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Lettre
de Charles VII aux habitants de Narbonne
9-10 mai 1429
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ettre en forme de mandement, présentant à la manière d'un bulletin d'armée toutes les phases de la délivrance d'Orléans.
Elle fut écrite à trois reprises différentes entre le soir du 9 mai et
le matin du 10, à mesure que les nouvelles arrivaient à Chinon
où se tenait le roi. M. Félix Ravaisson ayant remarqué cette
pièce parmi les papiers de l'hôtel de ville de Narbonne, m'en
donna connaissance. Sur ma demande, M. le ministre de l'instruction publique voulut bien m'en faire délivrer copie. C'est cette
copie que je livre à l'impression. Elle a été exécutée par M. Tournai,
secrétaire de la commission archéologique de Narbonne et
correspondant des travaux historiques.
L'original est coté 23, deuxième caisson des Archives municipales
de Narbonne.
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DE PAR LE ROY.
Chers et bien amez, nous croyons que avez bien
sceu les continuelles diligences par nous faites de
donner tous secours possibles à la ville d'Orléans dès
piéça assegie par les Anglois, anciens ennemis de
nostre royaume, et le devoir en quoy nous en sommes
mis par diverses fois, ayans toujours bonne esperance
en nostre Seigneur que finablement il y extendroit sa
grace et ne permettroit une si notable cyté et un si
loyal peuple de périr ne cheoir en la subjection et
tirannie des dits ennemis. Et pour ce que bien savons
que gregneur joye et consolation ne pourriez, comme
loyaux subjets, avoir, que d'en oïr annoncer bonnes
nouvelles : nous vous apprenons que, la mercy nostre
Seigneur dont tout procede, nous avons de nouvel
fait advitailler à puissance et par deux fois en une seule sepmaine la dite ville d'Orléans bien et grandement,
au veu et sceu des dits ennemis, sans ce qu'ilz
y ayent pu resister. Et depuis, c'est à savoir mercredy
dernier, nos gens envoyez avecque le dit advitaillement,
ensemble ceulx de la dite ville, ont assailli
l'une des plus fortes bastides des dits ennemis, c'est
assavoir celle de Saint-Loup ; laquelle, Dieux aydant,
ilz ont prinse et gaignée par puissance et de bel assault,
qui dura plus de quatre ou cinq heures. Et y ont esté
mors et tués tous les Anglois qui dedens estoient,
sans ce qu'il y soit mort des nostres que deux seules
personnes ; et combien que les Anglois des autres
bastides fussent alors yssus en bataille, faisans mine de vouloir combattre, toutes voiz quand ils vidrent
nos dites gens à l'encontre d'euls, ils s'en retournèrent
hastement, sans les oser attendre. Et se sont encores
demourez par delà nos dites gens en esperance
de faire plus grandes choses.
D'autre part avons presentement receu lettres de
beau cousin de Vendosme, par les quelles il nous fait
savoir que son castel du dit lieu de Vendosme auquel,
par le moyen d'un varlet de la garnison, les
ennemis estoient de nouvel entrés, a esté prestement
recouvert par nos gens estans esdites ville et
marches (1).
Toutes les quelles choses bien considerées, avons
bien fiance en la misericorde de nostre Seigneur,
moyennant aussi la bonne diligence que entendons
faire à poursuivre nostre bonne fortune, que nos
affaires vendront à bonne yssue. Ce que vous voulons
bien communiquer, sachant que ainsi le vouldroyez
et desirez ; vous prians et exortans bien cordialement
que, en recongnoissance de toutes ces choses, veuillez
par notables processions, prières et oroisons, bien
loer et regracier nostre Créateur en le requerant toujours
de nous estre en ayde et de conduire noz affaires ;
car en vos bonnes prières avons bien grant espoir.
Et en ce faisant, ferez bien et vostre devoir, et vous
en saurons très bon gré. Et ainsi que les autres nouvelles
nous surviendront, toujours les vous ferons
savoir.
