|
Procès
de condamnation - procès d'office
Cinquième
interrogatoire privé - 15 mars 1431. |
|
tem
le jeudi suivant, quinzième jour dudit mois de mars, le
matin, au lieu susdit de la prison
de Jeanne, présidents lesdits
maître Jean de La Fontaine, député commissaire
par nous, évêque, nous-même et frère Jean
Le Maistre, vicaire de l'inquisiteur, assistés de vénérables
personnes seigneurs et maitres Nicolas Midi et Gérard Feuillet,
docteur en théologie sacrée, et en présence
de Nicolas de Hubant, notaire apostolique et de frère Ysambard
de La Pierre.
*
* *
Ladite Jeanne fut admonestée et requise par charitables
exhortations de vouloir bien s'en rapporter à la détermination
de notre sainte mère l'Église, ainsi qu'elle le doit,
au cas où elle a fait quelque chose contre notre foi, répondit
que ses réponses soient vues et examinées par les
clercs, et après qu'on lui dise s'il y a quelque chose qui
soit contre la foi chrétienne : elle saura bien dire par
son conseil ce qu'il en sera ; et puis en dira ce qu'en aura trouvé
par son conseil. Et toutefois, s'il y avait quelque mal contre la
foi chrétienne que Notre Sire a commandée, elle ne
voudrait le soutenir et serait bien courroucée d'aller à
l'encontre.
Fuit eadem Johanna cum caritativis
exhortationibus monita et requisita quod, si contingat ipsam aliquid
egisse contra fidem, velit se referre determinationi sanctæ
matris Ecclesiæ, ad quam se refere debet. Ipsa vero respondit
quod ejus responsiones videantur et examinemtur per clericos, et
postea sibi dicatur an ibi sit aliquid quod sit contra fidem christianam
: ipsa bene sciet dicere quid inde erit ; et postea dicet illud
quod de hoc invenerit per suum consilium. Tamen si sit aliquid malum
contra fidem christianam quam Deus præcepit, ipsa non vellet
sutinere, et esset bene irata de veniendo in contrarium.
Apprez les monicions faictes a
elle et requisitions que, se elle a faict quelque chose qui soit
contre nostre foy, qu'elle s'en doibt rapporter a la determinacion
de l'Eglise, respond que ses reponces soyent veues par les clers.
Et puisque on luy dye se il y a quelque chose qui soit contre la
foy chrestienne ; elle sera bien dire par son conseil qu'il en sera
; et puis en dira ce qu'elle en aura trouvé par son conseil.
Et toutesfoys, se il y a riens de mal contre la foy chrestienne,
que nostre Syre a commandee, elle ne vouldroit soustenir, et seroit
bien courroucee d'aller contre.
Item lui fut déclarée la distinction qu'il
y a entre l'Église triomphante et l'Église militante,
et ce que c'était de l'une et de l'autre, et fut requise
présentement de se soumettre à la détermination
de l'Église, en ce qu'elle a fait ou dit, soit bien soit
mal, répondit :
- Je ne vous répondrai autre chose pour le présent.
Item sibi fuit declarata distinctio
Ecclesiæ triumphantis et militantis, et quid eras de ista
et de illa ; fuitque requisita ut, de præsenti, se submitteret
determinationi Ecclesiæ, et de hoc quod ipsa fecit et dixit,
sive sit bonum, sive malum, respondit :
- Ego non respondebo vobis aliud de præsenti.
Item,
luy fut declaree l'Eglise triomphante et l'Eglise militant, que
c'estoit de l'une et de l'autre.
Item, requise que de present elle se mist en la determinacion
de l'Eglise, de ce qu'elle a faict, soit bien ou mal, respond :
- Je ne vous en respondray aultre chose pour le present. (1)
Item
ladite Jeanne fut requise et interrogée, sous le serment
qu'elle avait prêté, de dire comment elle pensa s'échapper
du chateau de Beaulieu (2), entre deux
pièces de bois : répondit que jamais ne fut prisonnière
en aucun lieu qu'elle ne s'échappât volontiers, et
étant dans ce château, elle aurait enfermé ses
gardes dans la tour, n'eût été le portier qui
la vit et la rencontra.
Item fuit eadem Johanna requisita,
sub juramento quod præstiterat
ut diceret qualiter evadere putavit a castro de Belloloco, inter
duas pecias nemoris, respondit quod nunquam fuit prisionaria in
aliquo loco, quin libenter evasisset ; et, ipsa exsistente in castro
prædicto, inclusisset suos custodes infra turrim, nisi fuisset
portarius qui eam vidit et sibi obviavit.
