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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Première
séance - 27 mars 1431 |
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tem le mardi après les Rameaux immédiatement suivant, 27 mars, dans la chambre près la grand salle du château de
Rouen, Nous, évêque susdit, et le frère Jean le Maistre, vicaire de monseigneur l'inquisiteur, présidents, en l'assistance
aussi des révérends pères, seigneurs et maîtres : Gilles, abbé
de Fécamp, Pierre, prieur de Longueville, Jean
Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi,
Pierre Maurice, Gérard Feuillet, Erard Emengart, Guillaume le Boucher, Maurice du Quesnay,
Jean de Nibat, Jean le Fèvre, Jacques Guesdon,
Jean de Châtillon, docteurs en théologie sacrée, — Raoul
Roussel, docteur en l'un et l'autre droit, Jean Guérin,
docteur en droit canonique, — Robert le Barbier, Denis
Gastinel, Jean le Doux, licenciés dans l'un et l'autre
droit, — Nicolas de Venderès, Jean Pinchon, Jean
Basset, Jean de la Fontaine, Jean Colombel,
Aubert Morel, Jean Duchemin, licenciés en droit
canonique, — André Marguerie, archidiacre de Petit-Caux, Jean Alespée, Nicolas Caval, Geoffroi du Crotay, licenciés en droit civil, — Guillaume Desjardins et Jean Tiphaine, docteurs en médecine, — Guillaume Haiton, bachelier en théologie, — Guillaume de la
Chambre, licencié en médecine, — frère Jean Duval,
frère Isambard de la Pierre, de l'ordre des Frères Prêcheurs,
William Brolbster et John de Hampton,
prêtres, — le déjà nommé Jean d'Estivet, chanoine des églises de Bayeux et Beauvais, promoteur député par nous
en cette cause, comparaissant judiciairement devant nous,
en présence de Jeanne amenée devant nous dans ce même lieu, a proposé une supplique et requête en français dont suit
la teneur traduite en latin mot-à-mot :
"Messeigneurs, révérend père en Christ, et vous, vicaire spécialement
commis à cette affaire par monseigneur l'inquisiteur établi et député dans tout le royaume de France contre ceux qui s'écartent de la foi catholique, moi, promoteur commis et
ordonné par vous dans cette cause, après certaines informations
et interrogatoires faits par vous et de votre part, je dis,
affirme et propose [que] Jeanne est ici présente [et] déférée
pour répondre à ce que je voudrai lui demander, dire
et proposer contre elle, touchant et concernant la foi ; et
j'entends prouver, si besoin est, par et sous les protestations
et aux fins et conclusions plus pleinement déclarées dans ce
registre que devant vous, juges en cette partie, je montre et [vous] remets, contre ladite Jeanne, les faits, les droits et
les raisons déclarées et contenues dans les articles écrits et
spécifiés dans ce registre. Et je vous supplie et requiers de
faire jurer Jeanne et [lui faire] affirmer qu'elle répondra à ce qui est contenu dans lesdits articles et en chacun d'eux
en particulier, par : « oui, je le crois », ou « non, je ne le crois
pas (1) » ; et au cas où elle ne voudrait pas jurer et affirmer,
s'excuserait ou différerait [de le faire] plus qu'il ne convient,
après que vous le lui aurez enjoint et l'en aurez sommée,
qu'elle soit réputée défaillante et contumax en sa présence
; et, en conséquence de sa contumace, qu'elle soit déclarée
excommuniée pour manifeste offense. Ensuite que lui
soit par vous assigné un terme certain et bref pour répondre,
comme il a été dit, auxdits articles, en lui intimant que si
elle ne répond pas dans le terme susdit à ces articles ou à certains
d'entre eux, vous tiendrez les articles non répondus par
elle pour confessés, comme les droits, styles, usages et commune
observance le veulent et requièrent."
Cette supplique ainsi présentée, le promoteur donna contre
Jeanne qui était là présente [son] libelle (2) sous forme d'articles
concluants dont la teneur est écrite ci-dessous.
Par la suite, nous, juges susdits, avons demandé aux susdits
docteurs et maîtres alors présents de délibérer et ce qu'il
fallait faire ultérieurement.
Et la supplique prononcée, [le promoteur] donna, contre Jeanne
qui était présente, le libelle sous forme d'articles concluants.
Ensuite messeigneurs les juges demandèrent aux assistants, en
présence de ladite Jeanne qui fut amenée là, comment il fallait
ultérieurement agir et procéder dans l'affaire, selon la supplique
du promoteur ; lesquels seigneurs assistants répondirent là-dessus :
Et d'abord maître Nicolas de Venderès a dit que, sur le
premier [point] il faut contraindre [Jeanne] à prêter serment.
Quant au second, la requête du promoteur est également fondée
et il faudrait réputer [Jeanne] contumax, si elle refusait de jurer.
Quant au troisième, à ce qu'il lui semble, elle doit être excommuniée.
Et, si elle supporte la sentence d'excommunication, on
doit procéder contre elle selon les droits. De même et si elle refusait [et] qu'elle supportât la sentence d'excommunication.
Maître Jean Pinchon : que d'abord on lise les articles
avant qu'il délibère.
Maître Jean Basset : qu'on lise les articles avant de porter
la sentence d'excommunication.
Maître Jean Garin : qu'on lise les articles.
Maître Jean de la Fontaine : comme maître Nicolas de
Venderès.
Maître Geoffroi du Crotay : il lui semble qu'il faut donner [à Jeanne] un triple délai, au moins, avant qu'elle soit excommuniée
et qu'on la tienne pour convaincue, si elle refusait de jurer ;
surtout parce qu'en matière civile on donne trois remises pour
jurer de calumnia.
Maître Jean le Doux : comme le précédent.
Maître Gilles Deschamps : qu'on lise les articles et qu'on
assigne [à Jeanne] jour pour venir, ayant [déjà] réfléchi, pour
répondre.