Depuis ces lettres faittes, nous est cy venu un hérault,
environ une heure après mye nuit, lequel nous
a raporté sur sa vie que vendredy dernier, nos dites gens
passèrent la rivière par bateaux à Orléans, et assegèrent
du costé de la Soloigne la bastide du bout du pont.
Et le mesmes jour gangnèrent le logis des Augustins ;
et le samedi aussi assaillirent le demourant de la dite bastide, qui estoit le boulevert du pont, où avoit
bien VIc combatans anglois, sous deux bannières et
l'estendart de Chandos ; et finablement, par grant
prouesse et vaillance d'armes, moyenant toujours la
grace de nostre Seigneur, gangnèrent toute la dite
bastide. Et ont esté tous les dits Anglois que y estoient,
mors ou pris. Pour ce, plus que devant, devez louer
et regracier nostre dit Créateur que de sa divine clémence
ne nous a voulu mettre en oubly ; et ne pourriez
assez honorer les vertueux faits et choses merveilleuses
que le dit hérault, qui a esté present, nous
a tout rapporté, et autres aussi, de la Pucelle, laquelle a toujours esté en personne à l'exécution de
toutes ces choses.
Et depuis encore, avant la perfection de ces lettres,
sont arrivez devers nous deulx gentils hommes qui
ont esté à la besoigne, les quelz certifient et confirment
tout par la manière et plus amplement que le
dit hérault ; et de ce nous ont apporté lettres de la
main du syre de Gaucourt. En oultre nous eusmes ce
dit soir certaines nouvelles que, après que nos gens
eurent samedy dernier prinse et desconfite la bastide
du bout du pont, le lendemain au point du jour, les
Anglois qui estoient demourez, s'en sauvèrent et
deslogèrent si hastement qu'ils laissèrent leurs bombardes, canons, artillerie et la plupart de leurs vivres
et bagages.
Donné à Chinon, le Xe jour de may.
Signé CHARLES, contresigné BUDÉ (2) .
De par le roi,
Chers et bien-aimés, nous croyons que vous avez bien vu les continuelles diligences par nous faites de donner tous secours possibles à la
ville d'Orléans, assiégée depuis longtemps par les Anglais, anciens
ennemis de notre royaume, et comment par diverses fois nous nous
sommes mis en devoir de le faire, ayant toujours bonne espérance en
Notre-Seigneur que finalement il y étendrait sa grâce, et ne permettrait
pas une si notable cité et un si loyal peuple périr, ni choir en la sujétion
et tyrannie desdits ennemis. Et parce que nous savons que, comme
loyaux sujets, vous ne pourriez avoir meilleure joie et consolation que
d'en voir annoncer bonnes nouvelles, nous vous apprenons que, à la
merci de Notre-Seigneur dont tout procède, nous avons ravitaillé de force, bien et grandement par deux fois en une semaine,
ladite ville d'Orléans, au vu et au su des mêmes ennemis, sans qu'ils
aient pu y résister.
Et depuis, c'est à savoir mercredi dernier, nos gens envoyés avec ladit ravitaillement, ensemble ceux de la ville, ont assailli l'une des plus
fortes bastides des ennemis, c'est à savoir celle de Saint-Loup, laquelle
Dieu aidant, ils ont prise et gagnée par puissance et par un bel assaut
qui dura plus de quatre ou cinq heures. Tous les Anglais qui étaient dedans y ont été morts et tués, sans que des nôtres il y ait eu plus de
deux personnes tuées, et encore que les Anglais des autres bastides
fussent alors sortis pour la bataille, faisant mine de vouloir combattre,
toutefois quand ils virent nos gens à leur rencontre, ils s'en retournèrent
hâtivement sans oser les attendre. Et nos gens sont restés à ce poste
en espérance de faire de plus grandes choses.