Ladicte Jhenne jut requise et
interroguee sur les juremens devantdictz, et premierement, qu'elle
dist la maniere comme elle cuida eschapper du chastel de Beaulieu,
entre deux pieces de boys, respond qu'elle ne fut oncques prisonniere
en lieu, qu'elle ne se eschappast voluntiers. Et elle, estante en
icelluy chastel, eust confermé ses gardes dedens la tour,
n'eust esté le portier qui l'advisa et la recouvra.
Item dit, qu'à ce qui lui semble, il ne plaisait
pas à Dieu qu'elle s'échappât cette fois qu'il
fallait qu'elle vît le roi des Anglais, comme ses voix le
lui avait dit, et comme dessus est écrit.
Item
dixit ad hoc quod, prout ei videtur, non placebat Deo quod ipsa
evaderet pro illa vice, et quod oportebat quod videret regem Anglorum,
quemadmodum voces suæ dixerant ei, at superius scribitur.
Item,
dit, a ce qui luy semble, qu'il ne plaisoit pas a Dieu qu'elle eschappast
pour celle foys ; et qu'il falloit qu'elle veist le roy des Angloys,
comme ses voix luy avoyent dit, et comme dessus est escript.
Interrogée si elle avait congé de Dieu
ou de ses voix de partir des prisons, toutes les fois qu'il lui
plairait, répondit :
- Je l'ai demandé plusieurs fois, mais je ne l'ai pas
encore.
Interrogata
an habeat licentiam a Deo vel a vocibus suis, de recedendo quotiens
sibi placebit, respondit :
- Ego pluries petivi, sed adhuc non habeo.
Interroguee
se elle a congié de Dieu ou de ses voix de partir de prison
toutes foys qu'il plaira a elle, respond :
- Je l'ay demandé plusieurs foys ; mais je ne l'ay pas
encoire.
Interrogée si présentement elle partirait
si elle voyait son point (3) de partir,
répondit que si elle voyait l'huis ouvert, elle s'en irait
; et ce lui serait le congé de Notre Seigneur. Et croit fermement
que, si elle voyait l'huis ouvert, et que ses gardes et les autres
Anglais n'y sussent résister, elle entendrait que ce serait
le congé, et que Notre Seigneur lui enverrait secours ; mais,
sans congé, elle ne s'en irait pas, si ce n'était
en faisant une entreprise [pour s'en aller] pour savoir si Notre
Seigneur en serait content, alléguant ce proverbe : "Aide-toi,
Dieu t'aidera". Et dit cela pour que, si elle s'en allait,
on ne dise pas qu'elle s'en est allée sans congé.
Interrogata utrum de præsenti
ipsa recederet, si videret suum punctum recedendi, respondit quod,
si videret ostium apertum, ipsa recederet ; et hoc esset sibi præceptum
Dei. Et credit firmiter, si videret ostium apertum, et custodes
sui et alii Anglici necirent resistere, ipsa intelligeret quod ista
est licentia sua et quod Deus mitteret ei succursum ; sed absque
licentia non recederet, nisi hoc esset quod ipsa faceret unam aggressionem,
gallice une entreprise, pro sciendo si Deus esset contentus,
allegans illud proverbium in gallico vulgatum : Aide toy, Dieu
te aidera. Et istud dicit ut, si ipsa iret, non diceretur quod
sine licentia recessisset.
Interroguee
se de present elle parliroit, se elle veoit son point de partir,
respond : se elle veoit l'huis ouvert, elle s'en yroit. Et ce luy
seroit le congié de nostre Seigneur. Et croit fermement,
se elle veoit l'huis ouvert, et ses gardes et les aultres Angloys
ny sceussent resister, elle entendroit que ce seroit le congié,
et que nostre Seigneur luy enveiroit secours. Mais sans congié
ne s'en yroit pas ; se ce n'estoit celle faisoit une entreprinse
pour s'en aller, pour savoir si nostre Seigneur en seroit content.
Et allegue : Ayde toy, Dieu te aydera. Et le dit pour ce
que, si elle s'en alloit, que on ne dye pas qu'elle s'en fust allee
sans congié.
Interrrogée, puisqu'elle demande à ouïr
la messe, s'il ne lui semble pas que ce serait plus honnête
qu'elle fût en habit de femme ; et pour ce, on l'interrogea
sur ce qu'elle aimerait mieux, prendre habit de femme et ouïr
la messe ou demeurer en habit d'homme et ne pas ouïr la messe
répondit :
- Certifiez-moi que j'ouïrai messe si je suis en habit de
femme et sur ce je vous répondrai.
