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Procès
de condamnation - procès d'office
Sixième interrogatoire public
- 3 mars 1431 |
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tem le samedi suivant, troisième jour de mars, au lieu
désigné plus haut, Jeanne comparut devant nous
et en présence des révérends pères,
seigneurs et maîtres : Gilles, abbé de la Sainte Trinité
de Fécamp ; Pierre, prieur de Longueville ; Jean de Chastillon,
Erard Emengart, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas
Midi, Denis de Sabrevois, Nicolas Lami, Guillaume Evrard, Pierre
Maurice, Gérard Feuillet, Maurice du Quesnay, Pierre Houdenc,
Jean de Nibat, Jacques Guesdon, docteurs en théologie sacrée
; Guillaume, abbé de Sainte-Marie de Cormeilles, docteur
en droit canon ; Guillaume Desjardins, Gilles Canivet, Roland L'Escrivain,
Guillaume de La Chambre docteurs en médecine ; l'abbé
de Saint Georges, l'abbé de Préaux (1),
le prieur de Saint-Lô ; et aussi Nicolas Couppequesne, Thomas
de Courcelles, Guillaume Le Maistre, Guillaume de Baudribosc, Jean
Pigache, Raoul Le Sauvage, Richard de Grouchet, Pierre Minier, bacheliers
en théologie sacrée ; Jean Le Doulx, bachelier en
l'un et l'autre droit ; Jean Duchemin, Jean Colombel, Raoul Anguy,
Aubert Morel, bacheliers en droit canon ; Geoffroy du Crotay, Bureau
de Cormeilles, Nicolas Maulin, licenciés en droit civil,
Loiseleur, chanoine de la cathédrale de Rouen.
*
* *
En leur présence, nous avons requis Jeanne de
jurer de dire la vérité sur ce qui lui serait demandé,
simplement et absolument. Elle répondit : "Comme
autrefois j'ai fait, je suis prête de jurer". Et
ainsi elle jura, les mains sur les saints Évangiles.
In quorum præsentia, ipsam
johannam requisivimus quod simpliciter et absolute juraret dicere
veritatem de his quæ peterentur ab ea. Quæ respondit
: "Sicut alias feci, ego sum parata jurare." Et
sic juravit, tactis sacrosanctis Evangeliis.
Et fut requise et priee par les
assistens de jurer simplement et absolutement de dire verité
de tout ce qui luy sera demandé, respond : "Je suis
preste de jurer, ainsi que autresfoys j'ay juré".
Et puis jura sur les sainctes Euvangiles.
Ensuite, comme elle avait dit que saint Michel avait
des ailes (2), et que cependant elle
n'avait pas parlé du corps et des membres des saintes Catherine
et Marguerite, elle fut interrogée sur ce qu'elle en voulait
dire. A quoi elle répondit :
- Je vous ai dit ce que je sais et ne vous en répondrai
autre chose.
Dit également qu'elle a aussi bien vu ledit saint
Michel et les saintes qu'elle sait bien qu'ils sont saints et saintes
du paradis.
Deinceps autem, quia dixerat
quod sanctus Michael habebat alas, et cum hoc de corporibus vel
membris sanctarum Katharinæ et Margaretæ non locuta
fuerat, interrogata fuit quid de his dicere volebat. Ad quod respondit
:
- Ego dixi vobis totum illud quod scio de hoc non respondebo
vobis aliud.
Dixit etiam quod ipsum sanctum Michaelem et illas Sanctas
ita bene vidit quod bene scit eas esse sanctos et sanctas in paradiso.
Item, derechef par le commandement
de monseigneur l'evesque de Beauvoys, ledit maistre Jehan Beaupère
interrogua ladicte Jhenne en luy recitant qu'elle avoit dit que
sainct Michel avoit aelles; et avecq ce, de saincte Katherine et
Marguerite qu'elle ne avoit point parlé du corps ou membres,
respond :
- Je vous en ay dit ce que je sçay ; et ne vous en respondray
aultre chose.
Item, dit qu'elle les a si bien veues qu'elle sçait
bien qu'ilz sont saincts et sainctes en paradis.
Interrogée si elle vit rien d'autre que leur
visage, répondit :
- Je vous ai dit tout ce que je sais sur cela ; et plutôt
que de dire tout ce que je sais, j'aimerais mieux que me fissiez
trancher le col.
Item dit que tout ce qu'elle sait, touchant le procès,
elle le dira volontiers.
Interrogata an vidit aliud ex
ipsis quam faciem, respondit :
- Ego dixi vobis totem illud quod scio de hoc ; et de dicendo
totum illud quod scio, ego prædiligerem quod mihi faceretis
abscindi collum.
Item dixit quod totum id quod sciet tangens processum,
libenter dicet.
Interroguee si elle a veu aultre
chose que le visaige, respond :
- Je vous en ay dit ce que j'en sçays. J'aymeroye mieulx
que me feissez trencher le col.
Item, dit que tout ce qu'elle sçait touchant
le procez, elle le dira voluntiers.
Interrogée si elle croit que saint Michel et
saint Gabriel aient des têtes naturelles, répondit
:
- Je les ai de mes yeux vus, et crois que ce sont eux aussi fermement
que Dieu est.
Interrogée si elle croit que Dieu les forma dans les
mode et forme où elle les vit, répondit : "oui".
Interrogée si elle croit qu'en ces mode et forme
Dieu les a créés, dès le principe, répondit
:
- Vous n'aurez autre chose pour le présent, sauf ce que
je vous ai répondu.
Interrogata an credit quod sanctus
Michael et sanctus Gabriel habeant capita naturalia, respondit :
- Ego vidi ipsos oculis meis et credo quod ipsi sunt æque
firmiter sicut Deus est.
Interrogata an credit quod Deus formavit eos in illis
modo et forma, quibus eadem ipsos videt, respondit quod sic.
Interrogata an credit quod in illis modo et forma, a
principio, Deus ipsos creaverit, respondit :
- Vos non habebitis aliud pro præsenti practer illud quod
ego respondi.
Interroguee se sainct Michel et
sainct Gabriel ont testes naturellement, respond :
- Ouy a mes yeulx. Et croy que se soyent ilz, aussy fermement
comme Dieu est.
Interroguee
s'elle croit que Dieu les ait formez en ces testes esquelles les
a veues, respond : (3)
- Je les ay veues en mes yeulx. Je ne vous en diray aultre chose.
Interroguee se elle croit que Dieu les ait formez en
ces testes esquelles les a veues, respond que ouy.
Interroguee se elle croit que en celle forme et maniere
Dieu les ait crees du commencement, respond :
- Vous n'en aurez aultre chose pour le present, fors ce que j'ay
respondu.
Interrogée si elle avait su par révélation
qu'elle s'échapperait, répondit :
- Cela ne touche votre procès. Voulez vous que je parle
contre moi ?
Interrogée si les voix lui en dirent quelque
chose, répondit :
- Ce n'est de votre procès. je m'en rapporte à
Messire. Et si tout vous concernait, je vous dirais tout.
Dit en outre que, par sa foi, ne sait l'heure ni le
jour où elle échappera.
Interrogée si les voix ne lui en ont rien dit
en général, répondit :
- Oui vraiment, elles me dirent que je serai délivrée
; mais ne sais le jour ni l'heure ; et qu'hardiment, je vous fasse
bonne figure !
Interrogata an sciverat per revelationem
quod ipsa evaderet, respondit :
- Hoc non tangit processum vestrum. Vultis vos quod ego loquar
contra me ?
Interrogata an voces suæ aliquid inde sibi dixerunt,
respondit :
- Hoc non est de vestro processu. Ego refero me ad Domimum. Et,
si totum pertineret ad vos, ego dicerem vobis totum.
Dixit ultra quod, per fidem suam, nescit diem neque horam
qua evadet.
Interrogata
an voces aliquid sibi de hoc dixerunt in generali, respondit :
- Ita veraciter, ipsæ dixerunt mihi quod essem liberata,
sed nescio diem neque horam ; et quod audacter faciam lætum
vultum.
Interroguee
se elle avoit veu ou sceu par revelacion que elle eschapperoit,
respond :
- Cela ne touche point vostre procez. Voulez vous que je parle
contre moy ?
