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Lettre
de Guy et André de Laval à leur aïeule
et mère
8
juin 1429
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ettre
écrite de Selles-en-Berry, par Guy et André de Laval,
aux Dames de Laval, leurs aïeule et mère, le 8 juin,
un mois après la levée du siège d'Orléans
:
"Mes très-redoutées dames et mères,
depuis que je vous escrivis de Saincte-Catherine de Fierbois, vendredy
dernier (3 juin), j'arrivay le samedy à Loches et allay voir
monseigneur le Dauphin (1) au chastel
à l'issue de vespres en l'église collégiale
qui est très bel et gracieux seigneur et très bien
formé et bien agile et habile, de l'aage d'environ sept ans
qu'il doit avoir ; et illec vis ma cousine, la dame de la Trimoille
me fit très bonne chère et, comme on dit, n'a plus
que deux mois a porter son enfant.
Le dimanche (5 juin), j'arrivay à Sainct-Agnan
où estoit le Roy et envoiay quérir et venir dedans
mon logis le seigneur de Trèves et s'en alla au chastel avec
luy mon oncle pour signifier au Roy que j'estois venu et pour scavoir
quand luy plairoit que je allasse devers luy. Et je eus réponse
que je y allasse sitost qu'il me plairoit ; et me fit le Roy très
bonne chère et me dit moult de bonnes paroles. Et quand il
estoit allé par la chambre avec aulcun aultre, il se retournoit
chacune fois devers moy pour me mettre en paroles d'aulcunes choses
et disoit que j'estois venu au besoin sens mander et qu'il m'en
scavoit meilleur gré. Et quand je luy disois que je
n'avois pas amené telle compaignie que je desirois, il répondoit
qu'il suffisoit bien de ce que j'avois amené et que j'avois
bien pouvoir d'en recouvrer greigneur nombre...
Et le lundy (6 juin) me party d'avec le Roy pour venir
à Selles-en-Berry à quatre lieues de Sainct-Aignan,
et feit le Roy venir au devant de luy la Pucelle qui estoit de paravant
à Selles. Disoient
aulcuns que ce avoit esté en ma faveur pour ce que je la
veisse ; et fit ladite Pucelle très bonne chère à
mon frère et à moy, armée de touttes pièces
sauf la teste et tenant la lance en main. Et après que feusme
descendus à Selles, j'allay à son logis la voir ;
et fit venir le vin et me dit qu'elle m'en feroit bientost boire
à Paris : et semble chose toutte divine de son faict et de
la voir et de l'ouïr. Et s'est partie ce lundy (6 juin) aux
vespres de Selles pour aller à Romorantin à trois
lieues en allant avant et approchant des advenues, le mareschal
de Boussac et grant nombre de gens armés et de la commune
avec elle ; et la veis monter à cheval armée tout
en blanc sauf la teste, unne petite hache en sa main sur un grand
coursier noir qui à huis de son logis se demenoit très
fort et ne souffroit qu'elle montast ; et lors elle dit : "Menés-le
à la croix" qui estoit devant l'eglise auprès,
au chemin. Et lors elle monta sans ce qu'il se meust, comme s'il
fust lié. Et lors se tourna vers l'huis de l'eglise qui estoit
bien prochain, et dit en assés voix de femme : "Vous,
les prestres et gens d'Église, faites procession et prières
à Dieu". Et lors se retourna à son chemin en
disant : "Tirés avant, tirés avant",
son étendard ployé que portait un gracieux paige et
avoit sa hache petite en la main. Et un sien frère
qui est venu depuis huit jours, partoit aussy avec elle, tout armé
en blanc...
Et arriva ce lundy à Selles monseigneur le duc
d'Alencon qui ha très grosse compagnie et ay aujourdhuy gagné
de luy à la paulme une convenance...
