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Chronique
d'Eberhard Windecke
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index
Chap.CCLXI - Ci chevaucha la Pucelle en France et vinrent
les Anglais à grande force, et quand les Anglais virent
la Pucell, adonc s'en fuirent-ils et jetèrent en arrière
leurs arcs. |
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301
- Un jour vinrent les Anglais à grande puissance. Quand la
Pucelle le vit et comprit, elle dit aux capitaines de monter sur
leurs meilleurs coursiers et dit à ses gens qu'ils allaient
chasser à courre. Et ils demandèrent ce qu'ils devaient
chasser. Et la Pucelle dit qu'ils allaient chasser les Anglais.
Et alors montèrent-ils tous en selle et chevauchèrent
avec la Pucelle. Et sitôt que les Anglais les eurent en vue,
si s'enfuirent-ils, et les archers jetèrent arrière
leurs arcs et flèches loin d'eux, et furent la plupart tués.
(1)
302 - Après, elle se mit en chemin pour
mener le roi à Reims. Et les villes qui lors n'avaient rien
de quoi résister à la Pucelle et a ses gens, lui ont
toutes fait obéissance, et en partie ont apporté au
roi leurs clefs bien deux milles au devant, comme Troyes, Châlons
et encore autres villes. Et ainsi est le roi venu à Reims
et y a été sacré. (2)
La Pucelle pensait aussi faire entrer le roi à
Paris et ne redoutait aucune puissance ni du duc de Bourgogne ni
du régent, car elle avait dit que Notre Seigneur Dieu avait
plus de puissance qu'eux, et qu'il devait encore l'aider, et que
plus le duc de Bourgogne et le régent amèneraient
de gens contre elle, plus il y en aurait de tués et plus
aussi de butin conquis. Elle ordonne aussi à tous, autant
qu'elle peut le garantir, que l'on ne prenne rien à personne
et qu'on ne fasse aucun dommage aux pauvres gens ni violence. Et
sont vivres suffisants en sa compagnie, et aussi longtemps qu'elle
a chevauché de la sorte, les vivres, par le pays, ne sont
pas pas devenus plus chers.
303 - Au temps où l'on comptait, de la
naissance de Notre-Seigneur, 1400 et 29 ans, lors survinrent nouvelles
certaines devers France, disant comment une Pucelle était
venue de Lorraine au dauphin, en France, et avail eu entretiens
avec lui, en raison des Anglais qui se tenaient à grande
puissance audit royaume. Et ladite Pucelle les chassa avec l'aide
du Dieu Tout-Puissant et de la Vierge Marie, ainsi qu'il est écrit
ci-dessus, disant comment, elle entend l'avenir, et comment ce qu'elle
fit, ce fut avec l'aide de Dieu (1).
303bis - Item, quand le roi fut sacré
à Reims (1), lors se trouva très
forte gent autour de Reims, dehors parmi les vignes, et gâtèrent
toutes les vignes avec leurs chevaux et autrement. Et quand le roi
partit de Reims et tira outre, peu après se relevèrent
derechef toutes les vignes, et fleurirent toutes d'une autre pousse,
et portèrent plus de raisins qu'avant, et dut-on les laisser
jusqu'au jour (2) de la Saint-Martin.
304
- Item un autre ,jour, chevauchaient-ils en quête des
Anglais, leurs ennemis. Adonc en l'armée était un
homme, qui avait sa mie près de lui, laquelle chevauchait
en armes, pour qu'on ne la reconnût point. Et quand ils furent
tous sur les champs, adonc dit la Pucelle aux autres seigneurs et
capitaines : "Il y a une femme parmi nos gens."
Adonc dirent-ils tous qu'ils n'en connaissaient point parmi eux.
Alors fit-elle assembler l'ost, et quand ce fut fait, adonc chevaucha
la Pucelle, et chercha, et lors trouva sur l'heure la femme, et
la montra d'un doigt aux seigneurs, et dit : "La voici",
et dit à la femme : "Tu es de Gien et es grosse d'enfant
; et, n'était cela, je te ferais mettre à mort ; et
tu as déjà laissé périr un enfant, et
n'en feras pas de même de celui-ci." Et alors la
prirent les valets et la ramenèrent chez elle et la tinrent
en garde jusqu'e à sa délivrance d'enfant. Et la femme
dit ouvertement que la Pucelle avait dit vrai (1).
