui
professe une telle doctrine suspecte quant à la foi, surtout
si elle la soutient avec obstination. Il faut donc la punir de prison
perpétuelle, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse,
ou de toute autre peine extraordinaire, à modérer
au bon vouloir de messeigneurs les juges."
Ainsi signé : A. MOREL. J.DUCHEMIN (7)
Onze avocats de la Cour de Rouen, les uns licenciés
en droit canon, les autres en droit civil, les autres de l'un et
autres droits, délibérèrent de la manière
qui suit, ainsi qu'il apparait dans un acte rédigé
sur ce. Voici leur nom : Guillaume De Livet, Pierre Carrel, Guerould
Poustel, Geoffroy Du Crotay, Richard des Saulx, Bureau de Cormeilles,
Jean Le Doulx, Laurent du Busc, Jean Colombel, Raoul Anguy, Jean
Le Tavernier, s'ensuit la teneur de cet acte :
"Au nom du Seigneur, amen. Sachent tous ceux qui
verront ce présent acte public que, l'an du Seigneur 1431,
indiction 9, le dernier jour du mois d'avril, la quatorzième
armée du pontificat de notre très saint Père
en Christ, notre seigneur Martin, par la divine Providence cinquième
du nom ; dans la chapelle ou oratoire du manoir archiépiscopal
de Rouen se trouvèrent réunis vénérables
et discrètes personnes les avocats de la cour archiépiscopale
de Rouen, au nombre de onze, dont les noms et surnoms n'ont pas
été déclarés dans ce présent
acte. Ces personnes savantes en droit, avaient été
requises, sous les peines de droit, par révérend père
en Christ et seigneur, Monseigneur Pierre, par la grâce de
Dieu évêque de Beauvais, et par religieuse personne
frère Jean, vicaire du seigneur inquisiteur, afin de délibérer
sur certains articles que les seigneurs juges avaient envoyées
aux dits avocats, pour qu'ils baillassent par écrit leurs
propres délibérations aux dits seigneurs juges avant
le lundi suivant, ainsi que tout cela est contenu dans certaine
cédule de papier, signée des seings manuels de Guillaume
Colles, autrement dit Boisguillaume, et de Guillaume Manchon, prêtre,
notaires publics. En ma présence, notaire public, en celle
des témoins souscrits, spécialement appelés
et requis, lesdits seigneurs avocats se réunirent ; car ils
étaient prêts à obéir, de tout leur pouvoir,
aux commandements de messeigneurs les juges, ne tenant pas à
encourir les peines de droit. Mais en vrai fils d'obédience,
d'un consentement unanime et d'une seule volonté, suivant
les moyens et forme ci-dessous déclarés, ils délibérèrent
ainsi :
Sous la bienveillante correction de nos pères
et seigneurs, messeigneurs les juges, et de tous autres à
qui il appartient, bien que dans une matière aussi ardue
et aussi importante que celle qui concerne les articles que vos
grandeurs nous ont transmis, nous ne puissions dire et vous bailler
en écrit que peu de chose, ou rien, cependant, sous les protestations
qu'on a coutume de faire en une telle matière, il nous semble
qu'il y a ceci à dire.
Premièrement, en ce qui touche les révélations
mentionnées dans lesdits articles, bien qu'il se puisse que
les prétentions de cette femme, au sujet de ces articles,
soient possibles en Dieu, cependant il n'y a pas lieu de croire
cette femme, puisqu'elle n'a pas fortifié ses dires en opérant
des miracles ou par le témoignage de la sainte Écriture.
Item, en ce qui concerne le rejet de l'habit féminin et le
refus de reprendre ledit habit, il semble qu'elle a agi contre l'honneur
du sexe de la femme ; item qu'elle peut être admonestée
d'avoir à reprendre l'habit féminin, autrement il
peut être porté contre elle sentence d'excommunication,
si elle n'en a pas eu commandement de par Dieu : ce, qui n'est pas
à présumer. Item, quand elle dit qu'elle aime mieux
être privée du sacrement de communion du Christ, au
temps où les fidèles ont accoutumé de communier,
que d'abandonner l'habit d'homme, sur ce point-là, à
ce qu'il semble, elle va expressément contre les saintes
obligations, puisque chaque chrétien est tenu une une fois
l'an de recevoir le sacrement d'eucharistie. Item, quand elle ne
veut pas se soumettre au jugement de l'Église militante,
il semble qu'elle contrevient à l'article de la foi : Unam
sanctam et au jugement du droit. Tout cela, nous l'entendons
toujours, comme nous l'avons dit et déclaré, à
moins que ses révélations et assertions viendraient
de Dieu, ce qui n'est pas vraisemblablement croyable. Toutefois,
pour apprécier et qualifier ces propositions, et d'autres
relatées au procès et dans les articles, nous nous
en rapportons au jugement de messeigneurs les théologiens
de notre chère mère l'Université de Paris,
à qui il appartient plus convenablement, de par leur science,
de les juger.
