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22 novembre 2024  

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Procès de condamnation - procès ordinaire
Réunion - 5 avril 1431 (suite)

S'ensuivent les délibérations données au sujet des assertions susdites, et que nous reçûmes à divers jours qui suivirent

Et d'abord seize docteurs et six licenciés ou bacheliers en théologie délibérèrent comme il est rapporté dans le présent procès-verbal fait sur ce, dont la teneur s'en suit :

   "Au nom du Seigneur, amen. Par ce présent acte public, qu'il apparait évident à tous et soit notoire que, l'an du Seigneur 1431, indication 9, le jeudi 12 avril, la 14° année du pontificat de notre très saint Père en Christ et Seigneur, monseigneur Martin, par la divine providence V° du nom, qu'en présence de nous, notaires publics et témoins souscrits, furent personnellement constitués révérends pères et seigneurs, vénérables et discrètes personnes, seigneurs et maîtres : Erard Emengart, président ; Jean Beaupère, Guillaume Le Boucher, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Miget, prieur de Longueville ; Maurice du Quesnay, Jean de Nibat, Pierre Houdenc, Jean Lefèvre, Pierre Maurice, le seigneur abbé de Mortemer (1), Gérard Feuillet, Richard Prat, et Jean Charpentier, professeurs en théologie sacrée ; Guillaume Haiton, bachelier en théologie ; Raoul Le Sauvage, licencié en théologie ; et aussi Nicolas Couppequesne, Ysambard de La Pierre, et Thomas de Courcelles, également bacheliers en théologie ; et Nicolas Loiseleur, maître ès-arts.
  Ils nous dirent que révérend père en Christ, monseigneur l'évêque de Beauvais et frère Jean Le Maistre, vicaire de l'insigne docteur, maître Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France, juges en certaine cause de foi introduite devant eux, avaient requis lesdits docteurs et maîtres, et chacun d'eux, au moyen de certaine cédule dont la teneur commence ainsi : "Nous, Pierre, etc..." Suivent les articles etc... Certaine femme etc..." Quand les susnommés docteurs et maîtres eurent reçu, comme il convenait, ladite cédule de réquisition, et son contenu, par grande et mûre délibération, à plusieurs reprises, ils l'examinèrent diligemment.
  Attendu, dirent-ils, que tout docteur en théologie sacrée est tenu, par les sanctions juridiques, de prêter son conseil salutaire en matière de foi, chaque fois qu'il en sera requis en faveur de la foi par les prélats de l'église et les inquisiteurs de la perversité hérétique ; voulant donc, suivant le devoir de leur profession, autant qu'ils le pouvaient et devaient, envers Dieu, obéir aux seigneurs juges et à leur requête, ils ont protesté d'abord, qu'étant requis plusieurs fois et instamment, par écrit et de vive voix, par les seigneurs juges susdits, en faveur de la foi, comme on l'a rapporté, pour satisfaire à cette requête, ils entendent dire doctrinalement en cette matière ce qui leur paraîtra conforme à la sainte Écriture aux doctrines des saints, aux sanctions ecclésiastiques, ayant uniquement devant les yeux, Dieu et la vérité de la foi. Ils ont protesté en outre que tout ce qu'ils pourront dire et délibérer, tant en cette matière qu'en certaines autres, ils le soumettent à l'examen, à la correction, à toute détermination de la sacro-sainte Église romaine et de tous ceux à qui appartiennent examen, correction, détermination, ou à qui il pourra et devra appartenir dans l'avenir ; avec toutes les autres réserves accoutumées en semblable matière, et par les meilleurs forme et moyen dont on a coutume d'user en de telles protestations. Sous lesdites réserves, les docteurs et maîtres délibérèrent en la forme qui suit : "Nous disons, ayant diligemment considéré, conféré tour à tour et pesé la qualité de la personne, ses dits, ses faits, le mode de ses apparitions et révélations, la fin, la cause, les circonstances, et tout ce qui est contenu dans les articles susdits et dans son procès, qu'il y a lieu de penser que lesdites apparitions et révélations qu'elle se vante et affirme avoir eues de Dieu, par le moyen de ses anges et de ses saintes, ne vinrent pas de Dieu, par ses anges et ses saintes : ce sont bien plutôt des fictions d'invention humaine ou procédant de l'esprit du Malin. Elle n'a pas eu signes suffisants pour y croire et les reconnaître ; dans lesdits articles, il y a des mensonges forgés, de certaines invraisemblances, des croyances légèrement acceptées par elle ; superstitions et aussi divinations ; faits scandaleux et irréligieux ; certains dires téméraires, Manoir archiépiscopal de Rouen, rue St Romainprésomptueux, pleins de jactance ; des blasphèmes envers Dieu et les saintes, [saint Michel et saint Gabriel] ; irrespect envers les parents ; non conformité au commandement d'amour envers notre prochain ; idolâtrie, ou du moins fiction mensongère ; schisme envers l'unité, autorité et puissance de l'Église ; choses mal sonnantes et véhémentement suspectes d'hérésie.
  En proclamant que ces apparitions furent saint Michel, sainte Catherine et Marguerite, et que leurs dits et faits sont bons, aussi fermement qu'elle croit la foi chrétienne, on doit la tenir pour suspecte d'errer en la foi car si elle entend que les articles de la foi ne sont pas plus assurés que ses croyances à elle, ses apparitions qu'elle nomme saint Michel, sainte Catherine et Marguerite, et que leurs dits et faits sont bons, elle erre en la foi. Dire aussi, comme il est contenu dans l'article V, et aussi dans l'article I, qu'en ne recevant pas le sacrement d'eucharistie, au temps ordonné par l'Église, elle a bien fait, et que tout ce qu'elle a fait fut du commandement de Dieu, c'est blasphème envers Dieu, erreur en la foi.
  De tout ce qui précède, lesdits docteurs et maîtres nous demandèrent, à nous notaires publics, acte authentique, et voulurent qu'il soit transmis par nous auxdits seigneurs juges. Ceci fut fait dans la chapelle du manoir archiépiscopal de Rouen (2), l'an, indiction, mois, jour et pontificat susdits, en présence de discrète personne maître Jean de La Haye et Jean Barenton, prêtres bénéficiers de l'église de Rouen, témoins à ce appelés et requis.
"

Ainsi signé :
  "Et moi, Guillaume Manchon, prêtre du diocèse de Rouen, notaire public et juré par autorité impériale et apostolique de la cour archiépiscopale de Rouen, j'ai assisté à tout ce qui a été dit, fait, comme il est rapporté, ainsi qu'un autre notaire et les témoins suscrits, et l'ai vu et oui faire. C'est pourquoi, à ce présent acte public, fidèlement écrit de ma main, j'ai mis et apposé ma signature habituelle avec mon seing et souscription de notaire public, en signe de foi et témoignage, cela à la requête des susnommés."
G. MANCHON

  "Et moi, Guillaume Colles, dit Boisguillaume, prêtre du diocèse de Rouen, maire public par autorité aspostolique et de la cour archiépiscopale de Rouen, notaire juré en cette cause, j'ai assisté à tout ce qui a été dit et fait, avec les témoins et le notaire susnommés, et l'ai vu et ouï faire. C'est pourquoi ce présent acte public, fidèlement rédigé, mais écrit d'une main autre que la mienne, je l'ai signé de mon seing et de mon nom habituels, requis et juré, en foi et témoignage de la vérité de tout ce qui précède."
COLLES


Maître Denis GASTINEL, licencié en l'un et l'autre droit, donna son opinion sous cette forme :

  "Avec les protestations accoutumées en matière de foi, en me soumettant aux corrections de messeigneurs les juges, et de tous les autres docteurs en théologie sacrée, des savants en droit canonique et civil, à qui il convient de pénétrer au cceur de cette matière, il me semble à dire que la cause est en soi infectée, la personne suspecte dans sa foi, véhémentement erronée, schismatique, hérétique ; et tout cela est contre le dogme, les bonnes mœurs, les décisions de l'Église, les conciles généraux, les saints canons, les lois civiles, humaines ou politiques ; cette femme est scandaleuse, séditieuse, injurieuse envers Dieu, l'Église et tous les fidèles. Elle se prend pour une autorité, un docteur, un maître, alors qu'elle est suspecte en la foi, véhémentement dans l'erreur schismatique et hérétique, si elle persiste à défendre la question soumise à l'autorité, et dont elle fait plainte ; elle est séditieuse et perturbatrice de paix. Celui qui poursuit une telle entreprise, professe une doctrine tellement perverse et fausse, si, aussitôt qu'on lui aura montré les erreurs et perversités d'une telle doctrine, il ne revient pas spontanément à l'unité de la foi catholique, ne consent pas à abjurer publiquement une doctrine si erronée et la souillure obstinément hérétique, ne montre pas une réparation congrue, celui-là est à abandonner au jugement du juge séculier, pour subir la punition due à son forfait. S'il veut bien abjurer, qu'on lui laisse le bénéfice de l'absolution, qu'on lui inflige ce qu'il est coutume d'infliger en tels cas : en prison, pour mener pénitence, qu'on l'enclose, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse ; et qu'il pleure ses péchés, et n'en commette plus sur lesquels il ait à pleurer !"
Signé : D.GASTINEL.