Item, en après, trouva-t-elle à nouveau
deux ribaudes, auxquelles elle avait déjà défendu
de se trouver en l'ost, ou bien elle les ferait mettre à
mort, car elles n'appartenaient pas à l'ost. Adonc trouva-t-elle
une fois les deux ribaudes, alors qu'elles se départaient
à cheval, car elle venait auparavant de dire [qu'elle savait],
qu'il y avait des femmes en l'ost. Et quand elle trouva les femmes,
lors dit-elle : "Vous folles filles, je vous ai par avant
interdit ma compagnie." Et alors tira-t-elle son épée
dehors et férut l'une des filles par la tête, si bien
qu'elle mourut (2).
305
- Item, en après, un jour, était le roi à table,
à diner (1), et la Pucelle se
mit aux champs et voulut tirer encontre les Anglais, car elle était
avisée qu'ils étaient sur les champs. Et alors par
la ville se mit chacun à cheval et tira aux champs vers la
Pucelle. Quand le roi s'avisa du fait que chacun suivait la Pucelle,
lors fit-il clore les portes. Ce, fut dit à la Pucelle sur
les champs. Adonc dit la Pucelle : "Avant qu'il soit heure
de none (2), si sera au roi tel besoin de venir
à moi, qu'il me suivra de tire, son manteau à peine
jeté sur lui et sans éperons." Ainsi advint-il.
Aussi étaient les gens d'armes en la villa, qui mandèrent
au roi qu'il fit de suite ouvrir les portes, ou bien qu'ils les
jetteraient bas. Alors furent les portes ouvertes sur l'heure, et
chacun courut après la Pucelle, et ne voulut nul prendre
garde au roi. Du fait s'avisa le roi, et jeta de suite un manteau
sur lui et suivit de tire la Pucelle. Et alors, ce jour même,
rua-t-elle grand nombre d'Anglais jus (3).
306 - Item, [était] un saint homme de
religion [qui] eût volontiers pris information secrète
de la vie et des mœurs de la Pucelle ; ce pour quoi il lui
dépêcha secrètement son confesseur [à
elle], qui adonc est un grand docteur. Lequel il pria de lui remettre
par écrit tout à plain la vérité pour
l'amour de Dieu. Ainsi fit le docteur, mais, par avant, il s'enquit
près de la Pucelle, en sa confession, de sa vie et de ses
mœurs, et dit aussi à la Pucelle qu'il avait entendu
qu'elle avait voué sa pureté au sacrement de mariage.
Alors lui répondit la Pucelle qu'elle avait jusque-là
gardé sa virginité, et qu'aussi ne lui viendrait jamais
en l'esprit de la souiller ; ainsi voulait-elle également
qu'il en fut désormais, avec l'aide de Dieu, jusqu'à
sa fin. Et outre ce, lui dit comment bataille devait survenir contre
les Infidèles où son parti devait obtenir victoire,
et qu'en la bataille elle vouerait à Dieu sa virginité,
et lui remettrait en outre son âme, car elle devait mourir.
Et adonc doit être de par lui une autre Pucelle, laquelle
doit être de Rome. Laquelle doit après elle régner
en son lieu. Aussi dit le docteur que la Pucelle, de jour, avait
plus de labeur à ordonner et à chevaucher de l'un
à l'autre que trois des plus forts chevaliers qu'on pût
trouver ; et de nuit mène-t-elle une si dure vie de grande
rudesse, plus durement qu'un Chartreux en son cloître, car
elle s'agenouille, à genoux nus, les yeux en larmes, et supplie
le Dieu Tout-Puissant qu'il veuille porter secours à la ,justice
et veuille écraser l'iniquité, qui si longtemps a
pris lit dessus. Ce fit le docteur connaître au bon moine,
et bien plus encore.
307 - Item, en après, un autre jour, était
la Pucelle assise, auprès du roi, et mangeait ; et lui survint
de très fort rire à la dérobée. Et s'en
avisa le roi et lui dit : « Bien-aimée, pourquoi riez-vous
de si grand coeur ?" Elle dit : "Sire, après le
repas, je vous le dirai." [Et] quand on versa l'eau, lors dit-elle
: "Sire, en ce jour, sont cinq cents Anglais noyés
en la mer, qui voulaient passer par-delà en votre terre pour
vous porter dommage : pour quoi j'ai ri ; et au tiers jour vous
viendront nouvelles certaines que c'est vérité."
Ainsi advint-il aussi.
308
- Item, le plus proche lundi d'avant le jour de la Sainte Croix
(1), adonc chevaucha la Pucelle vers
Paris avec bien trois mille hommes d'armes, et commença à
donner l'assaut avec sa gent. Et l'assaut dura presque tout le jour.
