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22 novembre 2024  

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Chronique d'Eberhard Windecke - index
Chap.CCLXI - Ci chevaucha la Pucelle en France et vinrent les Anglais à grande force, et quand les Anglais virent la Pucell, adonc s'en fuirent-ils et jetèrent en arrière leurs arcs.

  301 - Un jour vinrent les Anglais à grande puissance. Quand la Pucelle le vit et comprit, elle dit aux capitaines de monter sur leurs meilleurs coursiers et dit à ses gens qu'ils allaient chasser à courre. Et ils demandèrent ce qu'ils devaient chasser. Et la Pucelle dit qu'ils allaient chasser les Anglais. Et alors montèrent-ils tous en selle et chevauchèrent avec la Pucelle. Et sitôt que les Anglais les eurent en vue, si s'enfuirent-ils, et les archers jetèrent arrière leurs arcs et flèches loin d'eux, et furent la plupart tués. (1)

  302 - Après, elle se mit en chemin pour mener le roi à Reims. Et les villes qui lors n'avaient rien de quoi résister à la Pucelle et a ses gens, lui ont toutes fait obéissance, et en partie ont apporté au roi leurs clefs bien deux milles au devant, comme Troyes, Châlons et encore autres villes. Et ainsi est le roi venu à Reims et y a été sacré. (2)
  La Pucelle pensait aussi faire entrer le roi à Paris et ne redoutait aucune puissance ni du duc de Bourgogne ni du régent, car elle avait dit que Notre Seigneur Dieu avait plus de puissance qu'eux, et qu'il devait encore l'aider, et que plus le duc de Bourgogne et le régent amèneraient de gens contre elle, plus il y en aurait de tués et plus aussi de butin conquis. Elle ordonne aussi à tous, autant qu'elle peut le garantir, que l'on ne prenne rien à personne et qu'on ne fasse aucun dommage aux pauvres gens ni violence. Et sont vivres suffisants en sa compagnie, et aussi longtemps qu'elle a chevauché de la sorte, les vivres, par le pays, ne sont pas pas devenus plus chers.

  

  303 - Au temps où l'on comptait, de la naissance de Notre-Seigneur, 1400 et 29 ans, lors survinrent nouvelles certaines devers France, disant comment une Pucelle était venue de Lorraine au dauphin, en France, et avail eu entretiens avec lui, en raison des Anglais qui se tenaient à grande puissance audit royaume. Et ladite Pucelle les chassa avec l'aide du Dieu Tout-Puissant et de la Vierge Marie, ainsi qu'il est écrit ci-dessus, disant comment, elle entend l'avenir, et comment ce qu'elle fit, ce fut avec l'aide de Dieu (1).

  303bis - Item, quand le roi fut sacré à Reims (1), lors se trouva très forte gent autour de Reims, dehors parmi les vignes, et gâtèrent toutes les vignes avec leurs chevaux et autrement. Et quand le roi partit de Reims et tira outre, peu après se relevèrent derechef toutes les vignes, et fleurirent toutes d'une autre pousse, et portèrent plus de raisins qu'avant, et dut-on les laisser jusqu'au jour (2) de la Saint-Martin.

  304 - Item un autre ,jour, chevauchaient-ils en quête des Anglais, leurs ennemis. Adonc en l'armée était un homme, qui avait sa mie près de lui, laquelle chevauchait en armes, pour qu'on ne la reconnût point. Et quand ils furent tous sur les champs, adonc dit la Pucelle aux autres seigneurs et capitaines : "Il y a une femme parmi nos gens." Adonc dirent-ils tous qu'ils n'en connaissaient point parmi eux. Alors fit-elle assembler l'ost, et quand ce fut fait, adonc chevaucha la Pucelle, et chercha, et lors trouva sur l'heure la femme, et la montra d'un doigt aux seigneurs, et dit : "La voici", et dit à la femme : "Tu es de Gien et es grosse d'enfant ; et, n'était cela, je te ferais mettre à mort ; et tu as déjà laissé périr un enfant, et n'en feras pas de même de celui-ci." Et alors la prirent les valets et la ramenèrent chez elle et la tinrent en garde jusqu'e à sa délivrance d'enfant. Et la femme dit ouvertement que la Pucelle avait dit vrai (1).
  Item, en après, trouva-t-elle à nouveau deux ribaudes, auxquelles elle avait déjà défendu de se trouver en l'ost, ou bien elle les ferait mettre à mort, car elles n'appartenaient pas à l'ost. Adonc trouva-t-elle une fois les deux ribaudes, alors qu'elles se départaient à cheval, car elle venait auparavant de dire [qu'elle savait], qu'il y avait des femmes en l'ost. Et quand elle trouva les femmes, lors dit-elle : "Vous folles filles, je vous ai par avant interdit ma compagnie." Et alors tira-t-elle son épée dehors et férut l'une des filles par la tête, si bien qu'elle mourut (2).

