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21 novembre 2024  

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La chronique d'Eberhard Windecke - index

'œuvre du chroniqueur allemand Eberhard Windecke, où se sont préservés les témoignages qui font l'objet de la présente étude, est loin d'être inconnue, en tant qu'élément général d'information relatif aux actes de Jeanne d'Arc. Le vieil annaliste mayençais, dont le texte survit en plusieurs manuscrits, est déjà notoirement classé parmi les narrateurs contemporains de tels et tels épisodes de cette éblouissante histoire.
  La première édition imprimée de sa chronique, donnée en 1728 par Johann-Burckhard Mencke (1), édition où la fantaisie semble s'être donné libre cours. Il omettait complètement, il est vrai, en tant qu'étrangère aux annales germaniques, les chapitres du récit courant de Windecke consacrés au fait de la Pucelle. Mais, en 1834, l'ouvrage célèbre de Guido Görres, Die Jungfrau von Orléans, dont le succès fut si considérable en Allemagne, signalait, directement d'après les manuscrits subsistants, cette importante fraction négligée par le premier éditeur et demeurée insoupçonnée jusque là. Guido Görres, soit dans le cours même de l'ouvrage, soit dans un de ses Appendices, en présentait au public une transcription en allemand moderne, destinée à rendre pendant longtemps les plus appréciables ser~ ices (2).

