La
geste des nobles Francoys
de
Cousinot - index |
ous
connaissons trois manuscrits, de la Geste des nobles, savoir
- 1° Ms. du roi, ancien fonds français, n° 10297,
bibliothèque impériale de Paris ;
- 2° 11Is. du roi, ancien fonds français, n° 9656,
bibliothèque impériale de. Paris ;
- 3° Ms. du Vatican, à Rome, fonds de la reine Christine
de Suède, n° 897, in-folio sur papier du 15e siècle
environ. Il se compose de 138 feuillets, qui commencent et finissent
exactement comme le ms. 9656.
Les mss. 9656 et 10297 sont écrits sur parchemin
et paraissent avoir été exécutés vers
la même époque : 1429 à 1430 environ. Ils contiennent
le même texte en général, sans addition, sans
lacune et sans variante importante de l'un par rapport à
l'autre. Cependant l'exemplaire 10297, comparé au manuscrit
9656, l'emporte sur celui-ci à beaucoup d'égards.
Le manuscrit 9650 a été mutilé ; le commencement
manque ; il est, de plus, inachevé. Les rubriques placées
en tête des chapitres ne se suivent que jusqu'au feuillet
24 v°. A partir de là jusqu'au feuillet 79 et dernier,
la place des rubriques est demeurée vide. L'exécution
y est, de tous points, moins belle, moins soignée, moins
correcte que dans le manuscrit 10297. Par ces motifs, et pour d'autres
que l'on connaitra bientôt, nous nous attacherons de préférence
et presque exclusivement à l'exemplaire 10297.
Ce manuscrit est un petit in-4°, exécuté
avec un certain luxe sur parchemin vélin. La reliure actuelle,
en maroquin rouge aux armes de France, date de Louis XIV ou de Louis
XV ; mais on y remarque certains vestiges d'une reliure précédente.
La tranche, de toutes parts gaufrée et dorée, présente
sur la gouttière un écu de France ou de prince français,
peint selon le goût et la coutume du 15° siècle.
On distingue sur les feuilles de garde l'empreinte colorée
de l'ancienne couverture, qui était de cuir brun ou noir.
L'écu de la gouttière est répété,
d'une manière beaucoup plus nette et très distincte,
dans ses moindres détails, au folio 1, en tête du texte
manuscrit. L'intérieur ou la panse du T, imité de
l'onciale, lettre initiale du mot Troye, qui commence le chapitre,
est rempli par un écu d'azur à trois fleurs de lis
d'or, brisé d'un lambel à trois pendants d'argent,
surbrisé, sous le second, d'un croissant de gueules. Ce sont
les armes de Jean d'Orléans, comte d'Angoulême, à
qui ce livre fut dédié et qui le posséda. C'est
ce que montrent, concurremment avec la présence de ce blason,
diverses circonstances qui seront ci-aprés exposées.
Jean, comte d'Angoulême, né en 1404, fut
un prince ami des lettres. Livré comme otage aux Anglais
en 1412, il demeura prisonnier dans leur île jusqu'en 1445,
époque à laquelle il revit enfin sa patrie. Le manuscrit
10297 paraît avoir été exécuté
en France et par des mains françaises, puis expédié
au prince, de l'autre côté du détroit, pour
charmer les longs et studieux loisirs de sa captivité. On
remarque, sur les marges et le blanc primitifs du volume, des notes
et inscriptions qui paraissent avoir été ajoutées
par Jean, comte d'Angoulême, et de sa propre main. Nous reproduirons
ces diverses annotations dans l'appendice qui suivra cette notice.
