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Procès
de condamnation
- procès d'office
Troisième interrogatoire public
- 24 février 1431 |
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tem
le samedi suivant, 24e jour du mois de février, nous, évêque,
nous rendîmes au château de Rouen, dans ladite
chambre (1), où comparut
judicairement devant nous Jeanne, en présence de plusieurs
révérends pères, docteurs et maîtres,
savoir Gilles, abbé de la Sainte Trinité de Fécamp,
Pierre, prieur de Longueville Giffard ; Jean de Chastillon, Erard
Emengart, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi,
Jean de Nibat, Jacques Guesdon, Maurice du Quesnay, Jean Le Fèvre,
Guillaume Le Boucher, Pierre Houdenc, Pierre Maurice, Richard Prati,
Jean Charpentier et Gérard Feuillet, Denis de Sabrevois,
docteurs en théologie sacrée; Nicolas de Jumièges,
Guillaume de Sainte Catherine, Guillaume de Cormeilles, abbés;
et Jean Garin, docteur en droit canon ; Raoul Roussel docteur en
l'un et l'autre droit ; Nicolas Couppequesne, Guillaume Haiton,
Thomas de Courcelles, Jean Le Maistre, Nicolas Loiseleur, Raoul
Le
Sauvage, Guillaume de Baudribosc, Nicolas Lemire, Richard Le Gagneux,
Jean Duval, Guillaume Le Maistre et Guillaume l'Ermite, bacheliers
en théologie sacrée; l'abbé de Saint Ouen,
l'abbé de Saint Georges, l'abbé de Préaux,
le prieur de Saint-Lô, et le prieur de Sigy ; et aussi Robert
Le Barbier, Denis Gastinel et Jean Le Doulx, bacheliers en l'un
et l'autre droit ; Nicolas de Venderès, Jean Pinchon, Jean
de La Fontaine, Aubert Morel, Jean Duchemin, Jean Colombel, Laurent
Du Busc, Raoul Anguy, Richard des Saulx, bacheliers en droit canon,
André Marguerie, Jean Alespée, Geoffroy du Crotay,
Gilles Descharmps, Nicolas Maulin, Pierre Carel, Bureau de Cormeilles,
licenciés en droit civil ; Robert Morellet et Jean Le Bon,
chanoines de la cathédrale de Rouen, et Nicolas Foville.
*
* *
En leur présence nous avons d'abord requis ladite
Jeanne de dire simplement et absolument, la vérité
sur les questions qui lui seraient posées, sans apporter
aucune réserve à son serment ; et de ce faire nous
l'avons admonestée par trois fois. Ladite Jeanne
a répondu :
- Donnez moi congé de parler.
In quorum præsentia, primo
requisivimus præfatam Johannam quod, simpliciter et absolute,
juraret dicere veritatem de his de quibus interrogatur, absque quaqumque
conditione per ipsam in hujusmodi juramento apponenda ; et de hoc
ipsam trina vice monuimus. Quæ quidem Johanna respondit :
- Detis mihi tiara loquendi.
Ledit evesque de Beauvoys persuada
et admonnesta ladicte Jhenne qu'elle jurast absolutement et sans
condiction de dire verite. De ce faire fut troys foys admonnestee
et requise. A quoy elle respondit :
- Donnez moy congié de parler.
Et puis dit :
- Par ma foi, vous me pourriez demander telles choses que je
ne vous dirais pas.
Elle dit aussi :
- Peut être que sur beaucoup de choses que vous me pourriez
me demander je ne vous dirais pas le vrai, en ce qui touche les
révélations ; car, par aventure, vous me pourriez
contraindre à dire telle chose que j'ai juré de ne
dire point. Ainsi je serais parjure, ce que vous ne devriez vouloir
!
Et tunc digit :
- Per fidem meam, talia possetis mihi petere, quæ ego non
dicerem vobis.
Rursum quoque dixit :
- Potest esse quod, de multis quæ vos possetis mihi petere,
ego non dicerem vobis verum utputa de hoc quod tangit revelationes
quia, forsan, vos possetis me compellere ad dicendum talem rem quam
ego juravi non dicere, et ita essem perjura, quod velle non deberetis.
Et puis dist :
- Par ma foy, vous me pourriez demander telles choses que je
ne vous diroys pas.
Item, dist :
- Peult estre que de beaucoup de choses, que vous me pourriez
demander, que je ne vous diroye pas le vray ; specialement de ce
qui touche les revelacions ; car vous me pourriez contraindre par
advanture a dire telle chose que j'ay juré ne dire point.
Ainsi seroys pariure ; que ne debveriez pas vouloir.
Et elle ajouta :
- Moi, je vous le dis ; avisez bien de ce que vous dites être
mon juge, car vous prenez une grande charge, et trop vous me chargez
!
Et addidit :
- Ego dico vobis, adverratis bene de hoc quod dicitis vos esse
meum judicem, quia vos assumitis unum grande onus, et nimium oneratis
me.
Item, en s'adressant a monseigneur
de Beauvoys luy dist :
- Advisez bien de ce que dictes estre mon juge. Car vous prenez
une grande charge, et me chargez trop.
Dit aussi qu'il lui était avis que c'était
assez d'avoir juré par deux fois en justice.
En outre, interrogée si elle voulait, simplement
et absolument jurer, répondit :
- Vous vous en pouvez bien passer ; j'ai assez juré par
deux fois.
Elle ajouta que tout le clergé de Rouen ou de
Paris ne la saurait condamner, si ce n'était en droit. Item
dit que de sa venue en France elle dirait volontiers vérité,
mais non pas tout ; et que huit jours ne suffiraient à tout
dire.
Dicit etiam quod videbatur satis
esse jurasse bis in judicio.
Iterum interrogata an vellet simpliciter et absolute
jurare : respondit :
- Vos bene potestis supersedere ; ego satis juravi in duabus
vicibus.
Dicens ulterius quod totus clerus
Rothomagensis vel Parisiensis nesciret eam condemnare, nisi haberet
in jus. Item dixit quod de suo adventu libenter diceret veritatem
; sed non diceret totum ; et quod spatium octo dierum non sufficeret
ad dicendum omnia.
Item, dist que il luy estoit advis
que c'estoit assez d'avoir juré deux foys.