         

  305 - Item, en après, un jour, était le roi à table, à diner (1), et la Pucelle se mit aux champs et voulut tirer encontre les Anglais, car elle était avisée qu'ils étaient sur les champs. Et alors par la ville se mit chacun à cheval et tira aux champs vers la Pucelle. Quand le roi s'avisa du fait que chacun suivait la Pucelle, lors fit-il clore les portes. Ce, fut dit à la Pucelle sur les champs. Adonc dit la Pucelle : "Avant qu'il soit heure de none (2), si sera au roi tel besoin de venir à moi, qu'il me suivra de tire, son manteau à peine jeté sur lui et sans éperons." Ainsi advint-il. Aussi étaient les gens d'armes en la villa, qui mandèrent au roi qu'il fit de suite ouvrir les portes, ou bien qu'ils les jetteraient bas. Alors furent les portes ouvertes sur l'heure, et chacun courut après la Pucelle, et ne voulut nul prendre garde au roi. Du fait s'avisa le roi, et jeta de suite un manteau sur lui et suivit de tire la Pucelle. Et alors, ce jour même, rua-t-elle grand nombre d'Anglais jus (3).

  306 - Item, [était] un saint homme de religion [qui] eût volontiers pris information secrète de la vie et des mœurs de la Pucelle ; ce pour quoi il lui dépêcha secrètement son confesseur [à elle], qui adonc est un grand docteur. Lequel il pria de lui remettre par écrit tout à plain la vérité pour l'amour de Dieu. Ainsi fit le docteur, mais, par avant, il s'enquit près de la Pucelle, en sa confession, de sa vie et de ses mœurs, et dit aussi à la Pucelle qu'il avait entendu qu'elle avait voué sa pureté au sacrement de mariage. Alors lui répondit la Pucelle qu'elle avait jusque-là gardé sa virginité, et qu'aussi ne lui viendrait jamais en l'esprit de la souiller ; ainsi voulait-elle également qu'il en fut désormais, avec l'aide de Dieu, jusqu'à sa fin. Et outre ce, lui dit comment bataille devait survenir contre les Infidèles où son parti devait obtenir victoire, et qu'en la bataille elle vouerait à Dieu sa virginité, et lui remettrait en outre son âme, car elle devait mourir. Et adonc doit être de par lui une autre Pucelle, laquelle doit être de Rome. Laquelle doit après elle régner en son lieu. Aussi dit le docteur que la Pucelle, de jour, avait plus de labeur à ordonner et à chevaucher de l'un à l'autre que trois des plus forts chevaliers qu'on pût trouver ; et de nuit mène-t-elle une si dure vie de grande rudesse, plus durement qu'un Chartreux en son cloître, car elle s'agenouille, à genoux nus, les yeux en larmes, et supplie le Dieu Tout-Puissant qu'il veuille porter secours à la ,justice et veuille écraser l'iniquité, qui si longtemps a pris lit dessus. Ce fit le docteur connaître au bon moine, et bien plus encore.


307 - Item, en après, un autre jour, était la Pucelle assise, auprès du roi, et mangeait ; et lui survint de très fort rire à la dérobée. Et s'en avisa le roi et lui dit : « Bien-aimée, pourquoi riez-vous de si grand coeur ?" Elle dit : "Sire, après le repas, je vous le dirai." [Et] quand on versa l'eau, lors dit-elle : "Sire, en ce jour, sont cinq cents Anglais noyés en la mer, qui voulaient passer par-delà en votre terre pour vous porter dommage : pour quoi j'ai ri ; et au tiers jour vous viendront nouvelles certaines que c'est vérité." Ainsi advint-il aussi.