Interroguee se ses voix luy en ont riens dit, respond
:
- Cela n'est point de vostre procez. Je me actens a nostre Seigneur,
qui en fera son plaisir. Dit oultre :
- Par ma foy, je ne sçay l'heure ne le jour. Le plaisir
de Dieu soit faict.
Interroguee se ses voix luy ont riens dit en general,
respond :
- Ouy, vrayement, ilz m'ont dit que je seray delivree. Mais ne
sçay le jour ne l'heure. Et que je face bonne chere hardyment.
Interrogée,
quand pour la première fois elle vint devers son roi, s'il
lui demanda si c'était par révélation qu'elle
avait changé son habit répondit :
- Je vous en ai répondu ; toutefois ne me rappelle s'il
me fut demandé. Et cela est écrit à Poitiers.
Interrogata
utrum, quando primo applicuit penes regem suum, an ipse petiverit
ab ea si per revelationem habebat quod mutaret habitum suum, respondit
:
- Ego de hoc vobis respondi ; tamen non recordor si hoc fuerit
mihi petitum. Et illud est scriptum in villa Pictavensi.
Interroguee,
quand elle vint premierement devers son roy, se il luy demanda si
elle avoit revelacion de muer son habit, respond :
- Je vous ay respondu ; et toutesfoys ne me souvient se il me
fut demandé.
Dit que ce est en escript a Poitiers.
Interrogée si elle se souvient que les maîtres
qui l'examinèrent dans l'autre parti, les uns par l'espace
d'un mois, les autres pendant trois semaines, l'aient interrogée
sur le changement de son habit, répondit :
- Il ne m'en souvient. Toutefois ils me demandèrent où
j'avais pris cet habit d'homme ; et je leur ai dit que l'avais pris
à Vaucouleurs.
Interrogée si les dits maîtres lui
demandèrent si elle avait pris cet habit suivant ses voix,
répondit : "Il ne m'en souvient".
Interrogata an recordetur quod
magistri qui examinaverunt eam in alia obedientia, aliqui per unum
mensem, alii per tres hebdomadas, interrogaveruntne ipsam in mutatione
sui habitus, respondit :
- Ego non recordor ; tamen ipsi me interrogaverunt ubi ego ceperam
istum habitum virilem ; et ego dixi eis quod ego ceperam apud oppidum
Valliscoloris.
Interrogata utrum præfati magistri petierunt ab
ea si per voces suas ceperat illum habitum, respondit : "Ego
non recordor".
Interroguee
se les maistres qui la examinerent en l'autre obaissance, les ungs
par ung moys, les aultres par troys sepmaines, se ilz la interroguerent
point de la mutation de son habit, respond : "Il ne m'en
souvient".
Toutesvoyes elle dist : ilz la interroguerent ou elle
avoit prins tel habillement d'homme ; et elle leur dist que ce avoit
esté a Veaucouleur.
Interroguee se ilz luy demanderent point qu'elle l'eust prins
par ses voix, respond : "Il ne m'en souvient".
Interrogée si la reine (4) ne s'enquit point du changement de son habit, quand la visita pour
la première fois, répondit : "Il ne m'en souvient."
Interrogée si son roi, ou la reine, ou autres
de son parti ne la requirent point parfois de déposer son
habit d'homme, répondit : "Ce n'est de votre procès»
Interrogata utrum regina sua petiveritne
illud sibi de mutatione habitus, quando primo eam visitavit, respondit
: "Ego non recordor".
Interrogata an rex suus, regina et alii de parte sua
requisiveruntne ipsam aliquando quod habitum virilem deponeret,
respondit : "Hoc non est de vestro processu".
Interroguee,
quand elle alla premierement visiter la royne, se elle luy demanda
point de cest habit, respond : "Il ne m'en souvient".
Interroguee se le roy ou la royne ou aultres de son
party requirent point de mectre son habit jus et prendre habit de
femme, respond : "Cela nest point de vostre procez".
Interrogée si, au château de Beaurevoir,
elle n'en a pas été requise, répondit :
- Oui, vraiment. Et j'ai répondu que ne le déposerais
sans le congé de Notre Seigneur.
Interrogata utrum, apud castrum
de Beaurevoir, fueritne de hoc requisita, respondit :
- Ita veraciter. Et ego respondi quod ego non deponerem, sine
licentia Dei.
Interroguee
se a Beaureveoir elle en fut requise, respond :
- Ouy, vrayement. Et je respondy que je ne le mueroys point sans
le congié de nostre Seigneur.
(5) Item, dit que
la demoiselle de Luxembourg et la dame de Beaurevoir (6) lui offrirent habit de femme, ou drap pour le faire et lui requirent
qu'elle le portât. Et elle répondit qu'elle n'en avait
pas congé de Notre Seigneur, et qu'il n'était pas
encore temps.
Interrogée si messire Jean de Pressy et autres
à Arras ne lui offrirent point d'habit de femme, répondit
que lui et plusieurs autres lui ont plusieurs fois demandé
que prisse tel habit.
Item dixit quod domicella de Luxembourg
et domina de Beaurevoir obtulerunt sibi vestem muliebrem,
vel pannum pro faciendo eam, requirendo ipsam Johannam ut hujusmodi
vestem portaret. Et ipsa respondit quod non habebat licentiam a
Deo, et quod non erat adhuc tempus.
Interrogata an dominus Johannes de Pressy, et alii apud Attrebatum
obtulerunt sibi vestem muliebrem, respondit quod ipse et alii plures
multotiens petierunt ab ea ut hujusmodi vestem acciperet.
Item,
dit que la damoiselle de Luxembourg requist a monseigneur de Luxembourg
qu'elle ne fust point livree aux Angloys (7).
Item, dit que la damoiselle de Luxembourg et la dame de Beaureveoir
luy offrirent habit de femme, ou drap a le faire ; et luy requirent
qu'elle le portast. Et elle respondit qu'elle n'en avoit pas le
congié de nostre Seigneur ; et qu il n'estoit pas encoires
temps.
Interroguee se messyre Jean de Pressy et aultres [à
Arras] luy offrirent point habit de femme, respond :
- Luy et plusieurs aultres le m'ont plusieurs foys offert.
Interrogée si elle croit qu'elle eût délinqué
ou fait péché en prenant habit de femme, répondit
qu'elle fait mieux d'obéir à son souverain Seigneur,
c'est assavoir Dieu, et de le servir. Item dit que si elle dût
l'avoir fait, elle l'eut plutôt fait à la requête
de ces deux dames que d'autres dames qui soient en France,
sa reine exceptée.
Interrogée, quand Dieu lui révéla
qu'elle changeât son habit, si ce fut par la voix de saint
Michel, de sainte Catherine ou de sainte Marguerite, répondit
: "Vous n'en aurez maintenant autre chose".
Interrogata utrum credit quod
ipsa deliquisset vel peccasset mortaliter, capiendo vestem muliebrem,
respondit quod melius agit obediendo et serviendo suo supremo domino,
videlicet Deo. Item dixit quod, si ipsa debuisset hujusmodi vestem
muliebrem assumere, ipsa citius hoc fecisset ad requestam duarum
dominarum prædictarum, quam aliarum dominarum existentium
in Francia, dempta regina ejus.
Interrogata utrum, quando Deus ei revelavit quod mutaret
habitum suum in habitum virilem, hoc fuerit per vocem sancti Michaelis,
vel per vocem sanctæ Katharinæ aut Margaretæ,
respondit : "Vos non habebitis nunc aliud".
Interroguee se elle croit qu'elle
eust delinqué ou faict peché mortel de prendre habit
de femme, respond qu'elle faict mieulx d'obayr a servir son souverain
Seigneur, c'est assavoir Dieu [que aux hommes]. Item, dit
que, si elle l'eust deu faire, elle l'eust plus tost faict a la
requeste de ses deux dames, que d'aultres dames qui soyent en France,
excepté la royne.
Interroguee,
quand Dieu luy revela qu'elle muast son habit, se ce fut par la
voix sainct Michel, de saincte Katherine ou saincte Marguerite,
respond : "Vous n'en aurez maintenant aultre chose".
