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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Réunion
- 5 avril 1431 |
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t le
jeudi suivant, qui fut le cinquième jour du mois d'avril,
nous avons transmis sous cette forme notre cédule réquisitoire,
avec lesdites assertions, à ces docteurs et gens d'expérience
que nous savions demeurer en cette ville. Nous, Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, et frère Jean Le
Maistre, vicaire de l'inquisiteur, etc..., nous vous prions et requérons,
en faveur de la foi, d'ici à mardi prochain, de nous donner
par écrit et sous votre scel, un salutaire conseil sur les
assertions ci-dessous transcrites, assavoir si, tout vu, considéré
et conféré tour à tour, ces assertions, ou
certaines d'entre elles, sont contraires à la foi orthodoxe
ou suspectes au regard de la Sainte Écriture, opposées
à la décision de la sacro-sainte Église romaine,
au sentiment des docteurs approuvés par l'Église et
les sanctions canoniques, scandaleuses, téméraires,
perturbatrices de la chose publique, injurieuses, enveloppées
de crimes aux bonnes mœurs, et de toute façon offensantes
; ou ce qui sera à dire sur lesdits articles au jugement
de la foi.
Ecrit ce jeudi, 5 avril, après Pâques, l'an du Seigneur
1431.
S'ensuit la teneur des assertions susdites
Article 1 : Et premièrement cette femme dit et affirme
qu'en l'an treizième de son âge, ou environ, elle a
vu, des yeux de son corps , saint-Michel qui la réconfortait,
et parfois saint Gabriel, qui lui apparurent en figure corporelle.
Parfois aussi elle vit grande multitude d'anges ; et depuis, sainte
Catherine et sainte Marguerite se montrèrent à ladite
femme qui les vit corporellement. Et chaque jour elle les voit et
ouït leurs paroles ; et, quand elle les accolle et baise, elle
les touche et sent corporellement. Elle a vu, non seulement les
têtes desdits anges et des saintes, mais d'autres parties
de leur personnes et de leurs vêtements, ce dont elle n'a
rien voulu dire. Et ces dites saintes Catherine et Marguerite parfois
lui parlèrent à certaine fontaine, près d'un
grand arbre, communément appelé l'arbre des fées
; au sujet de la fontaine et de l'arbre, il est commune renommée
que les dames fées y fréquentent, que plusieurs malades
de fièvre allèrent vers cette fontaine et cet arbre
pour recouvrer santé, bien qu'ils soient situés en
lieu profane. Là, et ailleurs, plusieurs fois, elle les a
vénérées et leur fit la révérence.
En outre elle a dit que ces saintes Catherine et Marguerite
lui apparaissent et se montrent à elle, couronnées
de couronnes bien belles et riches. Et depuis ce moment, à
plusieurs reprises, elles dirent à cette femme qu'il lui
fallait, du commandement de Dieu, aller vers certain prince du siècle,
promettant que, par l'aide et labeur de ladite femme, ce dit prince,
par la force des armes, recouvrerait grand domaine temporel et gloire
mondaine, et qu'il obtiendrait victoire sur ses adversaires ; et
aussi que cedit prince accueillerait ladite femme, lui baillerait
armes et gens d'armes pour l'exécution de ses promesses.
De plus, lesdites saintes Catherine et Marguerite commandèrent
à cette femme, de par Dieu, qu'elle prît et portât
habit d'homme ; et elle l'a porté, et le porte encore, obéissant
audit commandement avec obstination, au point que cette femme a
déclaré qu'elle aimait mieux mourir que de délaisser
ledit habit. Elle a fait cette déclaration, simplement et
purement, ajoutant parfois "à moins que ce ne fût
du commandement de Notre Seigneur". Elle a mieux aimé
aussi ne point assister à l'office de la messe, être
privé du saint sacrement de communion, au temps où
l'Église ordonne aux fidèles de recevoir ledit sacrement,
plutôt que de reprendre l'habit de femme et délaisser
l'habit d'homme. Ces saintes auraient également favorisé
cette femme quand, à l'insu et contre le gré de ses
parents, au dix-septième an de son âge ou environ,
elle quitta la maison paternelle, fit société avec
une multitude de gens suivant la guerre, vivant avec eux de jour
et de nuit, et n'ayant jamais, ou rarement, quelque femme avec elle.