308 - Item, le plus proche lundi d'avant le jour de la Sainte Croix (1), adonc chevaucha la Pucelle vers Paris avec bien trois mille hommes d'armes, et commença à donner l'assaut avec sa gent. Et l'assaut dura presque tout le jour. Adonc fut tant de trait tiré de Paris, que six chariots, comme on pense, eussent à peine pu voiturer les flèches. Et à la gent de la Pucelle n'advint rien, car cinq  seulement lui demeurèrent morts. Et elle fut blessée.
  Item, en cet assaut, survinrent grands signes de Dieu, car on vit les pierres à canon et autres plommées, qui élaient tirées de la ville, qui se réduisaient en poussière sur les hommes qu'elles atteignaient, comme si c'eût été terre. En outre virent maintes gens, alors que la Pucelle se tenait dans le fossé, à l'assaut, avec son étendard, qu'un blanc coulomb vint se poser sur son étendard. Le coulomb avait une couronne d'or en son bec et la tenait ainsi.(2)

309 - Item, une fois, guère en après, était la Pucelle en une ville, à bien seize milles du roi. Et comme elle allait dormir et gisait à sa prière, adonc lui fut révélé qu'elle prit garde au roi, car ou le voulait empoisonner au diner. Alors appela la Pucelle ses frères, auxquels elle dit qu'ils se hâtassent de suite et dissent au roi qu'il ne mangeat rien au repas ni autrement, avant qu'elle ne vint à lui. Ainsi firent-ils. Alors vint la Pucelle au roi, elle douzième, et dit : "Sire, faites emporter les mets." Ainsi fit-il. Et elle prit les mets et les donna aux chiens à manger, et ils moururent sur l'heure devant le roi. Adonc dit-elle : "Sire, le chevalier, qui là près vous se tient, requérez-le, et autrement deux compagnons, ceux-là voulaient vous empoisonner." Adonc se saisit le roi du chevalier, lequel avoua sur l'heure que c'était vérité. Alors en fit le roi faire justice selon ses mérites. (1)

                  
                               


Source : "Les sources allemandes de l'histoire de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis - 1903. Traduction de l'Allemand par Germain Lefèvre-Pontalis.

Illustrations :
- le chateau de Reims (Bibli.nle)
- Miniature du XV° siècle : Jeanne chassant les ribaudes de l'ost.

Notes :
1
Récit de la bataille de Patay.

2 Récit de la marche sur Reims et du sacre.


§ 303 :
1 Ce paragraphe préliminaire de la seconde reprise du récit d'Eberhard Windecke figurait déjà, comme il a été dit, dans les publications antérieures, où il jouait le rôle de conclusion.
Il convient seulement, comme on voit, des généralités qui, dans l'état antérieur du texte, pouvaient passer pour récapitulatives, mais qui dans sa présentation actuelle, peuvent être plutôt considérées comme un préambule.


§303bis :
1 Cet écho ne se retrouve jusqu'ici dans aucune autre source connue. Jeanne d'Arc et Charles VII entrent à Reims, venant de Châlons, le 16 juillet 1429.
Le sacre a lieu le 17 La Pucelle et le roi quittent Reims, se dirigeant vers Soissons, le 21.

2 L'allusion à la date de la Saint-Martin (11 novembre), qui se trouve contenue dans ce récit, reporte sa redaction, au plus tot, à, la fin de l'an 1429.
C'est une bonne fortune exceptionnelle que d'en retrouver ainsi le texte, conserve dans le seul manuscrit de Strasbourg.
Il représente sans conteste la plus gracieuse, la plus poétique de ces nouvelles, forme légendaire, ainsi improvisées, sur les pas de Jeanne d'Arc, par l'inépuisable faculté d'imagination de 1a foule.
En quelques mots, il évoque, en pleine France, a la vue des clochers de la Ville Sainte des Gaules, tout un paysage et toute une scène presque évangéliques.


§ 304 :
1 Ce paragraphe représente, comme on voit, deux échos de même ordre, ainsi réunis sous le même groupement.
Le premier écho ne se rencontre et n'est reconnaissable en aucun autre texte. Jusqu'ici, il semble absolument propre au récit de Windecke. Il appartient visiblement au cycle d'actes divinatoires prêtés par la voix publique a la Pucelle.