Interrogée, quand son roi la mit premièrement
en oeuvre et qu'elle fit faire son étendard, si les gens
d'armes et autres gens de guerre ne firent faire pannonceaux (8) à la manière du sien, répondit :
- Il est bon à savoir que les seigneurs maintenaient leurs
armes.
Item répondit certains compagnons de guerre en firent
faire à leur plaisir, et les autres non.
Interrogée de quelle matière ils les firent
faire, si ce fut de toile ou de drap, répondit que c'était
de blancs satins et il y avait en certains les fleurs de lis. Et n'avait ladite Jeanne que deux ou trois lances en sa compagnie
; mais les compagnons de guerre parfois faisait faire des pannonceaux
à la ressemblance des siens ; et ne faisant cela que pour
reconnaître les siens des autres.
Interrogata utrum, quando rex
suus posuit eam in opere, et quod ipsa fecit fieri vexillum suum,
aliæ gentes armorum feceruntne fieri parmoncellos ad modum
et exemplar pannoncelli ipsius Johannæ, respondit :
- Bonum est scire quod domini manutenebant arma sua.
Item dicit quod aliqui de sociis guerræ fecerunt fieri
de illis pannoncellis, prout eis placebat, et alii non.
Interrogata de qua materia fecerunt eos fieri, an hoc
fuerit de tela, vel panno laneo, respondit quod erat de albis satinis,
gallice de blancs satins, et in aliquibus erant lilia ; nec
ipsa Johanna habebat de societate sua nisi duas vel tres lanceas
; sed socii guerraæ aliquando faciebant fieri pannoncellos
ad similitudinem suorum, et non faciebant illud, nisi pro cognoscendo
homines suos ab aliis.
Interroguee,
quand son roy la mist en oeuvre et elle feist faire son estandard,
se les gens d'armes et aultres gens de guerre feirent faire poumonceaux
en la maniere du sien, respond :
- Il est bon a sçavoir que les seigneurs maintenoyent leurs
armes [et non aultres].
Item, dit que les aulcuns compaignons de guerre en feirent
faire a leur plaisir, et les aultres non.
Interroguee de quelles matieres ilz les feirent faire,
se ce fut de toille ou de drap, respond : "C'estoit de blans
satins ; et y en avoit en aulcuns des fleurs de lys". Et
si dit qu'elle n'avoit que deux ou troys lances de sa compaignie
; mais les compaignons de guerre aulcunes foys en faisoyent faire
a la semblance des siens, seulement pour congnoistre les siens des
aultres.
Interrogée si les pannonceaux étaient
assez souvent renouvelés, répondit :
- Je ne sais ; quand les lances étaient renouvelées,
on en faisait faire de nouveaux.
Interrogée si elle ne dit point que les pannonceaux
qui étaient à la ressemblance des siens portaient
bonheur, répondit qu'elle disait bien parfois aux siens :
"Entrez hardiment parmi les Anglais" ; et elle
même y entrait.
Interrogée si elle leur dit qu'ils les portassent
hardiment et qu'ils auraient bonheur, répondit qu'elle leur
dit bien ce qui était advenu et adviendrait encore.
Interrogata an multum sæpe
ronovabantur dicti pannoncelli, respondit :
- Ego nescio. Quando lanceæ erant ruptæ, fiebant
novi.
Interrogata utrum ipsa dixerit aliquando quod pannoncelli
facti ad militudinem suorum erant bene fortunati, respondit quod
aliquando bene dicebat suis : "Intretis audacter per medium
Anglicorum", et ipsamet intrabat.
Interrogata an dixerit eis quod portarent audacter illos
pannoncellos, et quod haberent bonam fortunam, respondit quod eis
bene dixit illud quod evenit, et quod adhuc est eventurum.
Interroguee
s'ilz estoyent gueres souvent renouvelez, respond :
- Je ne sçay. Quand les lances estoyent rompues, on en
faisoit de nouveaux.
Interroguee se elte dist point que les pomonceaux, qui
estoyent a la semblance des siens, estoyent eureux, respond qu'elle
leur disoit aulcunes foys : "Entrez hardyment parmy les
Angloys". Et elle mesme y entroit.
Interroguee se elle leur dist que ilz le portassent hardyment,
et qu'ilz auroyent bon eur, respond que elle leur dist bien ce qui
estoit venu et viendroit encoire.
Interrogée si elle mettait ou faisait mettre
de l'eau bénite sur les pannonceaux, quand on en prenait
de nouveaux, répondit :
- Je n'en sait rien, et si cela a été fait, cela
n'a pas été de mon commandement.
Interrogée si elle n'en a point vu jeter, répondit
:
- Cela n'est pas de votre procès ; et si elle en a
vu jeter, elle n'est maintenant avisée d'en répondre.
Interrogée si les compagnons de guerre ne faisaient
pas mettre en leurs pannonceaux JHESUS MARIA, répondit :
- Par ma foi, je n'en sais rien.
Interrogata utrum ipsa ponebat
vel faciebat poni aquam benedictam super pannoncellis, quando illos
de novo assumebat, respondit :
- Ego nihil scio de hoc. Et si hoc fuit factum, non fuit de præcepto
meo.
Interrogata an vidit eos aspergi aqua benedicta, respondit
:
- Hoc non est de processu vestro. Et si ego vidi hoc fieri, ego
sum nunc advisata de respondendo.
Interrogata an socii guerræ faciebantne poni in
pannoncellis suis hæc nomina, JHESUS MARIA, respondit :
- Per fidem meam, ego nescio.
Interroguee
si elle metoit ou faisoit point metre de l'eaue benoiste sur les
poumonceaux, quand on les prenoit de nouvel, respond :
- Je n'en sçays riens ; et se il a esté faict,
ce n'a pas esté de mon commandement.
Interroguee se elle y en a point veu gecter, respond :
- Cela n'est point de vostre procez. Et se elle y en a veu
gecter, elle n'est pas advisee de maintenant vous en respondre.
Interroguee se les compaignons de guerre faisoyent point
metre en leurs poumonceaux : JHESUS MARIA, respond :
- Par ma foy, je n'en sçais riens.
Interrogée si elle n'a pas tourné ou fait
tourner toiles, par manière de procession, autour d'un autel
ou d'une église, pour faire pannonceaux, répondit
que non et n'en a rien vu faire.
Interrogata an ipsa gyravit vel
gyrari fecit telas, per modum processionis, circa altare vel ecclesiam,
pro faciendo inde pannoncellos, respondit quod non, nec vidit aliquid
fieri.
Interroguee
se elle a point tournyé ou faict tournyer toilles, par maniere
de procession, entour ung chastel (9)
ou eglise, pour faire des poumonceaux, respond que non, et n'en
a riens veu faire.
Interrogée quand elle fut devant Jargeau, sur
ce qu'elle portait derrière son heaume, et s'il n'y avait
pas quelque chose de rond, répondit :
- Par ma foi, il n'y avait rien.
Interrogata, quando fuit ante
villam de Gergueau, quid eras quod portabat retro suam cassidem
seu galeam, et an erat aliquid ibi rotundum, respondit :
- Per fidem meam, nihil erat ibi.
Interroguee,
quand elle jut devant Gergeau, que c'estoit que elle portoit derriere
son heaulme ; et s'il y avoit aulcune chose ront, respond :
- Par ma foy, il n'y avoit rien.
Interrogée si elle ne connut pas frère
Richard, répondit :
- Je ne l'avais jamais vu quand je vins devant Troyes.
Interrogée quelle chère frère Richard
lui fit, répondit que ceux de la ville de Troyes, comme elle
pense, l'envoyèrent devers elle, disant qu'ils redoutaient
qu'elle ne fût pas chose envoyée de par Dieu ; et quand
frère Richard vint devant elle, en approchant il faisait
le signe de la croix et jetait de l'eau bénite. Et elle lui
dit :
- Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas (10) !
Interrogata an unquam cognoverit
fratrem Ricardum, respondit :
- Ego nunquam videram ipsum, quando veni ante villam Trecensem.
Interrogata qualem vultum sibi fecit ipse frater Ricardus
: respondit quod illi de Trecis, prout existimat, miserunt ipsum
ad eam, dicentes quod dubitabant ne ipsa Johanna non esset res veniens
ex parte Dei ; et quando idem
frater appropinquavit ad eam, ipse faciebat signum crucis
et aspergebat aquam benedictam. Et tunc ipsa dixit ei :
- Appropinquetis audacter, ego non evolabo.