Interroguee derechef se elle veult point jurer simplement
et absolutement, respond :
- Vous vous en povez bien passer. J'ay assez juré de deux
foys.
Et croy que tout le clergé de Rouen et de Paris
ne m'y sauroyent contraindre se ilz ne avoyent tort.
Et si dist qu'elle ne auroit pas tout dit en huit jours.
Item, dit que de sa venue en France, elle dira voluntiers
verité, mais non pas de tout.
Nous, évêque, lui dîmes de prendre
conseil des assesseurs, si elle devait jurer ou non. A cela elle
répondit que, de sa venue, elle dirait volontiers vérité,
mais non autrement; et qu'il ne lui en fallait plus parler.
Nous lui dîmes alors qu'elle se rendait suspecte
si elle ne voulait jurer de dire la vérité. Répondit
comme devant. De nouveau la requîmes de jurer, précisément
et absolument. Alors elle répondit que volontiers dirait
ce qu'elle saurait, mais encore pas tout. Dit en outre qu'elle vint
de par Dieu, et qu'elle n'a que faire ici, demandant qu'on la renvoyât
à Dieu, de qui elle était venue.
Nos autem, episcopus prædictus,
diximus ei quod ipsa haberet consilium ab assistentibus si deberet
jurare an non. Quæ iterum respondit quod de suo adventu libenter
diceret veritatem, et non aliter ; et quod non oportebat ut sibi
amplius inde loqueremur.
Postmodunn, ei diximus quod se redderet suspectam, si
non vellet jurare de dicendo veritatem. Respondit ut prius. Iterato
requisivimus eam ut juraret præcise et absolute. 'I'unc respondit
quod libenter diceret illud quod sciret, et adhuc non totum. Dixit
ulterius quod venit ex parte Dei et non habet hic negotiari quidquam,
petens ut remitteretur ad Deum a quo venerat.
Item,
sur ce qu'il luy fut dit, que elle eust advis aux assistens, se
elle devoit jurer ou non, respondit que de sa venue elle dira voluntiers
verité et non aultrement. Et qu'il ne luy en falloit plus
parler.
Et sur ce qu'elle jut admonnestee en luy remonstrant
qu'elle se rendoit suspecte de ne vouloir jurer. Respondit comme
devant. Item, sur ce que ledit evesque la somma et requist de jurer
precisement et absolutement. Respondit :
- Je diray voluntiers ce que je sauray, et non pas tout.
Item, dit outtre que elle estoit venue de par Dieu et
qu'elle n'avoit icy que faire ; et que on la renvoyast a Dieu, dont
elle estoit venue.
Item requise et admonestée de jurer, sous peine
d'être chargée de ce qu'on lui imposait, répondit
: "Passez outre"
Finalement nous l'avons requise de jurer et, une fois de
plus, nous l'avons admonestée de dire vérité
sur ce qui touche le procès, lui disant qu'elle s'exposait
à grand danger en se récusant ainsi. Alors elle répondit
:
- Je suis prête de jurer de dire vérité sur
ce que je saurai touchant le procès.
Ainsi elle le jura.
Iterum requisita et monita de
jurando, sub poena essendi onerata de illo quod sibi imponebatur,
respondit : "Transeatis ultra"
Finaliter, adhuc ipsam requisivimus de jurando, et ex
abundanti monuimus de dicendo veritatem super eo quod tangit processum,
dicando ei quod exponebat se magno periculo per talem recusationem.
Tunc autem respondit :
- Ego sum parata jurare dicere veritatemde hoc quod ego sciam,
tangens processum.
Et in hunc modum juravit.
Item,
apprez que derechef fut sommee et requise de jurer comme dessus
et admonnestee de ce faire sur peine de estre actaincte et convaincue
des cas a elle imposez, respondit : "J'ay assez juré.
Passez oultre".
Item, derechef et d'abondant fut admonnestee de dire
verité de ce que touchoit son procez, en luy remonstrant
qu'elle se metoit en danger. Respondit :
- Je suis preste de jurer et dire ce que je sçauray touchant
mon procez. Mais je ne diray point tout ce que sçay (2).
Et apprez ces parolles, elle jura.
Ensuite,
sur notre ordre, elle fut interrogée par l'insigne docteur
maitre Jean Beaupère, ci dessus nommé, qui d'abord
lui demanda à quelle heure elle avait bu et mangé
pour la dernière fois. Elle répondit que depuis hier
après midi elle n'avait mangé ni bu.
Deinceps,
ex ordinatione nostra, fuit interrogata per egregium doctorem, magistrum
Johannem Pulchripatris, superius nominatum, qui primo ab ipsa petiit
qua hora novissime comederat aut biberat. Quæ respondit quod
ab hesterno die post meridiem non comederat aut biberat.
Ces choses faictes, fut interroguee
par maistre Jehan Beaupere. Et premierement luy demanda depuis quelle
heure elle ne avoit beu ou mengé. Respondit : "Depuis
hier, apprez mydy".
Item interrogée quand elle avait entendu la voix
qui venait à elle, répondit :
- Je l'ai ouïe hier et aujourd'hui.
Item, interrogata depost quam horam audiverat vocem
quæ veniebat ad eam ; respondit :
- Ego audivi heri et hodie.
Interroguee depuis quand elle
ne ouyt sa voix, respondit qu'elle l'avoit ouye hier et huy.
Item interrogée à quelle heure, hier,
elle avait entendu cette voix, répondit que, trois fois,
elle l'avait ouïe : une fois au matin, l'autre à vêpres,
et la tierce au coup de l'Ave Maria, le soir. Et bien souvent elle
l'ouït plus de fois qu'elle ne le dit.
Interrogata
qua hora, hesterno die, ipsam vocem audiverat : respondit quod ter
in illo die ipsam audiverat, semel de mane, semel in vesperis, et
tertia vice cum pulsaretur pro Ave Maria de sero ; et multotiens
audit eam pluries quam dicat.
Interroguee a quelle heure elle
l'avoit hier ouye, dist que elle l'avoit ouye troys foys ; l'une
au mattin ; l'autre a heure de vespres ; et l'autre a l'heure de
l'Ave Maria ; encoires l'ouoit elle plus souvent qu'elle
ne dit.