Et ces saintes lui ont dit et commandé beaucoup
d'autres choses : c'est pourquoi cette femme a dit être envoyée
de par le Dieu du ciel et l'Église triomphante des saints
qui jouissent déjà de la béatitude, auxquels
elle soumet tout ce qu'elle a fait de bien. Mais, à l'Église
militante, elle a différé et refusé de se soumettre,
elle, ses faits et dits ; et, plusieurs fois requise et admonestée
sur ce point, elle a répondu qu'il lui était impossible
de faire le contraire de ce qu'elle affirma, dans son procès,
avoir fait du commandement de Dieu, qu'en cela elle ne s'en rapporterait
à la détermination et au au jugement d'homme qui vive,
mais seulement au jugement de Notre Seigneur ; que ces saintes lui
avaient révélé qu'elle serait sauvée
dans la gloire des Bienheureux ; que son âme serait sauvée
si elle conservait la virginité qu'elle leur a vouée,
la première fois qu'elle les vit et ouït. Et, à
l'occasion de cette révélation, elle a affirmé
qu'elle était aussi certaine de son salut que si elle se
trouvait présentement et de fait au royaume de paradis.
Article 2 : Item cette femme a dit que le signe qu'eut le
prince vers qui elle avait été envoyée, et
ce qui le détermina à avoir foi en elle au sujet de
ses révélations, à la recevoir, à lui
laisser conduire sa guerre, ce fut que saint Michel se montra audit
prince, accompagné d'une multitude d'anges, dont les uns
avaient des couronnes et les autres des ailes ; et avec eux étaient
saintes Catherine et Marguerite. Et l'ange et cette femme marchaient
ensemble, sur terre, par voie, montaient les degrés, allaient
à travers la chambre, cheminant longuement : d'autres anges
et les dites saintes les accompagnaient. Et certain ange bailla
audit prince une couronne bien précieuse d'or fin ; et l'ange
s'inclina devant le prince, lui faisant la révérence.
Et, une fois, elle a dit que, quand son prince eut le signe, il
lui sembla qu'il était seul, quoique assez près plusieurs
gens se tinssent ; et une autre fois, qu'à ce qu'elle croit,
un archevêque reçu ce signe de la couronne, le bailla
audit prince, en présence et à la vue de plusieurs
seigneurs laïcs.
Article 3 : Item cette femme reconnaît et est certaine
que celui qui la visite est saint Michel, cela par le bon conseil,
le réconfort et la doctrine que ledit saint Michel donna
et fit à cette femme parce qu'il se nomma lui-même,
disant qu'il était Michel. Et, semblablement, elle reconnait
et distingue l'une de l'autre ses saintes, Catherine et Marguerite,
parce qu'elles se nomment et la saluent. C'est pourquoi, du saint
Michel qui lui apparaît, elle croit que c'est saint-Michel
lui-même, et que les dits et faits de ce Michel sont vrais
et bons, aussi fermement qu'elle croit que Notre Seigneur Jésus-Christ
a souffert mort pour nous racheter.
Article 4 : Item ladite femme dit et affirme qu'elle est
assurée de certains évènements à venir
et purement contingents, et qu'ils se réaliseront, comme
elle est certaine de ce qu'elle voit dans la réalité
devant elle ; elle se vante d'avoir et d'avoir eu connaissance de
choses cachées, par révélations verbales faites
par les voix des saintes Catherine et Marguerite : par exemple qu'elle
sera délivrée de prison, que les Français feront
plus beau fait en sa compagnie qu'onques fut fait par toute la chrétienté.
En outre, personne ne les lui montrant, par révélation,
à ce qu'elle dit, elle a reconnu des gens qu'elle n'avait
jamais vus ; elle a révélé et publié
que certaine épée était cachée en terre.