Maître Robert Barbier : comme le précédent.
Monseigneur l'abbé de Fécamp : à ce qu'il lui semble, à Jeanne] est tenue de jurer de dire la vérité sur les articles dont il
apparaît qu'ils touchent le procès. Et si elle ne s'est pas avisée,
qu'elle ait un délai suffisant. Qu'on lui fixe jour aussi pour comparaître
après avoir réfléchi.
Maître Jean de Châtillon : [à Jeanne] est tenue de répondre
la vérité, surtout alors qu'il s'agit de son fait.
Maître Erard Emengart : comme monseigneur de Fécamp.
Maître Guillaume le Boucher : comme le précédent.
Monseigneur le prieur de Longueville : sur les articles
auxquels elle ne saurait répondre, il lui apparaît qu'on ne doit
pas la contraindre à répondre par oui ou par non.
Maître Jean Beaupère : pour les articles dont elle est certaine
et qui sont de son fait, [à Jeanne] est tenue de répondre la vérité.
Mais pour ceux sur lesquels elle ne saurait répondre la vérité ou
qui impliqueraient une affirmation juridique, si elle demande un
délai, on doit le lui donner.
Maître Jacques de Touraine : comme le précédent.
Maître Nicolas Midi : comme le précédent, en ajoutant
que, si elle doit maintenant être contrainte à jurer sans condition,
il s'en rapporte aux juristes.
Maître Maurice du Quesnay, comme monseigneur de Fécamp.
Maître Thomas de Courcelles : elle est tenue de répondre ;
qu'on lise les articles et qu'au cours de la lecture, elle réponde ;
et quant au délai, si elle le demande, il faut le lui donner.
Maître André Marguerie est de l'opinion qu'elle ait à jurer
sur ce qui touche le procès ; et quant à ce qui est douteux [pour
elle], il croit qu'on doit lui donner délai.
Maître Denis Gastinel : elle doit jurer et la demande du
promoteur est fondée quant au serment. Quant à procéder ultérieurement,
si elle refuse de jurer, il veut d'abord consulter les
livres.
Maître Aubert Morel et maître Jean Duchemin :
elle est tenue de jurer, etc...
Cela ainsi fait, le promoteur s'offrit à jurer de calumnia ; et il
jura que ce n'était pas par faveur, rancœur, crainte ou haine, mais
par zèle pour la foi qu'il proposait ce qu'il indiquait dans le libelle
ou les articles et dans cette cause contre Jeanne.
Ensuite il fut dit à Jeanne qu'elle aurait à répondre la vérité
sur ce qui touche les faits.
Après que lesdits docteurs et maîtres eurent dit leurs opinions
et qu'également ledit promoteur eut juré de calumnia, monseigneur
de Beauvais a dit à Jeanne que les assistants présents étaient tous
personnes ecclésiastiques et très savantes, expertes en droit divin
et humain et qu'avec toute mansuétude et piété ils voulaient et
entendaient procéder avec elle comme ils avaient toujours fait, ne
cherchant pas à se venger ni à la punir corporellement, mais à
l'instruire et à la ramener à la voie de la vérité et du salut, s'il
y avait eu quelque défaillance en elle. Et parce qu'elle n'était pas
assez savante ni instruite dans les lettres et en des matières aussi ardues, au point de délibérer avec elle-même sur ce qu'elle devrait
faire ou répondre, monseigneur de Beauvais et le vicaire de l'inquisiteur
offrirent à Jeanne qu'elle choisît un ou plusieurs, ceux
qu'elle voudrait, parmi les présents assistants ; ou bien, si elle ne
savait choisir, lesdits juges lui en donneraient certains pour lui
conseiller ce qu'elle devrait faire ou répondre, étant posé que, pour ce qui est des faits, elle aurait à répondre en sa propre personne
la vérité ; et nous avons requis Jeanne de prêter serment de dire cette vérité pour ce qui toucherait les faits.
Maître Jean de Nibat, quant aux articles, s'en rapporte
aux juristes, et, quant au serment, [Jeanne] doit prêter serment de
dire la vérité sur ce qui touche le procès et la foi ; et si sur quelques
points, elle fait difficulté de répondre la vérité et demande un délai,
il faut le lui donner.
Maître Jean le Fèvre se rapporte aux juristes.
Maître Pierre Maurice : qu'elle réponde sur ce qu'elle sait.
Maître Gérard [Feuillet] : elle est tenue de répondre par
serment.
Maître Jacques Guesdon : comme le précédent.
Vu la supplique et la requête
du promoteur et ouï les opinions de chacun, nous avons
conclu que lesdits articles produits par le promoteur seraient
lus et exposés à Jeanne en français et que ladite Jeanne répondrait à chaque article ce qu'elle saurait ; et s'il était des questions pour lesquelles elle demandât un délai pour répondre,
on lui donnerait un délai suffisant.
Ensuite le promoteur jura devant nous de calumnia. Et
cela fait, nous avons dit à Jeanne que tous les assistants étaient
de très savants ecclésiastiques experts en droit divin et humain
qui voulaient et entendaient procéder avec elle avec toute pitié et mansuétude, comme ils y avaient toujours été
disposés, ne cherchant pas à se venger ni à la punir corporellement,
mais à l'instruire et à la ramener à la voie de la
vérité et du salut. Et parce qu'elle n'était pas assez savante
ni instruite dans les lettres et en des matières aussi ardues
pour délibérer avec elle-même ce qu'elle devrait faire ou répondre,
nous offrions à ladite Jeanne qu'elle choisît un ou plusieurs, ceux qu'elle voudrait, parmi les assistants présents,
ou bien si elle ne savait choisir, nous lui en donnerions certains
pour la conseiller sur ce qu'elle devrait faire ou répondre
; étant posé que, pour ce qui est des faits, elle
aurait à répondre en propre personne la vérité ; et nous
avons requis Jeanne de prêter serment de dire cette vérité
pour ce qui toucherait les faits.