Interrogée sur ce qu'elle faisait hier, au matin,
lorsque la voix vint à elle, répondit qu'elle dormait
et que la voix l'éveilla.
Interrogée si la voix l'éveilla en lui
touchant les bras, répondit qu'elle fut éveillée
par la voix, sans toucher.
Interrogée
si cette voix était bien dans sa chambre, répondit
qu'elle ne le sait point, mais qu'elle était dans le château.
Interrogata quid heri de mane faciebat, cum illa vox venit ad eam
: respondit quod ipsa dormiebat, et vox excitavit eam.
Interrogata si vox excitavit eam tangendo ejus brachia
: respondit quod per vocem fuit excitata sine tactu. Interrogata
si vox illa erat in camera ejus : respondit quod non, quod ipsa
sciat, sed erat in castro.
Interroguee que elle faisoit hier
au mattin quand elle ouyt ceste voix, respond qu'elle dormoit, et
que ladicte voix l'esveilla.
Interroguee si ladicte voix l'esveilla par voix, ou
par la toucher par les bras ou ailleurs, respond que par ladicte
voix elle se esveilla, sans luy toucher.
Interroguee se ladicte voix estoit encoires en sa chambre,
respond que non, qu'elle saiche ; mais qu'elle estoit au chastel.
Interrogée si elle ne la remercia point et si
elle s'agenouilla, répondit qu'elle la remercia, mais qu'elle
était assise en son lit, et qu'elle joignit les mains ; et
ce fut après quelle lui requit d'avoir conseil. Sur quoi
la voix dit à ladite Jeanne qu'elle répondît
hardiment (14).
Interrogata
si ipsa regratiata est illi voci et si flexit genua : respondit
quod regratiata est ei, existens et sedens in lecto suo, et junxit
manus ; et hoc fuit postquam requisiverat habere auxilium. Vox autem
illa dixit eidem Johannæ quod responderet audacter.
Interroguee si elle mercya point
ladicte voix, et si elle se agenouilla, respond qu'elle la mercya,
elle estant assise en son lict. Et dit qu'elle joignit les mains,
et luy requist et pria qu'elle luy aidast et la conseillast de ce
que elle avoit affaire. A
quoy ladicte voix luy dist, qu'elle respondist hardyment.
Item interrogée sur ce que la voix lui avait
dit, quand elle fut éveillée répondit qu'elle
demanda à la voix conseil sur ce qu'elle devait répondre,
disant à ladite voix qu'elle demandât sur cela conseil
à Notre Seigneur. Et la voix lui dit qu'elle répondît
hardiment et que Dieu la réconforterait.
Interrogée si la voix ne lui dit point certaines paroles,
avant qu'elle la requît, répondit que la voix lui dit
certaines paroles, mais qu'elle ne les comprit toutes. Cependant,
quand elle fut tirée du sommeil, la voix lui dit que hardiment
elle répondît.
Item,
interrogata quid vox dixit sibi, quando fuit excitata : respondit
quod ipsa petivit eidem voci consilium de hoc quod ipsa debebat
respondere, dicens eidem voci ut peteret de hoc consilium a Domino
; et vox dixit ei quod responderet audacter et quod Deus juvaret
eam.
Interrogata utrum vox sibi dixerit aliqua verba, antequam
requireret eam : respondit quod vox dixit aliqua, sed non omnia
intellexit. Verumtamen, postquam fuit excitata a somno, vox dixit
ei quod audacter responderet.
Interroguee
que la voix luy dist, quand elle fut esveillee, respond qu'elle
luy dist qu'elle demandast conseil a nostre Seigneur.
Interroguee
si au devant qu'elle la requist, se elle luy auoit dit aulcunes
paroles, respond que, devant qu'elle fust esveillee, que la voix
luy avoit dit aulcunes paroles, qu'elle ne entendoit pas. Mais depuis
qu'elle fut esveillee, qu'elle entendit que la voix luy dist qu'elle
respondist hardyment.
Item elle dit à nous, évêque :
- Vous dites que vous êtes mon juge. Avisez-vous bien de
ce que vous faites : car, en vérité, je suis envoyée
de par Dieu, et vous vous mettez en grand danger !
Item,
dixit nobis, episcopo prædicto :
- Vos dicitis quod estis judex meus ; advertatis de hoc quod
facitis, quia, in veritate, ego sum missa ex parte Dei, et ponitis
vos ipsum in magno periculo, "en grant dangier".
Item, dit derechef audit evesque
:
- Vous dictes que vous estes mon juge ; advisez bien que vous
ferez ; car de verité je suis envoyee de par Dieu, et vous
mectez en grand danger.
Interrogée si cette voix n'a point changé
parfois d'avis, répondit qu'elle ne l'avait jamais trouvée
en deux paroles contraires. Elle ajouta que, cette nuit, elle lui
avait entendu dire qu'elle répondit hardiment.
Interrogée si la voix lui interdit de dire tout
sur ce qu'on lui demanderait, dit :
- Je ne vous réponds point là-dessus. Et j'ai grandes
révélations touchant le roi que je ne vous dirai pas.
Interrogée si la voix lui a défendu de
dire les rélévations, répondit :
- Je n'en suis pas avisée. Baillez-moi délai de
quinze jours je vous répondrai sur cela.
Et, comme de nouveau elle avait demandé délai
de répondre elle dit :
- Si la voix me l'a défendu, qu'en voulez vous dire ?
Interrogata
si vox illa mutavitne suam deliberationem aliquando : respondit
quod nunquam reperit eam in duabus loquelis contrariis. Dixit etiam
quod, illa nocte, audivit eam dicentem sibi quod audacter responderet.
Interrogata an vox prohibuerit sibi ne diceret totum
quod ab ea peteretur, dixit :
- Ego non respondebo vobis de illo. Et habeo revelationes tangentes
regem, quas ego non dicam vobis.
Interrogata
si vox prohibucrit sibi ne dicat revelationes, respondit :
- Ego non sum consulta de hoc. Detis mihi dilationem XV dierum,
et ego de hoc vobis respondebo.
Et, cum iterum dilationem de respondendo petivisset,
dixit :
- Si vox prohibuerit mihi, quid inde vultis vos dicere ?
Interroguee se celle voix avoit
point mué aulcunes foys sa deliberacion, respond qu'elle
ne l'avoit jamais trouvee en deux paroles contraires.