Adonc fut tant de trait tiré de Paris, que six chariots,
comme on pense, eussent à peine pu voiturer les flèches.
Et à la gent de la Pucelle n'advint rien, car cinq
seulement lui demeurèrent morts. Et elle fut blessée.
Item, en cet assaut, survinrent grands signes de Dieu,
car on vit les pierres à canon et autres plommées,
qui élaient tirées de la ville, qui se réduisaient
en poussière sur les hommes qu'elles atteignaient, comme
si c'eût été terre. En outre virent maintes
gens, alors que la Pucelle se tenait dans le fossé, à
l'assaut, avec son étendard, qu'un blanc coulomb vint se
poser sur son étendard. Le coulomb avait une couronne d'or
en son bec et la tenait ainsi.(2)
309
- Item, une fois, guère en après, était la
Pucelle en une ville, à bien seize milles du roi. Et comme
elle allait dormir et gisait à sa prière, adonc lui
fut révélé qu'elle prit garde au roi, car ou
le voulait empoisonner au diner. Alors appela la Pucelle ses frères,
auxquels elle dit qu'ils se hâtassent de suite et dissent
au roi qu'il ne mangeat rien au repas ni autrement, avant qu'elle
ne vint à lui. Ainsi firent-ils. Alors vint la Pucelle au
roi, elle douzième, et dit : "Sire, faites emporter
les mets." Ainsi fit-il. Et elle prit les mets et les donna
aux chiens à manger, et ils moururent sur l'heure devant
le roi. Adonc dit-elle : "Sire, le chevalier, qui là
près vous se tient, requérez-le, et autrement deux
compagnons, ceux-là voulaient vous empoisonner."
Adonc se saisit le roi du chevalier, lequel avoua sur l'heure que
c'était vérité. Alors en fit le roi faire justice
selon ses mérites.
(1)
Source
: "Les sources allemandes de l'histoire
de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis
- 1903. Traduction de l'Allemand par Germain
Lefèvre-Pontalis.
Illustrations :
- le chateau de Reims (Bibli.nle)
- Miniature du XV° siècle : Jeanne chassant les ribaudes
de l'ost.
Notes :
1 Récit de
la bataille de Patay.
2 Récit de la marche sur Reims et du sacre.
§ 303 :
1 Ce
paragraphe préliminaire de la seconde reprise du récit
d'Eberhard Windecke figurait déjà, comme il a été
dit, dans les publications antérieures, où il jouait
le rôle de conclusion.
Il convient seulement, comme on voit, des généralités
qui, dans l'état antérieur du texte, pouvaient passer
pour récapitulatives, mais qui dans sa présentation
actuelle, peuvent être plutôt considérées
comme un préambule.
§303bis :
1 Cet
écho ne se retrouve jusqu'ici dans aucune autre source
connue. Jeanne d'Arc et Charles VII entrent à Reims, venant
de Châlons, le 16 juillet 1429.
Le sacre a lieu le 17 La Pucelle et le roi quittent Reims, se
dirigeant vers Soissons, le 21.
2 L'allusion à la date de la Saint-Martin (11 novembre),
qui se trouve contenue dans ce récit, reporte sa redaction,
au plus tot, à, la fin de l'an 1429.
C'est une bonne fortune exceptionnelle que d'en retrouver ainsi
le texte, conserve dans le seul manuscrit de Strasbourg.
Il représente sans conteste la plus gracieuse, la plus
poétique de ces nouvelles, forme légendaire, ainsi
improvisées, sur les pas de Jeanne d'Arc, par l'inépuisable
faculté d'imagination de 1a foule.
En quelques mots, il évoque, en pleine France, a la vue
des clochers de la Ville Sainte des Gaules, tout un paysage et
toute une scène presque évangéliques.
§ 304 :
1 Ce
paragraphe représente, comme on voit, deux échos
de même ordre, ainsi réunis sous le même groupement.
Le premier écho ne se rencontre et n'est reconnaissable
en aucun autre texte. Jusqu'ici, il semble absolument propre au
récit de Windecke. Il appartient visiblement au cycle d'actes
divinatoires prêtés par la voix publique a la Pucelle.
2 Le second echo présente un nouveau spécimen, facilement
reconnaissable, du récit plus ou moins déformé
d'une aventure bien connue. Il s'agit, en l'espèce, de
la scène où Jeanne d'Arc rompit son épée
sur les épaules d'une fille de joie qui suivait indûment
l'armée royale.