  C'est dans l'ouvrage de Guido Görres que Quicherat, en préparant les matériaux de son édition du procès de la Pucelle, rencontra le texte de Windecke. Il lui donna sa place légitime parmi les Témoignages des chroniqueurs et historiens du XV° siècle, français et étrangers, rassemblés par lui à la suite du texte latin des deux Procès de condamnaton et de réhabilitation de Jeanne d'Arc. En 1847, le recueil de Quicherat, reproduisant la transposition en allemand moderne établie par Guido Görres, accompagnée d'une notice préalable et d'une traduction française, consacrait définitivement le récit courant de Windecke comme une des sources désormais divulguées et accessibles de l'historique de ces faits.
  Depuis, ces mêmes chapitres relatifs à Jeanne d'Arc se sont trouvés reproduits, également transposés en allemand moderne, dans une édition de vulgarisation du chroniqueur mayennais, due à M. von Hagen. Insérée en 1886 dans la collection bien connue des Geschichtschreiber der deustchen Vorzeit, rééditée dans cette collection en 1899, cette publication utile à plus d'un titre, présente un ensemble beaucoup plus complet que l'édition de Mencke, mais ne parait néanmoins devoir être consultée que sous de sérieuses réserves. Enfn, dans le récent ouvrage du R.P Ayroles, la Vraie Jeanne d'Arc, vient d'être donnée, en 1898, une révision de la traduction française insérée, dans le Procès, révision qui suit, à quelques modifications près, la version du recueil de Quicherat.
  Toutefois, le récit courant d'Eberhard Windecke, ainsi mis à la portée de tous par les publications diverses qui viennent d'être citées, est loin de contenir la totalité de la relation consacrée par le chroniqueur allemand aux évènements dont l'écho parvenait alors de France, par ébranlements successifs, jusqu'aux cœur des pays rhénans.
A côté de la narration suivie des faits, qui d'ailleurs dans la partie divulguée de l'œuvre de Windecke, se trouve arrêtée court, de la façon la plus singulière en dehors de cet exposé narratif des faits, subsistait, dans un texte plus complet encore dissimulé aux regards, toute une série de bruits, de nouvelles et de propos, recueillie sur le spectacle exaltant dont la France était alors le théâtre, spectacle qui, hors des frontières françaises, passionna l'Europe de façon bien plus pénétrante et plus aigüe qu'on ne saurait le supposer.
  En effet, dans un autre manuscrit de l'œuvre d'Eberhard Windecke, depuis longtemps conservé à la bibliothèque impériale de Vienne, où il porte actuellement le n°2913, manuscrit connu et cité depuis 1841, mais seulement examiné à fond, vers 1890, par M. Wilhelm Altmann, conservateur de la bibliothèque de l'Université de Greifswald, se rencontre, entre autres additions notoires au texte connu de l'annaliste mayençais, toute une suite imprévue mais logique, à son récit courant de l'histoire de la Pucelle, seul divulgué jusqu'ici. Ce manuscrit parait dater du milieu dit xv° siècle (peut-être de 1456), selon toute vraisemblance, il se pourrait qu'il eût une provenance strasbourgeoise. Echos, bruits rapportés, dires populaires, document officiel final, viennent y achever l'exposé d'ensemble commencé par le récit courant déjà signalé, récit dont la brusque et déroutante interruption, telle qu'elle se présentait, était bien faite pour sembler incompréhensible.
  Ainsi l'œuvre d'Eberhard Windecke consacrée à ce grand souvenir offrira désormais, par ces deux fractions ajoutées l'une à l'autre, une cohésion naturelle et un sens évident d'unité.
  La mise en œuvre de cet élément nouveau a provoqué, de la part de M. Wilhelm Altmann deux publications successives. L'une, parue dès 1891, contenait une étude spéciale de ce manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne, avec le texte in extenso des passages inédits qui lui sont propres. La seconde, parue en 1893, constitue une édition intégrale de l'œuvre d'Eberhard Windecke, précédée d'une introduction critique, riche en renseignements. Cette inappréciable entreprise, malgré d'inévitables défectuosités, reproduit enfin, pour la première fois, dans son savoureux dialecte archaïque du pays Rhénan, le texte complet et en mainte partie inédit du chroniqueur mayençais.
  Par une coïncidence curieuse, ces additions particulières au manuscrit 2913 de Vienne se rencontrent dans un autre manuscrit dont l'origine strasbourgeoise ne parait pas discutée, manuscrit aujourd'hui conservé à la bibliothèque de Hambourg, et dont l'intérêt a été signalé pour la première fois par U.Walther. Ce manuscrit contient également toute la partie antérieure de l'œuvre d'Eberhard Windecke relative aux actes de la Pucelle. Il paraît constitué par un recueil de mélanges, formé et transcrit au milieu du xv° siècle (peut-être en 1451), à peu près en même temps, mais un peu plus tôt que le manuscrit 2913 de Vienne, par un certain Jordan, de Strasbourg. Il présente pour son ensemble, plusieurs variantes dont le tableau est dressé dans l'appendice de l'édition de M. Altmann qui lui est spécialement consacré.
  C'est donc au milieu de l'œuvre générale et complète d'Eberhard Windecke, ainsi restituée dans son vrai jour, que viennent s'encadrer, à leur, place et à leur rang, les singuliers échos sur lesquels le travail ici entrepris attire l'attention.
  Le
chroniqueur qui put ainsi recueillir ces voix de la foule, dans leur éphémère mobilité, au moment où elles parvenaient de France aux bords du Rhin, possédait à un degré assez étendu la connaissance et l'expérience de notre pays.