Interrogée encore si cela lui fut défendu,
répondit :
- Croyez bien que ce ne sont pas les hommes qui me le défendirent.
Item dit qu'aujourd'hui elle ne répondra pas
; et qu'elle ne sait si elle doit répondre ou non, jusqu'à
ce qu'elle ait révélation. Item dit qu'elle croit
fermement, et aussi fermement qu'elle croit en la foi chrétienne
et que Messire nous racheta des peines d'enfer, que cette voix vient
de Dieu, et sur son ordre.
Adhuc
interrogata utrum hoc sibi sit prohibitum, respondit :
- Credatis quod homines non prohibuerunt mihi
Item dixit quod illo die non respondebit, et nescit si debeat
dicere an non , quousque sit sibi revelatum. Item, dixit quod credit
firmiter, et æque firmiter sicut credit fidem christianam
et quod Deus redemit nos a pœnis inferni, quod ista vox venit
a Deo et ex sua ordinatione.
/
Interrogée si cette voix, qu'elle dit lui apparaître,
est un ange, ou si elle vient immédiatement de Dieu, ou si
c'est la voix d'un saint ou d'une sainte, répondit :
- Cette voix vient de par Dieu : et je crois que je ne vous dis
pas pleinement ce que je sais ; et j'ai plus grande peur de leur
manquer, en disant quelque chose qui déplaise à ces
voix, que je n'ai de vous répondre. Et quant à cette
interrogation, je vous prie que j'ai ce délai.
Interrogata
utrum illa vox, quam dixit sibi apparere, sit unus angelus, vel
utrum sit a Deo immediate, vel an sit vox unius Sancti vel Sanctæ,
respondit :
- Illa vox venit ex parte Dei ; et credo quod ego non dico vobis
plane illud quod ego scio ; et habeo majorem, metum deficiendi,
dicendo aliquid quod displiceat illis vocibus, quam ego habeam de
respondendo vobis. Et quantum ad istud interrogatorium, rogo vos
ut habeatn dilationem.
Interroguee
si c'est un angele de Dieu, sans moyen, ou de sainct ou de saincte,
respond qu'elle vient de par Dieu. "Et je croy que je ne
vous dys pas pleinement ce que je sçay ; et ay greigneur
paour de dire quelque chose qui leur desplaise, que je n'ay de respondre
a vous". Et dit :
- Quant a ceste interrogacion, je vous prye que je aye dilacion.
Interrogée
si elle croit que cela déplaise à Dieu que l'on dise
vérité répondit :
- Mes voix m'ont dit de dire certaines choses au roi, et non
à vous.
Item dit que cette nuit la voix lui a dit beaucoup
de choses pour le bien du roi, et qu'elle voudrait que le roi les
sût pour lors, dût-elle ne pas boire de vin (3)
jusqu'à Pâques ! Car il en serait bien plus aise à
dîner, comme elle disait.
Interrogata
si credit hoc displicere Deo quod dicatur veritas, respondit:
- Voces dixerunt mihi quod aliqua dicam regi et non vobis.
Item dixit quod, illa nocte, dixit sibi multa pro bono
regis sui, quæ vellet ipsum regem tunc scire, et quod ipsa
non pocaret vinum usque ad Pascha : ipse enim, ut eadem dicebat,
fuisset lætior in suo prandio.
Interroguee se elle croit que
Dieu soit desplaisant que on dye verité, respond a monseigneur
de Beauvoys que les voix luy ont dit qu'elle die aulcunes choses
au roy et non pas a luy.
ltem,
dit que la voix luy a dict ceste nuict moult de choses pour le bien
du roy ; lesquelles elle vouldroit que le roy les sceust ennuict
; et qu'elle ne beust de vin jusques a Pasques ; et il en seroit
bien plus aise, a disner.
Interrogée si elle pourrait tant faire sur cette
voix qu'elle voulût obéir et porter message à
son roi, répondit qu'elle ne savait si cette voix voudrait
obéir, à moins que ce fût la volonté
de Dieu et que Notre Seigneur y consentît : "Et s'il
plaît à Messire, dit elle, il lui pourrait bien faire
révéler à son roi ; et de ce, elle serait bien
contente."
Interrogata
si possetne tantum facere apud illam vocem quod velle obedire, et
deferre nuntium regi suo : respondit quod nesciebat si vox vellet
obedire nisi esset voluntas Dei et quod Deus consentiret : "Et
si placeat Deo", inquit, "ipse bene poterit facere
revelari suo regi ; et de hoc essem bene contenta."
Interroguee
si elle pourroit tant faire devers ceste voix qu'elle voulsist obayr
et porter messaige a son roy, respond qu'elle ne sçait si
elle y vouldroit obayr, se ce n'estoit la volunté de Dieu
et que nostre Seigneur le consentist. Et, se il plaist a Dieu, il
le pourra bien faire reveler au roy ; et de ce seroys bien contente.
Interrogée pourquoi cette voix ne parle pas maintenant
avec son roi, comme elle le faisait, quand elle était en
présence de Jeanne, répondit qu'elle ne sait si c'est
la volonté de Dieu. Et elle ajouta que, n'était la
grâce de Dieu, elle ne saurait rien faire.
Interrogata
quare illa vox non sic modo loquitur cum rege suo, sicut faciebat
quando ipsa Johanna erat in ejus præsentia : restpondit quod
nescit si sit voluntas Dei. Et addidit quod, nisi esset gratia Dei,
ipsa nesciret quidquam agere.
Interroguee
pourquoy elle ne sçait maintenant parler avecques son roy,
comme elle faisoit quand elle estoit en sa presence, respond qu'elle
ne sçait si c'est la volunté de Dieu.
Item, dit que, se n'estoit la grace de Dieu, elle ne pourroit
riens faire.
Interrogée si son conseil lui a point révélé
qu'elle s'échapperait des prisons, répondit :
- Cela, j'ai à vous le dire ?
Interrogata
utruin consilium suum revelaverit sibi quod ipsa evaderet de carceribus
: respondit :
- Ego vobis habeo hoc dicere ?
Interroguee
si son conseil luy a point revelé que elle eschappera, respond
:
- Je le vous ay a dire ?