D'autre part, nous venons présentement de recevoir des lettres de beau cousin de Vendôme, par lesquelles il nous fait savoir que son chateau dudit lieu de Vendôme, auquel par la trahison d'un valet de la garnison les ennemis étaient de nouveau entrés, a été prestement recouvré par
nos gens qui étaient en cette ville et sur les marches.
Toutes ces choses bien considérées, nous avons bien confiance en la
miséricorde de Notre-Seigneur, moyennant aussi la bonne diligence que
nous entendons faire à poursuivre notre bonne fortune, que nos affaires
viendront à bonne issue. Ce que nous voulons bien vous communiquer,
sachant qu'ainsi vous le voudrez et désirez, vous priant et vous exhortant
bien cordialement qu'en reconnaissance de toutes ces choses, vous
veuillez par notables processions, prières et oraisons, bien louer et
remercier notre Créateur, le requérant toujours de nous être en aide et
de conduire nos affaires, car en vos bonnes prières nous avons bien grand
espoir. Et en ce faisant vous ferez bien, et votre devoir, et nous vous en
saurons très bon gré. Et aussi quand les autres nouvelles surviendront,
nous vous les ferons toujours savoir.
Depuis que ces lettres ont été faites, il nous est venu ici un héraut,
environ une heure après minuit, qui nous a rapporté sur sa vie que,
vendredi dernier, nos gens passèrent la rivière par bateaux à Orléans, et
assiégèrent du côté de la Sologne la bastide du bout du pont. Le même
jour ils gagnèrent le logis des Augustins, et le samedi aussi ils assaillirent
le demeurant de ladite bastide, qui était le boulevard du pont, où
il y avait bien 600 combattants anglais, sous deux bannières et
sous l'étendard de Chandos. Finalement, par grande prouesse et vaillance
d'armes, moyennant toujours la grâce de Notre-Seigneur, ils gagnèrent
toute ladite bastide. Tous les Anglais qui y étaient ont été morts ou
pris. Pour ce, plus que devant, vous devez louer et regracier notredit
Créateur, qui n'a pas voulu nous mettre en oubli de sa divine clémence. Vous ne pourriez assez honorer les vertueux faits et les choses merveilleuses
que ledit héraut, qui a été présent à tout, nous a rapportés, et d'autres aussi, de la Pucelle, laquelle a toujours été en personne à l'exécution de toutes ces choses.
Et, depuis encore, avant l'achèvement de ces lettres, sont arrivés devers
nous deux gentilshommes qui ont été à la besogne, lesquels certifient et
confirment tout, quant à la manière, et plus amplement que ledit héraut;
et de ce ils nous ont apporté les lettres de la main du sire de Gaucourt.
En outre nous eûmes cedit soir certaines nouvelles que, après que
nos gens eurent samedi dernier pris et déconfit la bastide du bout du
pont, les Anglais qui étaient demeurés s'en sauvèrent le lendemain au
point du jour, et ils délogèrent si hâtivement qu'ils laissèrent leurs
bombardes, canons, artillerie et la plupart de leurs vivres et bagages.
« Donné à Chinon le Xe jour de mai.
« Signé : CHARLES. Contresigné : BUDE. »
Source : Quicherat, ", t.V p.100 et suiv.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III p.325 et suiv.
Notes :
1 L'auteur du Journal de Paris, seul de tous les chroniqueurs a eu connaissance
de ce fait, qu'il rapporte en termes fort inexacts d'ailleurs. Voyez
t. IV, p. 463. (Quicherat)
2 Pareille lettre à celle-ci fut envoyée aux habitants de la Rochelle,
comme il paraît d'après l'histoire de cette ville écrite par Arcère ( t. I,
p. 271). L'auteur ajoute que les Rochelais reçurent la nouvelle avec les témoignages
de la plus grande joie, et qu'ils voulurent marquer cet événement
par la pompe d'une fête solennelle. (Quicherat)
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