*
* *
A quoi Jeanne répondit de cette manière :
« Premièrement pour ce que vous m'admonestez au sujet
de mon bien et de notre foi, je vous remercie et toute la compagnie
aussi. Quant au conseil que vous m'offrez, aussi je
vous remercie ; mais je n'ai point l'intention de me départir
du conseil de Dieu. Quant au serment que vous voulez que
je fasse, je suis prête à jurer de dire la vérité pour tout ce
qui touche votre procès ». Et ainsi jura-t-elle en touchant les
sacrosaints Évangiles.
Ensuite, sur notre ordre et commandement, les susdits articles
produits de la part du promoteur furent lus; et le
contenu de ces articles ou du libelle fut exposé à Jeanne en
Français, tant le mardi susdit que le lendemain mercredi.
A quoi icelle Jhenne respondit
:
- Premierement, de ce que me admonnestez de mon bien et de nostre
fiy, je vous en remercye et la compaignie aussy. Et, en tant que
me offrez du conseil je n'ay point intencion de me departir du conseil
de nostre Seigneur. Et quant au serment que voulez que je face,
je suis prest de jurer de dire verite de ce qui touchera vostre
proces.
Et ainsy jura sur les sainctes
Euvangilles.
Desdits articles du libelle et des réponses alors données
par Jeanne, ainsi que des réponses naguère données, auxquelles
Jeanne présentement se rapportait, la teneur suit mot à mot :
"Devant vous, révérend père en Christ et seigneur, monseigneur
Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais,
en tant qu'ordinaire ayant territoire dans ces cité et
diocèse de Rouen, et religieuse personne, maître Jean le
Maistre, de l'ordre des Frères Prêcheurs, bachelier en
théologie, vicaire dans ces cité et diocèse et pour la présente
cause spécialement commis par religieuse et très circonspecte
personne, maître Jean Graverent, éminent docteur en
théologie sacrée, du même ordre, député par l'autorité apostolique
dans le royaume de France comme inquisiteur de la perversion hérétique, juges compétents dans cette partie, à cette fin qu'une femme, Jeanne, communément appelée
la Pucelle naguère trouvée, prise et détenue dans les limites
du territoire, vénérable père, et les frontières de votre diocèse
de Beauvais, et à vous comme à son juge ecclésiastique
et ordinaire rendue, remise, livrée et restituée par notre très chrétien seigneur le roi de France et d'Angleterre, comme
votre sujette, justiciable et soumise à correction, véhémentement suspecte, scandaleuse et extrêmement et notoirement
diffamée sur et au sujet de ce qui va suivre auprès de personnes
de bien et de poids, soit par vous, juges susdits, prononcée
et déclarée sorcière ou lectrice de sorts, devineresse,
fausse-prophétesse, invocatrice et conjuratrice de malins esprits,
superstitieuse, impliquée et appliquée aux arts magiques,
mal pensante en et, au sujet de notre foi catholique, schismatique,
doutant et égarée sur l'article Unam sanctam (3), etc..., et
divers autres articles de ladite foi, sacrilège, idolâtre, apostate à la foi, maldisante et malfaisante, blasphématrice envers
Dieu et ses saints, scandaleuse, séditieuse, troublant et
empêchant la paix, excitant aux guerres, cruellement altérée
de sang humain et incitant à le répandre, ayant abandonné
complètement et sans honte la décence et la réserve de son sexe, prenant sans pudeur l'habit infâme et l'état
des hommes d'armes, pour cela et d'autres motifs encore abominables à Dieu et aux hommes, prévaricatrice des lois divine
et naturelle et de la discipline ecclésiastique, séductrice des
princes et des simples ; en permettant et consentant, à l'injure
et au mépris de Dieu, qu'elle soit vénérée et adorée, en
donnant ses mains et ses vêtements à baiser, usurpatrice
des hommages et du culte divin, hérétique ou du moins véhémentement
suspecte d'hérésie, — et [afin] que pour cela,
d'après et selon les sanctions divines et canoniques, elle soit punie et corrigée canoniquement et légitimement, ainsi que
pour toutes autres et chacune des fins à cela propres et dûes :
Jean d'Estivet, chanoine des églises de Bayeux et Beauvais,
promoteur ou procureur de votre office, pour cela commis
et spécialement député par vous, au nom de cet office et pour cet office demandeur et accusateur, et contre ladite
Jeanne, défenderesse accusée, dit, propose et entend prouver
et dûment informer vos esprits de ce qui suit. Ledit procureur
proteste toutefois qu'il n'entend pas s'astreindre à prouver
des choses superflues, mais seulement ce qui suffira et pourra
et devra suffire à atteindre son propos, en tout ou en partie ;
en formulant les autres protestations qu'il est accoutumé de faire en ces actes ; et autrement aussi en se réservant droit
d'ajouter, corriger, changer, interpréter, ainsi que toute autre
chose quelconque, tant de droit que de fait ."(4) (5)
Article 1. "Et d'abord, tant d'après le droit
divin que suivant le droit canonique et civil, à vous, l'un
comme juge ordinaire, à l'autre comme inquisiteur de la foi,
revient et appartient le droit de chasser, de détruire, d'extirper
radicalement de votre diocèse et de tout le royaume de France
les hérésies, sacrilèges, superstitions et
autres crimes déclarés ci-dessus ; de punir, corriger,
amender les hérétiques, ceux qui proposent, parlent,
divulguent quelque chose contre notre foi catholique, ou agissent
contre elle en quelque manière, les sorciers, les devins,
les invocateurs de démon, les mécréants en
notre foi, et tous les malfaiteurs, criminels ou leurs fauteurs
qui seront pris dans les dits diocèse et juridictions, alors
même qu'ils auraient commis ailleurs partie ou tout de leur
méfaits, ainsi que le peuvent et doivent les autres juges
compétents dans leurs diocèse, limites et juridictions.
