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L'abréviateur du procès
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p. 18 à 20 du ms. |
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E JOUR ensuivant et autres jours apprez, les seigneurs et cappitaines
s'assemblerent par plusieurs foys, et eurent plusieurs parlements secretz,
pour se ilz debvoyent assaillir l'autre bastille, nommee Londres. Esquelz
conseilz la Pucelle ne estoyt point appellee. Et finablement fut desliberé
entre eulx qu'ilz feroyent assaillir ladicte bastille, estimans que ceulx du
costé de la Solloigne passeroyent la riviere pour aller secourir ceulx de
ladicte bastille de Londres ; et que ilz laisseroyent leurs bastilles et forts
desgarnyes. Et que aulcun petit nombre de gens pourroyent facillement
prendre lesdictes bastilles dudit costé de la Souillongne. Apprez lequel
advis, fut desliberé de parler a ladicte Pucelle pour savoir se il luy sembleroit
bon d'assaillir ladicte bastille.
A quoy elle respondit : « Il semble a vous, messeigneurs les cappitaines,
pour ce que je suis femme que je ne sauroye celer une chose secrete. Je vous
dy que je sçay tout ce que avez desliberé. Mais je vous asseure que je ne
reveleray jamais les choses qui sont a celer. »
Ceste responce oye, il fut advisé que le bastard d'Orleans, qui estoit
plus privé d'elle, luy diroit ce qui avoit esté advisé entre eulx, Ce qu'il fist.
Laquelle deliberacion oye par ladicte Pucelle, fut respondu qu'elle louoit
ladicte deliberacion, s'il advenoit ainsy qu'ilz avoyent pensé. [19] Mais
pour ce qu'elle doubtoit que non, elle ne fust pas de ceste oppinion. Pour
quoy lesdits seigneurs et cappitaines n'ozerent entreprendre a executer
leur deliberacion contre son voulloir, considerans que elle estoit venue a
bonne fin de toutes les entreprinses qu'elle avoit faictes. Et pour ce luy
feirent demander qu'ilz debvoyent faire. A quoy elle respondit qu'il luy
sembloit advis que on debvoit assaillir les forts qui estoyent de l'autre costé
de la riviere es faulxbourgs de Sainct Laurens. Ce qui fut conclud faire.
Or, y avoit joingnant des murs de la ville grand nombre de basteaux,
esquelz elle fist charger tous les gens d'armes qu'elle vouloit mener ; et les
fist passer de l'autre costé de la riviere, et elle avecques eulx. Et a grande
diligence les mist en ordre pour assaillir l'un desdits fortz. Elle les fist
marcher vers celuy qui estoit au bout du pont. Lequel elle, se confiant en
Dieu, le fist assaillir vertueusement. Et aussi fut par les ennemys tres bien
deffendu. Et dura ledit assault jusques a environ une heure devant soleil
couchant.
La Pucelle, voyant la grande resistence que faisoyent les ennemys, elle
fist signe de retraicte a ses gens, et les fist retirer vers les basteaux, sur
lesquelz ilz estoyent passez. Les Angloys, voyans la retraicte des Françoys,
saillirent de leur fort pour venir fraper sur les Françoys qui se vouloyent
retirer, comme dit est. Ce voyant, la Pucelle mist ses gens en ordre pour
leur résister ; et leur donna si bon couraige qu'ilz contraignirent les ennemys
de reculer. [20] Et eulx retirez en la bastille des Augustins, laquelle elle fist
si rudement assaillir que, combien qu'elle fust tres forte et bien garnye
d'artillerie et de gens, toutesfoys elle la print d'assault. Et furent contraincts lesdis ennemys s'enfuyr en ladicte bastille qui estoit au bout du pont. En laquelle avoit une tres forte tour de pierre. Et ce faict, elle ordonna le guet pour la nuict ; et demoura elle et sa compaignie eudit lieu des Augustins et es faulxbourgs d'environ.
Source
: Édition de "La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle".1952 - Paul Doncoeur.
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