Sur quoi l'interrogateur lui dit : "Et je vous
certifie que vous ouïrez la messe si vous êtes en habit
de femme." Elle répondit :
- Et que dites-vous si j'ai juré et promis à notre
roi de ne pas abandonner cet habit ? Toutefois je vous réponds
: faites-moi faire une robe jusqu'à terre, sans queue (4)
et baillez-la moi pour aller à la messe et puis, au retour,
je reprendrai l'habit que j'ai.
Interrogata, postquam ipsa petierat
audire missam, utrumne videretur ei honestius deferre habitum muliebrem
; et fuit ab ea petitum quod ipsa prædiligeret, vel capere
habitum muliebrem et audire missam, vel manere in habitu virili
et non audire missam, respondit :
- Certificetis me de audiendo missam, si ego sim in habitu muliebri,
et ego super hoc vobis respondebo.
Tunc fuit sibi dictum per interrogantem : "Et ego
certifico vobis quod audietis missam, si fueritis in habitu muliebri."
Respondit :
- Et quid dicitis vos, si ego promisi regi nostro, et juravi
non deponere istum habitum ? Tamen ego vobis respondeo : faciatis
mihi habere tunicam longam usque ad terram, sine cauda, et tradatis
mihi pro eundo ad missam ; et postea, in regressu, ego titerum capiam
istum habitum quem habeo.
Interroguee, puisque elle demande
a oyr messe, que il semble que ce seroit le plus honneste qu'elle
fust en habit de femme. Et pour ce fut interroguee : lequel elle
aymeroit, prendre habit de femme et oyr messe, que demourer en habit
d'homme, et non oyr messe, respond :
- Certiffiez moy de oyr messe, se je suis en habit de femme ;
et sur ce je vous respondray.
A quoy lug fut dit par l'interrogant : "Et je vous
certiffie que vous aorrez messe, mais que soyez en habit de femme",
respond :
- Et que dictes vous, se j'ay juré et promis a nostre
Roy non metre jus cest habit ? Toutesfoys je vous respondz : Faictes
moy faire une robbe longue jusques a terre, sans cueue, et me baillez
a aller a la messe ; et puis, au retour, je prendray l'habit que
j'ay.
Interrogée si elle prendrait une fois pour toutes
l'habit de femme pour aller ouïr la messe, répondit
:
- Je me conseillerai sur ce, et puis vous répondrai.
En outre elle requit, en l'honneur de Dieu et de Notre Dame,
qu'elle puisse ouïr la messe en cette bonne ville.
Interrogata utrum caperet habitum
muliebrem, pro eundo auditum missam, respondit :
- Ego habebo consilium super hoc, et postea vobis respondebo.
Et ultra requisivit in honorem Dei et Beatæ Mariæ
quod possit audire missam in ista bona villa.
Interroguee
de prendre du tout l'habit de femme pour aller oyr messe, respond
:
- Je me conseilleray sur ce, et puis vous respondray.
Et oultre requist, en l'honneur de Dieu et de nostre Dame,
qu'elle puisse oyr messe en ceste bonne ville.
Sur quoi il lui fut dit par l'interrogateur qu'elle
prit habit de femme, purement et simplement. Et elle répondit
:
- Baillez-moi habit comme à une fille de bourgeois, c'est
assavoir houppelande longue, et je le prendrai pour ouïr messe.
(5)
En outre dit, le plus instamment qu'elle put, qu'elle
requérait qu'on lui permit d'ouïr la messe dans l'habit
qu'elle portait, sans le changer.
Et ad hoc fuit sibi dictum per
interrogantem quod capiat habitum muliebrem simpliciter et absolute.
Ipsa vero respondit :
- Tradatis mihi habitum sicut uni filiæ burgensis, videlicet
unam houpelandam longam ; et ego accipiam pro eundo auditum missam.
Ulterius dixit quod, quantum instantius poterat, requirebat
quod permitteretur audire missam in ipso habitu quem portat, absque
ipsum immutando.
Et a ce luy fut dit qu'elle prengne
habit de femme simplement et absolutement, et elle respond :
- Baillez moi habit, comme une fille de bourgoys ; c'est assavoir
houppellande (6)
longue, et je le prendray ; et mesme le
chapperon
(7) de
femme, pour aller ouyr messe.
Et aussy, le plus instamment qu'elle peult, requiert
que on luy laisse cest habit qu'elle porte, et que on la laisse
ouyr messe, sans le changer.