Le fait est rapporté, parmi les chroniqueurs contemporains,
par Jean Chartier, et, au procès de réhabilitation,
par la déposition du duc d'Alençon.
Jean Chartier inscrit cet épisode, avec une certaine précision,
au-premier jour de la campagne du Sacre, au jour où Charles
VII s'ébranle de Gien même, avec le gros de l'armée,
et où la Pucelle quitte, avec l'avant-garde, le camp où
elle s'est installée, depuis peu, à quatre lieues
en avant de la ville, la route prise par toutes les forces françaises
réunies étant la direction de Gien à Auxerre.
La date de cette mise en marche générale vers le
sacre de Reims est le 29 juin.
La déposition du duc d'Alençon, l'enthousiaste et
fidèle compagnon de la Pucelle, toujours à ses côtés
pendant cette campagne, fixerait ce fait, dont il assure avoir
été témoin oculaire, en un tout autre lieu,
bien distant, et à une tout autre date, bien postérieure
: c'est-à-dire à Saint-Denis, pendant la préparation
de l'attaque de Paris. Ce séjour à Saint-Denis,
dans la place même ou auprès, se place entre le 26
août, jour de l'entrée de Jeanne d'Arc et du duc
dans laville, et le 13 septembre, jour de la retraite ordonnée
par le roi.
Jean Chartier est seul à dire que l'épée
ainsi rompue était celle-là même qui avait
été trouvée à Sainte-Catherine-de-Fierbois,
en de si merveilleuses circonstances ; il ajoute que malgré
tous les efforts ordonnés par le roi, les tronçons
de l'épée ne purent être ressoudés,
ce qui, depuis, fut interprété comme un mauvais
présage.
Le texte de Windecke ne permet, comme on voit, de rien préciser
sur ce point. Ajoutons qu'il est seul à mentionner la mort
d'une des "folles filles" ainsi frappées. Les
deux textes français ne parlent que de la rupture de l'épée,
incident que le texte allemand ne signale pas d'ailleurs.
§ 305 :
1 Dîner
doit s'entendre dans le sens de ces textes c'est à dire
du repas pris en fin de matinée, tandis que souper représente
le repas du soir.
2 Trois heures de l'après-midi.
3 Cet écho, dans le cadre où il se présente
ici, ne se retrouve dans aucun autre texte connu.
Faudrait-il, dans ce bruit courant, deviner quelque version, amplifiée
et déformée, d'un incident ignoré survenu
en quelque ville traversée par le roi el la Pucelle, pendant
la campagne du Sacre ou la campagne de Paris, dans la marche de
Gien sur Reims ou de Reims sur Paris, seules opérations
où Jeanne d'Arc et Charles VII se soient trouvés,
ensemble, à portée de l'ennemi ?
C'est à cette époque, en ettet, que semblent se
rapporter presque tous les échos enregistrés dans
cette partie du récit de Windecke.
Le texte allemand mentionne un combat livré aux Anglais.
entre Gien et Reims, et pendant la première partie de la
campagne de Paris, entre Reims et le pont de Seine de Bray, l'armée
royale ne parail pas avoir rencontré d'Anglais, mais seulement
les Bourguignons. Encore l'histoire acquise ne signale-t-elle
pas de combat en forme. Néanmoins les bruits en cours,
dont on retrouve trace d'expansion dans l'ltalie du Nord, propageaient
de terrifiantes nouvelles de chocs meurtriers, signalés
vers cette date. (combats d'allure légendaire signalés
à Troyes et Auxerre en date de mi-juillet - chron. d'Antonio
Morosini)
Ou bien devrait-on reconnaître, dans ce récit, une
répercussion, singulièrement altérée,
il est vrai, d'un épisode de la libération d'Orléans,
classé et acquis à l'histoire ?
On sait que, le matin de l'assaut des ouvrages (les Tourelles,
le samedi 7 mai, au moment où la Pucelle, rentrée
la veille au soir à Orléans, après la prise
et l'occupation de Saint-Jean-Le-Blanc et des Augustins, se préparait
à sortir de la ville et à passer La Loire pour achever
la tache si bien commencée, les portes de la place d'Orléans
se trouvèrent fermées, par ordre des chefs des forces
françaises. Ceux-ci, devant les succès positifs
obtenus le jour précédent, préférant
s'en tenir à ce résultat acquis, désapprouvaient
la poursuite des opérations et cherchaient à empécher
l'attaque des boulevards et de la bastille encore aux mains de
l'ennemi, à la tête du pont, sur la rive de Sologne.Jeanne
d'Arc dut faire ouvrir de force la grande porte de Bourgogne et
une petile porte dormant sur la grève de Loire, en amont
de l'amorce du pont sur la rive d'Orléans, pour pouvoir
donner issue à ses gens, effectuer le passage de la rivière
et assurer la magnitique victoire qui allait couronner lajournée.