Sur tous ces points et sur chacun d'eux, les dits seigneurs
avocats réunis au nombre de onze, dont j'ai retenu les noms
par devers en tant que notaire public, me demandèrent à
moi, notaire public, de faire faire et établir un procès-verbal
officiel, en une ou plusieurs copies. Ceci fut fait dans ladite
chapelle, à heure matinale, l'an, indiction, mois, jour et
pontificat susdits, en présence de discrètes personnes
maîtres Pierre Cochon (8) et Simon
Davy, prêtres, notaires jurés de ladite cour archiépiscopale
de Rouen, témoins appelés et requis spécialement.
Et moi, Guillaume Lecras, prêtre du diocèse
de Rouen notaire public de la cour archiépiscopale de Rouen
par autorité apostolique et impériale, examinateur
député des témoins, j'ai été
présent avec lesdits témoins, à toutes et à
chacune des choses que firent et dirent lesdits maîtres avocats,
ainsi qu'il a été rapporté, au lieu, jour et
heure susdits ; je les ai vus et ouïs quand il les firent et
délibérérent et j'en ai pris note. C'est pourquoi
à ce présent acte public, écrit de ma main,
j'ai apposé mon seing habituel, et je l'ai souscrit ici,
requis et juré, en témoignage de la vérité
des choses dessus dites."
Ainsi signé : G.LECRAS
Révérend Père en Christ Monseigneur Philibert
(9), évêque de Coutances,
délibéra en cette forme :
"A révérend père et seigneur en
Christ, monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu évêque
de Beauvais, mon très cher seigneur. Révérend
père et seigneur en Christ, en toute cordialité et
recommandation j'ai reçu les lettres que votre paternité
m'avait adressées dans cette ville, en mon absence, ainsi
que certain cahier, contenant les aveux et assertions de certaine
femme divisés en douze articles, signé des seings
de trois notaires et sous le sceau royal. Autant que j'ai pu le
déduire de ces articles, cette femme affirme que les anges
Michel et Gabriel avec une multitude d'anges, les saintes Catherine
et Marguerite lui apparurent, et parfois auprès d'un arbre
fée ; qu'elle a touché corporellement ces saintes
qui la réconfortèrent, qu'elle leur a parlé
fréquemment, qu'elle leur a fait promesse de leur conserver
sa virginité. Et les dites saintes dirent à
cette femme, du commandement de
Dieu, qu'elle se rendit vers certain prince, et, qu'avec son aide,
il recouvrerait grand domaine ; et aussi qu'elle prît et portât
l'habit d'homme qu'elle prit et porte. Ainsi elle alla vers ledit
prince, accompagnée de Michel, d'une multitude d'anges et
des saintes ; et une couronne très précieuse fut donnée
par l'ange au roi. Elle dit savoir par révélation
qu'elle s'évaderait des prisons, que les Français
feraient en sa compagnie plus beau fait qu'oncques ne firent, et
qui jamais fut fait par toute la chrétienté ; et que,
si elle était en habit d'homme parmi les Français,
comme avant sa prise, ce serait un des plus grands biens qui pût
advenir à tout le royaume de France. Que de son prince elle
avait reçu armes et gens d'armes, et que plusieurs fois elle
avait publié des mandements dans lesquels elle insérait
les noms de JHESUS et de MARIA, ainsi que le signe de la croix,
alors qu'elle n'entendait pas qu'on fît ce qu'elle mandait
; dans d'autres, elle menaçait de peine de mort qui n'aurait
pas obéi à ses lettres. En outre, elle s'est précipitée
du sommet d'une tour malgré la défense des saintes
Catherine et Marguerite, ce qui fut un grand péché
mais rémissible toutefois par confession. Et elle le savait
par révélation. Ainsi elle se précipita, aimant
mieux mourir que d'être en la main de ses ennemis et de voir
la destruction de la ville de Compiègne. Et elle a dit qu'elle
aimerait mieux mourir et être privée de la sainte communion
que d'abandonner l'habit d'homme ; qu'elle croit n'avoir jamais
commis de péché mortel, qu'elle sait qu'elle est aussi
certaine du salut de son âme que si elle était déjà
au royaume des cieux. De certaines choses purement contingentes,
elle dit avoir une connaissance certaine, comme si elle les voyait
en réalité. En outre elle sait, à ce qu'elle
affirme, que Dieu aime certaines personnes vivantes nommées
par elle, et plus qu'il ne l'aime ; aussi elle affirma avoir fait
la révérence auxdits anges, à saintes Catherine
et Marguerite, découvrant sa tête, fléchissant
les genoux, baisant la terre sur laquelle ils marchaient. Elle a
dit qu'elle était aussi sûre et certaine que ses révélations
procèdent de Dieu, qu'elle croit fermement en la foi catholique,
que Notre Seigneur Jesus-Christ a souffert passion pour notre salut.