2 Le second echo présente un nouveau spécimen, facilement reconnaissable, du récit plus ou moins déformé d'une aventure bien connue. Il s'agit, en l'espèce, de la scène où Jeanne d'Arc rompit son épée sur les épaules d'une fille de joie qui suivait indûment l'armée royale.
Le fait est rapporté, parmi les chroniqueurs contemporains, par Jean Chartier, et, au procès de réhabilitation, par la déposition du duc d'Alençon.
Jean Chartier inscrit cet épisode, avec une certaine précision, au-premier jour de la campagne du Sacre, au jour où Charles VII s'ébranle de Gien même, avec le gros de l'armée, et où la Pucelle quitte, avec l'avant-garde, le camp où elle s'est installée, depuis peu, à quatre lieues en avant de la ville, la route prise par toutes les forces françaises réunies étant la direction de Gien à Auxerre. La date de cette mise en marche générale vers le sacre de Reims est le 29 juin.
La déposition du duc d'Alençon, l'enthousiaste et fidèle compagnon de la Pucelle, toujours à ses côtés pendant cette campagne, fixerait ce fait, dont il assure avoir été témoin oculaire, en un tout autre lieu, bien distant, et à une tout autre date, bien postérieure : c'est-à-dire à Saint-Denis, pendant la préparation de l'attaque de Paris. Ce séjour à Saint-Denis, dans la place même ou auprès, se place entre le 26 août, jour de l'entrée de Jeanne d'Arc et du duc dans laville, et le 13 septembre, jour de la retraite ordonnée par le roi.
Jean Chartier est seul à dire que l'épée ainsi rompue était celle-là même qui avait été trouvée à Sainte-Catherine-de-Fierbois, en de si merveilleuses circonstances ; il ajoute que malgré tous les efforts ordonnés par le roi, les tronçons de l'épée ne purent être ressoudés, ce qui, depuis, fut interprété comme un mauvais présage.
Le texte de Windecke ne permet, comme on voit, de rien préciser sur ce point. Ajoutons qu'il est seul à mentionner la mort d'une des "folles filles" ainsi frappées. Les deux textes français ne parlent que de la rupture de l'épée, incident que le texte allemand ne signale pas d'ailleurs.



§ 305 :
1 Dîner doit s'entendre dans le sens de ces textes c'est à dire du repas pris en fin de matinée, tandis que souper représente le repas du soir.

2 Trois heures de l'après-midi.

3 Cet écho, dans le cadre où il se présente ici, ne se retrouve dans aucun autre texte connu.
Faudrait-il, dans ce bruit courant, deviner quelque version, amplifiée et déformée, d'un incident ignoré survenu en quelque ville traversée par le roi el la Pucelle, pendant la campagne du Sacre ou la campagne de Paris, dans la marche de Gien sur Reims ou de Reims sur Paris, seules opérations où Jeanne d'Arc et Charles VII se soient trouvés, ensemble, à portée de l'ennemi ?
C'est à cette époque, en ettet, que semblent se rapporter presque tous les échos enregistrés dans cette partie du récit de Windecke.
Le texte allemand mentionne un combat livré aux Anglais. entre Gien et Reims, et pendant la première partie de la campagne de Paris, entre Reims et le pont de Seine de Bray, l'armée royale ne parail pas avoir rencontré d'Anglais, mais seulement les Bourguignons. Encore l'histoire acquise ne signale-t-elle pas de combat en forme. Néanmoins les bruits en cours, dont on retrouve trace d'expansion dans l'ltalie du Nord, propageaient de terrifiantes nouvelles de chocs meurtriers, signalés vers cette date. (combats d'allure légendaire signalés à Troyes et Auxerre en date de mi-juillet - chron. d'Antonio Morosini)
Ou bien devrait-on reconnaître, dans ce récit, une répercussion, singulièrement altérée, il est vrai, d'un épisode de la libération d'Orléans, classé et acquis à l'histoire ?
On sait que, le matin de l'assaut des ouvrages (les Tourelles, le samedi 7 mai, au moment où la Pucelle, rentrée la veille au soir à Orléans, après la prise et l'occupation de Saint-Jean-Le-Blanc et des Augustins, se préparait à sortir de la ville et à passer La Loire pour achever la tache si bien commencée, les portes de la place d'Orléans se trouvèrent fermées, par ordre des chefs des forces françaises. Ceux-ci, devant les succès positifs obtenus le jour précédent, préférant s'en tenir à ce résultat acquis, désapprouvaient la poursuite des opérations et cherchaient à empécher l'attaque des boulevards et de la bastille encore aux mains de l'ennemi, à la tête du pont, sur la rive de Sologne.Jeanne d'Arc dut faire ouvrir de force la grande porte de Bourgogne et une petile porte dormant sur la grève de Loire, en amont de l'amorce du pont sur la rive d'Orléans, pour pouvoir donner issue à ses gens, effectuer le passage de la rivière et assurer la magnitique victoire qui allait couronner lajournée.
Le texte allemand parle de la part du roi dans l'événement.CharlesVII il est vrai, alors bien loin d'Orléans, ne joua aucun rôle dans cette scène. Le principal acteur parait en avoir été le sire de Gaucourt, homme de guerre éprouvé, de vaillance et loyauté indiscutables, mais l'un des pires représentants, dans l'entourage militaire du roi, des déliances déjà organisées contre Jeanne d'Arc. Gouverneur d'Orléans au début du siège, obligé de quitter la ville par suite d'une chute de cheval, y ayant reparu depuis, repassé ensuite à Chinon près du roi, rentré dans Orléans avec l'armée de secours, il était chargé, le matin du 7 mai, d'assurer la clôture des portes et l'interdiclion de tout essai de passage. Violemment apostropbé par Jeanne d'Arc, outrée de celle puérile perfidie, il parait avoir couru danger de mort dans le tumulte provoqué par la sortie furieuse des troupes enthousiasmées (déposition de Simon Charles). Dans la suite de la journée, il figure parmi les combattants de l'assaut des ouvrages des Tourelles (Chron. de Berri).
Quoi qu'il en soit, cet écho n'en marque pas moins, de façon instructive, la tendance immédiate de l'opinion populaire à apprécier le rôle du roi et de l'entourage royal à l'égard de la Pucelle.