Interrogée si, sur ce qu'elle a dit et fait,
elle veut se soumettre et s'en rapporter à la
détermination de l'Église, répondit :
- Tous mes dits et tous mes faits sont en la main de Dieu, et
m'en attends à Lui. Et vous certifie que je ne voudrais rien
faire et dire contre la foi chrétienne ; et si j'avais rien
dit ou fait, ou qu'il fut sur mon corps quelque chose que les clercs
sussent dire être contre la foi chrétienne que Notre
Seigneur a établie je ne voudrais soutenir, mais le rejetterais
!
Interrogata an, de hoc quod dixit
et fecit, ipsa vult se submittere et referre determinationi Ecclesiæn,
respondit :
- Omnia dicta et facta mea sunt in manu Dei, et de his exspecto
me ad ipsum. Et certifico vobis quod ego nihil vellem facere aut
dicere contra fidem christianam ; et, si ego aliquid dixissem aut
fecissem, aut quod esset supra corpus meum, quod clerici scirent
dicere esse contra fidem christianam quam Dominus stabilivit, ego
non vellem sustinere, sed illud expellerem.
Interroguee se, de ce qu'elle a dit et faict, elle veult
submectre et rapporter en la determinacion de l'Eglise, respond
que :
- Toutes mes œuvres et mes faictz sont tous en la main de
Dieu, et m'en actendz a Luy. Et vous certifie que je ne vouldroye
riens faire ou dire contre la foy chrestienne ; et, se j'avoye riens
faict ou dict, qui fust sur le corps de moy, que les clers sceussent
dire que ce fust contre la foy chrestienne que nostre Seigneur ait
establie, je ne vouldroye soustenir ; mais le mectroys hors.
Interrogée si en cela elle ne voulait point se
soumettre à l'ordonnance de l'Église, répondit
:
- Je ne vous en répondrai maintenant autre chose ; envoyez-moi
le clerc (8), si ne voulez venir, et je lui
répondrai sur ce, avec l'aide de Dieu, et sera mis en écrit.
Interrogata an de hoc vellet se
submittere ordinationi Ecclesiæ, respondit :
- Ego non respondebo vobis nunc aliud ; sed mittatis mihi clericum
die sabbati, si non vultis venire, et de hoc ego sibi respondebo
cum auxilio Dei, et ponetur in scriptis.
Interroguee
se elle s'en vouldroit point submectre en l'ordonnance de l'Eglise,
respond :
- Je ne vous en respondray maintenant aultre chose ; mais sabmedy,
envoyez moy le clerc, se n'y voulez venir ; et je luy respondray
de ce, a l'ayde de Dieu ; et sera mis en escript.
Interrogée si, quand viennent ses voix, elle
leur fait révérence absolument, comme à un
saint ou à une sainte, répondit que oui. Et si parfois
elle ne l'a fait, leur en a crié pardon depuis. Et ne leur
sait faire si grande révérence comme il appartient
; car elle croit fermement que ce sont saintes Catherine et Marguerite.
Et dit semblablement en ce qui concerne saint Michel.
Interrogata utrum, quando voces
suæ veniunt, faciat eis reverentiam absolute, sicut uni Sancto
vel uni Sanctæ, respondit quod sic ; et si aliquando non fecerit,
ipsa ab eis quæsivit veniam depost. Nec scit eis facere ita
magnam reverentiam sicut eas decet, quia credit firmiter quod sunt
sanctæ Katharina et Margareta. Et similiter dixit, quoad hoc,
de sancto Michaele.
Interroguee
se, quand ses voix viennent, se elle leur faict reverence absolutement,
comme a ung sainct ou saincte, respond que ouy. Et se elle ne l'a
faict aulcunes foys, leur en a crié mercy et pardon depuis.
Et ne leur sçait faire si grande reverence, comme a elles
appartient. Car elle croit fermement que se soyent sainctes Katherine
et Margueritte.
Et semblablement dit de sainct Michel.
Interrogée, puisqu'aux saintes de Paradis on
fait volontiers offrande de chandelles, si aux saints et saintes
qui viennent à elle n'a point fait offrande de chandelles
ardentes, ou d'autres choses, à l'église ou ailleurs,
ou fait dire des messes, répondit que non, si ce n'est à
l'offrande, à la messe, en la main du prêtre, et en
l'honneur de sainte Catherine. Et croit que c'est l'une de celles
qui lui apparaissent ; et n'a point tant allumé de chandelles,
comme elle ferait volontiers pour saintes Catherine et Marguerite
qui sont en Paradis ; et croit fermement que ce sont celles qui
viennent à elle.