Que si l'Église voulait qu'elle fît quelque chose contre
le commandement qu'il lui a fait, elle ne le ferait pour chose au
monde, et que ce lui serait absolument impossible. Qu'elle sait
bien que ce qui est contenu dans son procès vient de Dieu,
et qu'elle ne veut s'en rapporter au jugement de l'Église
militante ou d'homme vivant, mais à Dieu dont elle fit les
commandements, surtout en ce qui concerne la matière des
révélations. Voilà, révérend
père, ce que j'ai pu extraire des articles résumés
du procès original, juridiquement instruit à mon sentiment.
Il n'est d'ailleurs à présumer que votre révérende
paternité, les seigneurs et maîtres si doctes et savants
consultés par elle sur une telle matière, pussent
en rien dévier, surtout sur une semblable question, de la
voie de la vérité. Et, bien, que cette affaire ait
été déduite de la façon la plus docte
et la plus exacte, bien qu'aucune explication ne puisse être
ici produite par moi avec quelque force et quelque nouveauté,
du moins mal que je le puis, à votre paternité qui
le commande, l'exige et m'y contraint, je parlerai ainsi. Mais je
me garderai d'apprécier les omissions (10)
dans chacun de ses articles, ne voulant pas paraître en remontrer
à Minerve elle-même. Certainement, révérend
père, j'estime que cette femme a un esprit subtil, enclin
au mal, agité d'un instinct diabolique, vide de la grâce
du Saint-Esprit. Il y a deux signes qui, suivant le bienheureux
Grégoire attestent qu'une personne est remplie de la grâce
du Saint-Esprit, savoir la vertu et l'humilité : il est manifeste
que ces deux signes ne se trouvent à aucun degré chez
cette femme, si nous venons à considérer dûment
ses dits. Que dis-je ? certaines de ses assertions (à la
réserve d'un jugement meilleur que le mien) paraissent contraires
à la foi catholique, hérétique ou du moins
véhémentement suspectes d'hérésie. Et
celles-là et d'autres ne sont que remplies de vanteries superstitieuses,
scandaleuses, perturbatrice de la chose publique, très souvent,
et plus que je ne puis le dire, offensantes et dangereuses. Ces
assertions, même à des yeux aveuglés, ne doivent
être dissimulées ou escamotées sans qu'on y
porte le remède topique de justice ; et, comme la justice
le conseille d'ailleurs, il semble que leur condamnation ne doive
pas être différée : car il se peut que plusieurs
opinent qu'il convienne peut-être d'ajourner la discussion
de cette cause. Eh bien ! cette femme, même si elle consent
à révoquer tout ce qui doit être révoqué
dans ses assertions, il faut la garder sous bonne garde, tant qu'il
sera nécessaire, et jusqu'au jour où il apparaitra
qu'elle a été suffisamment amendée et corrigée.
Si elle ne veut pas révoquer ce qu'elle doit révoquer,
il y a lieu de faire d'elle ce qu'on a coutume de faire d'une opiniâtre
contre la foi : tout cela à la réserve d'un meilleur
jugement que le mien. Voilà, révérend père
et seigneur j'ai cru devoir vous dire en cette circonstance, avec
tout amendement meilleur à apporter en cette matière.
Je suis prêt à exécuter tout ce qui sera agréable
à votre révérende paternité, que le
Très Haut daigne conserver heureusement et suivant ses voeux.