Et en cela, même envers une personne laïque, quelque
état, sexe, qualité ou prééminence qu'elle
ait, vous devez être estimés, tenus et réputés
juges compétents."
- A ce premier article, Jeanne répond qu'elle croit bien
que notre Saint Père le pape de Rome et les évêques
et autres gens d'Église sont pour garder la foi chrétienne
et punir ceux qui défaillent mais, quant à elle, de
ses faits elle se soumettra seulement à l'Église du
ciel, c'est assavoir à Dieu, à la Vierge Marie et
aux saints et saintes de Paradis. Et croit fermement qu'elle n'a
point défailli en notre foi et n'y voudrait défaillir.
Duquel respondit qu'elle croit
bien que nostre sainct pere le pappe de Romme, et les evesques et
aultres gens d'Eglise sont pour garder la foychrestienne et pugnir
ceulx qui y defaillent. Mais, quant a elle, de ses fais, elle ne
se submetra fors a l'Eglise du ciel, c'est a Dieu et a la Vierge
Marie et saincts et sainctes de paradis. Et croit fermement qu'elle
n'ait point faly en la foy chrestienne ; et qu'elle n'y vouldroit
point faillir.
Article 2. "Item ladite accusée, non seulement
dans la présente année, mais dès le temps de
son enfance, non seulement dans vos dits diocèse et juridiction,
mais encore aux environs et en plusieurs autres lieux de ce royaume,
a fait, mixturé et composé plusieurs sortilèges
et superstitions ; on l'a divinisée et elle a permis qu'on
l'adorât et la vénérât ; elle a invoqué
les démons et les esprits malins, les a consultés,
fréquentés, fit, eut, noua pactes et traités
avec eux ; elle accorda également conseil, aide et faveur
aux autres faisant les mêmes choses, et les a induits à
les faire, de telles ou de semblables, disant, croyant, affirmant,
maintenant qu'agir ainsi, croire en eux, user de tels sortilèges,
divinations, actes superstitieux, ce n'était ni péché
ni chose défendue ; mais elle a assuré cela bien plutôt
licite, louable et opportun, induisant dans ces erreurs et maléfices
plusieurs personnes de diverses conditions de l'un et l'autre sexe,
dans le coeur desquelles elle imprimait de telles et semblables
choses. Et c'est dans l'accomplissement et la perpétration
desdits délits que ladite Jeanne a été prise
et capturée dans les termes et limites de votre diocèse
de Beauvais".
- A ce second article, Jeanne répond que les sortilèges,
oeuvres superstitieuses et divinations, elle les nie ; et de l'adoration,
dit que si certains ont baisé ses mains ou vêtements,
ce n'est point par elle ou de sa volonté ; et s'en est fait
garder autant qu'il était en son pouvoir. Et le reste de
l'article, elle le nie.
Des sorceries, supersticions et
divinations dont est accusee, elle le nys formellement.
Et au regard des adoracions que on dit luy avoir esté
faictes, dit que, si aulcuns ont baisé ses mains ou vestemens,
ce n'a point esté par elle ou de sa volunte ; et s'en est
gardee autant qu'elle a peu.
[Cependant ailleurs, le samedi
3 mars de cette même année, sur le contenu de
cet article, à l'interrogation si elle savait la pensée
de ceux de son parti lorsqu'ils baisaient ses mains, ses pieds et
ses vêtements, elle a répondu que beaucoup de gens
la voyaient volontiers. Et avec cela, elle a dit qu'ils lui baisaient
les vêtements le moins qu'elle pouvait ; mais les pauvres
venaient à elle, c'est pourquoi elle ne leur faisait pas
de déplaisir, mais les supportait à son pouvoir.
Item le 10 mars, si quand elle fit la sortie
de la ville de Compiègne, où elle fut prise, elle
avait eu révélation par sa voix de faire la dite sortie,
elle a répondu que ce jour, elle ne lui annonça point
sa prise, et qu'elle n'eut point conseil d'y aller ; mais que souvent
il lui avait été dit qu'il fallait qu'elle fût
prise. Item, interrogée quand elle fit cette sortie, elle
passa par le pont de Compiègne, elle a répondu que
oui et par le boulevard ; et qu'elle alla avec la compagnie des
gens de son parti sur les gens de monseigneur de Luxembourg, qu'elle
rebouta par deux fois jusqu'au logis des Bourguignons et, à
la troisième fois, jusqu'à mi-chemin ; et qu'alors
les Anglais, qui étaient là, coupèrent le chemin
à elle et à ses gens, entre elle et ledit boulevard,
et c'est pourquoi ses gens se retirèrent et qu'elle-même,
en se retirant dans les champs, du côté devers Picardie,
près du boulevard, fut prise ; et que la rivière était
entre Compiègne et le lieu où elle fut prise, et qu'il
n'y avait entre le lieu où elle fut prise et Compiègne
que la rivière, le boulevard et le fossé dudit boulevard.]
Article 3. "Item, ladite accusée est tombée
en plusieurs et diverses erreurs, des pires, sentant la perversité
hérétique : elle a dit, vociféré, proféré,
affirmé, publié, gravé dans le coeur des simples
certaines propositions fausses, menteuses, sentant l'hérésie
et même hérétiques, hors et à l'encontre
de notre foi catholique, des statuts faits et approuvés par
les Conciles généraux : propositions scandaleuses,
sacrilèges, contraires aux bonnes moeurs, offensantes pour
de pieuses oreilles ; elle a prêté conseil, aide et
faveur à ceux qui ont dit, dogmatisé, affirmé
et promulgué ces propositions".
- Ce troisième article, Jeanne le nie et elle affirme, qu'à
son pouvoir, elle a soutenu l'Église.