Maître Jean BASSET, licencié en droit canon, official de Rouen, donna son avis en la manière qui suit :

  "Je n'ai que peu, ou presque rien à dire, révérends pères et maîtres, messeigneurs les juges en cette partie, dans une matière si grande pour la foi, si ardue, si difficile, surtout en ce qui concerne les révélations dont il est fait mention dans les articles que vos Hautesses m'ont transmis. Cependant, avec les réserves accoutumées en de telles matières, et sous la bénigne correction de ceux qui y sont intéressés, il me semble à dire articles, ce qui suit :
  Et premièrement, au sujet des révélations elles-mêmes, je dit qu'il se peut que les affirmations de cette femme sur ces articles soient possibles en Dieu ; toutefois, puisque cette femme ne les a pas confirmées en faisant des miracles ou par le témoignage de l'Écriture sainte, qu'il n'apparait pas d'évidence, on ne doit, sur ses révélations, accorder aucune croyance aux dits et aux affirmations de cette femme.
  Item, quant à son abandon de l'habit féminin, si toutefois elle n'en a pas commandement de Dieu, ce qui n'est pas croyable, elle a agi contre l'honneur, la décence du sexe féminin, contre les bonnes mœurs.
  Item par le cas ci-dessus rapporté qu'elle n'a voulu recevoir la communion, au moins une fois l'an, elle vint expressément contre la décision et le commandement de l'Église.
  Item, en ce qu'elle ne voulut point se soumettre au jugement de l'Église militante, il semble qu'elle enfreigne l'article de la foi : Unam sanctam Ecclesiam catholicam.
  Toutefois, j'entends tout ce qui précède à la réserve que ses révélations ne lui viennent pas de Dieu ; ce que je ne crois pas. Mais sur cela, et sur d'autres de ses propositions, pour les qualifier et les nommer chrétiennement, je m'en rapporte au jugement de messeigneurs les théologiens et d'autres à qui appartient plus la science de les déterminer. Quant au mode et à la forme du procès de cette femme, s'il m'est manifesté et expliqué suivant le chapitre dernier de hæreticis, au livre V° [des Décrétales], en dépit de l'incapacité de mon intellect, moi, bien qu'indigne et ignare en droit, je m'offre d'y travailler de tout mon pouvoir.
  Votre Jean Basset, indigne licencié en décret, official de Rouen pendant la vacance du siège archiépiscopal."
Ainsi signé : Jean BASSET.


Père en Christ, Monseigneur Gilles, abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp, donna son opinion conformément à celle  desdits seigneurs et maîtres, comme on la trouve mot à mot dans la cédule signée de sa main dont la teneur suit :

  "Révérend père et maitre très insigne, très humble recommandation et promptitude de votre serviteur à votre révérendissime paternité ! J'ai reçu hier, sur la dixième heure, vos lettres contenant sententieusement comment votre révérende paternité et le vicaire de l'inquisition aviez requis les docteurs en théologie sacrée, se trouvant naguère à Rouen, de vouloir bien délibérer doctrinalement sur certains articles touchant matière de foi : ce qui fut fait. Votre révérendissime paternité désire en outre recueillir mon opinion sur ces articles. Mais, bien révérend père et maître très insigne, alors que de tels hommes, et en si grand nombre, sont peut-être introuvables dans le monde entier, que peut concevoir mon ignorance, que peut enfanter mon langage sans érudition ? Autant dire rien. Je me range donc à leur avis, en tout et pour tout, et, en conformité avec eux, j'adhère à leurs délibérations, en ajoutant mes protestations et soumissions préalables et accoutumées ; et j'y oppose mon seing manuel particulier, en témoignage de tout cela. Révérendissime père et maître très insigne, si quelque chose vous fait plaisir, ordonnez-le ; car, pour exécuter vos volontés, mon pouvoir pourra faire défaut mais jamais mon bon vouloir. Que le Très-Haut daigne conserver votre révérendissime paternité, et qu'il vous procure les heureux moments de la prospérité et du succès ! Ecrit à Fécamp, le 21 avril. De votre révérendissime paternité, abbé de Fécamp."
Ainsi signé : G. de Fécamp


Maître Jacques GUESDON, frère mineur , docteur en théologie sacrée, donna son opinion conformément à celle desdits seigneurs et maîtres, suivant une cédule, signée de sa main, dont la teneur suit :

  "Ce mercredi, 13 avril, comparut devant monseigneur de Beauvais vénérable père, maître Jacques Guesdon, maître en théologie, du couvent des cordeliers à Rouen. Il affirma qu'il avait assisté, avec messeigneurs les théologiens et les maîtres de cette ville, dans la chapelle de l'archevêché de Rouen, à la réunion et aux délibérations qui avaient eu lieu dans ladite chapelle sur le fait de Jeanne, dite vulgairement La Pucelle. Chacun ayant donné son avis séparément, ainsi le fit maitre Jacques, et tous en vinrent à une seule et même opinion ; ledit maitre Jacques demeure toujours avec eux, ajoute son opinion à la leur. Mais, comme il doit traiter ailleurs une affaire, il demande congé à monseigneur de s'en aller et de se retirer. Toutefois, il est toujours prêt à besogner au procès, par obéissance, comme il est tenu de le faire, et, quand il sera de retour, à prendre part audit procès."
Ainsi signé : c'est exact GUESDON


Maître Jean MAUGIER, chanoine de Rouen, licencié en droit canon, donna une opinion conforme à celle desdits seigneurs et maîtres, comme on le trouve dans la cédule, signée de sa main, dont la teneur suit :

  "Révérend père, et vous monseigneur le vicaire du seigneur inquisiteur, daignez, s'il vous plait, savoir que j'ai reçu votre cédule avec toute l'humilité et l'obéissance qui convient. J'ai vu son contenu et votre requête ; que dis-je, les qualifications et opinions de mes révérends seigneurs et maîtres, les notables professeurs en théologie sacrée réunis en si grand nombre dans une pensée et un jugement unanimes, et je vais répondre à votre requête. Certes, leur détermination et opinion me semblent bonnes, justes, saintes et devoir être embrassées ; il me semble qu'elles marchent et s'accordent avec les saints canons et les sanctions canoniques. C'est pourquoi, suivant l'opinion de mesdits seigneurs et maîtres, je me range à leur avis ; et me tiens pour elle en tout et pour tout. Cela sous les protestations faites par mesdits seigneurs et maîtres quand ils rendirent leur sentence, et sous celles qui sont d'usage en en pareille matière."
Toujours prêt à faire votre bon plaisir : JEAN MAUGIER.


Maître Jean BRUILLOT, licencié en droit canon, chantre et chanoine de la cathédrale de Rouen, donna son opinion, conforme à celle desdits seigneurs et maîtres, ainsi qu'on la trouve dans la cédule écrite de sa main et signée de son seing manuel, dont la teneur est telle :

  "Vu les Rouen - passage des chanoinesconfessions et assertions, et plusieurs autres choses que vous m'avez baillées en écrit, révérend père et religieuse personne, monseigneur le vicaire du seigneur inquisiteur, délégué au royaume de France par le siège apostolique ; après en avoir référé à plusieurs personnes expertes et instruites tant en droit divin que civil ; ayant tourné et retourné les feuillets des livres et médité sur les actes de la femme dont il est question ; considéré aussi les motifs qui peuvent me porter vers l'opinion de mes seigneurs et maîtres, ces hommes instruits en droit divin et si expérimentés en de telles matières qui en si grand nombre, sont absolument unanimes, je m'en rapporte et opine suivant leur détermination qui me semble conforme aux saints canons ; et je suis avec eux dans leur sentiment, sous les protestations qu'il est de coutume de faire en de tels cas."
Ainsi signé : J. BRUILLOT, chantre et chanoine de la cathédrale de Rouen.