Interrogata, quia Sanctis paradisi communiter
fiunt oblationes de candelis, utrum illis Sanctis venientibus ad
ipsam feceritne oblationem de candelis ardentibus vel aliis rebus,
in ecclesia aut alibi, vel an fecerit dicere missas, respondit quod
non, nisi hoc fuerit offerendo in missa in manu sacerdotis, ad honorem
sanctæ Katharinæ. Et credit quod est una de illis quæ
apparent sibi ; nec tot candelas accendit, sicut faceret libenter
ipsis sanctis Katharinæ et Margaretæ quæ sunt
in paradiso, quas credit firmiter esse illas easdem quæ veniunt
ad ipsam.
Interroguee,
pour ce que es sainctes de paradis ont faict voluntiers oblacion
de chandelles, se a ses sainctz et ses sainctes qui viennent a elle,
elle a point faict oblacion de chandelles ardans ou d'aultres choses,
a l'eglise ou ailleurs, ou faire dire des messes, respond que non,
se ce n'est en offrant a la messe, en la main du prebstre, et en
l'honneur de saincte Katherine ; et croit que c'est l'une de celles
qui se apparut a elle ; et n'en a point tant allumé tant
comme elle feroit voluntiers a sainctes Katherine et Marguerite,
qui sont en paradis, qu'elle croit fermement que se sont celles
qui viennent a elle.
Interrogée si, quand elle met des chandelles
devant l'image de sainte Catherine, elle met ces chandelles en l'honneur
de celle qui lui apparaît, répondit :
- Je le fais en l'honneur de Dieu, de Notre Dame, de sainte Catherine
qui est au ciel ; et de celle qui se montre à moi.
Interrogata utrum, quando ponit
istas candelas ante imaginem sanctæ Katharinæ, ipsa
ponat eas in honorem illius quæ sibi apparet, respondit :
- Ego facio hoc in honorem Dei, Beatæ Mariæ, et sanctæ
Katharinæ quæ est in cœlo, et illius quæ
se ostendit mihi.
Interroguee
se, quand elle mect ses chandelles devant l'ymaige saincte Katherine,
elle les mect en l'honneur de celle qui se apparut a elle, respond
:
- Je le fais en l'honneur de Dieu, nostre Dame et de saincte Katherine
qui est eu ciel. Et ne fais point de difference de saincte Katherine
qui est eu ciel et de celle qui se appert a moy.
Interrogée si elle met ces chandelles en l'honneur
de sainte Catherine qui s'est montrée à elle, qui
lui est apparu, répondit qu'elle ne mettait point de différence
entre celle qui lui apparait et celle qui est au ciel. (9)
Interrogata utrum ponat hujusmodi
candelas ad honorem illius sanctæ Katharinæ quæ
se ostendit sibi, seu quæ sibi apparet, respondit quod sic,
et quod non ponit differentiam inter illam quæ sibi apparet
et illam qua est in cœlo.
Interroguee
se elle le met en l'honneur de celle qui se apparut a elle, respond
que ouy. Car elle ne mect point de difference entre celle qui se
apparut a elle et celle qui est eu ciel.
Interrogée si elle a toujours fait ou accompli
ce que ses voix lui commandent, répondit que, de tout son
pouvoir, elle accomplit le commandement que Notre Seigneur lui fait
par ses voix, et de ce qu'elle en sait entendre. Et ne lui commandent
rien sans le bon plaisir de Notre Seigneur.
Interrogata an semper faciat et compleat illud quod
voces suæ præcipiunt ei, respondit quod, ex toto posse
suo, ipsa adimplevit præceptum Dei sibi factum per voces suas,
de hoc quod scivit intelligere. Et nihil præcipiunt sibi voces
illæ, sine beneplacito Dei.
Interroguee
se elle faict et acomplist tousiours ce que ses voix luy commandent,
respond que de tout son povoir elle accomplit le commandement de
nostre Seigneur, a elle faict par ses voix, de ce que elle en sçait
entendre ; et ne luy commandent rien sans le bon plaisir de nostre
Seigneur.
Interrogée si, au fait de la guerre, elle n'a
rien fait sans le congé de ses voix, répondit :
- Vous avez réponse de moi sur cela. Lisez bien votre
livre et vous la trouverez. (10)
Et toutefois dit qu'à la requête des gens
d'armes fut faite une vaillance d'armes devant Paris et aussi alla
devant La Charité à la requête de son roi. Et
ce ne fut ni contre ni par le commandement de ses voix.
Interrogata an, in facto guerræ,
fecerit aliquid sine consilio vocum suarum, respondit :
- Vos de hoc habetis responsum. Legatis bene librum vestrum,
et vos reperieris.
Dixit tamen quod, ad requestam hominum armatorum, fuit
facta valentia armorum coram villa Parisiensi, et etiam coram villa
de Caritate, ad requestam regis sui. Et hoc non fuit contra nec
per præceptum vocum suarum.