Interrogée si, cette nuit la voix ne lui donna
point conseil et avis sur ce qu'elle devait répondre, répondit
que, si la voix lui en a révélé, elle ne l'a
pas bien comprise.
Interrogée si, en ces deux derniers jours où
elle entendit il se produisit quelque lumière, répondit
que la clarté vient au nom de la voix.
Interrogata
si, illa nocte, vox deditne sibi consilium et advisamentum de hoc
quod debebat respondere : respondit quod, si ipsa vox ei revelaverit,
ipsa non bene intellexit.
Interrogata si, in duobus diebus novissimis quibus audivit
voces, advenerit ibi aliquod lumen : respondit quod in nomine vocis
venit claritas.
Interroguee
se ennuict cette voix luy a point donné d'advis et de conseil
de ce qu'elle debvoit respondre, respond : se elle luy en a revelé
ou dit quelque chose, elle ne l'a pas bien entendu.
Interroguee
se, a ses deux jours que dernierement elle a ouy ses voix, se il
y est venue lumiere, respond que au devant de la voix vient clarté.
Interrogée si, avec les voix, elle voit quelque
autre chose répondit :
- Je ne vous dirai tout ; je n'ai de cela congé, et aussi
mon serment ne le touche. Cette voix est bonne et digne ; et ne
suis point tenue de vous répondre.
Interrogata si cum vocibus videt aliquam aliam rem, respondit :
- Ego non dicam vobis totum ; non habeo de hoc licentiam, nec
juramentum meum tangit illud. Vox ipsa est bona et digna, nec de
hoc teneor respondere.
Interroguee
se avecques les voix elle voit quelque chose, respond :
- Je ne vous dys pas tout ; car je n'en ay congié ; et
aussi mon serment ne touche pas cela ; mais je vous dy qu'il y a
voix bel, bonne, et digne ; et n'en suis point tenue d'en respondre.
Item demanda qu'on lui baillât en écrit
les points sur lesquels elle ne répondait point présentement.
Item,
petivit ut sibi darentur in scriptis illa puncta in quibus tunc
non respondebat.
Pour
ce qu'elle demanda a veoir par escript les poins sur lesquelz on
la vouloit interroguer.
Alors on lui demanda si la voix à qui elle demandait
conseil avait la vue et des yeux. Répondit :
"Vous ne l'aurez pas encore". Et dit que le dicton
des petits enfants est : "On pend bien quelquefois les gens
pour avoir dit vérité".
Interrogée si elle sait qu'elle est en la grâce
de Dieu, répondit :
- Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre; et si j'y suis, Dieu
m'y veuille tenir. Je serais la plus dolente du monde si je savais
n'être pas en la grâce de Dieu.
Dit en outre que, si elle était en péché,
elle croit que la voix ne viendrait pas à elle ; et voudrait
que chacun l'entendît aussi bien qu'elle.
Et
tunc petitum fuit sibi utrum illa vox, a qua consilium petebat,
habebat visum et oculos. Respondit : "Vos non hoc habebitis
adhuc". Et dixit quod dictum parvorum puerorum est quod
"aliquando homines bene suspenduntur pro dicendo veritatem".
Interrogata an sciat quod ipsa sit in gratia Dei, respondit
:
- Si ego non sim, Deus ponat me ; et si ego sim, Deus me teneat
in illa. Ego essem magis dolens de toto mundo, si ego scirem me
non esse in gratia Dei.
Dixit ultra, si esset in peccato, credit quod vox non veniret
ad eam ; et vellet quod quilibet intelligeret æque bene sicut
ipsa.
Interroguee
se la voix a veue ; c'est assavoir, si elle a des yeulx, a quoy,
elle respond :
- Vous ne l'avez pas encoire.
Item, dit que le dict des petis enfans est que on pend
bien aulcunes foys les gens pour dire verité.
Interroguee sy elle sçait qu'elle soit en la
grace de Dieu, respond :
- Se je ny y suis, Dieu m'y veuille mettre ; et se je y suis,
Dieu m'y veuille tenir.
Item, dit que, se elle sçavoit qu'elle ne fust
en la grace de Dieu, qu'elle seroit la plus dolente du monde. Dit
oultre, si elle estoit en peché, que la voix ne viendroit
point a elle. Et vouldroit que chascun l'entendist aussy bien comment
elle.
Item dit qu'elle tient qu'elle était en l'âge
de treize ans ou environ quand la voix lui vint pour la première
fois.
Interrogée si, en son jeune âge elle allait
s'ébattre aux champs avec les autres jouvencelles, répondit
qu'elle y a bien été parfois mais ne sait à
quel âge.
Item,
dixit quod ipsa tenet quod erat in ætate tredecim annorum,
vel circiter, quando prima vox venit ad eam.
Interrogata utrum, in sua juventute, ibat spatiatum
ad campos cum aliis juvenculis : respondit quod bene ivit aliquando,
sed nescit in qua ætate.
Item,
dit qu'elle cuide qu'elle estoit en aage de XIII ans quand la voix
luy vint la premiere foys.
Interroguee se en sa jeunesse elle alloit se esbattre
avecq les autres aux champs, dit qu'elle y a bien esté aulcunes
foys. Mais ne sçait en quel aage.
Interrogée si ceux de Domrémy tenaient
le parti des Bourguignons ou le parti adverse, répondit qu'elle
ne connaissait qu'un Bourguignon; et qu'elle eût bien voulu
qu'il eût la tête coupée, voire, s'il eût
plu à Dieu !
Interrogée si, à Maxey, ils étaient
Bourguignons ou adversaires des Bourguignons, répondit qu'ils
étaient Bourguignons.
Interrogée si la voix lui dit, en sa jeunesse,
qu'elle haît les Bourguignons, répondit que depuis
qu'elle comprit que les voix étaient pour le roi de France,
elle n'aima point les Bourguignons. Item dit que les Bourguignons
auront guerre, s'ils ne font ce qu'ils doivent ; et le sait par
sa voix.
Interrogata
urrum illi de Dompremi tenerent partem Burgundorum, vel partem adversam,
respondit quod nesciebat ibi nisi unum Burgundum, quem voluisset
habuisse caput abscisum ; tamen, si hoc placuisset Deo.
