La
chronique d'Eberhard Windecke
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'œuvre
du chroniqueur allemand Eberhard Windecke, où se sont préservés
les témoignages qui font l'objet de la présente étude,
est loin d'être inconnue, en tant qu'élément
général d'information relatif aux actes de Jeanne
d'Arc. Le vieil annaliste mayençais, dont le texte survit
en plusieurs manuscrits, est déjà notoirement classé
parmi les narrateurs contemporains de tels et tels épisodes
de cette éblouissante histoire.
La première édition imprimée de
sa chronique, donnée en 1728 par Johann-Burckhard Mencke
(1), édition où la fantaisie
semble s'être donné libre cours. Il omettait complètement,
il est vrai, en tant qu'étrangère aux annales germaniques,
les chapitres du récit courant de Windecke consacrés
au fait de la Pucelle. Mais, en 1834, l'ouvrage célèbre
de Guido Görres, Die Jungfrau von Orléans, dont le succès
fut si considérable en Allemagne, signalait, directement
d'après les manuscrits subsistants, cette importante fraction
négligée par le premier éditeur et demeurée
insoupçonnée jusque là. Guido Görres,
soit dans le cours même de l'ouvrage, soit dans un de ses
Appendices, en présentait au public une transcription en
allemand moderne, destinée à rendre pendant longtemps
les plus appréciables ser~ ices (2).
C'est dans l'ouvrage de Guido Görres que Quicherat,
en préparant les matériaux de son édition du
procès de la Pucelle, rencontra le texte de Windecke. Il
lui donna sa place légitime parmi les Témoignages
des chroniqueurs et historiens du XV° siècle, français
et étrangers, rassemblés par lui à la suite
du texte latin des deux Procès de condamnaton et de réhabilitation
de Jeanne d'Arc. En 1847, le recueil de Quicherat, reproduisant
la transposition en allemand moderne établie par Guido Görres,
accompagnée d'une notice préalable et d'une traduction
française, consacrait définitivement le récit
courant de Windecke comme une des sources désormais divulguées
et accessibles de l'historique de ces faits.
Depuis, ces mêmes chapitres relatifs à
Jeanne d'Arc se sont trouvés reproduits, également
transposés en allemand moderne, dans une édition de
vulgarisation du chroniqueur mayennais, due à M. von Hagen.
Insérée en 1886 dans la collection bien connue des
Geschichtschreiber der deustchen Vorzeit, rééditée
dans cette collection en 1899, cette publication utile à
plus d'un titre, présente un ensemble beaucoup plus complet
que l'édition de Mencke, mais ne parait néanmoins
devoir être consultée que sous de sérieuses
réserves. Enfn, dans le récent ouvrage du R.P Ayroles,
la Vraie Jeanne d'Arc, vient d'être donnée,
en 1898, une révision de la traduction française insérée,
dans le Procès, révision qui suit, à quelques
modifications près, la version du recueil de Quicherat.
Toutefois, le récit courant d'Eberhard Windecke,
ainsi mis à la portée de tous par les publications
diverses qui viennent d'être citées, est loin de contenir
la totalité de la relation consacrée par le chroniqueur
allemand aux évènements dont l'écho parvenait
alors de France, par ébranlements successifs, jusqu'aux cœur
des pays rhénans.
A côté de la narration suivie des faits, qui d'ailleurs
dans la partie divulguée de l'œuvre de Windecke, se
trouve arrêtée court, de la façon la plus singulière
en dehors de cet exposé narratif des faits, subsistait, dans
un texte plus complet encore dissimulé aux regards, toute
une série de bruits, de nouvelles et de propos, recueillie
sur le spectacle exaltant dont la France était alors le théâtre,
spectacle qui, hors des frontières françaises, passionna
l'Europe de façon bien plus pénétrante et plus
aigüe qu'on ne saurait le supposer.