Nicolas de VENDERÈS, licencié en droit canon, archidiacre d'Eu, opina conformément  à l'avis desdits seigneurs  et maîtres, ainsi qu'on le voit dans la cédule signée de sa main, dont la teneur est telle :

  "Sous les protestations accoutumées à être formulées dans de tels actes, et faites par mes seigneurs et mes maîtres, les insignes professeurs en en théologie sacrée, quand ils donnèrent leur avis, j'ai vu leurs opinions que vous m'avez adressées, vous, mon révérend père, et le seigneur vicaire de monseigneur l'inquisiteur, leurs appréciations sur lesdites assertions et confessions. Pour répondre à votre requête, suivant les facultés que Dieu m'a accordées, le moins mal que je puis, je dis et tiens que mes seigneurs et maîtres, bien, pieusement, doucement, donnèrent leur opinion, procédèrent et agirent. Et, en feuilletant mes livres, j'ai trouvé que leur opinion était bonne, juridique, raisonnable ; et, que dis-je, non seulement ne différant pas des sanctions canoniques, mais bien plutôt en conformité avec elles. Par conséquent, à mon avis, je dois embrasser leur opinion, suivre mes seigneurs et mes maîtres ; et j'adhère à leur sentiment, en tout et pour tout."
Ainsi signé : Votre serviteur et chapelain, Nicolas DE VENDERÈS.


Maître Gilles DESCHAMPS, licencié en droit civil, chancelier et chanoine de la cathédrale de Rouen, opina conformément aux avis desdits maîtres et seigneurs par une cédule, signée de sa main, dont la teneur est telle :

  "Révérend père en Christ, et vous, seigneur vicaire du révérend seigneur, monseigneur l'inquisiteur de la perversité hérétique, vous m'avez envoyé, sur le fait d'une femme, certaines assertions extraites par vos hautesses. Avec les soumissions et protestations accoutumées en matière de foi, en n'affirmant rien de téméraire, en entendant ne déroger en rien à la Divine Puissance, tout réfléchi et pesé ; attendu et considéré la charitable admonestation, les multiples sommations et le choix donné à Jeanne, hier même, en présence de la vénérable assemblée des prélats et des docteurs en l'un et l'autre droit, par vos révérendissimes paternités et monseigneur l'archidiacre d'Évreux (4), député par vous, afin qu'elle soumît ses faits et dits contenus dans ces articles et dans son procès à la détermination et au jugement de l'Église universelle, du souverain pontife ou de quatre notables personnes de son obédience ou de l'Église de Poitiers (lesquelles sommations et exhortations lui ont été faites justement et raisonnablement, à mon sens ; et, par tous les moyens, lesdites charitables admonitions et exhortations, commencées par vous louablement, à l'honneur de Dieu, doivent être continuées, à ce qu'il me semble, pour son salut) ; mais attendu tout ce qui précède, les réponses qu'elles a données, et surtout qu'elle n'a voulu aucunement optempérer à ces exhortations et au choix qui lui a été accordé, à moins qu'autre chose ne m'apparaisse et constate la correction et l'amendement de ses dits, ou autre plus saine interprétation, il me semble que lesdits articles sont suspects en la foi, contraires aux bonnes mœurs et aux sanctions canoniques. Pour qualifier plus savamment et plus lumineusement ces articles, il me semble aussi que les jugements des docteurs en l'un et l'autre droit, savoir en théologie et décret, sont fort à considérer."
Donné l'an du Seigneur1431, le 3 mai, sous mon seing manuel ci apposé. Ainsi signé : G. DESCHAMPS.


Maître Nicolas CAVAL, licencié en droit civil, chanoine de la cathédrale  de Rouen, opina en conformité avec lesdits seigneurs et maîtres, par une cédule signée de sa main, dont la teneur est :

  "Vu par moi les assertions que vous m'avez envoyées, sous les seings des notaires publics, révérend père en Christ et seigneur, monseigneur l'évêque de Beauvais, et vous seigneur vicaire de monseigneur l'inquisiteur ; vu et ouï l'opinion unanime de plusieurs notables maitres en théologie sacrée, en grand nombre, et qui a été donnée à votre révérende paternité ; attendu que leur opinion, à mon jugement, est en accord avec les sanctions canoniques, j'adhère à leur dite opinion : toutefois sous vos corrections et les protestations accoutumées en telle matière."
Votre humble Nicolas CAVAL, chanoine de l'église de Rouen.


Robert LE BARBIER, licencié en droit canon, chanoine de l'Église de Rouen, opina conformément aux avis desdits seigneurs et maîtres par une cédule dont la teneur est telle :

  "Les assertions de cette femme qui m'ont été baillées de la part de votre paternité, mon très redouté seigneur, monseigneur l'évêque, et de celle de votre grandeur, monseigneur le vicaire inquisiteur, je les ai vues, ainsi que les opinions données en cette matière par quelques seigneurs et maîtres, professeurs en théologie sacrée. Après en avoir délibéré avec certains d'entre eux, et d'autres personnes savantes en droit canonique, je m'en rapporte et opine pour l'instant suivant l'opinion que lesdits maîtres en théologie vous ont adressée ; sauf les protestations accoutumées en matière de foi. Mais, à mon petit sens, et à la réserve d'un meilleur jugement d'autrui, lesdites assertions sont à envoyer, pour le bien de la matière et la justification du procès, à notre sainte mère l'Université de Paris, et principalement à la Faculté de Théologie et de Décret : il faut avoir leurs opinions avant de rendre le jugement sur l'affaire."
Ainsi signé : LE BARBIER.


Maître Jean ALESPEE, licencié en droit civil, chanoine de l'Église de Rouen, donna un avis conforme à celui des dits seigneurs et maîtres, ainsi qu'on le trouve en la cédule signée de son seing manuel et écrite de sa main, comme elle suit :

  "A révérend père en Christ, mon très redouté seigneur, monseigneur l'évêque de Beauvais, juge ordinaire dans ce procès ; et à vous aussi, vénérable père, maître Jean Le Maistre, vicaire du seigneur inquisiteur, révérence, Eglise St Pierre du Chatel à Rouenhonneur et promptitude à vous servir. Bien que je n'en sois pas digne, ni même suffisant entre les moindres, vous m'avez mandé et ensuite requis sous les peines de droit, avant le jeudi qui suivra (ce délai fixé une fois pour toutes à dater du 16 avril l'an du Seigneur 1431), de vous donner ma délibération en écrit, savoir si les assertions contenues dans les articles baillés avec votre premier mandement, ou certaines d'entre elles, sont contraires à la foi orthodoxe ou suspectes, contraires à l'Écriture sainte, contraires à la sacro-sainte Église romaine, contraires au jugement des doctes approuvés par l'Église, aux sanctions canoniques, scandaleuses, téméraires, injurieuses, recélant des crimes, offensantes pour les bonnes mœurs en quelque façon ; et ce qu'il en convient de dire au jugement de la foi. Moi, Jean Alespée, fils de l'obédience, bien que la possibilité de mon entendement n'en sache pas tant, cependant, pour ne point paraitre désobéissant (ce qu'à Dieu ne plaise), sous les protestations faites et qui vous ont été baillées en écrit par les révérends pères et mes seigneurs et maîtres les seigneurs théologiens, qui mieux que moi ont digéré la matière, je tiens et crois que les assertions et propositions envoyées et baillées par eux, ont été bien, dûment, justement et saintement, à ce qu'il me semble, bien jugées d'après les sanctions canoniques. C'est pourquoi je dois m'en rapporter à leur délibération et à leur opinion ; je m'y rapporte et veux y adhérer. Si toutefois vous avez en délibération avec notre mère l'Université de Paris, la Faculté de Théologie ou de Décret, ou l'une d'elles, ou qu'il vous arrive d'en avoir une, je n'entends nullement penser isolémentet me séparer de leur délibération ; mais, bien plutôt, je me soumets d'avance à leur jugement, à celui de la sainte Église romaine et du saint concile général."
Ainsi signé J. ALESPEE.


Maître Jean de CHÂTILLON, archidiacre et chanoine d'Évreux, docteur en théologie sacrée , opina conformément aux dits maîtres et seigneurs dans une cédule, signée de sa main, dont la teneur suit :

  "Sous les protestations accoutumées en pareilles matières, je dis que je suis d'accord et en conformité avec lesdits professeurs en théologie sacrée, ne différant en rien de leur opinion sur la qualité de la personne, ses faits et dits... etc (5). Cela, je le dis sous la correction de ceux à qui il appartient de ramener les égarés au chemin de la vérité, avec les protestations et soumissions susdites, sous mon seing, et de ma propre main, en témoignage des choses ci-dessus transcrites, suivant la forme de la requête."
Ainsi signé : Jean DE CHATILLON.