Et dict l'en
icy que monseigneur le connestable vient avec six cents hommes d'arme
et quatre cents
hommes de traict et que Jean de la Roche y vient aussy et que le
Roy n'eut piéça si grande compagnie que on espère
estre icy ; ne oncques gens n'allèrent de meilleure volonté
en besongne que ils vont a ceste. Et doit ce jourd'huy icy arriver
mon cousin de Rais et croist ma compagnie ; et quoy que ce soit
ce qu'il y a est bien honneste et d'appareil, et y est le seigneur
d'Argenton l'un des principaux gouverneurs qui m'a fait bien bon
accueil et bonne chère ; mais de l'argent n'y en a-il point
à la Cour que si estroitement que pour le temps présent
je n'y espère aucune rescousse ni soustenue. Pour ce, vous
madame ma mère qui avez mon sceau, n'espargniés point
ma terre par vente ne par engage ou advisez plus convenable af'faire
; là où nos personnes sont a estre sauvés ou
aussy par deffault abbaissés et par adventure en voie de
périr ; car si nous ne fasismes ainsy, où qu'il n'y
a point de soulde, nous demeurerons tous seuls...
Ce jourd'huy (8 juin) monseigneur d'Alençon,
le Bastard d'Orléans et Gaucour doivent partir de ce lieu
de Selles et aller après la Pucelle. Et avés fait
bailler je ne scay quelles lettres à mon cousin de la Trimoille
et seigneur de Trèves par occasion desquelles le Roy s'efforce
de me vouloir retenir avecques luy jusques à ce que la Pucelle
ait esté devant les places anglesches d'environ Orléans
où l'on va mettre le siège et est déjà
l'artillerie pourveue ; et ne s'esmaye point la Pucelle qu'elle
ne soit tantost avec le Roy disant que lorsqu'il prendra son chemin
à tirer avant vers Reims que je irois avec luy ; jà
Dieu veuille que je le face et que je le aille. Et autant en dit
à mon frère, et comme monseigneur d'Alençon,
et que abandonné seroit celuy qui demeureroit. Et pense que
le Roy ira ce jeudy d'icy (9 juin) pour s'y approcher plus près
de l'ost. Et viennent gens de touttes part chacun jour. Après
vous ferez scavoir sitost qu'on aura aucune chose besoignée,
ce qui aura esté exécuté. Et espère
l'on que, avant qu'il soit dix jours, la chose soit bien advencée
de costé ou d'aultre. Mais tous ont si bonne espérance
en Dieu, que je croy qu'il nous aydera.
Mes
très redoutées dames et mères, nous recommandons,
mon f'rère et moy, à vous le plus humblement que pouvons
et vous envoye des blancs signés de ma main, affin, si bon
vous semble, du datte de ceste présente, escrire aucune chose
du contenu cy-dedans à Monseigneur le Duc que luy en escrivés
; car je ne luy escripts oncques puis ; et vous plaise aussy sommairement
nous escrire de vos nouvelles ; et vous, madame ma mère,
en quelle santé vous vous trouvés après les
médecines qu'avés prises, car j'en suis à très
grand malaise. Et vous envoie dessus ces présentes, minute
de mon testament afin que vous mes mères m'advertissés
et escrivés par les prochainement venans de ce que bon vous
semblera que y adjouste, et y pense encore de moy y adjouter entre
deux ; mais je n'ay encore eu que peu de loisir...
Escript à Selles, ce mercredy
huictième de juing.
Et ce vespres sont arrives icy monseigneur
de Vendosme, monseigneur de Boussac et aultres. La Hire s'est approché
de l'ost et aussy on besongnera bientost. Dieu veille que ce soit
a nostre desir !
Vos humbles fils, Guy et André
de Laval.
Source
: "Procès de Jeanne d'Arc" - Ernest O'Reilly
- 1868
Illustration :
- Jeanne chevauchant (d'E.Grasset)
- "Jeanne d'Arc écuyère" - L.Champion
- 1901.
Notes :
1 Il s'agit bien sûr du Dauphin, futur Louis XI.
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