Elle le nye. Et afferme que a
son povoir elle a soustenu l'Eglise.
Article 4. "Et pour vous mieux et plus spécialement
informer, messeigneurs juges, sur lesdites offenses, les excès,
crimes et délits perpétrés par ladite accusée,
comme on l'a rapporté, en plusieurs et divers lieux du royaume,
audit diocèse et ailleurs, il est vrai que ladite accusée
fut et est originaire du village de Greux, qu'elle a pour père Jacques d'Arc et pour mère
Isabelle, son épouse ; qu'elle a été élevée
en sa jeunesse, jusqu'à l'âge de dix-huit ans ou environ,
au village de Domrémy sur la Meuse, diocèse de Toul,
bailliage de Chaumont-en-Bassigny, prévôté de
Monteclaire et d'Andelot (6). Laquelle
Jeanne, en sa jeunesse, ne fut point éduquée ni instruite
dans la croyance et les principes de la foi, mais bien accoutumée
et dressée par certaines vieilles à user de sortilèges,
de divinations et d'autres oeuvres superstitieuses ou arts magiques
: et plusieurs habitants de ces deux villages sont notés
de toute antiquité comme usant desdits maléfices.
De plusieurs, et spécialement de sa marraine, cette Jeanne
a dit avoir beaucoup ouï parler des visions ou apparitions
de fées ou esprits féeriques. Et par d'autres encore
elle a été endoctrinée et imbue de ces mauvaises
et pernicieuses erreurs au sujet de ces esprits à ce point
qu'elle a confessé devant vous, en jugement, que jusqu'à
ce jour elle ignorait si les fées étaient des esprits
malins."
- A ce quatrième article Jeanne répond qu'elle reconnaît
pour vraie la première partie, savoir de son père,
de sa mère et du lieu de sa naissance ; et quant aux fées,
elle ne sait ce que c'est. Quant à son instruction elle a
appris sa croyance et a été enseignée bien
et dûment à se conduire, comme bon enfant doit le faire.
Et de ce qui touche sa marraine, elle s'en rapporte à ce
qu'elle en a dit autrefois.
Et requise de dire son credo, répond :
- Demandez au confesseur à qui je l'ai dit.
Elle confesse : c'est assavoir
de son pere et de sa mere et du lieu de sa nativité.
Quant a la seconde partie d'icelluy article, elle le
nye
Et quant aux feez, dont il est faicte mencion oudit
article, elle dit qu'elle ne scay que c'est
Et quant a son instruction, dit qu'elle a apprins sa
creance et qu'elle est bien instruite et enseignee comme un bon
enfant doibt etre
Et en ce que touche sa marraine, elle s'en rapporte
a ce qu'elle en a aultresfoys dit
Requise de dire son Credo, respond :
- Demandez au confesseur a qui je l'ay dit. (7)
Article
5. "Item, proche le village de Domrémy est certain
grand, gros et antique arbre, vulgairement dit l'arbre charmine
faé de Bourlemont (8) ; et
près dudit arbre est une fontaine. Et autour, on dit que
vivent certains malins esprits , nommés en français
fées, avec lesquels ceux qui usent de sortilèges ont
accoutumé de danser la nuit, et qu'ils rôdent autour
de l'arbre et de la fontaine."
- A ce cinquième article, de l'arbre et de la fontaine, ladite
Jeanne s'en rapporte à une autre réponse faite sur
cela ; le surplus elle le nie.
S'en rapporte a ce qu'elle en
a dit. Et le surplus elle le nye.
[Or requise, le samedi, 24
février, etc... répondit qu'assez près
de Domrémy il y a certain arbre appelé l'arbre des
Dames, que certains appellent l'arbre des fées, et qu'auprès
est une fontaine. Et a ouï dire que les gens malades boivent
à cette fontaine (et elle-même y a bu (9),
et vont chercher de son eau pour recouvrer la santé ; mais
ne sait s'ils guérissent ou non.
Item le jeudi 1er mars, interrogée si
les saintes Catherine et Marguerite lui parlèrent sous l'arbre,
répondit : "Je ne sais" et de nouveau interrogée
si les saintes lui parlèrent à la fontaine dit que
oui, et que là elle les ouït bien ; mais ce qu'elles
lui dirent alors, elle ne le savait plus. Interrogée, le
même jour sur ce que les saintes lui promirent, soit là
soit ailleurs, répondit qu'elles ne lui firent nulle promesse,
si ce n'est par congé de Dieu.
Item, le samedi 17 mars, interrogée si
sa marraine qui a vu les fées est réputée femme
sage, répondit qu'elle est tenue et réputée
bonne prude femme, non devineresse et sorcière. Item ce même
jour, interrogée si avant ledit jour, dix-septième
de mars elle croyait que les fées fussent de malins esprits,
répondit qu'elle ne savait ce que c'était. Item, ce
même jour, le dix-sept, interrogée si elle sait quelque
chose de ceux qui vont en l'erre avec les fées, répondit
qu'elle n'y fut onques ou sut quelque chose, mais en a bien ouï
parler et qu'on y allait le jeudi ; mais n'y croit point, et que
c'est sorcellerie.]
Article 6. "Item ladite Jeanne a accoutumé de
hanter la fontaine et l'arbre, et le plus souvent de nuit ; parfois
de jour, particulièrement aux heures où, à
l'église, on célèbre l'office divin, afin d'y
être seule ; et, en dansant, tournait autour de l'arbre et
de la fontaine ; puis aux rameaux de l'arbre accrochait plusieurs
guirlandes et diverses herbes et fleurs, faites de sa main ; disant
et chantant, avant et après, certaines chansons et vers avec
certaines invocations, sortilèges et autres maléfices
: ces chapeaux de fleurs, le matin suivant on ne les y retrouvait
plus."