Maître Jean DE BOUESGUE (6), docteur en théologie aumônier de Fécamp, opina sous cette forme :

  "Moi, Jean de Bouesgue, docteur en théologie de l'Université de Paris, depuis vingt-cinq ans aumônier de la vénérable abbaye de Fécamp, attendu ce qu'on a écrit sur ladite femme, contre ses dits et faits ; la qualité de la personne, les manières d'apparitions et de révélations, etc...(5), pense qu'elle est schismatique de l'unité, autorité et puissance de l'Église ; entachée d'hérésie, attendu son obstination, attendu ce qu'elle a dit de saint Michel, des saintes Catherine et Marguerite, du sacrement de communion, etc... et qu'elle a tout fait du commandement de Dieu, etc... C'est pourquoi il faut la punir et que justice soit faite d'elle, pour l'honneur de Dieu et l'exaltation de la foi."
Ainsi signé : J. DE BOUESGUE.


Maître Jean GARIN, docteur en décret, chanoine de l'Église de Rouen, opina conformément aux seigneurs et maîtres nommés ci-dessus  dans un acte public, ainsi qu'on le trouve dans la cédule signée de sa main :

  "Révérend père et seigneur, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et vous, frère Jean Le Maistre, vicaire de l'inquisiteur, etc... Sachez que j'ai reçu avec révérence et honneur les propositions, insérées dans certain codicille, que vous m'avez transmises ; je les ai vues, ainsi que leur contenu, et les avis des docteurs des saints canons à leur sujet ; et je les ai étudiées suivant mon petit intellect. Ensuite, avec des docteurs tant en droit divin que civil et plusieurs autres, aussi savants en droit, réunis en assemblée, après avoir ouï les appréciations de nos révérends maîtres, les insignes professeurs en théologie, sur lesdites propositions et assertions, réunis dans ce dessein en grand nombre, après avoir conféré les unes avec les autres, suivant la méthode juridique, je les ai comparées. Ces appréciations, à mon petit jugement, sont conformes au jugement de la sacro-sainte Église romaine, à celui des docteurs approuvés par l'Église ou par les sanctions canoniques ou autrement, et suivant la doctrine des saints canons ; bien plus, elles sont entièrement d'accord avec les saints canons. C'est pourquoi, avec les protestations de nos révérends maîtres faites à ce sujet, et aussi celles des docteurs en décret, dont je suis le moindre, que l'on a coutume de formuler dans une telle matière et tant d'importance, je m'en tiens à l'opinion de nosdits maitres, si qualifiée, juridique et raisonnable, et, à mon peu de jugement, conforme à la doctrine des saints canons. D'un cceur empressé, autant qu'il est en mon pouvoir, je suis prêt à obéir très promptement aux commandements de l'Église et aux vôtres, en toutes choses."
Ainsi signé : Le tout vôtre J. GARIN.


Le vénérable chapitre de la Cathédrale de Rouen délibéra en cette manière :

  "Révérend père et vous, vénérable seigneur, vicaire de monseigneur l'inquisiteur de la perversité hérétique, vous avez requis le chapitre de la cathédrale de Rouen de vous donner, en faveur de la foi, un salutaire conseil sur certaines propositions extraites et choisies parmi les aveux et les dits d'une femme, vulgairement nommée la Pucelle : assavoir si ces assertions, ou certaines d'entre elles, tout vu et considéré, sont contraires à la foi orthodoxe, etc..., ce qu'il en faut penser au jugement de la foi, ainsi qu'il est contenu plus longuement dans l'exorde de la cédule de ces assertions. Mais alors, en réfléchissant à la grandeur de cette matière, nous avions différé de vous bailler réponse, désirant auparavant, afin de vous donner un conseil plus certain et plus assuré, prendre connaissance des consultations, délibérations et déterminations de l'insigne Université de Paris, surtout de celles des Facultés de Théologie et de Décret. Par la suite, après avoir vu et attentivement considéré les opinions de plusieurs docteurs en théologie sacrée qui se trouvaient en cette ville ; après cette assemblée de prélats, de docteurs en théologie et en droit canon, de licenciés en l'un et l'autre droit, savoir en droit canon, civil et autre et d'autres scientifiques personnes savantes en droit divin et civil, que vous avez tenue solennellement et présidée le 2 de ce mois de mai, et où furent faites à ladite femme beaucoup de douces et de pieuses admonestations, de charitables exhortations et sommations, tant par vous que par vénérable seigneur, monseigneur l'archidiacre d'Évreux, insigne professeur en théologie sacrée, spécialement commis à ce faire par vos ordres et autorité, afin que, pour le salut de son âme et le bien de son corps, pour l'honneur et la louange de Dieu, pour faire réparation envers la foi catholique, cette femme voulût bien corriger et amender ses faits et dits indécents, se soumettre, comme il convient à tout catholique, au jugement et détermination de l'Église universelle, de notre Saint-Père le pape, du concile général et des autres prélats de l'Église qui en ont le droit, ou de quatre notables et scientifiques personnes d'Église de l'obédience temporelle et domination des gens de son parti, des docteurs et autres avis ci-dessus nommés, se trouvant alors ici et acquiesçant à cet avis. Or cette femme n'a voulu pour rien au monde accueillir et recevoir ces justes admonestations, exhortations et charitables sommations : loin de le faire, alors qu'on les lui offrit si instamment et tant de fois par souci du salut de son âme et de corps, damnablement et pernicieusement, elle les méprisa et repoussa en tout. Elle a refusé absolument de se soumettre à la détermination et au jugement de l'Église, du Souverain Pontife, et de tout autre de ses juges, cela nonobstant l'exposition et déclaration de ses fautes et de ses erreurs, du jugement d'une éternelle damnation auquel elle s'exposait, toutes choses qui lui ont été fort clairement montrées. C'est pourquoi, présupposées les soumissions et protestations qu'il est d'usage de faire en pareille matière, nous disons ce qui suit en faveur de la foi. Oui, les déterminations et appréciations portées par lesdits docteurs en théologie sur ces assertions, le furent doucement, justement, raisonnablement. Nous adhérons à leur doctrine, ajoutant que, considérant avec attention et réfléchissant aux dites admonitions, aux sommations, aux exhortations charitables, aux déclarations, aux réponses et accusations de cette femme, à l'obstination de son coeur, il nous semble qu'elle doit être réputée hérétique."
Fait en notre chapitre, l'an du Seigneur 1431, le 3 mai
Ainsi signé: R. GUÉROULD.


Maîtres Aubert MOREL et Jean DUCHEMIN, licenciés en droit canon, avocats de la cour de l'Official de Rouen, opinèrent en cette forme :

  "Sous les protestations qu'on a coutume de faire en matière de foi, en nous soumettant à la correction de nos seigneurs les juges, des autres docteurs en théologie sacrée et autres savants en droit, à qui il convient de décortiquer cette matière, il nous semble qu'il y a à dire : premièrement, en ce qui concerne les prétendues révélations de cette femme, que suivant le droit écrit, il se peut qu'elles soient possibles en Dieu ; cependant, comme cette femme ne les a pas fortifiées par opération miraculeuse ou témoignage de la sainte Écriture, qu'il n'y a pas en eux d'évidence, il n'y a pas lieu de croire aux dits et assertions de cette femme. Item, en ce qui concerne le rejet de l'habit féminin, du moment qu'elle n'en a pas eu commandement de Dieu (ce qui n'est pas croyable, puisqu'aussi bien elle fit seule la chose, de son propre gré, contre l'honneur et la décence de son sexe et les bonnes mœurs), du moment qu'on l'a dûment admonestée sur ce, puisqu'elle a méprisé nos avertissements, elle est et doit être excommuniée et anathème. Item, cette femme, à défaut d'un motif raisonnable ou du commandement de son propre curé, est tenue de recevoir le sacrement de communion périodiquement, et au moins une fois l'an ; autrement, elle va contre la détermination et le commandement de l'Église. Item, cette femme est tenue de se soumettre à l'Église militante ; et admonestée de manière compétente sur ce point, si elle ne l'a point fait, il semble qu'elle enfreigne l'article de la foi : Unam sanctam Ecclesiam catholicam. Tout cela, nous l'entendons sous réserve que ses révélations ne lui viendraient pas de Dieu. Et en cela, et sur les autres propositions, assertions et prétentions qualifiées et nommées, nous nous en rapportons au jugement de nos seigneurs les théologiens, que cela concerne plus particulièrement. D'où il nous semble que cette matière est suspecte quant à la foi, contraire aux bonnes mœurs, contraire au jugement de l'Église, et même scandaleuse et séditieuse, rendant celle qui professe une telle doctrine suspecte quant à la foi, surtout si elle la soutient avec obstination. Il faut donc la punir de prison perpétuelle, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse, ou de toute autre peine extraordinaire, à modérer au bon vouloir de messeigneurs les juges."
Ainsi signé : A. MOREL. J.DUCHEMIN (7)