L'une de ces notes constitue un document historique assez piquant
: c'est un programme de ballet dansé par les princesses du
sang de France. On y verra figurer la Dauphine Marguerite d'Ecosse,
femme de Louis, fils aîné de Charles VII. Cette princesse
mourut le 16 août 1445. Lorsque le comte Jean revint en France,
au mois d'avril de la même année, son premier soin,
d'après son biographe Jean du Port, fut d'aller saluer le
roi de France et Charles, duc d'Orléans, poète célèbre,
frère du comte Jean. Charles VII, accompagné de sa
famille , tenait alors cour plénière et gala royal
à Nancy. "Plusieurs grans et solennels esbatements
y furent faits, tant de danses, joûtes, etc..." Sans
doute, le prince Jean portait avec lui ce volume lorsqu'il vint
à Nancy présenter ses hommages au roi de France, car
la premiére des pages blanches qui s'y trouvaient servit
à tracer le programme de l'un de ces divertissements. Le
texte du manuscrit avait donc été exécuté
avant 1445. L'aspect de l'écriture comparée aux additions,
et d'autres motifs prouvent que ce volume fut écrit à
la date même des derniers évènements qu'il relate,
c'est-à-dire en 1429.
La chronique dont nous entreprenons l'analyse remonte
aux origines troyennes de la monarchie ; en voici le titre exact,
d'après le manuscrit 10297 : "Geste des nobles françoys
descendus de la royalle lignée du noble roy Priam de Troye,
jusqu'au noble Charles (VII), filz du roy Charles le sixyesme, qui
tant fut aimé des nobles et de tous autres."
Ainsi est conçu le titre intérieur qui
précéde immédiatement le commencement du texte.
Une main plus moderne a écrit ou transcrit en outre, vers
la fin du XV° siècle, ce nouveau titre sur l'une des
feuilles de garde : "Gestes des Francois descendus du roy
Priam, jusques à Charles, fils de Charles sixiesme, et Jeanne
la Pucelle." (1)
La Geste des nobles comprend, dans son ensemble,
trois parties que nous distinguerons ci-après : la première
s'étend depuis Francus jusqu'à 1350 ; la deuxième
commence avec le roi Jean et se continue jusqu'à la mort
de Charles V (1380) ; la troisième embrasse le règne
de Charles VI et les sept premières années de son
successeur Charles VII (1380-1429).
La première partie est une compilation abrégée
des anciens historiens ou chroniqueurs français. L'auteur
a évidemment suivi, comme guide principal, la grande chronique
de Saint-Denis ; mais il a singulièrement réduit le
cadre du modèle. Ainsi, le règne de Charlemagne, dans
les grandes chroniques de Saint-Denis, forme à peu près
un sixième de l'ouvrage ; telles sont les proportions que
présente, sous ce rapport, l'édition la plus moderne,
celle de M. P. Paris, qui remplit six volumes in-8°. Le règne
de Charlemagne n'occupe qu'une page et demie dans le manuscrit 10297,
qui contient cent cinquante feuillets doubles , ou trois cents pages.
La Geste des nobles ne se borne point, d'ailleurs, à
une réduction servile : c'est une compilation intelligente,
une œuvre originale et distincte de toute autre. A ce titre,
et comme monument de la science historique au 15° siècle,
cette première partie elle-même n'est point dépourvue
de valeur et d'intérêt. L"histoire, toutefois,
ne saurait en recueillir aucune acquisition nouvelle et importante
; nous ne croyons donc pas devoir nous y arrêter plus longtemps.
La troisième et dernière partie est la
plus intéressante et la plus riche en notions demeurées
inédites.