  Eberhard Windecke (3), cette forme paraît la préférable, né à Mayence vers 1380, d'une famille marchande, dont le logis patrimonial, situé près du Fischthor, était communément connu sous la désignation "zum Windecke", avait mené, très jeune, une existence de pérégrination et d'errance à travers l'Europe, qui l'avait familiarisé de bonne heure avec l'aspect et les mœurs de mainte contrée étrangère.
  A treize ans, il a quitté la maison paternelle, et, comme pacotilleur ou commis de marchands, reparaissant de temps à autre au pays natal de Mayence, il court les places commerciales d'Allemagne, Worms, Francfort, Nuremberg, puis circule en Bohême par Eger et Prague. En 1396, par les Pays-Bas, il gagne Paris où il fait un long séjour de trois ans, dont malheureusement il ne nous transmet que la simple mention, et d'où, en 1399, on le trouve rentré à Mayence. Très peu après, en 1400, il entre au service du duc bavarois Etienne II, de la ligne d'Ingoldstadt, le mari de Taddea Visconti et le père de la reine de France Isabeau, puis revient de nouveau en France en compagnie de son maître. Après trois ou quatre semaines d'un séjour à Paris, à propos duquel il mentionne quelques traits des rapport, réciproques du duc d'Orléans et du duc bavarois, il reprenait, par la cour ducale de Brabant, la route de Cologne, où il parvenait dans les premiers jours de novembre, et d'où il reparaissait à Mayence. Ratisbonne, puis Vienne, la Hongrie, le Frioul et Venise, le voient pérégriner de 1402 à 1410, avec Bude pour centre, affairé pour son compte, ou pour des négociants nurembergeois.
  En 1412, il est enfin entré au service de Sigismond de Luxembourg, l''entreprenant roi de Hongrie qui vient de saisir l'empire. Employé par lui comme, intermédiaire en quelques-uns de ses multiples trafics financiers, il demeure désormais de longues années durant, attaché aux affaires de trésorerie du souverain, étroitement au courant des intérêts et de la politique de la cour impériale, sans résider toutefois de manière permanente auprès du prince. Il passe avec lui, l'an suivant, dans la haute Italie, à Crémone, puis de là, pour son propre compte à ce qu'il semble, gagne la Pologne, ensuite le Brandebourg. En 1415, au fort du Concile, il apparaît à Constance, où son humeur fantaisiste compose un piquant "dit rimé des filles de joie", curieux et amusant reflet des mœurs contemporaines.
  Il est aux côtés de Sigismond, dans le long et diffïcile parcours que l'empereur entreprend à travers la France du Midi, jusque sur le territoire aragonais, à la poursuite de I'antipape Benoit XIII, pour essayer en vain de clore pacifiquement le schisme en obtenant son abdication volontaire. Il suit Sigismond à Perpignan, en 1415, puis se dirige en sa compagnie, en 1416, vers Paris et le Nord, lors du voyage de médiation politique entre France et Angleterre, que l'empereur, à la suite de la journée d'Azincourt, a greffé sur l'échec de la négociation pontificale. Il revoit Paris pour la troisième fois, excursionne entre temps en Flandre, à Bruges, rejoint à Saint-Denis l'empereur en partance pour Calais, passe avec lui en Anglelerre, repasse sur le continent, et, après divers détours, ayant touché barre à Mayence, le retrouve en 1417 à Constance, à la fin du Concile, où il voit l'élection de Martin V et la cessation du schisme.
  Expédié l'an suivant par Sigismond auprès du nouveau pontife, alors lentement en route pour Rome, il joint, par le Gothard, le pape à Pavie, l'escorte à Milan, passe auprès du marquis de Montferrat, puis du duc de Savoie par le mont-Cenis, et, après une halte à Mayence, va suivre l'empereur, l'an d'après, en Hongrie, à Bude. En 1420, il accompagne Sigismond à la tenue du Reichstag de Breslau, puis à l'expédition de Prague contre les Hussites, s'emploie en 1423-24, tant de la part de l'empereur que de l'archevêque de Mayence, à diverses négociations diplomatiques concernant la succession de Gueldre et de Juliers.
  Enfin, en 1425, il se fixe à Mayence, où la faveur impériale, non sans léser d'autres droits, lui concède la ferme d'une partie des péages du Rhin, revenu fixe et des plus enviables auquel il ajoute, semble-t-il, diverses opérations de banque. Mêlé de près, de 1428 à 1432, aux luttes politiques des factions qui se divisent la cité de Mayence, il figure comme membre de La Commission des Dix, violemment imposée par le parti des Métiers pour la réforme des finances, puis de la députation constituée pour consacrer la cessation des troubles. C'est dans sa ville natale, sauf une courte présence au Reichstag de Straubing, à la fin de 1430, qu'il passe en tout cas l'espace de temps marqué par l'apparition et les hauts faits de Jeanne d'Arc, évènements qu'il note avec une si heureuse initiative, et dont la préservation par ses soins provoque cette étude actuellement poursuivie sur son nom.
  Les dernières années de la vie d Eberhard Windecke semblent s'être passées à Mayence, occupées au soin de ses affaires et à la défense de ses intérêts privés attaqués par ses rivaux. On le trouve encore agissant à la fin de 1439. En 1440, il parait avoir cessé de vivre, la soixantaine à peine atteinte, dans la plénitude de son âge et de ses facultés.