Écrit à Coutances, le 5 mai.
De votre révérende paternité je
suis, en toutes choses, vôtre : PHILIBERT, évêque
de Coutances."
Ainsi signé : SAINTIGNY
Révérend père en Christ, Monseigneur l'évêque
de Lisieux (11), délibéra
comme suit :
"A révérend père et seigneur en
Christ, monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu et du siège
apostolique, évêque de Beauvais et scientifique personne,
maître Jean Le Maistre,
vicaire et inquisiteur de la perversité hérétique,
Zanon, par la même grâce, évêque de Lisieux,
salut en Notre Seigneur et bienveillance de cœur pour acquiescer
à vos réquisitions. Révérend père
et seigneur, sachez que j'ai reçu vos lettres missives, ainsi
que les assertions confessées au procès naguère
fait de certaine femme, que le vulgaire appelle la Pucelle, sous
forme d'articles rédigés dans un cahier de papier,
avec toute la pureté d'esprit que commande votre révérence.
Tout vu, mûrement considéré et examiné,
je vous envoie lesdits articles inclus, avec mon jugement et mon
opinion, sous mon signet.
Donné à Lisieux, le 14ème jour
du mois de mai, l'an du Seigneur 1431."
Ainsi signé : LANGLOIS.
"Révérend père, il est très
difficile d'établir un jugement dans la matière d'apparitions
et de révélations contenue dans les articles que votre
paternité m'a
adressés sous les seings authentiques de certains notaires
: car, selon la parole de l'apôtre, "l'animal homme
ne perçoit pas ce qui est de l'esprit de dieu, ne connaîtra
pas le sens du Seigneur, et ne sera pas son conseiller"
; et comme le propose saint Augustin, au livre De spiritu et
anima, dans ces sortes de visions ou d'apparitions, l'esprit
est souvent trompé et joué ; car il voit tantôt
des choses vraies, tantôt des choses fausses, et parfois un
esprit tantôt bon ou mauvais y préside. Il n'est pas
facile de discerner de quel esprit elles proviennent ; c'est pourquoi,
à tout individu qui affirme purement et simplement qu'il
est envoyé de Dieu pour manifester quelque dessein secret
et invisible de Dieu, il ne faut ajouter aucune foi à moins
qu'il n'en justifie par l'apparition de certains signes, de miracles,
ou par le témoignage spécial de l'Écriture
(c'est ce qu'expose la Décrétale, Cum ex injucto,
sur les hérétiques). Or nulle conjonction, ni apparence
extérieure, aucun signe d'une sainteté admirable ou
d'une vie insigne ne m'apparaissent en elle, par quoi il soit présumable
que Dieu ait soufflé dans cette femme l'esprit de prophétie,
en vertu de quoi elle aurait accompli tant d'œuvres miraculeuses,
ainsi qu'elle s'en vante. C'est pourquoi, ces choses considérées,
moi Zanon, évêque de Lisieux, avec les protestations,
les soumissions qu'il est d'usage de faire en semblable matière,
après avoir eu ces révélations, et après
avoir réfléchi à ses autres faits et dits,
à la vraisemblance, qu'il y a lieu de présumer que
ses visions et révélations ne procèdent pas
de Dieu, par le ministère des saints et saintes, comme elle
l'affirme. On doit même présumer de deux choses l'une
: savoir qu'il y a eu fantasmagories et tromperies de la part des
démons, qui prennent la figure d'anges lumineux, et parfois
se transforment en apparences et à la ressemblance de diverses
personnes ; ou bien que ce sont des mensonges forgés et inventés
humainement pour décevoir les êtres grossiers et ignares.
Item au premier regard, plusieurs desdits articles contiennent des
nouveautés scandaleuses et erronées, plusieurs affirmations
téméraires et présomptueuses, pleines de forfanterie
et offensantes pour de pieuses oreilles de l'irréligion,
du mépris pour le sacrement de communion. Et quand elle dit
qu'elle ne veut pas soumettre ses dits et ses faits à la
détermination et au jugement de l'Église militante,
elle ruine en cela, et au plus haut point la puissance et l'autorité
de l'Église. Donc, après qu'on l'aura dûment
et charitablement admonestée et exhortée, qu'elle
aura été solemnellement requise et sommée de
soumettre l'interprétation de ses affirmations et aveux,
comme chaque fidèle vivant est tenu de le faire, au jugement
et à la détermination de notre Saint-Père le
pape, de l'Église universelle réunie en concile général,
ou d'autres prélats de l'Église ayant cette puissance,
si elle refuse et dédaigne de le faire, dans un esprit opiniâtre,
elle doit être estimée schismatique et véhémentement
suspecte en la foi. Voilà ce qui me parait à dire
en cette présente matière, sauf meilleur jugement."