- A ce sixième article, ce dit jour vingt-septième
de mars, elle répond qu'elle s'en rapporte à une autre
réponse faite par elle ; et le surplus elle le nie.
Pareillement se rapporte a
ce qu'elle en a dit.
[Or le samedi, 24 février,
elle a dit qu'elle a ouï dire que , quand ils peuvent se lever,
vont à l'arbre pour s'ébattre. Et c'est un grand arbre,
appelé fau, d'où vient le beau mai ; et appartenait,
à ce qu'on dit, à messire Pierre de Bourlémont.
Item disait que parfois elle allait s'ébattre avec les autres
jeunes filles, en été, et faisait à cet arbre
chapeaux de fleurs pour l'image de Notre-Dame de Domrémy.
Et plusieurs fois elle a ouï dire de plusieurs anciens, non
pas de ceux de son lignage, que les fées y repairaient. Et
a ouï dire à une nommée Jeanne, femme du maire
Aubéry de Domrémy, sa marraine, qu'elle avait vu lesdites
dames fées, mais ne sait si c'était vrai. Item dit
qu'elle ne vit jamais lesdites fées, qu'elle sache, et si
elle en vit ailleurs, ne le sait. Item dit qu'elle a vu mettre par
les jouvencelles chapeaux de fleurs aux rameaux de l'arbre ; et
qu'elle-même en a mis parfois avec les autres filles ; et
parfois elle en emportait, et parfois elle les y laissait. Dit en
outre que depuis qu'elle sut qu'elle devait venir en France, elle
fit peu de jeux ou d'ébats, et le moins qu'elle put. Ne sait
si elle a dansé près de l'arbre depuis qu'elle eut
entendement ; mais parfois elle peut bien avoir dansé avec
les enfants : et y avait plus chanté que dansé. En
outre dit qu'il y a un bois, nommé le bois chenu, qu'on vois
de l'huis son père, et n'y a pas la distance d'une demi-lieue.
Dit aussi qu'elle ne sait ni ouït onques dire que les
fées repairassent audit bois mais a ouï dire de son
frère qu'on disait, après qu'elle eut quitté
le pays, qu'elle avait pris son fait à l'arbre des fées
; mais dit qu'elle ne l'avait pas fait et a dit à son frère
le contraire. Et dit en outre que lorsqu'elle vint vers son roi,
certains lui demandaient si, en son pays, il n'y avait point de
bois appelé le bois chenu ; car il avait prophéties
qui disaient que devers le bois chenu devait venir une pucelle qui
ferait merveilles ; mais elle a dit qu'elle n'y a point ajouté
foi.]
Article 7. "Item ladite Jeanne eut coutume de porter
parfois une mandragore dans son sein, espérant, par ce moyen,
avoir bonne fortune en richesses et choses temporelles ; elle affirma
que cette mandragore avait telle vertu et effet".
- Ce septième article, de la mandragore, ladite Jeanne le
nie absolument.
Elle le nye entierement.
[Or interrogée, le jeudi 1er mars, sur ce qu'elle fit de sa mandragore, répondit
qu'elle n'en eut onques ; mais ouït dire que, près de
son village, il y en a une ; mais ne l'a jamais vue. Dit aussi qu'elle
a ouï dire que c'est chose périlleuse et mauvaise à
garder ; ne sait cependant à quoi cela sert. Interrogée
en quel lieu est cette mandragore dont elle ouït parler, répondit
qu'elle ouït dire qu'elle est en terre près de l'arbre
; mais ne sait le lieu. Et ouït dire que, sur cette mandragore,
s'élève certain arbre nommé coudrier. Interrogée
à quoi sert cette mandragore, répondit qu'elle a ouï
dire qu'elle fait venir l'argent : mais n'a croyance en cela ; et
les voix ne lui dirent jamais rien à ce sujet.]
Article 8. "Item, ladite Jeanne, vers la vingtième (10) année de son âge,
de sa propre volonté et sans le congé de ses dits
père et mère, gagna la ville de Neufchâteau
en Lorraine et là servit pendant certain temps chez certaine
femme, l'hôtelière, nommée La Rousse, où
demeuraient continuellement plusieurs jeunes femmes sans retenue,
et aussi y étaient logés pour la plupart des gens
de guerre. Aussi demeurant en cette hôtellerie, tantôt
elle se tenait avec les dites femmes, tantôt elle conduisait
les moutons aux champs, et parfois menait les chevaux à l'abreuvoir,
ou au pré et à la pâture ; et là
elle a pris l'habitude de monterà cheval et connu le métier
des armes."
- A ce huitième article, Jeanne répond qu'elle s'en
rapporte à ce qu'elle a répondu ailleurs sur cela.
Le surplus, elle le nie.
Elle s'en rapporte a ce qu'elle
en a aultresfoys respondu. Et nye les aultres choses.
[Or le jeudi 22 février,
elle a avoué que, par crainte des Bourguignons, elle quitta
la maison de son père et alla dans la ville de Neufchâteau
en Lorraine, chez une certaine femme nommée La Rousse, où
elle demeura quinze jours environ, vaquant aux besognes familières
de la maison ; mais elle n'allait pas aux champs.
Item le samedi 24 février, interrogée
si elle menait lez bêtes aux champs, dit qu'ailleurs elle
a déjà répondu ; et dit en outre que, depuis
qu'elle fut plus grande et qu'elle eut entendement, elle ne gardait
pas les bêtes communément, mais aidait bien a les conduire
au pré et à un château nommé l'Isle,
par crainte des gens d'armes ; mais elle n'a mémoire si,
en son jeune âge, elle les gardait ou non.]
Article 9 . "Item ladite Jeanne, étant en ce
service, cita en procès devant l'official de Toul, en matière
matrimoniale, certain jeune homme ; en poursuivant cette affaire,
elle alla plusieurs fois à Toul, et exposa à cette
occasion presque tout son avoir. Ce jeune homme, sachant qu'elle
avait vécu avec les dites femmes, refusait de l'épouser
et mourut, la cause étant pendante. C'est pourquoi ladite
Jeanne, de dépit, quitta son dit service".