§ 306 :
1 Cet écho ne se retrouve en aucun autre texte, et appartient uniquement, dans toute sa singularité, au chroniqueur allemand.
Le confesseur officiel de Jeanne d'Arc, pendant toute sa carrière militante, fut, comme on sait, l'Augustin Jean Pasquerel.
Lecteur au couvent de son ordre à Tours, il fut amené à la Pucelle, lors du séjour de celle-ci à Tours, dans la dernière semaine d'avril, d'une manière assez singulière.
Quelques-uns des six compagnons de route qui avaient formé l'escorte de Jeanne d'Arc, de Vaucouleurs à Chinon, étaient repartis de Chinon pour le lointain pèlerinage du Puy-en-Velay. lls allaient assister à la grande manifestation pieuse organisée dans ce célèbre sanctuaire, en cette année 1429, à la date du 25 mars, par la rare coïncidence du jour de l'Annonciation avec le Vendredi-Saint. On sait qu'à cette même solennité figurait la mère de Jeanne, lsabelle Romée, ainsi venue de Domrémy jusqu'en ce lieu de dévotion célèbre, où un même et touchant sentiment la joignait aux fidèles de la première heure, dont l'obscur dévouement venait d'assurer l'oeuvre merveilleuse de sa fille.
A ce pèlerinage, venu, quant a lui, de Touraine, participait aussi Jean Pasquerel. Pris pour sa personne d'une sympathie dont les circonstances demeurent inconnues, les compagnons de la Pucelle regagnent avec lui Tours, où se trouvait alors Jeanne d'Arc, logée au logis de Jean Dupuy, bourgeois de la ville. Sur leur recommandation, elle l'agrée comme confesseur et chapelain. *
Jean Pasquerel suivit constamment Jeanne d'Arc, en cette double qualité, depuis cette rencontre à Tours, à la fin d'avril 1429. Il fut pris avec elle sous les murs de Compiègne, le 23 mai 1430. Lors du procès de réhabilitation, il se trouvait affecté au couvent de son ordre à Bayeux 1.
Nul texte ne lui suggère le rôle singulier ici prêté au confesseur de la Pucelle, rôle que ce récit d'Eberhard Windecke est seul à présenter sous cette forme.
Il faut considérer de plus près le dire final, prêté par ce récit à la Pucelle envers ce confesseur plus on moins imaginaire.
Ce dire final comprend, comme on voit, deux assertions : la première, relative à la prévision de la mort de la Pucelle dans un combat livré aux Infidèles ; la seconde, concernant l'apparition d'une autre vierge inspirée destinée à lui succéder.
La première assertion comporte une curieuse allusion aux intentions qu'aurait pu avoir la Pucelle d'engager une croisade universelle contre les Infidèles. Une mention en a déjà été rencontrée dans le texte de la Lettre de Jeanne d'Arc aux Anglais. On ne peut que renvoyer aux explications fournies en cette circonstance. Quant à la prédiction, par Jeanne d'Arc elle-même, de sa propre mort, en ces circonstances extraordinaires, ce passage de Windecke est le seul à en faire ainsi mention.
La seconde assertion touche à des faits plus compliqués. On y distingue la prédiction qu'une autre envoyée céleste doit lui succéder, et que cette seconde Pucelle doit venir de Rome.
On découvre là, me semble-t-il, une des explications les plus imprévues d'un des incidents qui marquèrent, quelques années plus tard, l'imposture de la fausse Pucelle, la trop célèbre Claude des Armoises.
Faut-il résumer la carrière acquise de cette aventurière - son apparition, en mai 1436, aux environs de Metz, sa reconnaissance par les propres frères de Jeanne, ses pérégrinations en Lorraine, en Luxembourg, dans l'Allemagne rhénane, son mariage avec le représentant d'une famille lorraine de noblesse authentique, Robert des Armoises, sa présence, en 1439, à Orléans, à Tours, dans le Maine, sa comparution à Paris, par ordre de l'Université et du Parlement, dans l'été de 1440, enfin sa disparition totale de l'histoire, après ces incroyables années d'effarante simulation ?
Or, lors de son exhibition publique, à Paris, "sur la Pierre de Marbre", en la grande cour du palais, Claude des Armoises assurait arriver de Rome. Elle s'y serait rendue, assurait-elle, pour obtenir le pardon de quelque cas réservé, et y serait demeurée, sous un déguisement militaire masculin, dans les troupes pontificales, "en la guerre" du pape Eugene IV, sans doute pendant les troubles provoqués par la révolution romaine de 1434 ?
Des lors, un rapprochement ne semblerait-il pas autorisé entre les deux faits suivants ? D'une part, le fait acquis de la circulation en pays rhénan, à Mayence où elle est ainsi recueillie, de la soi-disant prédiction de la Pucelle, portant qu'après sa mort prochaine, une autre doit lui succéder, et venir de Rome. D'autre part, l'affirmation de Claude des Armoises, originaire, elle aussi, des frontières rhénanes et lorraines, et chercheuse d'aventures en pays rhénans, assurant qu'elle-même arrivait de Rome. Ne peut-on admettre que, pourvue de sa connaissance de cette prédiction bizarre, et, surtout, sachant à quel point elle avait couru ces régions, l'aventurière ait cherché à l'exploiter à son profit, en se présentant comme munie du signe de créance prophétisé par Jeanne en personne ?
Le fait, en tout cas, ne parait pas négligeable, et doit comporter réflexion.
Quant à l'appréciation personnelle du confesseur de la Pucelle, qui termine ce long écho, elle ne parait se rencontrer , sous cette forme, que dans ce récit d'Eberhard Windecke. La rédaction en est aussi touchante que conforme à la réalité générale des témoignages acquis.

