Le
journal du siège d'Orléans et du voyage de Reims
anonyme
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n 1576, Saturnin Hotot, imprimeur de la ville d'Orléans, éditait, par
suite d'une convention avec la municipalité, un volume sous le titre
suivant : Histoire et discours au vrai du siège qui fut mis devant la ville
d'Orléans par les Anglois, le mardi 12 octobre 1428, régnant alors
Charles VII de ce nom roy de France, contenant toutes les saillies,
assaults, escarmouches et autres particularités qui, de jour en jour y
furent faictes avec la venue de Jehanne la Pucelle, et comment par grâce
divine et force d'armes, elle feist lever le siège de devant aux Anglois, prise de mot à mot sans aucun changement de langage, d'un vieil exemplaire, escript à la main en parchemin, et trouvé dans les archives de la ville.
Édition de 1621 (Louis Foucault)
De 1429 à 1576, près d'un siècle et demi s'était écoulé, beaucoup plus qu'il n'en faut pour diminuer fort notablement l'autorité de l'imprimé,
qui tire sa valeur du parchemin qu'il reproduit. A quelle année remonte
ce parchemin ? Est-il bien exactement reproduit ? Deux points importants
sur lesquels doit porter la critique. Ici encore, comme sur toute
la période du siège, les recherches de l'abbé Dubois fournissent des données
de grande valeur. Le patient chanoine découvrit dans les manuscrits
d'un érudit Orléanais du XVIIIe siècle, Polluche, l'extrait suivant du
compte de ville de 1466 : « Payé onze sous parisis à M. Soudan, clerc,
pour avoir escript en parchemin la manière du siège tenu par les Anglois
devant Orléans en 1428-1429 », Qu'était le clerc Soudan ? L'abbé Dubois
a encore trouvé la réponse dans les comptes de 1468, où pour d'autres
écritures se lit cette mention : « Payé 5s 4d à Soubsdan, notaire en cour
d'Église. » Un notaire en cour d'Église était le plus souvent un gradué
en droit canonique.
Le parchemin des archives de la ville a disparu; mais nous en avons des copies. On connaît en effet quatre ou cinq manuscrits du Journal du
siège. Deux sont à la Bibliothèque nationale de Paris ; l'un (Fonds latin,
n° 14665) provient de l'abbaye de Saint-Victor et est du XVe siècle, l'autre
fait partie du célèbre manuscrit d'Urfé, dont il a été parlé dans le volume
précédent : il est cousu avant le Double Procès, mais l'écriture accuse
une date postérieure ; elle est du XVIe siècle. On en trouve un autre exemplaire
du XVIe siècle à la Bibliothèque de Genève. Le quatrième, écriture
du XVe siècle, fait partie du manuscrit du Vatican (Fonds de la reine
Christine, n° 891). La Bibliothèque impériale de Saint-Petersbourg en
possède un cinquième exemplaire.
Le texte de Saturnin Hotot a été collationné avec le texte de la Bibliothèque
nationale, et le R. Père Rivière, sur ma demande, a bien voulu vérifier sur le manuscrit du Vatican certains passages que je lui avais signalés. A deux mots près, les variantes sont si peu importantes qu'elles ne méritent pas d'être signalées. Le scribe, auquel Quicherat a confié la transcription qu'il a imprimée, a préféré travailler sur l'imprimé que sur le manuscrit.
C'est donc à tort que l'abbé Dubois a pensé que Saturnin Hotot avait introduit dans le texte du parchemin des archives d'Orléans des changements qui le déparent. La fidélité de l'imprimeur nous est garantie par les manuscrits antérieurs dans lesquels on retrouve ce qui offusque dans le texte imprimé. Pareille conformité ne peut s'expliquer que parce que les manuscrits ont reproduit le texte aujourd'hui perdu, mais gardé dans les archives de la ville en 1576. C'est donc au texte copié en 1466 par le notaire Soudan que manuscrits et imprimé nous ramènent. Faut-il faire remonter beaucoup plus haut sa composition ? Il ne le paraît pas ;
tout indique qu'il a été composé à la suite de la réhabilitation, après 1456.