Article 5 : Item cette femme dit et affirme que, du commandement
de Dieu et de son bon plaisir, elle a pris et porté, et continuellement
porte et vêt, habit à usage d'homme. En outre elle
a dit que, puisqu'elle avait commandement de Dieu de porter habit
d'homme, il lui fallait avoir robe courte,
chaperon, gippon, braies et chausses à nombreuses aiguillettes,
cheveux taillés en rond au-dessus des oreilles, ne gardant
rien sur son corps qui montrât et annoncât son sexe,
hors ce que la nature lui a donné comme marque distinctive
du sexe féminin. Et, en cet habit, elle a reçu plusieurs
fois le sacrement d'Eucharistie. Et elle n'a voulu et ne veut reprendre
l'habit de femme, bien qu'à diverses reprises elle en ait
été charitablement requise et admonestée, disant
qu'elle aimerait mieux mourir que de délaisser l'habit d'homme
: cela elle l'a dit, purement et simplement, ajoutant parfois "à
moins que ce ne soit du commandement de Notre Seigneur". Elle
a dit que si elle se trouvait en cet habit parmi ceux de son parti,
pour lesquels jadis elle s'arma, et qu'elle pût faire comme
elle faisait avant sa prise et captivité, ce serait un des
plus grands biens qui pût advenir à tout le royaume
de France ; elle ajouta que, pour rien au monde, elle ne ferait
serment de ne pas porter l'habit d'homme et de ne pas s'armer. En
tout cela elle a dit qu'elle a bien fait et fait bien, qu'elle a
obéi à Dieu et à ses commandements.
Article 6 : Item cette femme confesse et affirme qu'elle
a fait écrire de nombreuses lettres et que, sur quelques-unes,
étaient apposés les noms : JHESUS MARIA, avec l'invocation
du signe de la croix ; et parfois y apposait une croix : et alors
elle ne voulait pas que l'on fit ce qu'elle mandait de faire en
ses lettres. Dans d'autres aussi, elle a fait écrire qu'elle
ferait occire ceux qui n'obéiraient point à ses lettres
et monitions, et "qu'aux horions on verra qui aura meilleur
droit de Dieu du ciel". Et, fréquemment, elle a dit
qu'elle n'a rien fait que par révélation et commandement
de Dieu.
Article 7 : Item cette femme dit et confesse qu'en l'an dix-septième
de son âge, ou environ, spontanément et par révélation,
à ce qu'elle dit, elle s'en fut trouver certain écuyer
qu'elle n'avait jamais vu, délaissant la maison paternelle,
contre le gré de ses parents ; lesquels, dès qu'ils
connurent son départ, demeurèrent comme fous. Et,
au dit écuyer, cette femme requit qu'il la conduisit ou fit
conduire à ce prince dont il a été parlé
plus haut. Et alors ledit écuyer, capitaine, bailla à
cette femme habit d'homme avec une épée, sur sa requête
; et, pour la conduire, il députa et ordonna un chevalier,
un écuyer et quatre compagnons. Et lorsqu'ils furent venus
au prince susdit, cette femme lui déclara qu'elle voulait
conduire la guerre contre ses adversaires, lui promettant de le
mettre en grande domination, qu'il écraserait ses ennemis,
et, qu'à cette fin, elle était envoyée du Roi
du ciel. En cela, elle a dit qu'elle a bien fait, du commandement
de Dieu et par révélation.
Article 8 : Item cette femme dit et confesse que, personne
ne l'y contraignant ou poussant, elle s'est précipitée
du haut d'une tour très élevée désirant
mieux mourir que d'être mise en la main de ses adversaires
et de vivre après la destruction de la ville de Compiègne.
En outre elle a dit qu'elle ne put éviter de se précipiter
ainsi ; et cependant saintes Catherine et Marguerite lui avaient
défendu qu'elle se précipitât dehors, et elle
a dit que, les offenser, c'est grand péché. Or, elle
prétend bien savoir que ce péché lui a été
remis, après qu'elle s'en fut confessée. Et, de cela,
elle dit avoir eu révélation.