* Sur ce fait, (déposition de Fr. Jean Pasquerel, Procès, t.III, p. 400-104). Le rôle prêté à Isabelle Romée dans cet éloquent récit (chap. cciv-ccvl, au sujet de la présentation de Fr. Jean Pasquerel à Jeanne d'Arc, parait une interprétation exagérée du texte de cette déposition : celle-ci ne fait allusion qu'à la simple présence d'Isabelle Romée au Puy, et ne met en scène, comme décidant le religieux à rentrer ensemble en Touraine, que les seuls compagnons de la Pucelle.
- Sur les dates du séjour de la Pucelle à Tours, où, venant de Chinon, elle semble arriver le 21 avril, et d'où elle gagne Blois, qu'elle quitte après une halte de quelques jours, le 28 avril, voir : Chron. de Tournai, éd. de Smet, p. 409.



§ 307 :
1 Cet écho ne se rencontre que dans le récit d'Eberhard Windecke. On ne voit pas à quel fait il pourrait se rapporter. En outre, il ne s'accorde pas avec la tendance générale prêtée à la Pucelle et à son caractère.
Peut-être cependant, par une déformation fantaisiste, pourrait-il se référer à quelque incident du passage en France de l'armée anglaise de renfort, qui, ainsi qu'il est établi entra en jeu au mois de juillet 1429. Les forces anglaises comprenaient, pour une bonne part, les troupes levées et payées par le Saint-Siège, sous le commandement du cardinal Henry de Beaufort, évêque de Winchester, grand-oncle du jeune roi Henry Vl, pour coopérer à la cinquième croisade expédiée contre les Hussites de Bohême. Troupes que le gouvernement anglais, par virement administratif, trouva bon d'affecter sans vergogne aux opérations contre la France. Les forces de la croisade, toujours sous le commandement du cardinal anglais, ainsi détournées de leur affectation première, portaient, en vue de leur destination nouvelle, un étendard spécial, à signification ironique dirigée contre la Pucelle, dont l'auteur du Livre des Trahisons de France, qui paraît l'avoir vu de près, a laissé une curieuse description. L'armée de renfort dont elles faisaient partie, forte en tout de 3.550 hommes, passa, sans incident connu, de Douvres à Calais, entre le 3 et le 10 juillet 1429. Dès cette époque même, se préparait en Angleterre une seconde armée de renfort, dont le passage était annoncé comme devant se faire presque simultanément avec la première. Néanmoins, de délai en délai, elle ne devait en fait traverser la Manche qu'au printemps de 1430 *, avec le jeune roi Henry VI, qui passe de Calais à Douvres, le 23 avril, en route pour son couronnement à Notre-Dame de Paris.


§ 308 :
1 Lundi 12 septembre 1429.