Interroguee
se elle congneust oncq frere Richard, respond :
- Je ne l'avoye oncques veu, quand je vins devant Troyes.
Interroguee quelle chere frere Richard luy feist, respond
que ceulx de la ville de Troyes, comme elle pense, l'envoyerent
devers elle, doubtans et disans qu'ilz doubtoyent que ce ne fust
pas chose de par Dieu. Et, quand il vint devers elle en approchant,
il faisoit le signe de la croix, et gectoit eaue benoiste. Et elle
luy dist :
- Aprochez hardyment. Je ne m'envoleray pas.
Interrogée si elle n'a point vu, ou fait faire
certaine peintures à sa ressemblance, répondit qu'elle
vit, à Arras, une peinture dans les mains d'un Ecossais ;
et il y avait son image toute armée ; et présentait
une lettre à son roi, et était agenouillée
d'un genou. Et dit qu'onques ne vit ou fit faire autre image ou
peinture à sa ressemblance.
Interrogée si, dans la maison de son hôte,
à Orléans il n'y avait point un tableau, où
il y avait trois femmes peintes et l'inscription : Justice, Paix,
Union, répondit qu'elle n'en sait rien.
Interrogata an ipsa viderat vel
fecerat fieri aliquas imagines vel picturas
ipsiusmet et ad suam similitudinem, respondit quod vidit in Attrebato
unam picturam in manu cujusdam Scoti ; et ibi erat similitudo ipsius
Johannæ omnino armatæ, præsentantis quasdam litteras
suo regi, cum uno genu flexo. Et dixit quod nunquam vidit aut fecit
fieri aliam imaginem vel picturam sui.
Interrogata utrum, in domo hospitis suis, in villa Aurelianensi,
erat una tabula ubi depictæ erant ties mulieres, et in ea
descriptum, Justice, Paix, Union, respondit
quod de hoc nihil scit.
Interroguee
si elle avoit point veu ou faict faire aulcuns ymaiges ou painctures
d'elle et a sa semblance, respond qu'elle veit a Rains (11)
une paincture en la main d'ung Escossoys : et y avoit semblance
d'elle toute armee, qui presentoit unes lectres a son ray ; et estoit
agenouillee d'ung genouil. Et que oncques ne veit ou feist faire
aultre ymaige ou paincture en sa semblance.
Interroguee d'ung tablel qui est ciex son hoste, ou il y
avoit : Justice, Paix et Union, respond qu'elle n'en sçait
riens.
Interrogée si elle ne sait point que ceux de
son parti aient fait dire services, messes et oraisons pour elle,
répondit qu'elle n'en sait ; et si ils firent dire services,
ils ne l'ont point fait par son commandement ; et s'ils ont prié
pour elle, il lui est avis qu'ils n'ont point fait de mal.
Interrogée si ceux de son parti croient fermement
qu'elle soit envoyée de par Dieu, répondit :
- Je ne sais s'ils le croient, et m'en attends à leur
courage ; mais s'ils ne le croient, je suis bien envoyée
de par Dieu !"
Interrogée si elle croit qu'ils aient bonne croyance,
en croyant qu'elle soit envoyée de par Dieu, répondit:
- Si ils croient que je suis envoyée de par Dieu, ils
ne sont point abusés.
Interrogata utrum ipsa sciat quod
illi de parte sua fecerint fieri servitium, missam et orationes
ad honorem ipsius, respondit quod nihil scit ; et, si ipsi fecerunt
aliquod servitium, non est de præcepto ejus ; tamen si oraverint
pro ipsa, videtur sibi quod non male faciunt.
Interrogata utrum illi de parte sua credant firmiter
ipsam esse missam a Deo, respondit :
- Ego nescio utrum credant, et me refero ad animum ipsorum ;
sed si non credant, tamen ego sum missa a Deo.
Interrogata utrum ipsa credat quod illi habeant bonam
credentiam, credendo ipsam esse missam a Deo, respondit :
- Si ipsi credant quod sum missa a Deo, non sunt de hoc abusati.
Interroguee
si elle sçait point se ceulx de son party ayent faict service,
messe ou oraison pour elle, respond qu'elle n'en sçait rien.
Et, se ilz en ont faict service, ne l'ont point faict par son commandement
; et se ilz ont prié pour elle, il luy est advis que ilz
ne ont point faict de mal.
Interroguee se ceulx de son party croyent fermement que elle
soit envoyee de par Dieu, respond :
- Je ne sçay se ilz le croyent, et m'en actendz a leur
couraige. Mais, se ilz ne croyent, si suis je envoyee de par Dieu.
Interroguee se elle cuide pas que, en croyant qu'elle
soit envoyee de par Dieu, qu'ilz ayent bonne creance, respond :
- Se ilz croyent que je suis envoyee de par Dieu, ilz ne sont
point abusez.
Interrogée si elle ne savait pas le sentiment
de ceux de son parti quand ils lui baisaient les pieds, les mains
et ses vêtements, répondit que beaucoup de gens la
voyaient volontiers ; et dit qu'ils lui baisaient les mains le moins qu'elle pouvait. Car venaient
les pauvres gens volontiers à elle, pour ce qu'elle ne leur
faisait point de déplaisir, mais les supportait à
son pouvoir.
Interrogata anne cognoscebat animos
illorum de parte sua, osculabantur pedes, minus et vestimenta ipsius,
respondit quod multi libenter videbant eam, et tamen osculabantur
manus ejus quantum minus ipsa poterat ; sed libenter pauperes veniebant
ad ipsam, quia eis non inferebat displicentiam, imo potius juvabat
ad supportandum eos.
Interroguee
se elle sçavoit point bien le couraige de ceulx de son party,
quand ilz luy baisoyent les piedz et les mains et ses vestemens,
respond :
- Beaucoup de gens me veoyent voluntiers. Et qu'ilz baisoyent
le moins ses vestemens qu'elle povoit. Mais dit que les paovres
gens venoyent voluntiers a elle, pour ce que elle ne leur faisoit
point de desplaisir ; mais les supportoit et gardoit a son povoir.
Interrogée quelle révérence lui
firent ceux de Troyes, à son entrée, répondit
qu'ils ne lui en firent point ;
Dit en outre qu'à son avis, frère Richard
entra en même temps qu'eux à Troyes. Mais n'a point
souvenir si elle le vit à l'entrée.
Interrogée s'il ne fit point de sermon à
l'entrée, lors de sa venue, répondit qu''elle ne s'y
arrêta guère et n'y coucha jamais ; quant au sermon,
elle n'en sait rien.
Interrogata qualem reverentiam
sibi fecerunt cives Trecenses, in ingressu villa, respondit quod
ipsi reverentiam sibi non fecerunt.
Dicit ultra quod, prout ei videtur, frater Ricardus intravit
cum ipsa et suis villam Trecensem ; sed non recordatur an viderit
eam in ingressu.
Interrogata an ipse frater Ricardus fecerit sermonem,
in adventu ipsius Johannæ apud villam prædictam, respondit
quod non ibi diu stetit, nec acuit in villa ; et de sermone nihil
scit.
Interroguee
quelle reverence luy feirent ceulx de Troyes a l'entree, respond
: "Ilz ne m'en feirent point". Et dit oultre que,
a son advis, frere Richard estoit quand eulx a Troyes. Mais n'est
point souvenante s'elle le vist a l'entree.
Interroguee se il fist point de sermon a l'entree de la venue
d'elle, respond qu'elle n'y arresta gueres, et n'y jeust oncques.
Et quand au sermon, elle n'en sçait riens.
Interrogée
si elle fut beaucoup de jours à Reims, répondit :
- Je crois que nous y fûmes quatre ou cinq jours.
Interrogata utrum ipsa fuerit
multis diebus in civitate Remensi, respondit quod, prout credit,
ipsa et sui fuerunt illic quinque aut sex diebus.
Interroguee
se elle fut gueres de jours a Rains, respond :
- Je croy que nous y fusmes quattre ou cinq jours.