Onze avocats de la Cour de Rouen, les uns licenciés en droit canon, les autres en droit civil, les autres de l'un et autres droits, délibérèrent de la manière qui suit, ainsi qu'il apparait dans un acte rédigé sur ce. Voici leur nom : Guillaume De Livet, Pierre Carrel, Guerould Poustel, Geoffroy Du Crotay, Richard des Saulx, Bureau de Cormeilles, Jean Le Doulx, Laurent du Busc, Jean Colombel, Raoul Anguy, Jean Le Tavernier, s'ensuit la teneur de cet acte :

  "Au nom du Seigneur, amen. Sachent tous ceux qui verront ce présent acte public que, l'an du Seigneur 1431, indiction 9, le dernier jour du mois d'avril, la quatorzième armée du pontificat de notre très saint Père en Christ, notre seigneur Martin, par la divine Providence cinquième du nom ; dans la chapelle ou oratoire du manoir archiépiscopal de Rouen se trouvèrent réunis vénérables et discrètes personnes les avocats de la cour archiépiscopale de Rouen, au nombre de onze, dont les noms et surnoms n'ont pas été déclarés dans ce présent acte. Ces personnes savantes en droit, avaient été requises, sous les peines de droit, par révérend père en Christ et seigneur, Monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu évêque de Beauvais, et par religieuse personne frère Jean, vicaire du seigneur inquisiteur, afin de délibérer sur certains articles que les seigneurs juges avaient envoyées aux dits avocats, pour qu'ils baillassent par écrit leurs propres délibérations aux dits seigneurs juges avant le lundi suivant, ainsi que tout cela est contenu dans certaine cédule de papier, signée des seings manuels de Guillaume Colles, autrement dit Boisguillaume, et de Guillaume Manchon, prêtre, notaires publics. En ma présence, notaire public, en celle des témoins souscrits, spécialement appelés et requis, lesdits seigneurs avocats se réunirent ; car ils étaient prêts à obéir, de tout leur pouvoir, aux commandements de messeigneurs les juges, ne tenant pas à encourir les peines de droit. Mais en vrai fils d'obédience, d'un consentement unanime et d'une seule volonté, suivant les moyens et forme ci-dessous déclarés, ils délibérèrent ainsi :
  Sous la bienveillante correction de nos pères et seigneurs, messeigneurs les juges, et de tous autres à qui il appartient, bien que dans une matière aussi ardue et aussi importante que celle qui concerne les articles que vos grandeurs nous ont transmis, nous ne puissions dire et vous bailler en écrit que peu de chose, ou rien, cependant, sous les protestations qu'on a coutume de faire en une telle matière, il nous semble qu'il y a ceci à dire.
  Premièrement, en ce qui touche les révélations mentionnées dans lesdits articles, bien qu'il se puisse que les prétentions de cette femme, au sujet de ces articles, soient possibles en Dieu, cependant il n'y a pas lieu de croire cette femme, puisqu'elle n'a pas fortifié ses dires en opérant des miracles ou par le témoignage de la sainte Écriture. Item, en ce qui concerne le rejet de l'habit féminin et le refus de reprendre ledit habit, il semble qu'elle a agi contre l'honneur du sexe de la femme ; item qu'elle peut être admonestée d'avoir à reprendre l'habit féminin, autrement il peut être porté contre elle sentence d'excommunication, si elle n'en a pas eu commandement de par Dieu : ce, qui n'est pas à présumer. Item, quand elle dit qu'elle aime mieux être privée du sacrement de communion du Christ, au temps où les fidèles ont accoutumé de communier, que d'abandonner l'habit d'homme, sur ce point-là, à ce qu'il semble, elle va expressément contre les saintes obligations, puisque chaque chrétien est tenu une une fois l'an de recevoir le sacrement d'eucharistie. Item, quand elle ne veut pas se soumettre au jugement de l'Église militante, il semble qu'elle contrevient à l'article de la foi : Unam sanctam et au jugement du droit. Tout cela, nous l'entendons toujours, comme nous l'avons dit et déclaré, à moins que ses révélations et assertions viendraient de Dieu, ce qui n'est pas vraisemblablement croyable. Toutefois, pour apprécier et qualifier ces propositions, et d'autres relatées au procès et dans les articles, nous nous en rapportons au jugement de messeigneurs les théologiens de notre chère mère l'Université de Paris, à qui il appartient plus convenablement, de par leur science, de les juger.
  Sur tous ces points et sur chacun d'eux, les dits seigneurs avocats réunis au nombre de onze, dont j'ai retenu les noms par devers en tant que notaire public, me demandèrent à moi, notaire public, de faire faire et établir un procès-verbal officiel, en une ou plusieurs copies. Ceci fut fait dans ladite chapelle, à heure matinale, l'an, indiction, mois, jour et pontificat susdits, en présence de discrètes personnes maîtres Pierre Cochon (8) et Simon Davy, prêtres, notaires jurés de ladite cour archiépiscopale de Rouen, témoins appelés et requis spécialement.
  Et moi, Guillaume Lecras, prêtre du diocèse de Rouen notaire public de la cour archiépiscopale de Rouen par autorité apostolique et impériale, examinateur député des témoins, j'ai été présent avec lesdits témoins, à toutes et à chacune des choses que firent et dirent lesdits maîtres avocats, ainsi qu'il a été rapporté, au lieu, jour et heure susdits ; je les ai vus et ouïs quand il les firent et délibérérent et j'en ai pris note. C'est pourquoi à ce présent acte public, écrit de ma main, j'ai apposé mon seing habituel, et je l'ai souscrit ici, requis et juré, en témoignage de la vérité des choses dessus dites."
Ainsi signé : G.LECRAS

Révérend Père en Christ Monseigneur Philibert (9), évêque de Coutances, délibéra en cette forme :