Nous devons maintenant reparler de la portion intermédiaire
qui, dans la Geste des nobles, s'étend de 1380 à 1422,
et qui embrasse le règne entier de Charles VI. Le récit
du règne de Charles VI présente, dans la Geste
des Nobles, une lecture attrayante et animée ; on y sent
cette vie, cette chaleur, qui caractérisent l'oeuvre d'un
témoin oculaire et contemporain. Toutefois, la plus grande
partie des évènements que l'auteur y raconte se trouvent
également exposés, et même d'une manière
plus étendue, dans les chroniques du religieux de Saint-Denis
et de Jouvenel des Ursins ; mais la coordination, la marche et la
forme du récit appartiennent en propre à l'auteur
de la Geste. Bien que la Geste soit, sous ce rapport, comme un abrégé
des deux chroniques qui viennent d'être indiquées,
le premier de ces trois ouvrages historiques n'est nullement une
copie réduite des deux autres ; l'auteur de la Geste fournit
, évidemment de son propre fonds, beaucoup de traits et de
particularités piquantes. Ces intéressants détails
sont dus à la connaissancc intime, familière, que
parait avoir eue cet écrivain des faits et des personnes
qui forment le sujet de son livre. On peut citer notamment, sous
ce rapport, divers épisodes, tels que le soulèvement
des maillotins en 1382, le premier accès de folie de Charles
VI dans la forêt du Mans, l'origine de la lutte entre les
ducs d'Orléans et de Bourgogne, l'assassinat du premier de
ces princes en 1407, l'émeute universitaire de 1408, et d'autres
encore. La Geste expose ce dernier fait sous un aspect tout différent
de celui que lui prêtent Monstrelet et du Boulai, historien
de l'université. Guillaume Cousinot nous montre, dans cette
affaire, une véritable intrigue politique du duc de Bourgogne,
pour renverser le prévôt de Paris alors en exercice
et pour lui substituer Pierre des Essarts, créature du duc.
La Geste nous fait voir ensuite le nouveau prévôt
succombant à son tour, par l'effet de l'une des vicissitudes
de la guerre civile, et sacrifié lui-même par le duc
de Bourgogne à d'autres ressentiments.
La Geste des nobles nous offre enfin divers renseignements
ou particularités, en quelque sorte domestiques, sur la vie,
les mœurs, l'extraction et sur les derniers moments du grand
maître Jean de Montagu, après son éclatante
disgrâce. Ces notions, qui, je crois, ne se trouvent pas ailleurs,
paraissent avoir été ignorées des biographes
et historiens modernes. On en peut dire autant de quelques circonstances
relatives au "bannissement et
excommuniement faiz contre les seigneurs de France".
Il s'agit ici des mesures de proscription prononcées en 1411,
par le duc de Bourgogne, au préjudice du comte d'Armagnac
et des princes du sang, tels que les ducs de Berry, de Bourbon et
d'Orléans, qui soutenaient le comte d'Armagnac.
La chronique se poursuit ainsi au delà, de 1422,
pendant les premières années de Charles VII. Elle
continue d'offrir peu de faits nouveaux, mais des détails
qu'on ne trouve pas ailleurs, encadrés dans un récit
original et d'un tour assez piquant. Depuis cette date, les faits
redeviennent très concis en général ; puis,
en 1428, la rédaction se concentre, pour ainsi dire, exclusivement
sur un seul sujet, sur la merveille du moment, éternelle
merveille de notre histoire : sur les progrès et les exploits
de la Pucelle d'Orléans, alors au début de sa carrière.
Dans ces dernières pages, l'ouvrage revêt complétement
le caractère d'un journal, écrit sous la dictée
des événements.
En résumé, la Geste des nobles,
ou chronique de Cousinot le chancelier, prise dans son ensemble,
est un document d'une valeur incontestable au point de vue historique
et littéraire.
A partir du règne de Charles VII en 1422, la
geste des nobles est reprise intégralement dans la chronique
de la Pucelle. Cousinot de Montreuil se sert de la geste
des nobles et y rajoutent ses propres textes.
De rares passage de la geste des nobles concernant
Jeanne d'Arc diffère un peu par rapport à la chronique
de la Pucelle. Nous reproduisons ces textes.
Chapitres :
De la Pucelle venue par devers le roy et des merveilles
d'elle
fin du chapitre 260, départ de Gien
chapitre 261, du siège mis par le roy devant la ville de
Troyes
Source
: Vallet de Viriville - 1859.
Notes :
1 "et Jeanne la Pucelle" : Mots rajoutés par
une troisième main un peu plus récente.
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