Interrogée si elle n'y leva point des fonts du
baptême un enfant, répondit qu'à Troyes, en
leva un ; mais à Reims, elle n'en a point mémoire
ni à Château-Thierry (12) ; et aussi en leva deux à Saint-Denis-en-France. Et volontiers
donnait aux fils le nom de Charles, pour l'honneur de son roi et
aux filles, celui de Jeanne ; et parfois les nommait comme les mères
le voulaient.
Interrogata an utrum ibi levaverit
aliquem infantem de sacro fonte, respondit quod Trecis levavit unum;
sed non recordatur quod Remis vel in Castro-Theodorici levaverit
aliquem. Duos autem levavit apud Sanctum Dionysium in Francia. Et
libenter dabat filiis nomen Karoli, in honorem regis sui, et filiabus
nommen Johannæ ; et aliquando nomen imponebat veluti placebat
matribus.
Interroguee
se elle y leva point d'enjant, respond que a Troyes en leva ung.
Mais a Rains, n'en a point de memoire, ne du Chasteau Thierry. Et
aussy en leva deux a Sainct Denis. Et voluntiers mectoit nom aux
filz Charles, pour l'honneur de son roy ; et aux filles Jhenne ;
et aulcunes foys selon que les meres vouloyent.
Interrogée si les bonnes femmes de la ville ne
faisaient pas toucher leur anneau à l'anneau qu'elle portait,
répondit :
- Maintes femmes ont touché à mes mains et anneaux
; mais ne sais point leur pensée et intention.
Interrogata utrum mulieres illius
villæ faciebantne anulos suos tangere illum anulum, quem ipsa
Johanna portabat in digito, respondit quod :
- multæ mulieres tetigerunt manus meas et anulos meos ;
sed nescio animum nec intentionem ipsarum.
Interroguee
si les bonnes femmes touchoyent point leurs aneaux a l'anel qu'elle
portoit, respond :
- Mainctes femmes ont touché a ses mains et ses aneaulx.
Mais ne sçait point leur couraige et intention.
Interrogée qui furent ceux de sa compagnie qui
prirent papillons (13) en son étendard,
devant Château-Thierry, répondit que ce ne fut oncques
fait ou dit dans leur parti ; mais ceux du parti de deça
l'ont controuvé (14).
Interrogata qui fuerunt illi de
societate ipsius, qui ceperunt papiliones in vexillo ejus, ante
Castrum-Theodorici, respondit quod nunquam fuit factum de parte
ipsorum ; sed illi de parte ista adinvenerunt.
Interroguee
qui furent ceulx de sa compaignie qui prindrent papillons devant
le Chasteau Thierry en son estandard, respond qu'il n'en fut oncques
faict ou dict de leur party ; mais ont esté ceulx du party
de deça, qui l'ont controuvé.
Interrogée sur ce qu'elle fit à Reims
des gants avec lesquels son roi fut sacré, répondit
qu' il y eut une livrée de gants pour bailler aux chevaliers
et aux nobles qui étaient là. Et il y en eut un qui
perdit ses gants (15) mais elle ne dit
point qu'elle les ferait retrouver.
Item dit que son étendard fut en l'église
de Reims ; et lui semble que son étendard fut assez près
de l'autel, et elle même le tint un peu ; mais elle ne sait
point que frère Richard le tint.
Interrogata
quid fecit Remis de chirothecis in quibus rex suus fuit consecratus,
respondit quod ibi fuit una librata de chirothecis, pro tradendo
militibus et nobilibus qui aderant ; et fitit unus qui perdiderat
chirothecas suas ; sed ipsa non dixit quod faceret eas reperiri.
Dixit etiam quod vexiltum suum fuit in ecclesia Remensi ;
et videtur ei quod illud erat satis prope altare, dum rex suus consecraretur,
et ipsamet ipsum ibi tenuit aliquantulum. Nescit autem frater Ricardus
ipsum ibidem tenuerit.
Interroguee
qu'elle feist a Rains de gans, ou son roy fut sacré, respond
:
- Il y eut une livree de gans, pour bailler aux chevaliers et nobles
qui la estoyent, et y en eut ung qui perdist ses gans ; mais ne
dist point qu' elle les feroit retrouver.
Item, dit que son estandard fut en l'eglise de Rains ; et
luy semble qu'il fust assez prez de l'aoustel ; et elle mesme luy
tint ung peu ; et ne sçait point que frere Richard le tint.
Interrogée quand elle allait par pays, si elle
recevait souvent le sacrement de confession et de l'autel, quand
elle s'arrêtait aux bonnes villes, répondit que oui,
l'un et l'autre.
Interrogata utrum, quando ibat per patriam, sæpe reciperet
sacramentum eucharistiæ et pœnitentiæ, quando erat
in bonis villis, respondit quod sic, interdum.
Interroguee, quand elle alloit
par pays, si elle recepvoit souvent le sacrement de confession et
de l'aoustel, quand elle venoit es bonnes villes, respond que ouy,
aulcunes foys.
Interrogée si elle recevait lesdits sacrements
en habit d'homme, répondit que oui ; mais n'a point mémoire
de les avoir reçus en armes.
Interrogata
an ipsa recipiebat prædicta sacramenta in habitu virili, respondit
quod sic ; sed non recordatur quod reciperet in armis.
Interroguee
si elle recepvoit lesdictz sacrementz en habit d'homme, respond
que ouy ; mais ne a point de memoire de l'avoir receu en armes.
Interrogée pourquoi elle prit la haquenée
de l'évêque de Senlis (16), répondit qu'elle fut
achetée deux cents saluts. S'il les eut ou non elle ne le
sait ; mais il en eut assignation et il en fut payé. Et lui
écrivit qu'il pourrait la recouvrer, s'il voulait, et qu'elle
n'en voulait point, et qu'elle ne valait rien pour résister
à la peine.
Interrogata
cur cepit gradarium, gallice la haquenée, episcopi
Silvanectensis, respondit quod idem gradarius fuit emptus ducentis
salutiis. Nescit an ipse receperit vel non ; tamen de hoc habuit
assignationem, vel fuit persolutus ; etiam ipsa rescripsit eidem
episcopo quod rehaberet suum præfatum gradarium, si vellet,
et quod ipsa nolebat eum, nec valebat pro sustinendo pœnam.
Interroguee
pour quoy elle print la haquenee de l'evesque de Senlis, respond
:
- Elle fut achaptee deux cens salutz. Se il les eut ou non,
ne sçait ; mais en eust assignacion, ou il en fut payé.
Et si luy rescripsi que il la rairoit, s'il vouloit, et que elle
ne la vouloit point ; car elle ne valoit riens pour souffrir peine.
Interrogée quel âge avait l'enfant qu'elle
ressuscita (17), répondit que
l'enfant avait trois jours et fut apporté à Lagny
devant Notre Dame. Et lui fut dit que les jeunes filles de la ville
étaient devant Notre-Dame et qu'elle voulût y aller
prier Dieu et Notre-Dame de rendre vie à l'enfant; et elle
y alla et pria avec les autres. Et finalement la vie apparut en
lui et il bâilla trois fois ; et puis fut baptisé :
mais bientôt il mourut et fut enterré en terre sainte.
Et il y avait trois jours, comme l'on disait, que dans cet enfant
la vie n'était apparue ; et il était noir comme sa
cotte. Mais que la couleur commença à lui revenir.
Et était ladite Jeanne avec les demoiselles à genoux
devant Notre-Dame à faire sa prière.
Interrogée s'il ne fut point dit par la ville
qu'elle avait obtenu cette résurrection, et que c'était
fait à sa prière, répondit qu'elle ne s'en
enquit point.
Interrogata
qualem ætatem habebat puer quem ipsa suscitavit apud Latigniacum,
respondit quod puer ille erat trium dierum ; et fuit apportatus
coram imagine Beatæ Mariæ in Latigniaco, fuitque dictum
ipsi Johannæ quod puellæ de villa erant coram dicta
imagine, et quod ipsa vellet ire ad orandum Deum et Beatam
Virginem, quod daretur vita infanti. Et tunc ipsa cum aliis puellis
ivit et oravit, et finaliter apparuit vita in illo puero, qui fecit
tres hiatus et fuit baptizatus postea ; statimque fuit mortuus
et inhumatus in terra benedicta. Et fuerant tres dies elapsi, ut
dicebatur, quibus non apparuerat vita in puero ; eratque niger velut
tunica ejusdem Johannæ. Sed quando fecit hiatum, color ejus
incepit redire. Et ipsa Johnanna erat cum puellis, orans genibus
flexis, coram Nostra Domina.