En effet, dans un autre manuscrit de l'œuvre d'Eberhard
Windecke, depuis longtemps conservé à la bibliothèque
impériale de Vienne, où il porte actuellement le n°2913,
manuscrit connu et cité depuis 1841, mais seulement examiné
à fond, vers 1890, par M. Wilhelm Altmann, conservateur de
la bibliothèque de l'Université de Greifswald, se
rencontre, entre autres additions notoires au texte connu de l'annaliste
mayençais, toute une suite imprévue mais logique,
à son récit courant de l'histoire de la Pucelle, seul
divulgué jusqu'ici. Ce manuscrit parait dater du milieu dit
xv° siècle (peut-être de 1456), selon toute vraisemblance,
il se pourrait qu'il eût une provenance strasbourgeoise. Echos,
bruits rapportés, dires populaires, document officiel final,
viennent y achever l'exposé d'ensemble commencé par
le récit courant déjà signalé, récit
dont la brusque et déroutante interruption, telle qu'elle
se présentait, était bien faite pour sembler incompréhensible.
Ainsi l'œuvre d'Eberhard Windecke consacrée
à ce grand souvenir offrira désormais, par ces deux
fractions ajoutées l'une à l'autre, une cohésion
naturelle et un sens évident d'unité.
La mise en œuvre de cet élément nouveau
a provoqué, de la part de M. Wilhelm Altmann deux publications
successives. L'une, parue dès 1891, contenait une étude
spéciale de ce manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale
de Vienne, avec le texte in extenso des passages inédits
qui lui sont propres. La seconde, parue en 1893, constitue une édition
intégrale de l'œuvre d'Eberhard Windecke, précédée
d'une introduction critique, riche en renseignements. Cette inappréciable
entreprise, malgré d'inévitables défectuosités,
reproduit enfin, pour la première fois, dans son savoureux
dialecte archaïque du pays Rhénan, le texte complet
et en mainte partie inédit du chroniqueur mayençais.
Par une coïncidence curieuse, ces additions particulières
au manuscrit 2913 de Vienne se rencontrent dans un autre manuscrit
dont l'origine strasbourgeoise ne parait pas discutée, manuscrit
aujourd'hui conservé à la bibliothèque de Hambourg,
et dont l'intérêt a été signalé
pour la première fois par U.Walther. Ce manuscrit contient
également toute la partie antérieure de l'œuvre
d'Eberhard Windecke relative aux actes de la Pucelle. Il paraît
constitué par un recueil de mélanges, formé
et transcrit au milieu du xv° siècle (peut-être
en 1451), à peu près en même temps, mais un
peu plus tôt que le manuscrit 2913 de Vienne, par un certain
Jordan, de Strasbourg. Il présente pour son ensemble, plusieurs
variantes dont le tableau est dressé dans l'appendice de
l'édition de M. Altmann qui lui est spécialement consacré.
C'est donc au milieu de l'œuvre générale
et complète d'Eberhard Windecke, ainsi restituée dans
son vrai jour, que viennent s'encadrer, à leur, place et
à leur rang, les singuliers échos sur lesquels le
travail ici entrepris attire l'attention.
Le
chroniqueur qui put ainsi recueillir ces voix de la foule, dans
leur éphémère mobilité, au moment où
elles parvenaient de France aux bords du Rhin, possédait
à un degré assez étendu la connaissance et
l'expérience de notre pays.
Eberhard Windecke (3), cette
forme paraît la préférable, né à
Mayence vers 1380, d'une famille marchande, dont le logis patrimonial,
situé près du Fischthor, était communément
connu sous la désignation "zum Windecke",
avait mené, très jeune, une existence de pérégrination
et d'errance à travers l'Europe, qui l'avait familiarisé
de bonne heure avec l'aspect et les mœurs de mainte contrée
étrangère.
A treize ans, il a quitté la maison paternelle,
et, comme pacotilleur ou commis de marchands, reparaissant de temps
à autre au pays natal de Mayence, il court les places commerciales
d'Allemagne, Worms, Francfort, Nuremberg, puis circule en Bohême
par Eger et Prague. En 1396, par les Pays-Bas, il gagne Paris où
il fait un long séjour de trois ans, dont malheureusement
il ne nous transmet que la simple mention, et d'où, en 1399,
on le trouve rentré à Mayence. Très peu après,
en 1400, il entre au service du duc bavarois Etienne II, de la ligne
d'Ingoldstadt, le mari de Taddea Visconti et le père de la
reine de France Isabeau, puis revient de nouveau en France en compagnie
de son maître. Après trois ou quatre semaines d'un
séjour à Paris, à propos duquel il mentionne
quelques traits des rapport, réciproques du duc d'Orléans
et du duc bavarois, il reprenait, par la cour ducale de Brabant,
la route de Cologne, où il parvenait dans les premiers jours
de novembre, et d'où il reparaissait à Mayence. Ratisbonne,
puis Vienne, la Hongrie, le Frioul et Venise, le voient pérégriner
de 1402 à 1410, avec Bude pour centre, affairé pour
son compte, ou pour des négociants nurembergeois.