Le texte allemand parle de la part du roi dans l'événement.CharlesVII
il est vrai, alors bien loin d'Orléans, ne joua aucun rôle
dans cette scène. Le principal acteur parait en avoir été
le sire de Gaucourt, homme de guerre éprouvé, de
vaillance et loyauté indiscutables, mais l'un des pires
représentants, dans l'entourage militaire du roi, des déliances
déjà organisées contre Jeanne d'Arc. Gouverneur
d'Orléans au début du siège, obligé
de quitter la ville par suite d'une chute de cheval, y ayant reparu
depuis, repassé ensuite à Chinon près du
roi, rentré dans Orléans avec l'armée de
secours, il était chargé, le matin du 7 mai, d'assurer
la clôture des portes et l'interdiclion de tout essai de
passage. Violemment apostropbé par Jeanne d'Arc, outrée
de celle puérile perfidie, il parait avoir couru danger
de mort dans le tumulte provoqué par la sortie furieuse
des troupes enthousiasmées (déposition de Simon
Charles). Dans la suite de la journée, il figure parmi
les combattants de l'assaut des ouvrages des Tourelles (Chron.
de Berri).
Quoi qu'il en soit, cet écho n'en marque pas moins, de
façon instructive, la tendance immédiate de l'opinion
populaire à apprécier le rôle du roi et de
l'entourage royal à l'égard de la Pucelle.
§ 306 :
1 Cet
écho ne se retrouve en aucun autre texte, et appartient
uniquement, dans toute sa singularité, au chroniqueur allemand.
Le confesseur officiel de Jeanne d'Arc, pendant toute sa carrière
militante, fut, comme on sait, l'Augustin Jean Pasquerel.
Lecteur au couvent de son ordre à Tours, il fut amené
à la Pucelle, lors du séjour de celle-ci à
Tours, dans la dernière semaine d'avril, d'une manière
assez singulière.
Quelques-uns des six compagnons de route qui avaient formé
l'escorte de Jeanne d'Arc, de Vaucouleurs à Chinon, étaient
repartis de Chinon pour le lointain pèlerinage du Puy-en-Velay.
lls allaient assister à la grande manifestation pieuse
organisée dans ce célèbre sanctuaire, en
cette année 1429, à la date du 25 mars, par la rare
coïncidence du jour de l'Annonciation avec le Vendredi-Saint.
On sait qu'à cette même solennité figurait
la mère de Jeanne, lsabelle Romée, ainsi venue de
Domrémy jusqu'en ce lieu de dévotion célèbre,
où un même et touchant sentiment la joignait aux
fidèles de la première heure, dont l'obscur dévouement
venait d'assurer l'oeuvre merveilleuse de sa fille.
A ce pèlerinage, venu, quant a lui, de Touraine, participait
aussi Jean Pasquerel. Pris pour sa personne d'une sympathie dont
les circonstances demeurent inconnues, les compagnons de la Pucelle
regagnent avec lui Tours, où se trouvait alors Jeanne d'Arc,
logée au logis de Jean Dupuy, bourgeois de la ville. Sur
leur recommandation, elle l'agrée comme confesseur et chapelain.
*
Jean Pasquerel suivit constamment Jeanne d'Arc, en cette double
qualité, depuis cette rencontre à Tours, à
la fin d'avril 1429. Il fut pris avec elle sous les murs de Compiègne,
le 23 mai 1430. Lors du procès de réhabilitation,
il se trouvait affecté au couvent de son ordre à
Bayeux 1.
Nul texte ne lui suggère le rôle singulier ici prêté
au confesseur de la Pucelle, rôle que ce récit d'Eberhard
Windecke est seul à présenter sous cette forme.
Il faut considérer de plus près le dire final, prêté
par ce récit à la Pucelle envers ce confesseur plus
on moins imaginaire.
Ce dire final comprend, comme on voit, deux assertions : la première,
relative à la prévision de la mort de la Pucelle
dans un combat livré aux Infidèles ; la seconde,
concernant l'apparition d'une autre vierge inspirée destinée
à lui succéder.