Interrogata utrum fuerit dictum per illam villam quod
ipsa fecerat fieri illam resuscitationem, et quod hoc ecat factum
ad precent ejus, respondit quod de hoc ipsa non inquirebat.
Interroguee
quel aage avoit l'enfant a Laigny que elle alla visiter, respond
:
- L'enfant avoit troys jours. Et fut apporté a Laigny
a Nostre Dame. Et luy fut dit que les pucelles de la ville estoyent
devant Nostre Dame ; et qu'elle y voulsist aller prier Dieu et nostre
Dame, que il luy voulsist donner vie. Et elle y alla et pria Dieu
avecques les aultres. Et finablement y apparut vie, et bailla troys
foys ; et puis fut baptisé ; et tantost mourut ; et fut enterré
en terre saincte. Et y avoit troys jours, comme l'en disoit, que
en l'enfant n'y avoit apparu vie ; et estoit noir comme sa cotte.
Mais quand il bailla, la couleur luy commença a revenir.
Et estoit avecques les pucelles a genoux devant Nostre Dame a faire
sa priere.
Interroguee se il fut point dict par la ville que ce avoit
elle faict, et que c'estoit a sa priere, respond : Je ne m'en
enquerroye point.
lnterrogée si elle connut ou vit Catherine de
La Rochelle, répondit que oui, à Jargeau et à
Montfaucon en Berry.
Interrogée si Catherine ne lui montra point une
dame vêtue de blanc, qu'elle disait lui apparaître parfois,
répondit que non.
Interrogée sur ce que lui dit cette Catherine,
répondit que cette Catherine lui dit qu'une dame blanche
venait à elle, vêtue de drap d'or, qui lui disait qu'elle
allât par les bonnes villes et que le roi lui baillât
des hérauts et des trompettes pour faire crier que quiquonque
aurait or, argent ou trésor caché, l'apportât
bientôt ; et que ceux qui ne le feraient pas, et qui en auraient
de caché, elle le connaitrait et saurait bien trouver lesdits
trésors ; et que ce serait pour payer les gens d'armes de
Jeanne. A quoi ladite Jeanne répondit qu'elle retournât
vers son mari faire son ménage et nourrir ses enfants. Et,
pour en avoir certitude, elle parla à sainte Catherine ou
à sainte Marguerite qui lui dirent que du fait de cette Catherine
il n'y avait que folie, et que c'était tout néant.
Et écrivit à son roi qu'elle lui dirait ce qu'il en
devait faire. Et quand elle vint à lui, elle lui dit que
c'était folie et tout néant du fait de ladite Catherine.
Toutefois frère Richard voulait qu'on la mît en oeuvre.
Et ont été très mal contents de ladite Jeanne
lesdits frère Richard et ladite Catherine.
Interrogata
utrum cognoverat aut viderat Katharinam de Ruppella, respondit quod
sic, apud villas de Gergolio et de Monte-Falconis, in ducatu Bituricensi.
Interrogata utrum eadem Katherina monstraverit sibi
quamdam dominam, indutam veste alba, quam aliquando sibi apparere
dicebat, respondit quod non.
Interrogata quid illa Katherina dixit sibi, respondit quod
illa Katharina dixit ei quod quædam domina alba, induta veste
aurea, veniebat ad ipsam Katharinam, sibi dicens quod iret per bonas
villas, et quod rex suus ei tradere haberet heraldos et tubicines
seu trompetas faciendum proclamari quod quicumque aurum, argentum
vel thesaurum haberet absconditum statim apportaret ; et quod illi
a haberent abscondita et non apportarent, bene cognoscerentur ab
eadem Katharina, et bene sciret ipsa dictos thesauros invenire ;
solveretque ex illis homines armorum ipsius Johannæ. Ad quod,
dicta Johanna eidem Katharinæ respondit quod reverteretur
ad maritum suum, et faceret negotia domus suæ, gallice son
mesnage, et nutriret pueros suos. Et pro sciendo certitudinem
de facto hujus Katharinæ, ipsa Johanna locuta est sanctæ
Katharinæ vel sancta Margaretæ; quæ dixerunt ei
quod, de facto dictæ Katharinæ de Ruppella, non erat
nisi quaedam fatuitas, et quod totum nihil erat. Scriptsitque regi
suo illud quod ipse de hoc debebat facere ; et quando venit ad ipsum,
dixit ei quod erat fatuitas, et totum nihil eras de facto illius
Katharinæ ; tamen frater Ricardus volebat quod illa Katharinæ
poneretur in opere, et inde male fuerunt contenti de ipsa Johanna
prædictus frater Ricardus et ipsa Katharina.
Interroguee
se elle congnut point Katherine de la Rochelle, ou se elle l'avoit
veue, respond que ouy, a Gergeau ; et au Montfaulcon en Berry.
Interrogué s'elle luy monstra point une femme vestue
de blancq, quelle disoit qui luy apparoissoit aulcunes foys, respond
que non.
Interroguee qu'elle luy dist, respond que celle Katherine
luy dist qu'il venoit une femme, une dame blanche, vestue de drap
d'or, qui luy disoit qu'elle alast par les bonnes villes, et que
le roy luy baillast des heraulx et trompettes pour faire crier que
quiconcques auroit or, argent ou tresor mucié, qu'il l'apportast
tantost ; et que ceulx qui ne le feroyent, et que ceulx qui en auroyent
de caché, qu'elle les congnoistroit bien ; et sçauroit
trouver lesdits tresors ; et que ce seroit pour payer les gens d'armes
d'icelle Jhenne. A laquelle elle respondit qu'elle retournast a
son mary, faire son mesnaige et nourrir ses enfans. Et, pour en
savoir la verité, elle en parla a saincte Katherine et saincte
Marguerite, qui luy dirent que, du faict d'icelle Katherine n'estoit
que folye, et toute menterie. Escrisit a son roy qu'elle luy diroit
ce qu'elle en debvoit faire. Et quand elle vint, elle luy dist que
du faict de ladicte Katherine n'estoit que folye et menterye. Toutesfois
frere Richard voulloit que on la mist en oeuvre. Ce que elle ne
voulut souffrir ; dont ledit frere Richard et ladicte Katherine
ne furent pas contens de elle.
Interrogée si elle ne parla pas à Catherine
de La Rochelle d'aller à la Charité-sur-Loire, répondit
que ladite Catherine ne lui conseillat point qu'elle y allât,
et qu'il faisait trop froid, et qu'elle n'irait pas.
Item dit à ladite Catherine, qui voulait aller
devers le duc de Bourgogne pour faire paix, qu'il lui semblait qu'on
n'y trouverait point de paix si ce n'était par le bout de
la lance.
Interrogata an locuta fuerit cum
prædicta Katharina, de facto eundi ad Caritatem supra Ligerim,
respondit quod dicta Katharina non consulebat sibi quod iret, et
quod vigebat nimium frigus ; et dicebat eidem Johannæ quod
non iret.
Item, eadem Johanna dixit præfatæ Katharinæ,
volenti ire ad ducem Burgundiæ, pro faciendo pacem, quod sibi
videbatur quod non reperiretur pax, nisi per butum lancæ.
Interroguee
si elle parla point a ladicte Katherine de la Rochelle du faict
de aller a La Charité, respond que ladicte a Katherine ne
luy conseilloit point qu'elle y allast ; et que il faisoit trop
froit ; et qu'elle n'y debvoit point aller.
Item, dist a ladicte Katherine, qui vouloit aller devers
le duc de Bourgouingne pour faire paix qu'il luy sembloit que on
n'y trouveroit point de paix, si ce n'estoit par le bout de la lance.
Item dit qu'elle demanda à cette Catherine si
la dame blanche qui lui apparaissait venait toutes les nuits, disant
vouloir pour ce coucher avec elle en même lit. Et y coucha
et veilla jusqu'à minuit, et ne vit rien ; et puis s'endormit.