En 1412, il est enfin entré au service de Sigismond
de Luxembourg, l''entreprenant roi de Hongrie qui vient de saisir
l'empire. Employé par lui comme, intermédiaire en
quelques-uns de ses multiples trafics financiers, il demeure désormais
de longues années durant, attaché aux affaires de
trésorerie du souverain, étroitement au courant des
intérêts et de la politique de la cour impériale,
sans résider toutefois de manière permanente auprès
du prince. Il passe avec lui, l'an suivant, dans la haute Italie,
à Crémone, puis de là, pour son propre compte
à ce qu'il semble, gagne la Pologne, ensuite le Brandebourg.
En 1415, au fort du Concile, il apparaît à Constance,
où son humeur fantaisiste compose un piquant "dit rimé
des filles de joie", curieux et amusant reflet des mœurs
contemporaines.
Il est aux côtés de Sigismond, dans le
long et diffïcile parcours que l'empereur entreprend à
travers la France du Midi, jusque sur le territoire aragonais, à
la poursuite de I'antipape Benoit XIII, pour essayer en vain de
clore pacifiquement le schisme en obtenant son abdication volontaire.
Il suit Sigismond à Perpignan, en 1415, puis se dirige en
sa compagnie, en 1416, vers Paris et le Nord, lors du voyage de
médiation politique entre France et Angleterre, que l'empereur,
à la suite de la journée d'Azincourt, a greffé
sur l'échec de la négociation pontificale. Il revoit
Paris pour la troisième fois, excursionne entre temps en
Flandre, à Bruges, rejoint à Saint-Denis l'empereur
en partance pour Calais, passe avec lui en Anglelerre, repasse sur
le continent, et, après divers détours, ayant touché
barre à Mayence, le retrouve en 1417 à Constance,
à la fin du Concile, où il voit l'élection
de Martin V et la cessation du schisme.
Expédié l'an suivant par Sigismond auprès
du nouveau pontife, alors lentement en route pour Rome, il joint,
par le Gothard, le pape à Pavie, l'escorte à Milan,
passe auprès du marquis de Montferrat, puis du duc de Savoie
par le mont-Cenis, et, après une halte à Mayence,
va suivre l'empereur, l'an d'après, en Hongrie, à
Bude. En 1420, il accompagne Sigismond à la tenue du Reichstag
de Breslau, puis à l'expédition de Prague contre les
Hussites, s'emploie en 1423-24, tant de la part de l'empereur que
de l'archevêque de Mayence, à diverses négociations
diplomatiques concernant la succession de Gueldre et de Juliers.
Enfin, en 1425, il se fixe à Mayence, où
la faveur impériale, non sans léser d'autres droits,
lui concède la ferme d'une partie des péages du Rhin,
revenu fixe et des plus enviables auquel il ajoute, semble-t-il,
diverses opérations de banque. Mêlé de près,
de 1428 à 1432, aux luttes politiques des factions qui se
divisent la cité de Mayence, il figure comme membre de La
Commission des Dix, violemment imposée par le parti des Métiers
pour la réforme des finances, puis de la députation
constituée pour consacrer la cessation des troubles. C'est
dans sa ville natale, sauf une courte présence au Reichstag
de Straubing, à la fin de 1430, qu'il passe en tout cas l'espace
de temps marqué par l'apparition et les hauts faits de Jeanne
d'Arc, évènements qu'il note avec une si heureuse
initiative, et dont la préservation par ses soins provoque
cette étude actuellement poursuivie sur son nom.
Les dernières années de la vie d Eberhard
Windecke semblent s'être passées à Mayence,
occupées au soin de ses affaires et à la défense
de ses intérêts privés attaqués par ses
rivaux. On le trouve encore agissant à la fin de 1439. En
1440, il parait avoir cessé de vivre, la soixantaine à
peine atteinte, dans la plénitude de son âge et de
ses facultés.