  "A révérend père et seigneur en Christ, monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu évêque de Beauvais, mon très cher seigneur. Révérend père et seigneur en Christ, en toute cordialité et recommandation j'ai reçu les lettres que votre paternité m'avait adressées dans cette ville, en mon absence, ainsi que certain cahier, contenant les aveux et assertions de certaine femme divisés en douze articles, signé des seings de trois notaires et sous le sceau royal. Autant que j'ai pu le déduire de ces articles, cette femme affirme que les anges Michel et Gabriel avec une multitude d'anges, les saintes Catherine et Marguerite lui apparurent, et parfois auprès d'un arbre fée ; qu'elle a touché corporellement ces saintes qui la réconfortèrent, qu'elle leur a parlé fréquemment, qu'elle leur a fait promesse de leur conserver sa virginité. Et les  dites saintes dirent à cette femme, du commandement Sceau de Philibert de Montjeu, évêque de Coutancesde Dieu, qu'elle se rendit vers certain prince, et, qu'avec son aide, il recouvrerait grand domaine ; et aussi qu'elle prît et portât l'habit d'homme qu'elle prit et porte. Ainsi elle alla vers ledit prince, accompagnée de Michel, d'une multitude d'anges et des saintes ; et une couronne très précieuse fut donnée par l'ange au roi. Elle dit savoir par révélation qu'elle s'évaderait des prisons, que les Français feraient en sa compagnie plus beau fait qu'oncques ne firent, et qui jamais fut fait par toute la chrétienté ; et que, si elle était en habit d'homme parmi les Français, comme avant sa prise, ce serait un des plus grands biens qui pût advenir à tout le royaume de France. Que de son prince elle avait reçu armes et gens d'armes, et que plusieurs fois elle avait publié des mandements dans lesquels elle insérait les noms de JHESUS et de MARIA, ainsi que le signe de la croix, alors qu'elle n'entendait pas qu'on fît ce qu'elle mandait ; dans d'autres, elle menaçait de peine de mort qui n'aurait pas obéi à ses lettres. En outre, elle s'est précipitée du sommet d'une tour malgré la défense des saintes Catherine et Marguerite, ce qui fut un grand péché mais rémissible toutefois par confession. Et elle le savait par révélation. Ainsi elle se précipita, aimant mieux mourir que d'être en la main de ses ennemis et de voir la destruction de la ville de Compiègne. Et elle a dit qu'elle aimerait mieux mourir et être privée de la sainte communion que d'abandonner l'habit d'homme ; qu'elle croit n'avoir jamais commis de péché mortel, qu'elle sait qu'elle est aussi certaine du salut de son âme que si elle était déjà au royaume des cieux. De certaines choses purement contingentes, elle dit avoir une connaissance certaine, comme si elle les voyait en réalité. En outre elle sait, à ce qu'elle affirme, que Dieu aime certaines personnes vivantes nommées par elle, et plus qu'il ne l'aime ; aussi elle affirma avoir fait la révérence auxdits anges, à saintes Catherine et Marguerite, découvrant sa tête, fléchissant les genoux, baisant la terre sur laquelle ils marchaient. Elle a dit qu'elle était aussi sûre et certaine que ses révélations procèdent de Dieu, qu'elle croit fermement en la foi catholique, que Notre Seigneur Jesus-Christ a souffert passion pour notre salut. Que si l'Église voulait qu'elle fît quelque chose contre le commandement qu'il lui a fait, elle ne le ferait pour chose au monde, et que ce lui serait absolument impossible. Qu'elle sait bien que ce qui est contenu dans son procès vient de Dieu, et qu'elle ne veut s'en rapporter au jugement de l'Église militante ou d'homme vivant, mais à Dieu dont elle fit les commandements, surtout en ce qui concerne la matière des révélations. Voilà, révérend père, ce que j'ai pu extraire des articles résumés du procès original, juridiquement instruit à mon sentiment. Il n'est d'ailleurs à présumer que votre révérende paternité, les seigneurs et maîtres si doctes et savants consultés par elle sur une telle matière, pussent en rien dévier, surtout sur une semblable question, de la voie de la vérité. Et, bien, que cette affaire ait été déduite de la façon la plus docte et la plus exacte, bien qu'aucune explication ne puisse être ici produite par moi avec quelque force et quelque nouveauté, du moins mal que je le puis, à votre paternité qui le commande, l'exige et m'y contraint, je parlerai ainsi. Mais je me garderai d'apprécier les omissions (10) dans chacun de ses articles, ne voulant pas paraître en remontrer à Minerve elle-même. Certainement, révérend père, j'estime que cette femme a un esprit subtil, enclin au mal, agité d'un instinct diabolique, vide de la grâce du Saint-Esprit. Il y a deux signes qui, suivant le bienheureux Grégoire attestent qu'une personne est remplie de la grâce du Saint-Esprit, savoir la vertu et l'humilité : il est manifeste que ces deux signes ne se trouvent à aucun degré chez cette femme, si nous venons à considérer dûment ses dits. Que dis-je ? certaines de ses assertions (à la réserve d'un jugement meilleur que le mien) paraissent contraires à la foi catholique, hérétique ou du moins véhémentement suspectes d'hérésie. Et celles-là et d'autres ne sont que remplies de vanteries superstitieuses, scandaleuses, perturbatrice de la chose publique, très souvent, et plus que je ne puis le dire, offensantes et dangereuses. Ces assertions, même à des yeux aveuglés, ne doivent être dissimulées ou escamotées sans qu'on y porte le remède topique de justice ; et, comme la justice le conseille d'ailleurs, il semble que leur condamnation ne doive pas être différée : car il se peut que plusieurs opinent qu'il convienne peut-être d'ajourner la discussion de cette cause. Eh bien ! cette femme, même si elle consent à révoquer tout ce qui doit être révoqué dans ses assertions, il faut la garder sous bonne garde, tant qu'il sera nécessaire, et jusqu'au jour où il apparaitra qu'elle a été suffisamment amendée et corrigée. Si elle ne veut pas révoquer ce qu'elle doit révoquer, il y a lieu de faire d'elle ce qu'on a coutume de faire d'une opiniâtre contre la foi : tout cela à la réserve d'un meilleur jugement que le mien. Voilà, révérend père et seigneur j'ai cru devoir vous dire en cette circonstance, avec tout amendement meilleur à apporter en cette matière. Je suis prêt à exécuter tout ce qui sera agréable à votre révérende paternité, que le Très Haut daigne conserver heureusement et suivant ses voeux. Écrit à Coutances, le 5 mai.
  De votre révérende paternité je suis, en toutes choses, vôtre : PHILIBERT, évêque de Coutances."
  Ainsi signé : SAINTIGNY

Révérend père en Christ, Monseigneur l'évêque de Lisieux (11), délibéra comme suit :

  "A révérend père et seigneur en Christ, monseigneur Pierre, par la grâce de Dieu et du siège apostolique, évêque de Beauvais et scientifique personne, maître Jean Le Sceau de Zanon? evêque de LisieuxMaistre, vicaire et inquisiteur de la perversité hérétique, Zanon, par la même grâce, évêque de Lisieux, salut en Notre Seigneur et bienveillance de cœur pour acquiescer à vos réquisitions. Révérend père et seigneur, sachez que j'ai reçu vos lettres missives, ainsi que les assertions confessées au procès naguère fait de certaine femme, que le vulgaire appelle la Pucelle, sous forme d'articles rédigés dans un cahier de papier, avec toute la pureté d'esprit que commande votre révérence. Tout vu, mûrement considéré et examiné, je vous envoie lesdits articles inclus, avec mon jugement et mon opinion, sous mon signet.
  Donné à Lisieux, le 14ème jour du mois de mai, l'an du Seigneur 1431."
Ainsi signé : LANGLOIS.

  "Révérend père, il est très difficile d'établir un jugement dans la matière d'apparitions et de révélations contenue dans les articles que votre paternité Rouen-reconstitution fontaine Lisieuxm'a adressés sous les seings authentiques de certains notaires : car, selon la parole de l'apôtre, "l'animal homme ne perçoit pas ce qui est de l'esprit de dieu, ne connaîtra pas le sens du Seigneur, et ne sera pas son conseiller" ; et comme le propose saint Augustin, au livre De spiritu et anima, dans ces sortes de visions ou d'apparitions, l'esprit est souvent trompé et joué ; car il voit tantôt des choses vraies, tantôt des choses fausses, et parfois un esprit tantôt bon ou mauvais y préside. Il n'est pas facile de discerner de quel esprit elles proviennent ; c'est pourquoi, à tout individu qui affirme purement et simplement qu'il est envoyé de Dieu pour manifester quelque dessein secret et invisible de Dieu, il ne faut ajouter aucune foi à moins qu'il n'en justifie par l'apparition de certains signes, de miracles, ou par le témoignage spécial de l'Écriture (c'est ce qu'expose la Décrétale, Cum ex injucto, sur les hérétiques). Or nulle conjonction, ni apparence extérieure, aucun signe d'une sainteté admirable ou d'une vie insigne ne m'apparaissent en elle, par quoi il soit présumable que Dieu ait soufflé dans cette femme l'esprit de prophétie, en vertu de quoi elle aurait accompli tant d'œuvres miraculeuses, ainsi qu'elle s'en vante. C'est pourquoi, ces choses considérées, moi Zanon, évêque de Lisieux, avec les protestations, les soumissions qu'il est d'usage de faire en semblable matière, après avoir eu ces révélations, et après avoir réfléchi à ses autres faits et dits, à la vraisemblance, qu'il y a lieu de présumer que ses visions et révélations ne procèdent pas de Dieu, par le ministère des saints et saintes, comme elle l'affirme. On doit même présumer de deux choses l'une : savoir qu'il y a eu fantasmagories et tromperies de la part des démons, qui prennent la figure d'anges lumineux, et parfois se transforment en apparences et à la ressemblance de diverses personnes ; ou bien que ce sont des mensonges forgés et inventés humainement pour décevoir les êtres grossiers et ignares. Item au premier regard, plusieurs desdits articles contiennent des nouveautés scandaleuses et erronées, plusieurs affirmations téméraires et présomptueuses, pleines de forfanterie et offensantes pour de pieuses oreilles de l'irréligion, du mépris pour le sacrement de communion. Et quand elle dit qu'elle ne veut pas soumettre ses dits et ses faits à la détermination et au jugement de l'Église militante, elle ruine en cela, et au plus haut point la puissance et l'autorité de l'Église. Donc, après qu'on l'aura dûment et charitablement admonestée et exhortée, qu'elle aura été solemnellement requise et sommée de soumettre l'interprétation de ses affirmations et aveux, comme chaque fidèle vivant est tenu de le faire, au jugement et à la détermination de notre Saint-Père le pape, de l'Église universelle réunie en concile général, ou d'autres prélats de l'Église ayant cette puissance, si elle refuse et dédaigne de le faire, dans un esprit opiniâtre, elle doit être estimée schismatique et véhémentement suspecte en la foi. Voilà ce qui me parait à dire en cette présente matière, sauf meilleur jugement."
Témoin mon seing manuel ci apposé, l'an et jour dessus dits :
Ainsi signé ZANON, de Lisieux.