Témoin mon seing manuel ci apposé, l'an et jour dessus
dits :
Ainsi signé ZANON, de Lisieux.
Révérends Pères en Christ, seigneurs et maîtres,
Nicolas, abbé de Jumièges, et Guillaume,
abbé de Cormeilles, docteurs en décret, délibèrent
comme il suit, selon une cédule signée de leur main,
dont la teneur est ci-dessous :
"Vous nous demandez et requérez, par certaine
cédule, mon très révérend père
et seigneur en Christ, Pierre, évêque de Beauvais,
et vous frère Jean Le Maistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur,
à nous deux, humbles abbés, Nicolas de Jumièges
et
Guillaume de Cormeilles, de vous donner par écrit nos délibérations,
avant le lundi suivant, et de délibérer pour savoir
si les assertions contenues dans les articles que vous nous avez
fait adresser touchant certaine femme sont contraires à la
foi orthodoxe, ou suspectes, etc..., ainsi qu'il est contenu plus
longuement dans ladite cédule. Mais autrefois, requis par
vous, nous vous avons écrit notre réponse, et sous
nos seings, assavoir que tout le procès concernant
cette femme devait être déféré à
notre mère l'Université de Paris, dont nous désirions
particulièrement suivre en tout l'opinion, dans une besogne
si ardue. Cependant vous ne vous êtes pas contentés
de notre réponse, et vous nous avez requis de nouveau (12),
comme il est dit plus haut.
C'est pourquoi, en soumettant notre opinion au jugement de la sainte
Église romaine et du concile général, nous
vous disons aujourd'hui que le fait de cette femme se réduit
à quatre points. Et premièrement, en ce qui concerne
la soumission à l'Église militante, cette femme doit
être charitablement admonestée, publiquement et aux
yeux de tous, et il convient de lui exposer le danger qu'elle court
; et, après ce légitime avertissement, si elle persévère
dans sa malice, elle doit être réputée suspecte
en la foi. Quant à ses révélations, quant au
port de l'habit, qu'elle dit avoir de Dieu, il ne nous parait pas,
à première vue, que nous puissions la y croire, ni
y ajouter foi, puisqu'il n'y apparaît point sainteté
de vie ou miracles. Quant au quatrième point, qu'elle n'est
pas en péché mortel, Dieu seul le sait, qui pénètre
le cœur des hommes. Et comme il y a là des faits que
nous ne pouvons connaître, nous qui n'avons pas à juger
des choses cachées, d'autant plus que nous n'avons pas été
présents à l'examen de ladite femme, nous nous en
rapportons aux maîtres en théologie pour un jugement
ultérieur."
Témoins nos seings apposés à la présente
cédule, le dimanche 29 avril, l'an du seigneur 1431.
Ainsi signé : N. DE JUMIEGES. G. L'ABBÉ DE CORMEILLES.
Maître Raoul Roussel, docteur en l'un et l'autre droit,
trésorier de l'Église de Rouen, opina comme il suit
:
"Révérend père en Christ,
mon très redouté seigneur, et vous, notre honoré
seigneur et maître, que vos grandeurs daignent savoir, outre
ce que je vous ai déjà écrit, que je ne puis
rien vous dire de plus (12), sinon que
je crois que ces assertions sont fausses, mensongères, subtilement
inventées par cette femme et ses complices pour en venir
à ses fins et à celles de son parti. Pour qualifier
plus amplement ces propositions, je m'en rapporte aux maîtres
en théologie et j'entends adhérer à leur opinion.
Je le dis avec les protestations qu'on a coutume de faire dans des
matières aussi ardues."
Fait l'an du Seigncur 1431, le dernier jour d'avril.
Ainsi signé par votre serviteur, R. ROUSSEL.