La première assertion comporte une curieuse allusion aux
intentions qu'aurait pu avoir la Pucelle d'engager une croisade
universelle contre les Infidèles. Une mention en a déjà
été rencontrée dans le texte de la Lettre
de Jeanne d'Arc aux Anglais. On ne peut que renvoyer aux explications
fournies en cette circonstance. Quant à la prédiction,
par Jeanne d'Arc elle-même, de sa propre mort, en ces circonstances
extraordinaires, ce passage de Windecke est le seul à en
faire ainsi mention.
La seconde assertion touche à des faits plus compliqués.
On y distingue la prédiction qu'une autre envoyée
céleste doit lui succéder, et que cette seconde
Pucelle doit venir de Rome.
On découvre là, me semble-t-il, une des explications
les plus imprévues d'un des incidents qui marquèrent,
quelques années plus tard, l'imposture de la fausse Pucelle,
la trop célèbre Claude des Armoises.
Faut-il résumer la carrière acquise de cette aventurière
- son apparition, en mai 1436, aux environs de Metz, sa reconnaissance
par les propres frères de Jeanne, ses pérégrinations
en Lorraine, en Luxembourg, dans l'Allemagne rhénane, son
mariage avec le représentant d'une famille lorraine de
noblesse authentique, Robert des Armoises, sa présence,
en 1439, à Orléans, à Tours, dans le Maine,
sa comparution à Paris, par ordre de l'Université
et du Parlement, dans l'été de 1440, enfin sa disparition
totale de l'histoire, après ces incroyables années
d'effarante simulation ?
Or, lors de son exhibition publique, à Paris, "sur
la Pierre de Marbre", en la grande cour du palais, Claude
des Armoises assurait arriver de Rome. Elle s'y serait rendue,
assurait-elle, pour obtenir le pardon de quelque cas réservé,
et y serait demeurée, sous un déguisement militaire
masculin, dans les troupes pontificales, "en la guerre"
du pape Eugene IV, sans doute pendant les troubles provoqués
par la révolution romaine de 1434 ?
Des lors, un rapprochement ne semblerait-il pas autorisé
entre les deux faits suivants ? D'une part, le fait acquis de
la circulation en pays rhénan, à Mayence où
elle est ainsi recueillie, de la soi-disant prédiction
de la Pucelle, portant qu'après sa mort prochaine, une
autre doit lui succéder, et venir de Rome. D'autre part,
l'affirmation de Claude des Armoises, originaire, elle aussi,
des frontières rhénanes et lorraines, et chercheuse
d'aventures en pays rhénans, assurant qu'elle-même
arrivait de Rome. Ne peut-on admettre que, pourvue de sa connaissance
de cette prédiction bizarre, et, surtout, sachant à
quel point elle avait couru ces régions, l'aventurière
ait cherché à l'exploiter à son profit, en
se présentant comme munie du signe de créance prophétisé
par Jeanne en personne ?
Le fait, en tout cas, ne parait pas négligeable, et doit
comporter réflexion.
Quant à l'appréciation personnelle du confesseur
de la Pucelle, qui termine ce long écho, elle ne parait
se rencontrer , sous cette forme, que dans ce récit d'Eberhard
Windecke. La rédaction en est aussi touchante que conforme
à la réalité générale des témoignages
acquis.
* Sur ce fait, (déposition de Fr. Jean Pasquerel, Procès,
t.III, p. 400-104). Le rôle prêté à
Isabelle Romée dans cet éloquent récit (chap.
cciv-ccvl, au sujet de la présentation de Fr. Jean Pasquerel
à Jeanne d'Arc, parait une interprétation exagérée
du texte de cette déposition : celle-ci ne fait allusion
qu'à la simple présence d'Isabelle Romée
au Puy, et ne met en scène, comme décidant le religieux
à rentrer ensemble en Touraine, que les seuls compagnons
de la Pucelle.
- Sur les dates du séjour de la Pucelle à Tours,
où, venant de Chinon, elle semble arriver le 21 avril,
et d'où elle gagne Blois, qu'elle quitte après une
halte de quelques jours, le 28 avril, voir : Chron. de Tournai,
éd. de Smet, p. 409.
§ 307 :
1 Cet écho
ne se rencontre que dans le récit d'Eberhard Windecke.
On ne voit pas à quel fait il pourrait se rapporter. En
outre, il ne s'accorde pas avec la tendance générale
prêtée à la Pucelle et à
son caractère.