Interrogata si apud villam de Marcey erant Burgundi, vel
adversarii Burgundorum : respondit quod erant Buraundi.
lnterrogata an vox dixerit ei, dum juvenis esset, quod
odiret Burgundos : respondit quod, postquam intellexit illas voces
esse pro rege Franciæ, ipsa non dilexit Burgundos. Item, dixit
quod Burgundi habebunt guerram, nisi faciant quod debent ; et hoc
scit per prædictam vocem.
Interroguee
sy ceulx de Dompremy tenoyent le party des Bourguygnons ou Armignat
(4), respond qu'elle ne congnoissoit
que ung Bourguygnon, qu'elle eust bien voulu qu'[il] eust eu la
teste couppee ; voire, se il eust pleu a Dieu.
Interroguee si a Marcy, ilz estoyent Bourguygnons ou
Armignacz, respond qu'ilz estoyent Bourguygnons.
Interroguee se la voix luy dist en sa jeunesse qu'elle
hayst les Bourguygnons, respond que, depuis qu'elle entendit que
les voix estoyent pour le roy de France, elle n'a point aymé
les Bourguygnons. Item, dit que les Bourguygnons auront la guerre,
se ilz ne font ce qu'ilz doibvent ; et le sçait par la voix.
Interrogée si, en son jeune âge elle eut
révélation de sa voix que les Anglais devaient venir
en France, répondit que déjà les Anglais étaient
en France quand ses voix commencèrent à lui venir.
Interrogata
an, in sua juvenili ætate, habuit revelationem a voce quod
Anglici debebant venire ad Franciam : respondit quod Anglici erant
in Francia, quando voces inceperunt venire ad eam.
Interroguee
se en son jeune aage elle eut voix que les Angloys debvoyent venir
en France, respond que ils estoyent ja en France quand ilz commencerent
a venir.
Interrogée si oncques fut avec les petits enfants
qui combattaient pour le parti qu'elle tient, répondit que
non, dont elle ait mémoire ; mais a bien vu que certains
de ceux de Domrémy combattaient contre ceux de Maxey, d'où
en revenaient parfois bien blessés et sanglants.
Interrogata
si unquam fuit cum parvis pueris, qui pugnabant pro parte illa quam
tenet : respondit quod non, unde habeat memoriam ; sed bene vidit
quod quidam illorum de villa de Dompremi, qui pugnaverant
contra illos de Marcey, inde aliquando veniebat bene læsi
et cruentati.
Interrogué
se elle fut oncques avecques les petis enfans qu'ilz se combatoyent
pour le party des Angloys et des Françoys, respond que non,
dont elle ait memoire. Mais a bien veu que aulcuns de ceulx de leur
ville s'estoyent combatus contre ceulx de Marcy, en revenoyent aulcunes
foys bien blecez et saignans.
Interrogée si, en son jeune âge elle avait
grande intention de poursuivre les Bourguignons, répondit
qu'elle avait bonne volonté et affection que son roi eût
son royaume.
Interrogata an ipsa, in sua juvenili
ætate, habuit magnam intensionem persequendi Burgundos : respondit
quod habebat magnam voluntatem seu affectionem quod rex suus haberet
regnum suum.
Interroguee
si en son jeune aage, elle avoit grande intencion de persecuter
les Bourguygnons, respond qu'elle avoit bonne volunté que
le roy eust son royaulme.
Interrogée si elle eût bien voulu être
homme, quand elle devait venir en France, répondit qu'ailleurs
elle avait répondu.
Intertogata si bene voluisset
se esse marem quando debebat venire ad Franciam : respondit quod
alias ipsa ad hoc responderat.
Interroguee
se else eust bien voullu estre homme, quand elle sceut qu'elle debvoit
venir, dit que autresfoys y avoit respondu.
Interrogée si elle menait les bêtes aux
champs, dit qu'ailleurs elle a déjà répondu
; et que, depuis qu'elle fut plus grande, et qu'elle eut entendement,
elle ne gardait pas les bêtes communément, mais bien
aidait à les conduire aux prés et à un château
nommé l'Isle (5), par crainte
des gens d'armes; mais elle n'a mémoire si en son jeune âge
elle les gardait ou non.
Interrogata utrum ducebatne animalia
ad campos : dixit quod alias de hoc responderat, et quod, postquam
fuit grandior et quod discretionem, non custiodiebat animalia communiter,
sed bene juvabat in conducendo ea ad prata et ad unum castrum, quod
nominatur Insula, pro timore hominum armatorum ; sed non recordatur
an, in sua juvenili ætate custodiebat an non.
Interroguee
si elle menoit point les bestes aux champs, dit qu'elle a respondu
; et que, depuis qu'elle a esté grande, et qu'elle a eu entendement,
ne les gardoit pas ; mais aidoit bien a les conduire es prez en
ung chastel, nommé l'Isle, pour doubte des gens d'armes ;
mais de son jeune aage, si elle les gardoit ou non, n'en a pas la
memoire.
Item elle fut interrogée au sujet de certain
arbre existant près de son village. A quoi elle répondit
que, assez près de Domrémy, il y a certain arbre appelé
l'Arbre des Dames, et les autres l'appellent l'Arbre des Fées
; auprès est une fontaine (6).
Et a ouï dire que les gens malades de fièvre boivent
à cette fontaine et vont quérir de son eau pour recouvrer
santé. Cela, elle l'a vu ; mais ne sait s'ils guérissent
ou non. Item dit qu'elle a ouï dire que les malades, quand
ils peuvent se lever vont à l'arbre pour s'ébattre.
Et c'est un grand arbre, appelé fau (7)
d'où vient le beau mai (8) ;
et appartenait, à ce qu'on dit, à Messire Pierre de
Bourlemont (9), chevalier.
Item, interrogata fuit de quadam
arbore, existente prope villam ipsius. Ad quod respondit quod satis
prope villam de Dompremi est quædam arbor, vocata Arbor
Dominarum, et alii vocant eam Arborem Fatalium des Faées,
juxta quam est unus fons ; et audivit dici quod infirmi febricitantes
potant de illo fonte et vadunt quæsitum de aqua illius, pro
habenda sanitate. Et hoc ipsamet vidit ; sed nescit utrum inde sanentur,
vel non. Item, dicit quod audivit infirmi, quando possunt se levare,
vadunt ad arborem pro spatiendo. Et est una magna arbor, vocata
Fagus, unde venit mayum, le beau may ; et solebat pertinere
domino Petro de Bourlemont, militi.