  L'œuvre qu'il laissait, composition où les souvenirs personnels surgissent si fréquemment du corps même du récit, présente beaucoup plus l'apparence d'un assemblage de matériaux historiques relatifs au règne de l'empereur Sigismond que d'une biographie rédigée du prince. Cette biographie, limitée et arrêtée, le Sigmundbuch, le livre de Sigismond, il paraît bien avéré qu'Eberhard Windecke l'avait éditée à part, comme un extrait essentiel de son vaste recueil ; en tout cas, elle a disparu ou ne se retrouve pas. La forme unique sous laquelle l'œuvre survivante nous est parvenue, à laquelle son plus récent et savant éditeur assigne le titre de Denkwürdigkeiten (Mémorial) pour servir l'histoire de l'empereur Sigismond et de son temps, représente donc, comme son nom l'indique, un cadre extensible où viennent s'incruster, au milieu de la trame d'un récit constamment suivi, des documents, des pièces originales de toute nature, matières premières précieuses par leur diversité comme par leur authenticité, témoignages journaliers des faits contemporains de l'auteur et preuves de sa curiosité attentive à les noter, à les réunir et à les préserver.
  Les textes relatifs à l'histoire de la Pucelle, qu'Eberhard Windecke a transcrits et conservés, et tels qu'ils apparaissent dans l'édition définitive de M.Altmann, peuvent se diviser en deux reprises distinctes.
  La première série offre un récit continu, poursuivi en trois chapitres, menant les faits depuis la venue de Jeanne d'Arc auprès de Charles VII à Chinon, jusques et y compris le sacre de Reims, soit de février à juillet 1429. C'est la fraction qui a été reproduite par Quicherat, dans son recueil du Procès, d'après la transposition en allemand moderne due à Guido Görres, et qui figure aussi également transposée en allemand moderne, dans la publication de M. von Hagen.
  Cette première série était la seule connue, jusqu'à la récente édition de M.Altmann.
  La seconde série comprend, soudée à la fin de la première, une suite d'informations sans date précise, une succession d'échos et de nouvelles à caractère visiblement thaumaturgique, où semblent rassemblés intentionnellement divers faits miraculeux de l'ordre le plus excessif, propres à frapper au point le plus sensible l'imagination excitable des foules.
  C'est la fraction que le manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne est seule à présenter.
  Cette seconde série est celle que l'édition récente de M.Altmann a été la première à révéler, et qui parait être demeurée inutilisée jusqu'ici.
  Est-ce le caractère d'addition au récit continu, caractère que ces informations présentent à un degré assez marqué, est-ce leur forme par trop accentuée de légende, qui a fait exclure cette seconde série de la plupart des manuscrits, en ne la conservant que dans le manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne ? Peut-être ces deux motifs ont-ils concouru l'un comme l'autre à ce bizarre ostracisme.

   

Chapitres :

CCLIX- Ci envoia le roi de France son excellent message à la Pucelle...
CCLX-
Ci envoia la Pucelle au roi une lettre où il avait à voir comment...
CCLXI-
Ci chevaucha la Pucelle en France et vinrent les Anglais à grande...
CCLXII- Une copie de la lettre du roi d'Angleterre et de France au duc de...


                                                 


Source : "Les sources allemandes de l'histoire de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis - 1903.

Notes :
1 Eberhardi Windeckii Moguntiacensis Historia vitæ imperatoris Sigismundi vernacula... Leipzig, 3 vol. 1728-30.

2 Cet ouvrage fut rapidement l'objet de traductions françaises.

3 Les renseignements qui suivent sur la vie de E.Windecke sont tirés de la préface de l'édition de M.Altmann.

4 Pour l'étude complète et très instructive de cette première fraction, il convient de se rapporter à l'ouvrage de M.Lefèvre-Pontalis.




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