- A ce neuvième article, de matière matrimoniale,
Jeanne répond qu'elle a répondu ailleurs sur cela,
et qu'elle s'en rapporte à cette réponse ; le surplus
elle le nie.
Elle en a aultresfoys respondu.
Elle s'en rapporte a ce qu'elle en a dit. Et le surplus elle le
nye.
[Or le lundi 12 mars, interrogée
qui l'a mue de faire citer un homme à Toul en cause de mariage,
répondit : "je ne le fis pas citer, mais ce fut lui
qui me fit citer, et là je jurai devant le juge de dire vérité."
Et enfin jura qu'elle n'avait point fait de promesse à cet
homme. Dit aussi que ses voix lui assurèrent qu'elle gagnerait
son procès.]
Article 10. "Item, après avoir quitté
le service de La Rousse, ladite Jeanne dit avoir eu et avoir continuellement,
depuis cinq ans, visions et apparitions de saint Michel, de sainte
Catherine et de sainte Marguerite, et qu'ils lui avaient particulièrement
révélé qu'elle lèverait le siège
d'Orléans et ferait couronner Charles, qu'elle dit son roi,
et expulserait tous ses adversaires du royaume de France : en dépit
de son père et de sa mère qui s'y opposaient. Elle
les quitta et, de ses propres mouvement et volonté, elle
alla trouver Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, pour
lui faire part, suivant l'ordre de saint Michel, des saintes Catherine
et Marguerite, des visions et des révélations faites
à elle par Dieu, à ce qu'elle dit, demandant audit
Robert de l'aider afin qu'elle accomplit ces dites révélations.
Or, deux fois repoussée par ledit Robert, et rentrée
dans sa maison, de nouveau ayant reçu l'ordre de retourner
vers lui par révélation, à la troisième
fois elle fut accueillie et reçue par ledit Robert."
- A ce dixième article, elle répond qu'elle s'en rapporte
à ce qu'elle a répondu ailleurs sur cela.
Elle en respond comme dessus.
C'est qu'elle s'en rapporte a ce qu'elle en a aultresfoys dit.
[Or le jeudi 22 février,
elle a déclaré que, sur l'âge de treize ans,
elle eut une voix de Dieu pour l'aider à se gouverner : et
la première fois elle eut grand peur ; et vint cette voix,
sur l'heure de midi environ, en temps d'été, dans
le jardin de son père, et alors elle n'était pas à
jeûn et n'avait pas jeûné la veille. Elle entendit
la voix du côté droit, vers l'église, et rarement
elle ouït sans clarté ; cette clarté est du même
côté d'où vient la voix ; et il y a là,
communément, grande clarté. Et, quand elle venait
en France, souvent elle entendait cette voix ; et, pour la première
fois, il y eut clarté. Dit en outre que si elle était
dans un bois elle entendrait bien ces voix ; et dit qu'il lui semblait
qu'elle était digne voix et croit que cette voix lui était
envoyée de la part de Dieu. Et après qu'elle l'eut
ouïe par trois fois, elle connut que c'était la voix
d'un ange. Dit aussi que cette voix la garda toujours bien, et qu'elle
la comprit bien. Interrogée quel enseignement cette voix
lui disait pour le salut de son âme, répondit qu'elle
lui apprit à se bien gouverner et à fréquenter
l'église, et qu'il était nécessaire qu'elle
vînt en France. Et elle ajouta que, cette fois, l'interrogateur
n'aurait pas d'elle sous quelle forme la voix lui apparaissait.
Item dit que cette voix lui disait, deux ou trois fois fois la semaine,
qu'il fallait qu'elle partît et vînt en France, et que
son père ne saurait rien de son départ. Dit aussi
que la voix lui disait qu'il fallait qu'elle vînt en France,
et qu'elle ne pouvait plus durer ; et qu'elle lèverait le
siège mis devant Orléans. Item dit quand elle vint
à Vaucouleurs, elle reconnut Robert de Baudricourt, encore
qu'elle ne l'ait jamais vu ; et elle lui dit que, par sa voix, il
lui avait été révélé qu'il fallait
qu'elle vînt en France ; et elle reconnut ledit Robert par
sa voix qui lui dit que c'était lui. Or il la repoussa par
deux fois ; et, à la troisième, il la reçut
et lui bailla des gens, comme sa voix le lui avait dit.
Item, le samedi 24 février, interrogée
à quelle heure, hier, elle avait entendu cette voix, répondit
qu'elle l'avait ouïe, hier et ce jour, vingt-quatrième
de février, savoir hier trois fois : premièrement,
le matin ; secondement, à vêpres ; troisièmement,
à l'Ave Maria ; et bien souvent elle l'ouït plus
de fois qu'elle ne le dit. Et hier, au matin, tandis qu'elle dormait,
elle l'éveilla sans la toucher, mais en lui parlant ; et
elle ne savait point si cette voix était dans sa chambre,
mais sait bien qu'elle était dans le château est ladite
chambre. Item elle a confessé que, la première fois
que sa voix lui vint, elle était dans la treizième
année de son âge, ou environ.
Item, le mardi 27 février, dit qu'il y
a bien sept ans passés que, pour la première fois,
sainte Catherine et sainte Marguerite la prirent pour la gouverner.
Interrogée si saint Michel lui apparut le premier, répondit
que oui, et qu'elle en eut réconfort : "Je ne vous nomme
point la voix de Saint Michel, mais je parle de son grand réconfort."