Item,
interroguee de l'arbre, respond que assez prez de Dompremy d'ung
arbre qui ... (10) se appelle l'arbre des Dames ; et les
aultres l'appellent l'arbre des Fees ; et auprez a une fontaine
; et a ouy dire que les gens malades des fiebvrez en boyvent ; et
mesmes en a veu aller querir pour en guarir. Mais ne sçait
se ilz en garissoyent ou non. Item, dit qu'elle a ouy dire que les
malades, quand ilz se pevent lever, vont a l'arbre pour leur esbattre
; et dit que c'est ung grand arbre, nommé fou, dont vient
de beau may; et souloit estre a messyre Pierre de Bolemont.
Item disait que parfois elle allait s'ébattre
avec les autres filles, et faisait à cet arbre couronnes
pour l'image de Notre-Dame de Domrémy ; et plusieurs fois
elle a ouï dire des anciens, non pas de ceux de son lignage,
que les dames fées y repairaient. Et a ouï dire à
une nommée Jeanne, femme du maire Aubery (11),
de Domrémy, qui était sa marraine, qu'elle avait vu
les dites dames fées, mais elle qui parle, ne sait si c'était
vrai ou non. Item dit qu'elle ne vit jamais les dites fées
à l'arbre, qu'elle sache ; interrogée si elle en a
vu ailleurs, ne sait si elle en a vu ou non. Item dit qu'elle a
vu mettre par les jouvencelles couronnes aux rameaux de l'arbre,
et elle même en a mis parfois avec les autres filles ; et
parfois elles les emportaient et parfois les y laissaient.
Item, dicebat quod aliquando ipsa
ibat spatiatum cum aliis filiabus, et faciebat apud illam arborem
serta pro imagine Beate Mariæ de Dompremi. Et pluries
audivit ab antiquis, (non ab illis de sua progenie), quod Dominæ
Fatales illuc couversabantur. Et audivit dici ab una muliere, nominata
Johanna, uxore Majoris Alberici du Maire Aubery, de illa
villa, quæ erat ipsius Johannæ loquentis matrina, quod
ipsa ibi viderat prædictas Dominas Fatales ; sed ipsa loquens
nescit an utrum hoc esset verum, vel non. Item dixit quod nunquam
vidit prædictas Fatales apud arborem, quod ipsa sciat ; sed
si, viderit alibi, nescit an viderit, aut non. Item, dixit quod
vidit apponere serta in ramis arboris per juvenculas, et ipsamet
aliquando ibi apposuit cum aliis filiabus ; et aliquando secum deferebant,
aliquando dimittebant.
Item,
qu'elle alloit aucunes foys avecques les aultres jeunes filles en
temps d'esté ; et y faisoit des chappeaux pour Nostre Dame
de Dompremy. Item, dit qu'elle a ouy dire a plusieurs anciens, non
pas de son lignaiges, que les fees y reperoyent ; et a ouy dire
a une nommee Jhenne, femme du maire de la ville de Dompremy, sa
marraine, qu'elle les avoit veues la. Se il estoit vray, elle ne
sçait. Item, dit qu'elle ne veit jamais fee, qu'elle saiche,
a l'arbre, ne ailleurs. Item, dit qu'elle avoit veu mectre es branches
dudit arbre des chappeaux par les jeunes filles ; et elle mesmes
y en a mys avecques les aultres fille. Et aulcunes foys les emportoyent
; et aulcunes foys laissoyent.
Item dit que depuis qu'elle sut qu'elle devait venir
en France, elle fit peu de jeux ou ébattements, et le moins
qu'elle put ; et ne sait point que, depuis qu'elle eut entendement,
elle ait dansé près de l'arbre ; mais parfois elle
peut bien y avoir dansé avec les enfants ; mais y avait plus
chanté que dansé.
Item, dixit quod, postquam ipsa
scivit quod debebat venire in Franciam, parum fecit de jocis sive
spatiamentis, et quantum minus potuit. Et nesci quod postquam habuit
discretionem, ipsa tripudiaverit juxta illam arborem ; sed aliquando
bene potuit ibi tripudiare cum pueris, et plus ibi cantavit quam
tripudiaverit.
Item,
dit que, depuis qu'elle sceut qu'elle debvoit venir en France, elle
feit pou d'esbattemenz ; et le moins qu'elle peut. Et ne sçait
point que, depuis qu'elle eut entendement, qu'elle ait dansé
prez dudit arbre. Mais aulcunes foys y peult bien avoir dansé
avecques les enfans ; mais y avoit plus chanté que dansé.
Item dit qu'il y a un bois chenu (12)
qu'on voit de l'huis de sa maison de son père ; et n'y a
pas la distance qu'une demi-lieue. Item ne sait ni ouït oncques
dire que les dames fées y repairassent ; mais a ouï
dire de son frère qu'on disait au pays qu'elle, Jeanne, avait
pris son fait à l'arbre des dames fées : mais dit
qu'elle ne l'avait pas fait, et elle lui a bien dit le contraire
; et dit en outre que, lorsqu'elle vint vers son roi, certains lui
demandaient si, en son pays, il n'y avait point de bois qu'on appelaît
le bois chenu ; car il y avait prophétie disant que devers
ce bois devait venir une pucelle qui ferait merveille ; mais ladite
Jeanne a dit qu'elle n'y a point ajouté de foi (13).
Item, dicit quod est ibi unum
nemus, quod vocatur Nemus-quercosum, le Bois-Chenu quod videtur
ab ostio patris sui ; et non est distantia dimidiæ Item, nescit
nec audivit unquam quod Dominæ Fatales supradictæ ibi
conversarentur ; sed audivit dici a fratre suo quod dicebatur in
patria quod ipsa johanna ceperat factum suum apud arborem Dominarum
Fatalium. Sed dicit quod non fecerat, et dicebat sibi contrarium.
Item, ulterius dicit quod, quando ipsa versus regem suum, aliqui
petebant sibi an in patria sua erat aliquod nemus, quod vocaretur
le Bois chesnu, quia erant prophetiæ dicentes quod,
circa illud nemus, debebat venire quædam puella quæ
faceret mirabilia. Sed dixit ipsa Johanna quod in hoc non adhibuit
fidem.