Maîtres Pierre Minier, Jean Pigache et Richard
de Grouchet, bacheliers en théologie, opinèrent
de la façon suivante :
"Sous
réserve des protestations que nous exprimâmes ailleurs,
et auxquelles nous adhérons, puisque votre Révérende
paternité et le vicaire seigneur inquisiteur nous mandèrent
de donner une réponse formelle touchant certaines assertions
d'une femme, que nous ouïmes, savoir si elles sont contraires
à la foi orthodoxe, à l'Écriture sainte, suspectes
en la foi etc... il nous a paru naguère (12),
et il nous semble aujourd'hui, qu'une réponse formelle sur
ces assertions, sauf meilleur jugement, dépendent d'une distinction
certaine quant à l'origine des révélations
qui sont mentionnées dans les articles que votre révérende
paternité nous a adressés et auxquels sont jointes
lesdites assertions. Mais notre insuffisance ne permet pas de formuler
une telle distinction. Si ces révélations procèdent
d'un esprit malin ou d'un démon, si elles sont feintes par
une particulière industrie, il nous semble que plusieurs
desdites assertions sont suspectes en la foi, injurieuses, contraires
aux bonnes mœurs et entachées de plusieurs vices notés
dans ladite cédule. Si au contraire ces révélations
procèdent de Dieu ou d'un bon esprit, ce qui n'est pas évident
pour nous, elles ne sauraient être interprétées
en mauvaise part.
Voilà, révérendissime père et seigneur,
ce que nos consciences relativement aux points sur lesquels vous
nous requérez, sans témérité et sous
toute correction due."
Ainsi signé : P.MINIER. P.PIGACHE, R. DE GROUCHET.
Maître Raoul Le Sauvage, bachelier en théologie
sacrée, donna son avis suivant la teneur de certaine cédule,
signée de sa main, dont le texte suit :
"Avec toutes les protestations et les soumissions
dues, et que j'ai exprimées ailleurs dans ma délibération,
auxquelles j'adhère, et que je vous supplie de recevoir de
nouveau (13), révérend
père en Christ, mon très redouté seigneur,
et vous, mon révérend maître, seigneur vicaire
du seigneur inquisiteur ; de ces assertions, relatives à
certaines révélations, et que vous m'avez adressées
naguère, comme je l'ai déjà dit, au premier
regard, certaines m'apparaissent comme scandaleuses, et le sont
en effet : d'autres sont suspectes en la foi, d'autres encore téméraires,
propres à l'induire au mal et à I'erreur. Et pour
les qualifier proprement, je m'en suis rapporté comme je
l'ai dit, et je m'en rapporte aujourd'hui, aux seigneurs et maîtres,
mes supérieurs. Aujourd'hui toutefois, en n'affirmant rien
qui ne puisse être affirmé, en soumettant humblement
à votre bienveillance correction ma personne et mes dires,
mon révérend père et seigneur, et aussi à
celle des seigneurs et maîtres mes supérieurs, lorsque
dans l'article I elle dit qu'elle a vu corporellement saint Michel,
etc..., et aussi dans l'article XI, je ne sais si elle a dit la
vérité ; mais je crains qu'il y ait quelque fantasmagorie
et un mensonge forgé. Sur ce point que saintes Catherine
et Marguerite lui commandèrent de par Dieu de prendre l'habit
d'homme, qu'elle aimerait mieux mourir que de délaisser l'habit
d'homme etc..., il y a à ce qu'il me semble, témérité.
Sur ce fait qu'elle aimerait mieux ne pas assister à l'office
de la messe, être privée de l'Eucharistie, au temps
ordonné par l'Église, que de délaisser cet
habit d'homme, ce me semble un scandale et induire à mauvais
exemple. Quand elle a différé et refusé de
se soumettre, elle et ses faits à l'Église militante,
après que plusieurs fois on l'en a admonestée et requise
dans l'article XII, quand elle ne veut s'en rapporter au jugement
de l'Église militante, ni à homme vivant sur le sujet
de ses révélations elle parait schismatique, suspecte
d'erreur, induire au mauvais exemple car elle est tenue, et plus
fermement et avec plus de certitude, d'obéir aux enseignements
de l'Eglise et à ses commandements plutôt qu'à
ses apparitions, peut-être fantastiques et diaboliques : car
de mauvais esprits parfois prennent l'apparence d'anges bons. Relativement
à l'article II, au sujet du signe qu'elle dit qu'eut le prince
vers qui elle était envoyée etc..., je n'ai pas d'opinion
: ce peut être une fiction et une invention mensongère.