L'œuvre
qu'il laissait, composition où les souvenirs personnels surgissent
si fréquemment du corps même du récit, présente
beaucoup plus l'apparence d'un assemblage de matériaux historiques
relatifs au règne de l'empereur Sigismond que d'une biographie
rédigée du prince. Cette biographie, limitée
et arrêtée, le Sigmundbuch, le livre de Sigismond,
il paraît bien
avéré qu'Eberhard Windecke l'avait éditée
à part, comme un extrait essentiel de son vaste recueil ;
en tout cas, elle a disparu ou ne se retrouve pas. La forme unique
sous laquelle l'œuvre survivante nous est parvenue, à
laquelle son plus récent et savant éditeur assigne
le titre de Denkwürdigkeiten (Mémorial) pour
servir l'histoire de l'empereur Sigismond et de son temps, représente
donc, comme son nom l'indique, un cadre extensible où viennent
s'incruster, au milieu de la trame d'un récit constamment
suivi, des documents, des pièces originales de toute nature,
matières premières précieuses par leur diversité
comme par leur authenticité, témoignages journaliers
des faits contemporains de l'auteur et preuves de sa curiosité
attentive à les noter, à les réunir et à
les préserver.
Les textes relatifs à l'histoire de la Pucelle,
qu'Eberhard Windecke a transcrits et conservés, et tels qu'ils
apparaissent dans l'édition définitive de M.Altmann,
peuvent se diviser en deux reprises distinctes.
La première série offre un récit
continu, poursuivi en trois chapitres, menant les faits depuis la
venue de Jeanne d'Arc auprès de Charles VII à Chinon,
jusques et y compris le sacre de Reims, soit de février à
juillet 1429. C'est la fraction qui a été reproduite
par Quicherat, dans son recueil du Procès, d'après
la transposition en allemand moderne due à Guido Görres,
et qui figure aussi également transposée en allemand
moderne, dans la publication de M. von Hagen.
Cette première série était la seule
connue, jusqu'à la récente édition de M.Altmann.
La seconde série comprend, soudée à
la fin de la première, une suite d'informations sans date
précise, une succession d'échos et de nouvelles à
caractère visiblement thaumaturgique, où semblent
rassemblés intentionnellement divers faits miraculeux de
l'ordre le plus excessif, propres à frapper au point le plus
sensible l'imagination excitable des foules.
C'est la fraction que le manuscrit 2913 de la bibliothèque
impériale de Vienne est seule à présenter.
Cette seconde série est celle que l'édition
récente de M.Altmann a été la première
à révéler, et qui parait être demeurée
inutilisée jusqu'ici.
Est-ce le caractère d'addition au récit
continu, caractère que ces informations présentent
à un degré assez marqué, est-ce leur forme
par trop accentuée de légende, qui a fait exclure
cette seconde série de la plupart des manuscrits, en ne la
conservant que dans le manuscrit 2913 de la bibliothèque
impériale de Vienne ? Peut-être ces deux motifs ont-ils
concouru l'un comme l'autre à ce bizarre ostracisme.
Chapitres :
CCLIX- Ci envoia le roi de France son excellent
message à la Pucelle...
CCLX- Ci
envoia la Pucelle au roi une lettre où il avait à
voir comment...
CCLXI- Ci
chevaucha la Pucelle en France et vinrent les Anglais à grande...
CCLXII- Une copie de la lettre du roi d'Angleterre
et de France au duc de...
Source
: "Les sources allemandes de l'histoire de Jeanne d'Arc -
Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis - 1903.
Notes
:
1 Eberhardi Windeckii Moguntiacensis Historia vitæ imperatoris
Sigismundi vernacula... Leipzig, 3 vol. 1728-30.
2 Cet ouvrage fut rapidement l'objet de traductions françaises.
3 Les renseignements qui suivent sur la vie de E.Windecke sont
tirés de la préface de l'édition de M.Altmann.
4 Pour l'étude complète et très instructive
de cette première fraction, il convient de se rapporter
à l'ouvrage de M.Lefèvre-Pontalis.
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