Item,
dit bien qu'il y a ung bosc, que on appelle le Bosc Chesnu, que
on voit de l'huys de son pere ; et y a petite espace non pas d'une
lieue ; mais qu'elle ne sçait ne ouyt oncques dire que les
fees y repperassent. Item,
dit qu'elle a ouy dire a son frere que on disoit au pays qu'elle
avoit prins ses revelacions a l'arbre et es fees. Mais non avoit.
Et luy disoit bien le contraire. Et dit oultre, quand elle vint
devers le roy, que aulcuns demandoyent si en son pays avoit point
de boys que on appelast le Boys Chesnu. Car il y avoit prophecies
qui disoyent que de devers le Boys Chanu debvoit venir une pucelle
qui venoit faire merveilles ; mais en ce n'a point adiousté
de foy.
Interrogée si elle voulait avoir habit de femme,
répondit :
- Baillez m'en un, et je le prendrai et m'en irai ; autrement
je ne le prendrai, et suis contente de celui-ci, puisqu'il plaît
à Dieu que je le porte.
Interrogata an ipsa vellet habere
vestem muliebrem, respondit :
- Tradatis mihi unam : ego accipiam et recedam; aliter non accipiam.
Et contentor de ista, postquam placet Deo quod deportem eam.
Interroguee
se elle vouldroit avoir habit de femme, respond :
- Si vous m'en voulez donner congié, baillez m'en ung, et
je le prendray, et m'en yray. Et aultrement non. Et suis contente
de cestuy cy, puisqu'il plaist a Dieu que je le porte.
*
* *
Sur ce, nous avons fait arrêter tout interrogatoire
pour ce jour, et nous avons fait assignation au mardi suivant, afin
qu'à l'heure dite et au même lieu, tous ceux qui avaient
été convoqués pussent s''y rencontrer pour
procéder aux interrogations ultérieures.
Sources
: "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Illustrations :
1 Sceau de Jean Alespée (Arch. Seine-maritime, G.17.80)
2 vitrail de la chapelle du chateau de Rouen
représentant St Jacques la Majeur (Musée de Cluny)
3 Aquarelle de Pensée - 1819 (Jeanne d'Arc - H.Wallon -
éd.1892)
Notes :
1 Salle du parement du chateau de Rouen.
2
Courcelles omet volontairement : "Mais
je ne diray point tout ce que sçay."
3 Sans doute une façon proverbiale de parler, Jeanne ne
buvait pas de vin pur (chronique de la Pucelle).
4 de Courcelles ne nomme pas "Armagnacs" dans sa traduction
officielle mais "parti adverse" !
5 L'Isle était une prairie basse, en face de l'église
de Domrémy, formée par un méandre de la Meuse,
inondée par temps de crue, où s'élevait la
maison forte des Bourlémont et la chapelle de Notre-Dame.
6 Les fontaines de Lorraine ont de tout temps été
l'objet de vénération en particulier celles à
l'orée des bois.
La fontaine "des fiévreux" a vu son orifice changer
plusieurs fois de place lors de la construction de la Basilique
de Domrémy. Elle sortait autrefois non loin de la chapelle
qu'avait fait édifier Etienne Hordal (descendant de la
famille d'Arc) au début du XVII° siècle en souvenir
de la Pucelle (source : P.Ayroles - la vraie Jeanne d'Arc)
La fontaine "des groseillers" se trouve plus près
du village de Domrémy.
7 Le fau est un hêtre dont le tronc est gris et lisse. Le
feuillage à l'automne forme un buisson de feu. Montaigne
a vu cet arbre en 1580 et ne lui a pas parut remarquable "Il
y a un arbre le long d'une vigne qu'on nomme l'arbre de la Pucelle,
qui n'a nulle autre chose à remarquer". Par contre
Edmond Richer, le premier historien de Jeanne écrivit dans
le premier quart du XVII° siècle : "les branches
de ce fau sont toutes rondes et rendent une belle et grande ombre
pour s'abriter dessous, comme presque l'on feroit au couvert d'une
chambre. Il faut que cet arbre aye pour le moins trois cents ans,
qui est une merveille de nature...". Il fut détruit
au temps des guerres du XVII° siècle par les Suédois
(P.Champion).
Quicherat dit que les anciens de Domrémy se rappelaient
avoir entendu dire que c'était un certain habitant nommé
"Soudart" qui l'aurait arraché.
Sur la place de l'arbre, voir la déposition de Jean Morel
à la réhabilitation.
8 Selon Edmond Richer, le fau était dit "le beau mai"
car le gui, qui est le feuillage de mai, y poussait naturellement.
Le feuillage de la fête de mai était extrêmement
populaire au moyen-âge.
9 Pierre de Bourlémont, seigneur de la région, entre-autres
de la partie sud de Domrémy, de Greux, de Maxey et de Bourlémont.
Les Bourlémont habitaient dans le chateau de l'Isle (voir
ci-dessus). Il possédait aussi le chateau de Bourlémont
située sur les hauteurs en allant vers Neufchateau. 35
familles environ de Domrémy étaient les serfs de
la famille des Bourlémont à la fin du XIV° siècle.
10 ... un blanc dans le texte
11 Il était l'intendant rural représentant le seigneur
de Bourlémont. cette charge était parfois héréditaire
(P.Champion).
12 Le bois chenu se trouve non loin de Domrémy à
mi-côte d'une colline vers l'ancienne route de Neufchateau
là où s'élève aujourd'hui la basilique
de Domrémy. En fait les chênes du bois chenu ont
aujourd'hui disparu. Les flancs de la colline ayant été
défrichés pour y planter de la vigne.
13 Jeanne connaissait donc cette prophétie.
14 ndlr : si l'on s'attache aux détails de cette question, Jeanne a entendu cette voix alors qu'elle dormait. Elle a donc la possibilité, la nuit, de s'asseoir sur le lit et de joindre les mains ce qui confirmerait que seules les jambes étaient bloquées sur sa couche par des fers. Il est étonnant que lorsque Beaupère lui demande si elle s'est agenouillée, il n'ait pas essuyé une réponse cinglante du genre "comment le pourrais-je ?" ou alors cette réponse a été effacée.
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