Interroguee
se, eu faict de la guerre, elle a riens faict sans le congié
de ses
voix, respond :
- Vous en estes tous respondus. Et lysés bien vostre livre,
et vous le trouverez.
Et toutesvoyes dit que, a la requeste des gens d'armes,
fut faicte une vaillance d'armes devant Paris. Et aussy ala devant
La Charité, a la requeste de son roi (11).
Et ne fut contre ne par le commandement de ses voix.
Interrogée si onques ne fit quelque chose contre
leur commandement et volonté, répondit que ce qu'elle
a pu et su faire, elle l'a accompli à son pouvoir. Et quant
au saut du donjon de Beaurevoir,
qu'elle fit contre leur commandement, elle ne s'en put tenir (12);
et quand ses voix virent sa nécessité, et qu'elle
ne savait ni ne pouvait s'en tenir, elles portèrent secours
à sa vie et la gardèrent de se tuer.
Et dit en outre que, quelque chose qu'elle fît onques
en ses grandes affaires, elles l'ont toujours secourue ; et c'est
signe que ce sont de bons esprits.
Interrogata utrum unquam fecerit
aliqua contra voluntatem et præceptum illarum vocum, respondit
quod, illud quod portuit et scivit facere, adimplevit pro posse.
Et quantum est de saltu a turri de Beaurevoir, quem fecit
contra præceptum earum, ipsa non potuit se de hoc abstinere
; et quando voces illæ viderunt necessitatem suam, quod non
sciebat nec poterat se de hoc tenere, ipsæ succurrerunt vitæ
ejus et præservaverunt eam ne se ipsam interficeret.
Dixit ultra quod, quidquid unquam fecit in suis magnis agendis,
ipsæ voces semper succurrerunt ei ; et hoc est signum quod
sunt boni spiritus.
Interroguee se elle feist oncques
aulcunes choses contre leur commandement et volunté, respond
que ce qu'elle a peu et sceu faire, elle la facit et acomply a son
povoir. Et, quand est du sault du dongon de Beaureveoir, qu'elle
feist contre leur commandement, elle ne s'en peut tenir. Et quand
elles veirent sa neccessité, et qu'elle ne s'en savoit et
povoit tenir, elles luy secoururent sa vie, et la garderent de se
tuer.
Et
dit oultre que, quelque chose qu'elle feist oncques en ses grans
affaires, elles l'ont tousiours secourue ; et ce est signe que ce
soyent bons espritz.
Interrogée si elle n'a point d'autre signe que
ce soient de bons esprits, répondit que Saint Michel lui
certifia avant que les voix vinssent.
Interrogée comment elle reconnut que c'était
saint Michel, répondit par le parler et langage des anges
! Et croit fermement que c'étaient des anges.
Interrogata an habeat aliud signum
quod illæ voces sunt boni spiritus, respondit quod sanctus
Michael hoc certificavit sibi, antequam illæ voces venirent.
Interrogata qualiter ipsa cognovit quod ipsa erat sanctus
Michael, respondit quod per loquelam suam et per idioma angelorum
; et credit firmiter quod erant angeli.
Interroguee
se elle a point des aultre signe que se soyent bons espritz, respond
:
- Sainct Michel le me certifia, avant que les voix me venissent.
Interroguee comme elle congnut que c'estoit sainct
Michel, respond : par le parler et le langaige des angelz. Et croit
fermement que estoyent angelz.
Interrogée comment elle reconnut qu'ils étaient
des anges (13), répondit qu'elle
le crut assez vite et eut cette volonté de le croire.
Et dit en outre que saint Michel, quand il vint à
elle, lui dit que sainte Catherine et sainte Marguerite viendraient
à elle, et qu'elle agit suivant leur conseil, et qu'elles
étaient ordonnées pour la conduire et conseiller en
ce qu'elle avait à faire ; et qu'elle les crût en ce
qu'elles lui diraient ; que c'était par le commandement de
Notre Seigneur.
Interrogata qualiter cognovit
quod erant angeli, respondit quod creditit hoc satis cito, et habuit
istam voluntatem hoc credendi.
Et dixit ultra quod sanctus Michael, quando venit ad eam,
dixit
sibi quod sanctæ Katharina et Margareta venirent ad ipsam,
et quod ipsa ageret per consilium ipsarum, quæ erant ordinatæ
pro eam conducendo et ei consulendo in eo quod haberet agere, et
quod ipsa eis crederet de hoc quod dicerent sibi, et quod hoc erat
per præceptum Dei.