Article 9 : Item cette femme dit et affirme que saintes Catherine
et Marguerite lui firent promesse de la mener en paradis, si elle
conservait bien la virginité qu'elle leur voua, tant de corps
que d'âme. Et de cela elle dit qu'elle est aussi certaine
que si, déjà, elle était en la gloire des Bienheureux.
Elle ne pense point avoir fait les œuvres d'un péché
mortel ; car, si elle était en péché mortel,
lesdites saintes Catherine et Marguerite, à ce qui lui semble,
ne la visiteraient point, comme chaque jour elles la visitent.
Article 10 : Item ladite femme dit et affirme que Dieu aime
certaines personnes, qu'elle désigna et nomma, encore vivantes,
et qu'il les aime plus qu'il n'aime ladite femme. Et cela, elle
le sait par les révélations de saintes Catherine et
Marguerite, qui lui parlèrent fréquemment
en langage français, et non en celui des Anglais, car elles
ne sont point de leur parti. Et, depuis qu'elle sut par révélation
que ces voix étaient pour le prince dessusdit, elle n'aima
point les Bourguignons.
Article 11 : Item ladite femme dit et confesse qu'à
ses voix et esprits susdits, qu'elle nomme Michel, Gabriel, Catherine
et Marguerite, elle a plusieurs fois fait la révérence,
découvrant sa tête, s'agenouillant, baisant la terre
sur laquelle ils marchaient, et qu'elle leur voua sa virginité,
quand elle accolla et embrassa lesdites Catherine et Marguerite.
Et elle les toucha corporellement et sensiblement, leur demanda
conseil et réconfort, les a invoquées, quoique souvent
elles la visitent sans être invoquées. Elle a acquiescé
et obéi à leurs conseils et mandements, et acquiesca
dès l'origine, sans demander conseil à quiconque,
par exemple à son père ou à sa mère,
à curé ou prélat, ou à quelque autre
homme d'Église. Et néanmoins, elle croit fermement
que les voix et révélations qu'elle eut, par le moyen
des saints et des saintes, viennent de Dieu et de son commandement.
Et le croit, aussi fermement qu'elle croit la foi chrétienne
et que Notre Seigneur Jesus-Christ a souffert mort pour nous. Elle
ajouta que, si un esprit malin lui apparaissait, qui feindrait être
saint-Michel, elle saurait bien reconnaître qu'il était
saint-Michel ou non. Cette femme a dit aussi que, de son bon gré,
sans être contrainte ni requise aucunement, elle a juré
aux saintes Catherine et Marguerite, qui lui apparaissent, qu'elle
ne révélerait le signe de la couronne qu'elle devait
donner au prince vers qui elle était envoyée. Et,
à la fin, elle dit : "à moins qu'elle eût
congé de le révéler".
Article 12 : Item cette femme dit et confesse que, si l'Église
voulait qu'elle fit quelque chose contraire au commandement qu'elle
dit que Dieu lui a fait, elle ne le ferait pour cause quelconque.
Elle affirma qu'elle sait bien que les choses déclarées
en son procès furent faites de par notre Sire, et qu'il lui
serait impossible de faire le contraire. Elle ne s'en veut rapporter
au jugement de l'Église militante, ou à homme qui
vive, mais seulement à Dieu, notre Sire, dont elle fera toujours
les commandements, principalement en ce qui touche la matière
des révélations et ce qu'elle dit avoir fait par elles.
Cette réponse, et d'autres, elle dit ne les avoir point faites
en les prenant en sa tête ; mais elle fit et donna ces réponses
du commandement de ses voix et des révélations à
elles faites, bien que les juges et autres personnes présentes
eussent souvent exposé à cette femme cet article de
la foi : Unam sanctam Ecclesiam catholicam, en lui expliquant
que tout fidèle pèlerin de la vie est tenu d'y obéir,
de soumettre ses faits et dits à l'Église militante,
principalement en matière de foi, en ce qui concerne la doctrine
sacrée et les sanctions ecclésiastiques.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921),
"Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La
minute française des interrogatoires de La Pucelle"
- P.Doncoeur (1952).
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