Interrogée quelle était la première voix qui
vint à elle, à l'âge de treize ans ou environ,
répondit que saint Michel qu'elle vit devant ses yeux ; et
il n'était pas seul, mais bien accompagné des anges
du ciel. Dit en outre qu'elle ne vint en France que du commandement
de Dieu. Interrogée si elle vit saint Michel et les anges,
corporellement et réellement, répondit qu'elle les
vit des yeux de son corps, aussi bien qu'elle voyait les assesseurs
du procès. Et lorsque saint Michel et les anges partaient,
elle pleurait ; et aurait bien voulu qu'ils l'emportassent avec
eux. Interrogée, ledit vingt-septième jour, s'il y
avait clarté avec la voix, répondit qu'il y avait
beaucoup de lumière de tous côtés, et que cela
convenait bien.
Le jeudi 1er
mars, interrogée si depuis mardi dernier passé
elle n'a point parlé avec les saintes Catherine et Marguerite,
répondit que oui, hier et aujourd'hui, mais qu'elle ne sait
point l'heure et qu'il n'est jour qu'elle ne les entende.
Le lundi 12 mars, interrogée si elle demanda
à ses voixqu'elle dit à son père et à
sa mère son départ, répondit que quant est
de son père et de sa mère, elles auraient été
assez contentes qu'elle leur dit, ce n'eût été
la peine qu'ils lui eussent fait si elle leur eût dit ; et
quant à elle, elle ne leur eût dit pour cause quelconque
; et de dire ou de celer son départ à ses dits père
et mère, les dites voix s'en rapportaient à Jeanne
qui parle. Interrogée sur les songes de son père la
concernant ainsi que son départ, elle a répondu que
sa mère lui avait plusieurs fois dit, tandis qu'elle était
encore avec son père, que son père disait avoir rêvé
que ladite Jeanne s'en irait avec les gens d'armes ; et de
la bien garder ses père et mère avaient grand cure
et la tenaient en grande sujétion ; et elle leur obéissait
en tout, sinon au procès de Toul, au cas de mariage. Item
elle a ouï dire à sa mère que son père
disait à ses frères : "Si je croyais que la chose
advint que j'ai songée d'elle, je voudrais que vous la noyassiez
et, si vous ne le faites, je la noierai moi-même" et
s'en fallut de peu que ses père et mère ne perdissent
le sens quand elle partit pour aller à Vaucouleurs. Interrogée
si ces songes vinrent à son père depuis qu'elle eut
ses visions et ses voix, répondit que oui, depuis plus de
deux ans qu'elle eut ses premières voix.]
suite du réquisitoire art.11 à 30
Sources
: traduction de Pierre Champion (1921).
Pierre Tisset : Procès de condamnation, t.II, p.153 et suiv. (jusqu'à l'article 1).
Notes :
1 La procédure canonique, désireuse de réduire les matières de
l'enquête, faisait interroger les parties par le juge sur les positions de
son adversaire, c'est-à-dire sur ses assertions ; la partie interrogée doit
répondre : Je le crois ou Je ne le crois pas.
Les positions reconnues pour fondées étaient acquises. On n'avait
plus à se préoccuper que des positions niées qui étaient alors qualifiées
d'articles dont la partie qui les produisait devait faire la preuve et sur
lesquels se développait l'enquête.
Cet interrogatoire par credit vel non credit s'est établi dans la procédure per inquisitionem cum promovente. On le voit aussi employé couramment
par les cours laies dès saint Louis, toujours pour réduire la matière de
l'enquête. Le refus de répondre aux positions, selon l'usage commun
des cours d'Église (commun, mais parfois contesté, v. G. Durand,
Spec. II de posit., § 9, nos 2 et s.), interprété comme un aveu et les articles
tenus pour confessés. Les cours laies ont varié ; le Parlement a
fini par admettre qu'en cas pareil les articles seraient tenus pour niés. (Tisset)
2 Le libelle expose les prétentions des parties : ce que le promoteur
reproche à Jeanne et, pourrait-on dire, les chefs d'inculpation. Il se
compose d'un préambule résumant les conclusions, posant que l'évêque
est juge compétent, en tant qu'ordinaire, et le fr. Le Maistre, en tant
qu'inquisiteur, que Jeanne est notoirement diffamée, demandant qu'elle soit déclarée sorcière, invocatrice d'esprits malins, schismatique et hérétique
ou, du moins, véhémentement suspecte d'hérésie. Suit toute
une série d'articles que le promoteur, après interrogatoire de Jeanne
par credit vel non credit, entend établir contre elle.
3 C'est l'article du Credo : « et unam sanctam catholicam et apostolicam
Ecclesiam ».
4 Le préambule s'achève par des formules de style où le promoteur
proteste qu'il n'entend prouver que ce qui suffit à établir le bien-fondé
de sa demande et qu'il se réserve le droit d'introduire dans les articles « toutes additions et modifications qui seraient nécessaires » (cf. Paul
Guilhiermoz, Enquêtes et procès, étude sur la procédure..., Paris, 1892,
p. 19, n. 6, et la multitude des textes cités.) (Tisset).
5 Le manuscrit de D'Urfé précise que ces articles sont lus par Thomas de Courcelles.
6 Chaumont-en-Bassigny : chef-lieu du département de la Haute-Marne
, ancienne capitale du Bassigny champenois.
Montéclair : sur une colline au-dessus d'Andelot, couronné
d'un chateau.
Andelot : dans la Haute-Marne, arrondissement de Chaumont.
7 Sans doute veut-elle parler, malheureusement, de l'infâme
Loyseleur qui n'a pas hésité à se faire passer
pour un clerc de son pays, prisonnier lui-aussi des Anglais. Il
a profité de cette ignominie pour se faire le confesseur
de Jeanne. (Procès de réhabilitation).
8 Est-il nommé ainsi à cause du Seigneur de Bourlémont
qui s'y rendait aux fêtes ou parce qu'il appartenait au seigneur
de Bourlémont ?
9 Ne figure pas dans les réponses de Jeanne du 24 février.
10 Erreur manifeste de la version définitive en latin.
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