Interroguee
comme elle congnut que c'estoit langaige d'angelz, respond qu'elle
le creust assez tost ; et eust volunté de le croire.
Et dit oultre que sainct Michel, quand il vint a elle,
luy dist que sainctes Katherine et Margueritte viendront a elle,
et qu'elle feist par leur conseil ; et estoyent ordonnees pour la
conduire et conseiller en ce qu'elle auroit a faire, et qu'elle
les creust de ce qu'elles luy diroyent; et que c'estoit par le commandement
de nostre Seigneur.
Interrogée
si le diable se mettait en forme et figure d'ange comment elle reconnaitrait
qu'il fût bon ou mauvais ange, répondit qu'elle le
reconnaitrait bien si c'était saint Michel ou chose contrefaite
à sa ressemblance.
Interrogata,
si diabolus poneret se in forma seu figura boni angeli, quomodo
ipsa cognosceret quod esset bonus angelus vel malus, respondit quod
bene cognosceret an esset sanctus Michael, vel aliqua res conficta
ad modum ejus.
Interroguee
se l'ennemy se metoit en signe ou forme d'ange, comme elle congnoistroit
que ce fust bon ange ou maulvaix ange, respond que elle congnoistroit
bien se ce seroit sainct Michel ou une chose contrefaicte comme
luy.
Item dit que, la première fois, elle eut grand
doute si c'était saint Michel ; et cette première
fois eut grand peur ; et le vit maintes fois avant qu'elle sût
que c'était saint Michel.
Item
dixit quod, prima vice, habuit magnam dubitationem an esset sanctus
Michael qui veniebat ad ipsam, et illa prima vice habuit magnum
timorem ; et vidit ipsum multotiens, antequam sciret quod esset
sanctus Michael.
Item,
respond que, a la premiere foys, elle feist grand doubte se c'estoit
sainct Michel. Et a la premiere foys eust grand paour. Et si le
vist mainctes foys avant qu'elle sceust que ce fust sainct Michel.
Interrogée comment elle connut cette fois que
c'était saint Michel plutôt que la première
fois où il lui était apparu, répondit que la
première fois elle était jeune enfant et eut peur
; depuis saint Michel lui enseigna et montra tant de choses qu'elle
crut fermement que c'était lui.
Interrogata
quare citius cognovit sanctum Michaelem illa vice qua hoc credidit,
quam cognoverat prima vice qua ipse sibi apparuit, respondit quod,
prima vice, ipsa erat juvenis et habuit timorem ; et depost idem
sanctus Michael in tantum docuit eam et ei monstravit, quod credidit
firmiter quod ipse eras.
Interroguee
pourquoy elle congnut plustost que c'estoit sainct Michel que a
la foys qu'elle creut que c'estoit il, que a la foys premiere, respond
que, a la premiere foys, elle estoit jeune enfant ; et eust paour
de ce. Depuis luy enseigna et monstra tant qu'elle creut fermement
que c'estoit il.
Interrogée quelle doctrine il lui enseigna, répondit
que, sur toutes choses, il lui disait qu'elle fût bonne enfant
et que Dieu l'aiderait ; et, entre autres choses, lui dit qu'elle
viendrait au secours du roi de France. Et une grande partie de ce
que l'ange lui enseigna est dans ce livre. Et lui racontait l'ange
la pitié qui était au royaume de France.
Interrogata qualem doctrinam sibi
monstravit, respondit quod, super omnia, sibi dicebat quod esset
bona juvenis, et quod Deus adjuvaret eam ; et inter alia sibi dixit
quod ipsa veniret ad succursum regis Franciæ ; et una major
pars ejus quod angelus ipsam docuit est in isto libro ; et recitabat
sibi angelus calamitatem quæ erat in regno Franciæ.
Interroguee
quelle doctrine il luy enseigna, respond : sur toutes choses, il
luy disoit qu'elle fust bonne enfant, et que Dieu luy aideroit.
Et entre les aultres choses, qu'elle vint au secours du roy de France.
Et une plus grande partie de ce que l'ange luy enseigna, est en
ce livre ; et luy racomptoit l'ange la pitié qui estoit eu
royaulme de France.
Interrogée de la grandeur et stature de cet ange,
dit que samedi elle en répondra avec l'autre chose dont elle
doit répondre, assavoir ce qu'il en plaira à Dieu.
Interrogata de magnitudine et
statura ejusdem angeli, respondit quod, die sabbati extunc proximo
futura, responderet, cum una alia re unde debet respondere, illud
scilicet quod de hoc placebit Deo.