Quant à l'article III, qu'elle est certaine que celui qui
la visita et visite est saint Michel, car il se nomme à elle
ainsi, ce me semble une témérité incroyable
de la part de tout esprit : c'est peut-être, comme plus haut,
un jeu de l'esprit du Malin. En ce qu'elle croit qu'elle est vraie
et bonne, aussi fermement qu'elle croit que Christ a souffert et
est mort pour nous, il me semble qu'elle est suspecte d'hérésie,
qu'elle expose notre foi à la dérision, que c'est
là en amoindrir la solidité. Sur l'article IV, qu'elle
est sûre de certains événements qui arriveront
dans l'avenir aussi bien qu'elle est certaine de ce qu'elle voit
objectivement devant elle, il y présomption car les événements
à venir n'arrivent pas de toute nécessité.
Et même si l'on accordait que ce soit là une révélation
divine, ce ne pourrait être que par quelque communication
analogue à celle de Jonas qui prophétisa : "Encore
quarante jours et Ninive sera détruite". Sur ce
que saintes Catherine et Marguerite lui révélèrent
qu'elles la délivreraient, etc..., c'est sans doute une invention
mensongère et quelque vanterie. Au sujet de l'épée
révélée, ce fut peut-être révélation
d'un esprit malin, ou même humain ; il n'y a pas lieu d'y
ajouter foi. Sur l'article V, qu'elle prit l'habit d'homme du commandement
de Dieu, etc., ce n'est pas vraisemblable, mais bien plutôt
indécent, déshonnête, surtout pour la
femme et jeune fille qu'elle prétend être, à
moins qu'elle l'ait fait pour éviter qu'on lui fit une violence,
pour conserver sa virginité. Sur l'article VI, que dans ses
lettres qu'elle faisait écrire elle apposait le signe de
la croix, et que ce signe était mis pour que ceux à
qui elle écrivait ne fissent point ce qu'elle mandait, bien
que les signes signifient ce que l'on veut, toutefois elle peut
être soupçonnée qu'à l'instigation de
l'esprit du Malin pour mépriser et blasphémer le Christ
crucifié, qui est la plus haute vérité, elle
a fait cela. Quant au reste de la proposition, il n'y apparait que
superbe et jactance. Sur l'article VII, quand elle se mit en compagnie
d'un écuyer qu'elle n'avait jamais vu, etc..., elle agit
avec témérité et s'exposa à outrage
; relativement à l'article VIII, quand elle se précipita
d'une haute tour, il y a évidence. Et lorsque de sa propre
volonté elle abandonna la maison paternelle, contre le gré
de ses parents etc... c'est moins que l'honneur et l'amour que nous
devons porter à nos parents ; elle vint contre le commandement
d'honorer ses père et mère et elle agit sans doute
par malice obstinée et suivant un cœur endurci. Sur
l'article VIII, comme nous l'avons déjà dit, quand
elle se précipité de la tour, etc..., elle fut mal
et follement conseillée, et il semble que l'esprit malin
la poussa et fit passer devant ses yeux le signe de désespérance.
Le reste de cette proposition ne peut être que jactance. Sur
l'article IX, que les saintes Catherine et Marguerite lui firent
promesse, je n'en sais rien ; mais c'est sans doute fiction téméraire
et orgueilleux mensonge. Lorsqu'elle se répute n'avoir point
fait les œuvres d'un péché mortel, ce me paraît
de la présomption, et cela vient contre le fait qu'elle s'est
précipitée de la tour. Relativement à ce qu'elle
affirme que Dieu aime certaines personnes, etc... c'est bien ; mais
lorsqu'elle dit que les saintes Catherine et Marguerite ne parlent
pas l'anglais, voilà une assertion téméraire
et qui semble bien une sorte de blasphème : car Dieu n'est-il
pas notre Seigneur à tous, la suprême providence, aussi
bien pour les Anglais que pour les autres ? Ainsi elle a parlé
contre la loi d'amour que nous devons porter à notre prochain.
Sur l'article XI, qu'elle a accolé et baisé corporellement
les saintes Catherine et Marguerite, etc..., je ne vois là
que fantasmagorie, mensonge forgé ; un jeu des démons.
Et si elle les avait adorées simplement et sans condition,
elle n'aurait pas encourue d'être taxée de quelque
idolâtrie. Au sujet de l'article XII, je dis comme pour l'article
I.