Révérends Pères en Christ, seigneurs et maîtres, Nicolas, abbé de Jumièges, et Guillaume, abbé de Cormeilles, docteurs en décret, délibèrent comme il suit, selon une cédule signée de leur main, dont la teneur est ci-dessous :

   "Vous nous demandez et requérez, par certaine cédule, mon très révérend père et seigneur en Christ, Pierre, évêque de Beauvais, et vous frère Jean Le Maistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur, à nous deux, humbles abbés, Nicolas de Jumièges Sceau de l'abbaye de Jumiègeset Guillaume de Cormeilles, de vous donner par écrit nos délibérations, avant le lundi suivant, et de délibérer pour savoir si les assertions contenues dans les articles que vous nous avez fait adresser touchant certaine femme sont contraires à la foi orthodoxe, ou suspectes, etc..., ainsi qu'il est contenu plus longuement dans ladite cédule. Mais autrefois, requis par vous, nous vous avons écrit notre réponse, et sous nos seings, assavoir que  tout le procès concernant cette femme devait être déféré à notre mère l'Université de Paris, dont nous désirions particulièrement suivre en tout l'opinion, dans une besogne si ardue. Cependant vous ne vous êtes pas contentés de notre réponse, et vous nous avez requis de nouveau (12), comme il est dit plus haut
. C'est pourquoi, en soumettant notre opinion au jugement de la sainte Église romaine et du concile général, nous vous disons aujourd'hui que le fait de cette femme se réduit à quatre points. Et premièrement, en ce qui concerne la soumission à l'Église militante, cette femme doit être charitablement admonestée, publiquement et aux yeux de tous, et il convient de lui exposer le danger qu'elle court ; et, après ce légitime avertissement, si elle persévère dans sa malice, elle doit être réputée suspecte en la foi. Quant à ses révélations, quant au port de l'habit, qu'elle dit avoir de Dieu, il ne nous parait pas, à première vue, que nous puissions la y croire, ni y ajouter foi, puisqu'il n'y apparaît point sainteté de vie ou miracles. Quant au quatrième point, qu'elle n'est pas en péché mortel, Dieu seul le sait, qui pénètre le cœur des hommes. Et comme il y a là des faits que nous ne pouvons connaître, nous qui n'avons pas à juger des choses cachées, d'autant plus que nous n'avons pas été présents à l'examen de ladite femme, nous nous en rapportons aux maîtres en théologie pour un jugement ultérieur."
Témoins nos seings apposés à la présente cédule, le dimanche 29 avril, l'an du seigneur 1431.
Ainsi signé : N. DE JUMIEGES. G. L'ABBÉ DE CORMEILLES.


Maître Raoul Roussel, docteur en l'un et l'autre droit, trésorier de l'Église de Rouen, opina comme il suit :


  "Révérend père en Christ, mon très redouté seigneur, et vous, notre honoré seigneur et maître, que vos grandeurs daignent savoir, outre ce que je vous ai déjà écrit, que je ne puis rien vous dire de plus (12), sinon que je crois que ces assertions sont fausses, mensongères, subtilement inventées par cette femme et ses complices pour en venir à ses fins et à celles de son parti. Pour qualifier plus amplement ces propositions, je m'en rapporte aux maîtres en théologie et j'entends adhérer à leur opinion. Je le dis avec les protestations qu'on a coutume de faire dans des matières aussi ardues."
Fait l'an du Seigncur 1431, le dernier jour d'avril.
Ainsi signé par votre serviteur, R. ROUSSEL.


Maîtres Pierre Minier, Jean Pigache et Richard de Grouchet, bacheliers en théologie, opinèrent de la façon suivante :

  "Sous réserve des protestations que nous exprimâmes ailleurs, et auxquelles nous adhérons, puisque votre Révérende paternité et le vicaire seigneur inquisiteur nous mandèrent de donner une réponse formelle touchant certaines assertions d'une femme, que nous ouïmes, savoir si elles sont contraires à la foi orthodoxe, à l'Écriture sainte, suspectes en la foi etc... il nous a paru naguère (12), et il nous semble aujourd'hui, qu'une réponse formelle sur ces assertions, sauf meilleur jugement, dépendent d'une distinction certaine quant à l'origine des révélations qui sont mentionnées dans les articles que votre révérende paternité nous a adressés et auxquels sont jointes lesdites assertions. Mais notre insuffisance ne permet pas de formuler une telle distinction. Si ces révélations procèdent d'un esprit malin ou d'un démon, si elles sont feintes par une particulière industrie, il nous semble que plusieurs desdites assertions sont suspectes en la foi, injurieuses, contraires aux bonnes mœurs et entachées de plusieurs vices notés dans ladite cédule. Si au contraire ces révélations procèdent de Dieu ou d'un bon esprit, ce qui n'est pas évident pour nous, elles ne sauraient être interprétées en mauvaise part.
Voilà, révérendissime père et seigneur, ce que nos consciences relativement aux points sur lesquels vous nous requérez, sans témérité et sous toute correction due."
Ainsi signé : P.MINIER. P.PIGACHE, R. DE GROUCHET.

   



Maître Raoul Le Sauvage, bachelier en théologie sacrée, donna son avis suivant la teneur de certaine cédule, signée de sa main, dont le texte suit :