Et, quand vint le matin, elle demanda à Catherine si la dame
blanche était venue. Elle lui répondit que oui, tandis
que dormait alors ladite Jeanne, et qu'elle ne l'avait pu réveiller.
Alors Jeanne lui demanda si elle ne viendrait pas une autre nuit;
et ladite Catherine lui répondit que oui. C'est pourquoi
Jeanne dormit de jour, afin qu'elle pût veiller toute la nuit.
Et coucha cette nuit là avec ladite Catherine, et veilla
toute la nuit mais elle ne vit rien, bien que souvent elle demandât
à Catherine si ladite dame ne viendrait point. Et ladite
Catherine lui répondait : "Oui, bientôt !"
Item
dixit quod petivit ab ipsa Katharina an illa domina alba quæ
sibi apparebat venires qualibet nocte ad eam, dicens se velle propter
hoc jacere cum ea in eodem lecto. Et de facto jacuit vigilavitque ipsa Johanna usque ad mediam noctem,
et nihil vidit ibi ; deinceps obdormivit. Et quando venit, mane,
petivit ab eadem Katharina utrum illa domina alba venerat ad eam.
Quæ respondit quod sic, dum ipsa Johanna dormiebat, et quod
non potuerat eam excitare. Et tunc ipsa Johanna petivit an illa
domina veniret altera nocte ; et eadem Katharina respondit quod
sic ; propter quo ipsa Johanna dormivit de die, ut posset vigilare
tota nocte sequente. Et cubuit illa nocte cum dicta Katharina, vigilavitque
per totam noctem ; sed nihil vidit, quanquam sæpius interrogaret
ipsam Katharinam utrum illa domina veniret anne, et dicta Katharina
respondebat "Ita statim."
Item,
dit qu'elle demanda a celle Katherine se celle dame venoit toutes
les nuicts ; et pour ce, qu'elle coucheroit avecq elle. Et y coucha,
et veilla jusques a mynuict ; et ne veit rien, et puis s'endormit.
Et quand vint au mattin elle demanda c'elle estoit venue. Et luy
respondit : qu'elle estoit venue, alors que elle dormoit et ne l'avoit
peu esveiller. Et alors luy demanda s'elle viendroit point le lendemain.
Et ladicte Katherine luy respondit que ouy. Pour laquelle chose
voulut dormir icelle Jhenne de jour, affin qu'elle peust veiller
la nuict. Et coucha ladicte nuict ensuivant avecques ladicte Katherine,
et veilla toute la nuict. Mais ne veit rien, combien que souvent
demandast : Viendra elle bientost. Et ladicte Katherine luy
respondist : Ouy, tantost.
Ensuite Jeanne fut interrogée sur ce qu'elle
fit sur les fossés de La Charité : répondit
qu'elle y fit faire un assaut ; et dit qu'elle n'y jeta ou fit jeter
eau bénite par manière d'aspersion.
Interrogée pourquoi elle n'entra pas dans ladite
ville de La Charité, puisqu'elle en avait commandement de
Dieu, répondit :
- Qui vous a dit que j'avais commandement d'y entrer ?
Interrogée si elle n'eut point conseil de sa
voix, répondit qu'elle voulait venir en France ; mais les
gens d'armes lui dirent que c'était mieux d'aller premièrement
devant La Charité.
Consequenter eadem Johanna interrogata
quid ipsa fecit in fossatis villæ de Caritate, respondit quod
ipsa fecit ibidem fieri insultum, sed non ibi projecit nec projici
fecit aquam benedictam, per modus aspersionis.
Interrogata cur ipsa non intravit prædictam villam
de Caritate, postquam habebat præceptum a Deo, respondit :
- Quis vobis dixit quod habebam præceptum a Deo ?
Interrogata an habuerit consilium a voce sua, respondit
quod ipsa volebat venire in Franciam ; sed homines armorum dixerunt
ei quod melius erat ire primo ante villam de Caritate.
Interroguee
qu'elle fist sur les fossés de La Charité, respond
qu'elle y feist faire ung assault. Et dit qu'elle n'y jecta, ne
feist jecter eaue, par maniere de aspersion.
Interroguee pourquoy elle n'y entra, puisqu'elle avoit commandement
de Dieu, respond :
- Qui vous a dict que je avoye commandement d'y entrer ?
Interroguee se elle en eust point de conseil de
sa voix, respond qu'elle s'en vouloit venir en France. Mais les
gens d'armes luy disrent que c'estoit le mieulx d'aller devant La
Charité premierement.
Interrogée si elle fut longuement en la tour
de Beaurevoir, répondit qu'elle y fut quatre mois ou environ
; et dit que, quand elle sut que les Anglais devaient venir pour
la prendre, elle fut fort courroucée ; et toutefois ses voix
lui défendirent souvent qu'elle ne sautât de la tour
: et finalement, par terreur des Anglais, sauta et se recommanda
à Dieu et à Notre-Dame, et fut blessée de ce
saut. Et quand elle eut sauté, la voix de sainte Catherine
lui dit qu'elle fit bonne chère, et que ceux de Compiègne
auraient secours.
Item dit qu'elle priait toujours pour ceux de Compiègne
avec son conseil.
Interrogata an ipsa fuit diu in
turri de Beaurevoir, respondit quod ipsa fuit per quatuor
menses, vel circiter. Et dixit quod, quando scivit Anglicos venire
ad ipsam pro habendo eam, ipsa fuit multum irata ; et tamen voces
sæpe prohibuerunt ei ne saltaret de illa turri ; et finaliter,
pro timore Anglicorum, ipsa saltavit et commendavit se Deo et Beatæ
Mariæ, et fuit læsa ex illo saltu ; et postquam ipsa
saltavit, vox sanctæ Katharinæ dixit ei quod faceret
bonum vultum, et quod illi de Compendio haberent succursum.
Item dixit quod semper orabat pro illis
de Compendio, una cum ejus consilio.
Interrogué
si elle fut longuement en celle tour de Beaurevoir, respond qu'elle
y fut quattre moys ou environ. Et puis dist, quand elle sceust les
Angloys venir, elle fut moult courroucee ; et toutesfoys ses voix
luy deffendirent plusieurs foys qu'elle ne saillist. Et en fin,
pour la doubte des Angloys, saillit, et se recommanda a Dieu et
a nostre Dame. Ce nonobstant, elle fut blecee. Et apprez qu'elle
fut saillye, la voix saincte Katherine luy dist qu'elle feist bonne
chere, et qu'elle gariroit, et que ceulx de Compieigne auroyent
secours.
Item,
dit que elle prioit pour ceulx de Compieigne tousiours avecques
son conseil.
Interrogée sur ce qu'elle a dit quand elle eut
sauté, répondit que certains disaient qu'elle était
morte ; et sitôt qu'il apparut aux Bourguignons qu'elle était
en vie, ce sont eux qui lui dirent qu'elle avait sauté de
la tour (18).
Interrogata quid ipsa dixit, postquam saltavit, respondit
quod aliqui dicebant ipsam esse mortuam ; et, statim postquam apparuit
Burgundis quod viva erat, ipsi dicerunt ei quod saltaverat.
Interroguee
qu'il advint quand elle eut sailly, et qu'elle dist, respond que
aulcuns disoyent qu'elle estoit morte. Et tantost que les Bourguygnons
veirent qu'elle estoit en vie, ilz luy demanderent pourquoy elle
estoit saillye.
Interrogée si elle ne dit point qu'elle aurait
mieux aimé mourir que d'être entre la main des Anglais,
répondit qu'elle aimerait mieux rendre son âme à
Dieu que d'être en la main des Anglais.
Interrogée si elle ne se courrouça point
alors, et ne blasphéma point le nom de Dieu, répondit
qu'onques ne maugréa saint ni sainte, et qu'elle n'a point
accoutumé de jurer.
Interrogata utrum ipsa dixerit
tunc quod mallet mori quam esse in manu Anglicorum, respondit quod
dixit quod ipsa mallet reddere animam Deo quam esse in manu Anglicorum.