Cependant, mon révérend père et
messeigneurs, il convient d'avoir des égards pour la fragilité
féminine ; et il y a lieu de lui répéter en
français ces propositions et assertions, de l'admonester
charitablement de se corriger, de ne point tant présumer
de révélations qui peuvent être forgées
par l'esprit du Malin ou autrement. En conséquence, comme
je vous le disais, pour donner en cette affaire conclusion et sentence,
et qu'elle soit plus assurée et plus ferme, qu'on ne puisse,
de nul parti, la suspecter, il me semble, sauf toujours meilleur
avis, que pour l'honneur de sa royale majesté, le vôtre,
la quiétude et la paix de vos consciences, renvoyer vers
le Saint-Siège apostolique lesdits articles avec les appréciations
qui leur conviennent. Voilà, révérend père
en Christ et mon maître, monseigneur le vicaire de l'inquisiteur,
ce qui me semble à dire sur cette matière, sous toute
correction et adjuvant, etc... "
Ainsi signé : R. LE SAUVAGE.
Sources
: "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952).
Notes :
1 L'abbé de Mortemer avait été identifié
comme étant Guillaume Théroude, qui prit part au
concile de Constance, remplit diverses missions pour Jean sans
Peur, duc de Bourgogne et fut recommandé à Henri
V par Philippe le Bon en 1421. Il est mentionné à
Roeun en 1424.
Pour M.Denifle et Chatealin dans leur "procès de Jeanne
d'Arc", il s'agit de Nicolas, moine de Rosières près
de Salins. Un registre de Martin V nous apprend qu'il fut nommé
Abbé de Mortemer le 26 novembre 1428. (P.Champion)
2 Manoir archiépicopal ou Logis de l'archevêque entre
la rue St Romain et la Cathédrale.La cour de l'officialité
en faisait partie et on y trouvait aussi des prisons. (P.Champion)
3 Gilles De Duremort
4 Jean de Châtillon
5 Le reste comme dans la délibération des seize
conseils (P.CHampion).
6 Ancien universitaire de Paris. Familier du pape, néanmoins
en 1408, il fut poursuivi devant l'Official de Paris par Estoud
d'Estouteville pour la mauvaise administration de son abbaye et
le peu de soins qu'il prenait des pauvres et des lépreux.
Aumônier de l'abbaye de Fécamp, il n'est pas étonnant
qu'il ait opiné comme son maître.
7 Signalons qu'Aubert Morel votera pour la torture de Jeanne un
peu plus tard dans ce procès !
8 Pierre Cochon, l'auteur de la chronique
normande. Il est mort le 22 février 1449. Il était
ami de Guillaume Manchon, le notaire principal du procès
de Jeanne.
9 Philibert de Montjeu, noble bourguignon, chanoine d'Amiens puis
évêque de Coutances en 1424 par protection des ducs
de Bourgogne et de Bedford. L'évêché de Coutances
sera un des derniers bastions anglais en Normandie. Gilles de
Duremort succédera à De Montjeu comme évêque
de Coutances.
10 Estimant sans doute que Jeanne aurait pu être davantage
chargée encore !
11 Zanon de Castiglione, évêque de Lisieux, d'origine
italienne et inféodé lui-aussi aux Anglais qui comme
beaucoup d'autres religieux de ce temps prêtera, sans aucun
état d'âme, serment de fidélité le
3 novembre 1449 à Charles VII lorsque la Normandie sera
perdue pour ses anciens maîtres.
12 La première réponse faite ne satisfaisait visiblement
pas Maître Cauchon, les intéressés ont dû
compléter leur première délibération.
(ndlr)
A noter la réponse courageuse de Pierre Minier, Jean Pigache
et Richard de Grouchet, assesseurs assidus au procès, qui
leur vaudra nombre d'ennuis de la part de Cauchon comme certain
témoignage du procès de réhabilitation l'indique
: "Ils avaient donné leur avis sous le coup d'une
terreur telle qu'ils se seraient sauvés de Rouen s'ils
l'eussent osé" (O'Reilly). Ils se rangèrent
néanmoins par la suite aux avis de l'Université
de Paris mais Pierre Minier aura à nouveau le courage supplémentaire
de s'abstenir lors de la séance du 19 mai. (ndlr)
13 Raoul Le Sauvage faisait déjà partie le 12 avril
des personnages consultés sur les douze articles. Les autres
n'ont pas été requis de donner leur avis par écrit.
Une erreur de Cauchon qui le requiert à nouveau ? (ndlr)
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