  "Avec toutes les protestations et les soumissions dues, et que j'ai exprimées ailleurs dans ma délibération, auxquelles j'adhère, et que je vous supplie de recevoir de nouveau (13), révérend père en Christ, mon très redouté seigneur, et vous, mon révérend maître, seigneur vicaire du seigneur inquisiteur ; de ces assertions, relatives à certaines révélations, et que vous m'avez adressées naguère, comme je l'ai déjà dit, au premier regard, certaines m'apparaissent comme scandaleuses, et le sont en effet : d'autres sont suspectes en la foi, d'autres encore téméraires, propres à l'induire au mal et à I'erreur. Et pour les qualifier proprement, je m'en suis rapporté comme je l'ai dit, et je m'en rapporte aujourd'hui, aux seigneurs et maîtres, mes supérieurs. Aujourd'hui toutefois, en n'affirmant rien qui ne puisse être affirmé, en soumettant humblement à votre bienveillance correction ma personne et mes dires, mon révérend père et seigneur, et aussi à celle des seigneurs et maîtres mes supérieurs, lorsque dans l'article I elle dit qu'elle a vu corporellement saint Michel, etc..., et aussi dans l'article XI, je ne sais si elle a dit la vérité ; mais je crains qu'il y ait quelque fantasmagorie et un mensonge forgé. Sur ce point que saintes Catherine et Marguerite lui commandèrent de par Dieu de prendre l'habit d'homme, qu'elle aimerait mieux mourir que de délaisser l'habit d'homme etc..., il y a à ce qu'il me semble, témérité. Sur ce fait qu'elle aimerait mieux ne pas assister à l'office de la messe, être privée de l'Eucharistie, au temps ordonné par l'Église, que de délaisser cet habit d'homme, ce me semble un scandale et induire à mauvais exemple. Quand elle a différé et refusé de se soumettre, elle et ses faits à l'Église militante, après que plusieurs fois on l'en a admonestée et requise dans l'article XII, quand elle ne veut s'en rapporter au jugement de l'Église militante, ni à homme vivant sur le sujet de ses révélations elle parait schismatique, suspecte d'erreur, induire au mauvais exemple car elle est tenue, et plus fermement et avec plus de certitude, d'obéir aux enseignements de l'Eglise et à ses commandements plutôt qu'à ses apparitions, peut-être fantastiques et diaboliques : car de mauvais esprits parfois prennent l'apparence d'anges bons. Relativement à l'article II, au sujet du signe qu'elle dit qu'eut le prince vers qui elle était envoyée etc..., je n'ai pas d'opinion : ce peut être une fiction et une invention mensongère. Quant à l'article III, qu'elle est certaine que celui qui la visita et visite est saint Michel, car il se nomme à elle ainsi, ce me semble une témérité incroyable de la part de tout esprit : c'est peut-être, comme plus haut, un jeu de l'esprit du Malin. En ce qu'elle croit qu'elle est vraie et bonne, aussi fermement qu'elle croit que Christ a souffert et est mort pour nous, il me semble qu'elle est suspecte d'hérésie, qu'elle expose notre foi à la dérision, que c'est là en amoindrir la solidité. Sur l'article IV, qu'elle est sûre de certains événements qui arriveront dans l'avenir aussi bien qu'elle est certaine de ce qu'elle voit objectivement devant elle, il y présomption car les événements à venir n'arrivent pas de toute nécessité. Et même si l'on accordait que ce soit là une révélation divine, ce ne pourrait être que par quelque communication analogue à celle de Jonas qui prophétisa : "Encore quarante jours et Ninive sera détruite". Sur ce que saintes Catherine et Marguerite lui révélèrent qu'elles la délivreraient, etc..., c'est sans doute une invention mensongère et quelque vanterie. Au sujet de l'épée révélée, ce fut peut-être révélation d'un esprit malin, ou même humain ; il n'y a pas lieu d'y ajouter foi. Sur l'article V, qu'elle prit l'habit d'homme du commandement de Dieu, etc., ce n'est pas vraisemblable, mais bien plutôt   indécent, déshonnête, surtout pour la femme et jeune fille qu'elle prétend être, à moins qu'elle l'ait fait pour éviter qu'on lui fit une violence, pour conserver sa virginité. Sur l'article VI, que dans ses lettres qu'elle faisait écrire elle apposait le signe de la croix, et que ce signe était mis pour que ceux à qui elle écrivait ne fissent point ce qu'elle mandait, bien que les signes signifient ce que l'on veut, toutefois elle peut être soupçonnée qu'à l'instigation de l'esprit du Malin pour mépriser et blasphémer le Christ crucifié, qui est la plus haute vérité, elle a fait cela. Quant au reste de la proposition, il n'y apparait que superbe et jactance. Sur l'article VII, quand elle se mit en compagnie d'un écuyer qu'elle n'avait jamais vu, etc..., elle agit avec témérité et s'exposa à outrage ; relativement à l'article VIII, quand elle se précipita d'une haute tour, il y a évidence. Et lorsque de sa propre volonté elle abandonna la maison paternelle, contre le gré de ses parents etc... c'est moins que l'honneur et l'amour que nous devons porter à nos parents ; elle vint contre le commandement d'honorer ses père et mère et elle agit sans doute par malice obstinée et suivant un cœur endurci. Sur l'article VIII, comme nous l'avons déjà dit, quand elle se précipité de la tour, etc..., elle fut mal et follement conseillée, et il semble que l'esprit malin la poussa et fit passer devant ses yeux le signe de désespérance. Le reste de cette proposition ne peut être que jactance. Sur l'article IX, que les saintes Catherine et Marguerite lui firent promesse, je n'en sais rien ; mais c'est sans doute fiction téméraire et orgueilleux mensonge. Lorsqu'elle se répute n'avoir point fait les œuvres d'un péché mortel, ce me paraît de la présomption, et cela vient contre le fait qu'elle s'est précipitée de la tour. Relativement à ce qu'elle affirme que Dieu aime certaines personnes, etc... c'est bien ; mais lorsqu'elle dit que les saintes Catherine et Marguerite ne parlent pas l'anglais, voilà une assertion téméraire et qui semble bien une sorte de blasphème : car Dieu n'est-il pas notre Seigneur à tous, la suprême providence, aussi bien pour les Anglais que pour les autres ? Ainsi elle a parlé contre la loi d'amour que nous devons porter à notre prochain. Sur l'article XI, qu'elle a accolé et baisé corporellement les saintes Catherine et Marguerite, etc..., je ne vois là que fantasmagorie, mensonge forgé ; un jeu des démons. Et si elle les avait adorées simplement et sans condition, elle n'aurait pas encourue d'être taxée de quelque idolâtrie. Au sujet de l'article XII, je dis comme pour l'article I.
  Cependant, mon révérend père et messeigneurs, il convient d'avoir des égards pour la fragilité féminine ; et il y a lieu de lui répéter en français ces propositions et assertions, de l'admonester charitablement de se corriger, de ne point tant présumer de révélations qui peuvent être forgées par l'esprit du Malin ou autrement. En conséquence, comme je vous le disais, pour donner en cette affaire conclusion et sentence, et qu'elle soit plus assurée et plus ferme, qu'on ne puisse, de nul parti, la suspecter, il me semble, sauf toujours meilleur avis, que pour l'honneur de sa royale majesté, le vôtre, la quiétude et la paix de vos consciences, renvoyer vers le Saint-Siège apostolique lesdits articles avec les appréciations qui leur conviennent. Voilà, révérend père en Christ et mon maître, monseigneur le vicaire de l'inquisiteur, ce qui me semble à dire sur cette matière, sous toute correction et adjuvant, etc... "
Ainsi signé : R. LE SAUVAGE.




                                                 


Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952).

Notes :
1 L'abbé de Mortemer avait été identifié comme étant Guillaume Théroude, qui prit part au concile de Constance, remplit diverses missions pour Jean sans Peur, duc de Bourgogne et fut recommandé à Henri V par Philippe le Bon en 1421. Il est mentionné à Roeun en 1424.
Pour M.Denifle et Chatealin dans leur "procès de Jeanne d'Arc", il s'agit de Nicolas, moine de Rosières près de Salins. Un registre de Martin V nous apprend qu'il fut nommé Abbé de Mortemer le 26 novembre 1428. (P.Champion)

2 Manoir archiépicopal ou Logis de l'archevêque entre la rue St Romain et la Cathédrale.La cour de l'officialité en faisait partie et on y trouvait aussi des prisons. (P.Champion)

3 Gilles De Duremort

4 Jean de Châtillon

5 Le reste comme dans la délibération des seize conseils (P.CHampion).

6 Ancien universitaire de Paris. Familier du pape, néanmoins en 1408, il fut poursuivi devant l'Official de Paris par Estoud d'Estouteville pour la mauvaise administration de son abbaye et le peu de soins qu'il prenait des pauvres et des lépreux. Aumônier de l'abbaye de Fécamp, il n'est pas étonnant qu'il ait opiné comme son maître.

7 Signalons qu'Aubert Morel votera pour la torture de Jeanne un peu plus tard dans ce procès !

8 Pierre Cochon, l'auteur de la chronique normande. Il est mort le 22 février 1449. Il était ami de Guillaume Manchon, le notaire principal du procès de Jeanne.

9 Philibert de Montjeu, noble bourguignon, chanoine d'Amiens puis évêque de Coutances en 1424 par protection des ducs de Bourgogne et de Bedford. L'évêché de Coutances sera un des derniers bastions anglais en Normandie. Gilles de Duremort succédera à De Montjeu comme évêque de Coutances.

10 Estimant sans doute que Jeanne aurait pu être davantage chargée encore !

11 Zanon de Castiglione, évêque de Lisieux, d'origine italienne et inféodé lui-aussi aux Anglais qui comme beaucoup d'autres religieux de ce temps prêtera, sans aucun état d'âme, serment de fidélité le 3 novembre 1449 à Charles VII lorsque la Normandie sera perdue pour ses anciens maîtres.

12 La première réponse faite ne satisfaisait visiblement pas Maître Cauchon, les intéressés ont dû compléter leur première délibération. (ndlr)
A noter la réponse courageuse de Pierre Minier, Jean Pigache et Richard de Grouchet, assesseurs assidus au procès, qui leur vaudra nombre d'ennuis de la part de Cauchon comme certain témoignage du procès de réhabilitation l'indique : "Ils avaient donné leur avis sous le coup d'une terreur telle qu'ils se seraient sauvés de Rouen s'ils l'eussent osé" (O'Reilly). Ils se rangèrent néanmoins par la suite aux avis de l'Université de Paris mais Pierre Minier aura à nouveau le courage supplémentaire de s'abstenir lors de la séance du 19 mai. (ndlr)

13 Raoul Le Sauvage faisait déjà partie le 12 avril des personnages consultés sur les douze articles. Les autres n'ont pas été requis de donner leur avis par écrit. Une erreur de Cauchon qui le requiert à nouveau ? (ndlr)




Procès de condamnation en Français (1431)
- Index

Préliminaires :
- ouverture du procès
- séance du 9 janvier

- séance du 13 janvier
- séance du 23 janvier
- séance du 13 février
- séances des 14 au 16 fév.
- séance du 19 février
- séance du 20 février

Procès d'office :
séances publiques
- 1ère séance du 21 février
- séance du 22 février
- séance du 24 février
- séance du 27 février
- séance du 1er mars
- séance du 3 mars
- réunions du 4 au 9 mars
séances dans la prison
- séance du 10 mars
- séance du 12 mars
- séance du 13 mars
- séance du 14 mars
- séance du 15 mars
- séance du 17 mars
- réunion du 18 mars
- réunion du 22 mars
- séance du 24 mars
- séance du 25 mars

Procès ordinaire :
- réunion du 26 mars
- réquisitoire du 27 mars
- suite réquisitoire 28 mars
- séance du 31 mars
- réunion du 2 avril
- réunion du 5 avril - articles
- suite - délibération
- exhor. charit. du 18 avril
- admonition du 2 mai
- menace torture du 9 mai
- délibération du 12 mai
- délibération du 19 mai
- admonestation du 23 mai
- abjuration du 24 mai

La cause de relapse :
- constat relapse du 28 mai
- délibération du 29 mai
- citation du 30 mai

Actes postérieurs




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Jeanne d'Arc, histoire et dictionnaire