Interroguee de la grandeur et
statue d'icelluy ange, dit que sabmedy elle en respondra, avecq
l'autre chose dont elle doibt respondre ; c'est assavoir ce que
il en plaira a Dieu. (14)
Interrogée si elle croit que ce n'est point grand
péché de courroucer sainte Catherine et sainte Marguerite
qui lui apparaissent et d'agir contre leur commandement, répondit
que oui, et le sait amender ; et que le plus qu'elle les courrouça
onques, ce fut du saut de Beaurevoir ; par quoi elle leur en a crié
merci (15), et des autres offenses qu'elle
peut avoir faites envers elles.
Interrogata an ipsane credit quod sit magnum peccatum
de offendendo sanctas Katharinam et Margaretam quæ apparent
sibi, et facere contra præceptum earum, respondit quod sic,
qui scit hoc emendare ; et quod illud in quo plus unquam offenderit
eas, fuit in saltu de Beaurevoir ; unde ipsa quæsivit
ab eis veniam, et de aliis offensis quas potuit fecisse erga ipsas.
Interroguee
se elle croit point que ce fust grand peché de courroucer
saincte Katherine et saincte Margueritte, qui se apparut a elle,
et de faire contre leur mandement, dist que ouy, qui le sçait
amender ; et que le plus qu'elle les corroussast oncques, a son
advis, ce fut du sault de Beaureveoir ; et dont elle leur a crié
mercy, et des aultres offenses qu'elle peult avoir faictes envers
elles.
Interrogée si saintes Catherine et Marguerite
ne prendraient pas vengeance corporelle de cette offense, répondit
qu'elle ne le sait et ne leur a point demandé.
Interrogata
an sanctæ Katharina et Margareta acciperent vindictam corporalem
pro illa offensa , respondit quod nescit, et quod non petivit ab
eis.
Interroguee
se saincte Katherine et saincte Marguerite prendroyent vengeance
corporelle pour l'offence, respond qu'elle ne sçait ; et
qu'elle ne leur a point demandé.
Interrogée sur ce qu'elle a dit jadis que, pour
dire vérité, parfois on est pendu, et si elle sait
en elle quelque crime ou faute par quoi elle put ou dût mourir,
si elle les confessait, répondit que non.
Interrogata,
quia alias dixerat quod pro dicendo veritatem inter dum homines
suspenduntur, utrum ipsa sciat aliquod crimen vel aliquem defectum,
propter quod vel propter quem ipsa posset vel deberet mori, si fateretur
illud, respondit quod non.
Interroguee
pour ce qu'elle a dit que, pour dire verilé, aulcunes foys
on est pendu ; et pour ce, se elle sçait en elle quelque
crime ou faulte, pour quoy elle peust ou deust mourir, se elle le
confessoit, respond que non.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion
(1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly
(1868), "La minute française des interrogatoires de
La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Illustrations :
- Jeanne enfant entend ses voix d'après Albert Lefeuvre
("Jeanne d'Arc par l'image" - Mgr Le Nordez - 1898)
- L'église de Beaurevoir ("Au pays de Jeanne d'Arc"
- Jean de Metz - 1910).
- Le jardin de la maison natale (ibid.)
Notes :
1 La minute Française mentionne ici une interruption de
séance.
2 Chateau de Beaulieu-en-Vermandois près de Compiègne,
où Jeanne séjourné entre mai et juillet 1430
(Perceval de Cagny).
3 C'est à dire une occasion de partir.
4 La robe était le vêtement usuel, la queue était
une traine de longueur variable selon le rang social. (voir vêtements
de Jeanne)
5 Une partie, seulement dans la minute
française.
6 Robe très étoffée à l'usage des
deux sexes, pourvue d'amples manches, serrée par une ceinture
et dont le bas trainait à terre. Ce vêtement fut
abandonné sous Charles VII sauf dans les Flandres (P.Champion). (voir vêtements
de Jeanne)
7 Chaperon : coiffure portée aussi bien par les hommes
que les femmes. Celui des femmes se distinguait par l'encolure
qui était fendue de haut en bas et laissée ouverte. (voir vêtements
de Jeanne)
8 Ce clerc était sans doute Nicolas Taquel.
9 Ces deux derniers paragraphes "mélangés"
par P.Champion dans sa traduction.
10 Il s'agit bien du livre du procès et pas celui de Poitiers.
11 Le ms de d'Urfé a omis "roi", le ms d'Orléans
mentionne "capitaine", le réquisitoire de d'Estivet
mentionne "roi".
12 Elle ne put se retenir.
13 La minute dit "comment elle reconnut que c'était
le langage des anges"
14 L'autre chose dont elle doit répondre concerne l'habit de femme pour la messe.
15 "Merci" signifie "pitié, pardon".
|