2 Cet écho est tout entier relatif à l'attaque de Paris, tentée, le jeudi 8 septembre 1429, par Jeanne d'Arc, le duc d'Alençon et l'armée royale française, ayant pour base Saint-Denis récemment conquis, attaque infructueuse dont l'échec était destinée amener la lamentable retraite des forces françaises sur la Loire.
Il faut noter ici que la date présentée par le texte allemand-la seule indication chronologique offerte par toute cette reprise du récit est erronée. La mention ici précisée porte : le lundi avant la Sainte-Croix. La fête de l'Invention de la Sainte-Croix se célèbre le 14 septembre. Or, en 1429, le 14 septembre tombait un mercredi. C'est donc le lundi 12 septembre qu'à voulu signifier le rédacteur. Désignation inexacte, soit comme jour du mois, soit comme jour de la semaine, l'évènement étant classé et acquis à la date du jeudi 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge.
Il est vraiment curieux de voir cette date erronée d'un fait si notoire coïncider avec celle que fournit Monstrelet, lequel mentionne textuellement le lundi XII° jour de septembre" comme date de l'assaut de Paris. Cette coïncidence nest du reste pas la seule entre les deux textes.
Ce lundi 12 septembre, en réalité, l'armée royale était à la veille d'évacuer Saint-Denis pour regagner la Loire.
La force de l'armée assaillante, ici portée à 3.000 hommes seulement, parait appréciée (un chiffre sensiblement inférieur à celui de son effectif réel. Sans discuter l'évaluation de la grande armée royale, il semble que, sous Paris, Jeanne d'Arc et le duc d'Alençon eussent en main 12.000 hommes au moins).
La durée de l'assaut, indiqué comme s'étant prolongé tout le jour, n'est nullement exagérée. L'attaque commence avant midi : Jeanne d'Arc est blessée vers le coucher clu soleil : elle ne se retire, que bien après la nuit close.
La puissance des engins de jet et de l'artillerie de Paris, à laquelle il est ici fait allusion, se trouve certifiée par d'autres textes contemporains, entre autres, la Chronique de Perceval de Cagny, le Journal d'un Bourgeois de Paris et la Relation du greffier de la Rochelle. Le fait, ici allégué, de l'infime proportion des pertes qu'aurait subies l'armée de la Pucelle, se trouve répété, d'une façon plus singulière encore, dans la Relation du greffier de la Rochelle ; celui-ci spécifie même qu'il n y eut, à la connaissance générale, qu'un seul tué, qu'il désigne nominativement : à savoir un de ses compatriotes, Jean de Villeneuve, bourgois de la Rochelle. De même, après Patay, la légende n'attribuait aux troupes de la Pucelle qu'un seul mort, également désigné formellement. Devant Orleans, à l'attaque de la bastille de Saint-Loup, le 4 mai, à l'attaque des ouvrages des Tourelles, le 7 mai, puis encore à Patay, le 18 juin, selon d'autres bruits en cours, la voix populaire tendait à n'attribuer aux combattants qu'une proportion infinitésimale de risques.
Les 6 ou 700 morts dont parle la Chronique des Cordeliers, clans son récit très confus de ces évènements, se rapporteraient, avec la plus complète invraisemblance d'ailleurs, au combat livré la veille, le mercredi 7, et que le rédacteur place vers l'église Saint-Laurent. Le Journal d'un Bourgeois de Paris, dans un récit sujet à caution, présente l'armée royale, battant en retraite vers Saint-Denis, par Saint-Lazare, comme brûlant nombre de morts, emportés en travers sur les chevaux, et entassés en immense charnier dans une grange de la banlieue d'alors, près des Porcherons. S'agirait-il là simplement de l'incendie peut-être survenu en cette place  de quelques-uns des 300 chariots chargés d'engins de siège, amenés de SaintDenis par l'armée royale, et dont un certain nombre, rompus et effondrés, furent abandonnés et brûlés dans la retraite dans la nuit du 8 au 9 septembre ?