Interrogata utrum ipsa tunc fuerit irata, et an blasphemaveritne
nomen Dei, respondit quod ipsa nunquam maledixit Sanctum vel Sanctam,
et quod ipsa nunquam consuevit jurare.
Interroguee
se elle dist point qu'elle aymast mieulx ja mourir, que de estre
en la main des Anglogs,
Respond qu'elle aymeroit mieulx rendre l'ame que de estre en la main
des Angloys.
Interroguee se elle se courrouça point, et si
elle blasphema point le non de Dieu, respond qu'elle n'en blasphema
oncques ne sainct ne saincte ; et qu'elle n'a point acoustumé
a jurer.
Interrogée sur le fait de Soissons, et sur le
capitaine qui avait rendu la ville (19), et si elle avait renié
Dieu [et dit que] si elle tenait le ledit capitaine elle le ferait
trancher en quatre pièces, répondit qu'elle ne renia
onques saint ni sainte, et que ceux qui l'ont dit ou rapporté
ont mal entendu.
Interrogata, de facto villæ
Suessionensis et capitanei qui reddiderat eam, utrum ipsa denegaverit
Deum quod, si teneret præfatum capitaneum, faceret eum abscindi
a in quatuor partes, respondit quod nunquam denegavit Sanctum nec
Sanctam et quod illi qui hoc dixerunt vel reportaverunt male intellexerunt.
Interroguee
du faict de Souessons, pour ce que le cappitaine avoit rendu la
ville ; et si elle avoit point regnogé Dieu, se elle le tenoit,
qu'elle le feroit trencher en quattre pieces, respond qu'elle ne
regnoya oncques sainct ne saincte. Et que ceulx qui l'ont dit ou
rapporté, ont mal entendu.
[Car oncques en sa vie ne jura ne blasphema le non
de Dieu ne de ses sainctz. "Et pour ce, je vous supply, passez
oultre".]
*
* *
Tout s'étant passé ainsi, Jeanne fut reconduite
au lieu qui lui avait été assigné pour prison
; puis nous, évêque susdit nous dîmes que, continuant
le procès sans aucune interruption, nous appellerions quelques
docteurs et gens expérimentés en droit canon et civil
qui recueilleraient ce qui est à recueillir parmi les choses
confessées par ladite Jeanne, ses réponses ayant été
rédigées par écrit ; et après les avoir
vues et recueillies, s'il y avait quelques points sur lesquels cette
Jeanne semblait devoir être plus amplement interrogée,
elle serait interrogée par certains que nous lui députerions,
sans qu'il soit besoin de déranger toute la foule des assesseurs.
Tout serait rédigé par écrit chaque fois qu'il
serait opportun de le faire, afin que lesdits docteurs et experts
pussent en délibérer et bailler leurs opinions et
conseils. Nous leur dîmes alors qu'ils eussent dès
maintenant à étudier et à voir chez eux, sur
la matière et sur ce qu'ils avaient déjà entendu
du procès, ce qui leur semblerait à faire, et qu'ils
pussent en référer à nous ou à nos députés
et commis, ou conserver à part eux leurs opinions, et, maturément
et salubrement, en délibérer en lieu et temps opportuns
et nous donner leur opinion. Nous avons défendu enfin à
tous et à chacun des assesseurs de s'éloigner de cette
cité de Rouen avant la fin du procès et sans notre
congé.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Notes :
1 l'abbé de Préaux était Jean Moret.
2 Jeanne n'a jamais dit auparavant que St Michel avait des ailes.
Soit c'est un mensonge des juges (l'erreur parait peu probable),
soit une partie des interrogatoires a disparu de la rédaction
du procès.
D'autre part De Courcelles ne mentionne pas que c'est Jean Beaupère
qui mène l'interrogatoire (c'est la deuxième fois
qu'il "l'oublie")
3 Ces dernières lignes sont omises dans le procès
latin de Courcelles alors qu'elles sont données dans le
réquisitoire (70 articles) de d'Estivet qui est basé
sur la minute authentique de Manchon et dans le manuscrit d'Orléans,
ce qui prouve encore une fois que Quicherat et P.Champion ont
trop vite condamné ce manuscrit d'Orléans !
4 Marie d'Anjou né en 1404 et qui épousa Charles
VII en 1413. C'était une personne pieuse et bonne quoique
sans beauté. (P.Champion)
5 Ici commence ce qui reste de la minute Française dans
le manuscrit d'Urfé (voir sources).
Nous continuons avec la minute du manuscrit d'Orléans et
signalerons en "notes" les différences importantes
éventuelles entre Urfé et Orléans ou entre
[ et ] les suppléments mentionnés par Urfé
et entre [ et ] (italiques) les parties qui ne se
trouvent que dans le ms d'Orléans.
Nota : Champion se sert à partir de ce moment de
la minute française plutôt que du procès officiel
en mettant par exemple certaines phrases à la première
personne au lieu de les laisser comme elles sont dans le procès
officiel à la 3ème personne c'est à dire
du style : "Interrogée..." "répondit
que...". J'ai remis ces phrases en question à la 3ème
personne en respectant le plus possible la version officielle
latine.
De même, Champion ajoute dans sa traduction les ajouts de
la minute française et qui ne se trouvent pas dans le latin.
J'ai enlevé ces ajouts et mis la traduction du latin uniquement.
Pourquoi ? : cela permet de mieux cerner les changements faits
par de Courcelles et Manchon en translatant le procès de
la minute française vers le latin.
6 Le chateau de Beaurevoir n'existe plus. Jeanne y fut prisonnière
d'août à Novembre 1430.
7 Cette phrase gênait certainement Cauchon. Elle n'apparait
pas dans le procès officiel. D'Estivet la cite dans son
réquisitoire donc elle existait bien. Encore une preuve
que le ms d'Orléans n'est pas une traduction du procès
latin (voir sources)
8 Insignes de reconnaissance accrochés sur
les lances.
9 D'Estivet dans son réquisitoire
et de Courcelles écrivent "autel" au lieu de
"chastel". D'Estivet se basant lui aussi sur la minute
originale, "autel" parait plus logique. (ndlr)
10 En référence aux sorcières qui déjà à cette époque "volaient" (ndlr).
11 D'Estivet, ms de d'Urfé et le procès en latin
donnent : ARRAS. Seul le manuscrit d'Orléans mentionne
REIMS. Cela est troublant car il est sûr que d'Estivet s'est
basé sur la minute originale. L'auteur du manuscrit d'Orléans
aurait-il rectifié d'initiative ou avait-il la minute originale
sous les yeux et y a lu RAINS ?
En effet, REIMS semble beaucoup plus logique qu'ARRAS parce que
ce peintre écossais aurait été en territoire
bourguignon donc ennemi et ensuite, Jeanne prisonnière
n'a pas dû avoir loisir à ARRAS d'admirer une toile
la représentant.
12 Chateau-Thierry : Jeanne n'y passa que le 7 août 1429.
13 On est encore dans l'incertitude quant à la signification
de ce passage.
14 Ceux du parti des Anglais l'ont inventé.
15 Coutume assez répandue à l'époque de distribuer
des gants à l'occasion de fêtes... On les portait
alors, comme aujourd'hui. Ils étaient de rigueur dans les
grandes cérémonies.
16 L'évêque était Jean Fouquerel, licencié en théologie à Paris en
1414, doyen de Beauvais ; il occupait le siège de Senlis depuis 1423.
Le 19 mai 1418, les Armagnacs avaient abandonné Senlis, qui se rendit à Charles VII en août 1429. Jean Fouquerel était favorable aux Anglais.
Il était allé porter une grosse somme à Paris à l'approche des armées de Charles. (Tisset)
17 La minute en français dit : "qu'elle alla visiter
à Lagny"
18 La minute française dit : "ils luy disrent qu'elle
estoit saillie" c'est à dire qu'elle s'était
sauvée.
19 En mai 1430, Guichard Bournel, écuyer de Picardie, capitaine de
Soissons, refusa l'entrée de la ville à Jeanne et à ses compagnons. En
juillet, il livrait Soissons au roi d'Angleterre moyennant 4.000 saluts
d'or. Les troupes du duc de Bourgogne y entrèrent. Après le traité d'Arras, Guichard Bournel demeura au service du duc de Bourgogne.
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