Peut-être cependant, par une déformation fantaisiste,
pourrait-il se référer à quelque incident
du passage en France de l'armée anglaise de renfort, qui,
ainsi qu'il est établi entra en jeu au mois de juillet
1429. Les forces anglaises comprenaient, pour une bonne part,
les troupes levées et payées par le Saint-Siège,
sous le commandement du cardinal Henry de Beaufort, évêque
de Winchester, grand-oncle du jeune roi Henry Vl, pour coopérer
à la cinquième croisade expédiée contre
les Hussites de Bohême. Troupes que le gouvernement anglais,
par virement administratif, trouva bon d'affecter sans vergogne
aux opérations contre la France. Les forces de la croisade,
toujours sous le commandement du cardinal anglais, ainsi détournées
de leur affectation première, portaient, en vue de leur
destination nouvelle, un étendard spécial, à
signification ironique dirigée contre la Pucelle, dont
l'auteur du Livre des Trahisons de France, qui paraît
l'avoir vu de près, a laissé une curieuse description.
L'armée de renfort dont elles faisaient partie, forte en
tout de 3.550 hommes, passa, sans incident connu, de Douvres à
Calais, entre le 3 et le 10 juillet 1429. Dès cette époque
même, se préparait en Angleterre une seconde armée
de renfort, dont le passage était annoncé comme
devant se faire presque simultanément avec la première.
Néanmoins, de délai en délai, elle ne devait
en fait traverser la Manche qu'au printemps de 1430 *,
avec le jeune roi Henry VI, qui passe de Calais à Douvres,
le 23 avril, en route pour son couronnement à Notre-Dame
de Paris.
§ 308 :
1 Lundi
12 septembre 1429.
2 Cet écho est tout entier relatif à l'attaque de
Paris, tentée, le jeudi 8 septembre 1429, par Jeanne d'Arc,
le duc d'Alençon et l'armée royale française,
ayant pour base Saint-Denis récemment conquis, attaque
infructueuse dont l'échec était destinée
amener la lamentable retraite des forces françaises sur
la Loire.
Il faut noter ici que la date présentée par le texte
allemand-la seule indication chronologique offerte par toute cette
reprise du récit est erronée. La mention ici précisée
porte : le lundi avant la Sainte-Croix. La fête de
l'Invention de la Sainte-Croix se célèbre le 14
septembre. Or, en 1429, le 14 septembre tombait un mercredi. C'est
donc le lundi 12 septembre qu'à voulu signifier le rédacteur.
Désignation inexacte, soit comme jour du mois, soit comme
jour de la semaine, l'évènement étant classé
et acquis à la date du jeudi 8 septembre, jour de la Nativité
de la Vierge.
Il est vraiment curieux de voir cette date erronée d'un
fait si notoire coïncider avec celle que fournit Monstrelet,
lequel mentionne textuellement le lundi XII° jour de septembre"
comme date de l'assaut de Paris. Cette coïncidence nest du
reste pas la seule entre les deux textes.
Ce lundi 12 septembre, en réalité, l'armée
royale était à la veille d'évacuer Saint-Denis
pour regagner la Loire.
La force de l'armée assaillante, ici portée à
3.000 hommes seulement, parait appréciée (un chiffre
sensiblement inférieur à celui de son effectif réel.
Sans discuter l'évaluation de la grande armée royale,
il semble que, sous Paris, Jeanne d'Arc et le duc d'Alençon
eussent en main 12.000 hommes au moins).
La durée de l'assaut, indiqué comme s'étant
prolongé tout le jour, n'est nullement exagérée.
L'attaque commence avant midi : Jeanne d'Arc est blessée
vers le coucher clu soleil : elle ne se retire, que bien après
la nuit close.
La puissance des engins de jet et de l'artillerie de Paris, à
laquelle il est ici fait allusion, se trouve certifiée
par d'autres textes contemporains, entre autres, la Chronique
de Perceval de Cagny, le Journal
d'un Bourgeois de Paris et la Relation
du greffier de la Rochelle. Le fait, ici allégué,
de l'infime proportion des pertes qu'aurait subies l'armée
de la Pucelle, se trouve répété, d'une façon
plus singulière encore, dans la Relation du greffier de
la Rochelle ; celui-ci spécifie même qu'il n y eut,
à la connaissance générale, qu'un seul tué,
qu'il désigne nominativement : à savoir un de ses
compatriotes, Jean de Villeneuve, bourgois de la Rochelle. De
même, après Patay, la légende n'attribuait
aux troupes de la Pucelle qu'un seul mort, également désigné
formellement. Devant Orleans, à l'attaque de la bastille
de Saint-Loup, le 4 mai, à l'attaque des ouvrages des Tourelles,
le 7 mai, puis encore à Patay, le 18 juin, selon d'autres
bruits en cours, la voix populaire tendait à n'attribuer
aux combattants qu'une proportion infinitésimale de risques.