La mention de la blessure de la Pucelle n'offre ici rien de particulier. Jeanne d'Arc eut, comme on sait, la cuisse traversée de part en part d'un carreau d'arbalète à haussepied, lance par quelque milicien de Paris.
Le second alinéa de ce paragraphe contient deux échos distincts, tous deux d'ordre merveilleux, l'un relatif à l'innocuité des projectiles lances sur les assaillants, l'autre concernant un émouvant présage survenu pendant l'assaut.
Le bruit relatif à la chute inoffensive, des boulets parisiens se trouve encore, nouveau et singulier rapprochement  enregistré par la Relation du Greffier de La Rochelle.
L'autre bruit ne se trouve mentionné dans aucun autre texte connu .
Déjà, dans un passage de la première reprise de son récit, Eberhard Windecke avail mentionné un épisode de même ordre. Pendant l'assaut du boulevard des Tourelles, le samedi 7 mai, les combattants avaient vu, non sans émotion, deux "blancs oiseaux" se poser sur les épaules de la Pucelle. Tableau qui se retrouve, trait pour trait, dans le texte de la Chronique de Tournai.
Ici, dans cette narration de l'attaque de Paris, la description de la scène se trouve plus précisée. La colombe vient se poser sur l'étendard même, tenant un attribut, une couronne d'or. Or cette scène mystique se rapprocbe visiblement de la représentation de l'emblème figuré sur l'étendard même de la Pucelle.
La description de cet étendard, de face, est bien connue, figure de Christ accostée d'emblèmes accessoires. Mais, au revers, figure précisément une colombe blanche portant en son bec, comme attribut, une banderole contenant ces mots : "De par le Roi du ciel." Description que, il faut le noter en rapprochant le fait des autres coïncidences déjà constatées, la Relation du greffier de La Rochelle est seule à présenter.
Il semble bien vraisemblable qu'on saisisse ici, sur le vif, le procédé presque inconscient par lequel, sous l'effet des circonstances ambiantes, une simple représentation figurée se transforme en scène palpable. On surprend ici la fixation immédiate d'une légende, avec son point de départ d'expansion future dans l'histoire mystique de la Pucelle.
Le fait, à cet égard, dépasse en portée l'anecdote qui se trouve ici rapportée et pourrait servir à éclairer d'un jour intéressant la formation du cycle populaire de la Geste de Jeanne d'Arc.
Il est à remarquer que cet écho ne fait aucune allusion à l'échec final de l'entreprise de Paris, ni à la retraite de la Pucelle du roi et de l'armée vers la Loire, retraite qui allait commencer le 13 septembre.

§ 309 :
1 Cet écho ne se retrouve dans aucune forme reconnaissable dans aucun texte connu jusqu'ici.
Il se présente de toute évidence comme un de ceux qui durent le plus vivement impressionner l'imagination populaire, auprès de laquelle son allure romanesque et dramatique était bien faite pour lui assurer un crédit particulier.




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