Les 6 ou 700 morts dont parle la Chronique
des Cordeliers, clans son récit très confus
de ces évènements, se rapporteraient, avec la plus
complète invraisemblance d'ailleurs, au combat livré
la veille, le mercredi 7, et que le rédacteur place vers
l'église Saint-Laurent. Le Journal d'un Bourgeois de Paris,
dans un récit sujet à caution, présente l'armée
royale, battant en retraite vers Saint-Denis, par Saint-Lazare,
comme brûlant nombre de morts, emportés en travers
sur les chevaux, et entassés en immense charnier dans une
grange de la banlieue d'alors, près des Porcherons. S'agirait-il
là simplement de l'incendie peut-être survenu en
cette place de quelques-uns des 300 chariots chargés
d'engins de siège, amenés de SaintDenis par l'armée
royale, et dont un certain nombre, rompus et effondrés,
furent abandonnés et brûlés dans la retraite
dans la nuit du 8 au 9 septembre ?
La mention de la blessure de la Pucelle n'offre ici rien de particulier.
Jeanne d'Arc eut, comme on sait, la cuisse traversée de
part en part d'un carreau d'arbalète à haussepied,
lance par quelque milicien de Paris.
Le second alinéa de ce paragraphe contient deux échos
distincts, tous deux d'ordre merveilleux, l'un relatif à
l'innocuité des projectiles lances sur les assaillants,
l'autre concernant un émouvant présage survenu pendant
l'assaut.
Le bruit relatif à la chute inoffensive, des boulets parisiens
se trouve encore, nouveau et singulier rapprochement enregistré
par la Relation du Greffier de La Rochelle.
L'autre bruit ne se trouve mentionné dans aucun autre texte
connu .
Déjà, dans un passage de la première reprise
de son récit, Eberhard Windecke avail mentionné
un épisode de même ordre. Pendant l'assaut du boulevard
des Tourelles, le samedi 7 mai, les combattants avaient vu, non
sans émotion, deux "blancs oiseaux" se poser
sur les épaules de la Pucelle. Tableau qui se retrouve,
trait pour trait, dans le texte de la Chronique de Tournai.
Ici, dans cette narration de l'attaque de Paris, la description
de la scène se trouve plus précisée. La colombe
vient se poser sur l'étendard même, tenant un attribut,
une couronne d'or. Or cette scène mystique se rapprocbe
visiblement de la représentation de l'emblème figuré
sur l'étendard même de la Pucelle.
La description de cet étendard, de face, est bien connue,
figure de Christ accostée d'emblèmes accessoires.
Mais, au revers, figure précisément une colombe
blanche portant en son bec, comme attribut, une banderole contenant
ces mots : "De par le Roi du ciel." Description que,
il faut le noter en rapprochant le fait des autres coïncidences
déjà constatées, la Relation du greffier
de La Rochelle est seule à présenter.
Il semble bien vraisemblable qu'on saisisse ici, sur le vif, le
procédé presque inconscient par lequel, sous l'effet
des circonstances ambiantes, une simple représentation
figurée se transforme en scène palpable. On surprend
ici la fixation immédiate d'une légende, avec son
point de départ d'expansion future dans l'histoire mystique
de la Pucelle.
Le fait, à cet égard, dépasse en portée
l'anecdote qui se trouve ici rapportée et pourrait servir
à éclairer d'un jour intéressant la formation
du cycle populaire de la Geste de Jeanne d'Arc.
Il est à remarquer que cet écho ne fait aucune allusion
à l'échec final de l'entreprise de Paris, ni à
la retraite de la Pucelle du roi et de l'armée vers la
Loire, retraite qui allait commencer le 13 septembre.
§ 309 :
1 Cet
écho ne se retrouve dans aucune forme reconnaissable dans
aucun texte connu jusqu'ici.
Il se présente de toute évidence comme un de ceux
qui durent le plus vivement impressionner l'imagination populaire,
auprès de laquelle son allure romanesque et dramatique
était bien faite pour lui assurer un crédit particulier.
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