De toutes les Chroniques, le Journal du siège est la seule qui énonce carrément que la délivrance d'Orléans et le sacre de Reims constituaient la mission entière de la Pucelle. Dunois, dans sa déposition, avait émis timidement cette assertion démentie par une foule d'autres documents, en opposition avec les paroles maintes fois répétées et les actes de la céleste envoyée. L'abbé Dubois, qui pourtant était loin d'avoir bien des pièces qui depuis ont confirmé son assertion, reproche justement à l'auteur de n'avoir pas dit toute la vérité, et, par égard pour les capitaines qui commandaient à Orléans, de n'avoir pas rapporté plusieurs faits bien constatés qui ne leur font pas honneur (1). Même à Orléans, Jeanne a vaincu malgré l'opposition des chefs, forte qu'elle était de l'appui des Orléanais, qui ont fini par entraîner les capitaines
à leur suite. Voiler cet aspect de la délivrance, c'est en diminuer
le merveilleux et rabaisser l'héroïsme de la patriotique cité. Non seulement
les deux Cousinot, mais l'historiographe officiel, Jean Chartier,
sont plus véridiques et moins adulateurs des grands. Le rédacteur inconnu du Journal est partial en faveur des nobles. Il
énumère complaisamment les noms de ceux qui ont pris part à la lutte,
et son histoire du siège n'est que le récit des incidents particuliers qui
le signalèrent, sans vue d'ensemble ; au point qu'après l'avoir lu, on se
rend médiocrement compte de l'état des choses. D'autres Chroniques en
disent, sous ce rapport, plus en quelques lignes que le Journal dans de
longues pages.
Il blâme les plaintes, pourtant si justes, des Orléanais, lorsque, après la
victoire de Patay, Charles VII les frustra d'une visite pour laquelle ils
avaient fait des préparatifs, et qui leur était si bien due. Il dissimule que
l'héroïne dut entraîner le roi sur le chemin de Reims, en partant de Gien
avec une partie de l'armée, pour mettre fin à d'interminables tergiversations.
D'après son récit, ce seraient les conseillers du roi qui l'auraient
déterminé à reprendre le chemin du Berry par Bray-sur-Seine. D'après
les autres chroniqueurs, il était d'accord avec ces conseillers, traîtres ou
tout au moins mal avisés. S'il dit que la tentative contre Paris échoua
parce que les choses furent mal conduites, il se garde d'insinuer les causes
honteuses de ce défaut dans la conduite, et l'on se demande si c'est à l'héroïne
qu'il faut l'attribuer, ou à d'autres capitaines mal inspirés. D'après
lui, La Trémoille excepté, tous les grands auraient rempli leur devoir et
secondé la céleste envoyée; ce qui n'est pas exact.
L'auteur dit que son ouvrage est très compendieux, c'est-à-dire très
abrégé. Qu'abrège-t-il ? Seraient-ce des registres de la cité, écrits au fur
et à mesure que les faits se passèrent? Si c'est possible, nous n'avons
aucune preuve pour l'affirmer. Sûrement, à partir de la campagne de la
Loire, il a sous les yeux la Chronique des Cousinot. Il ne fait que
l'abréger pour la campagne du sacre, et pour celle qui a suivi...
La rédaction semble hâtive. Après avoir rapporté que Saint-Loup fut
enlevé le mercredi 4 mai, ce qui est exact, il dit que les Tourelles furent
prises le samedi 6, et que les Anglais partirent le dimanche 7 mai ; cela ne
se trouve pas seulement dans l'imprimé de Saturnin Hotot, mais aussi dans les manuscrits. Il fallait bien que le rédacteur écrivît assez longtemps après le siège, pour faire coucher la Pucelle aux Tourelles dans la nuit du samedi au dimanche. Tout le monde savait à Orléans qu'elle
était rentrée le soir même par le pont, ainsi qu'elle l'avait annoncé le
matin, contre toute vraisemblance. Ce qu'il dit de la Pucelle avant son arrivée à Orléans n'est pas à sa place. Il en résulte de la confusion quand on veut se rendre compte de la suite des faits. Quelques notables erreurs y seront signalées. Le style semble confirmer, ainsi que l'observe l'abbé Dubois, la composition postérieure du Journal. Il renferme des mots inusités en 1430.
D'après d'habiles philologues, la langue française aurait subi de notables changements vers le milieu du XVe siècle, particulièrement dans le centre de la France. Ce changement nous a paru bien accusé dans le Journal du siège. La diction est relativement moderne ; on y trouve par exemple le mot citoyen, inusité, ce nous semble, avant cette époque. Pour rendre le style tout à fait moderne, il suffit le plus souvent de changer les mots de place et de rajeunir l'orthographe. La partie vraiment intéressante du Journal en ce qui regarde Jeanne d'Arc, c'est l'entrée de l'héroïne à Orléans, l'emploi de ses journées jusqu'à l'assaut contre Saint-Loup. Il donne des détails qu'on chercherait inutilement dans les autres chroniques (2)...
Le journal du siège complet affiché
sur ce site est l'édition de MM. Charpentier et Cuissard
parue en 1896. Les notes d'érudition ne sont pas reprises
intégralement.
Les parties mises en Français plus moderne (texte bleu) sont de J.B.J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III).
Chapitres :
- titre
- octobre 1428
- novembre 1428
- décembre 1428
- janvier 1429
- février 1429
- mars 1429
- avril 1429
- mai 1429
- juin 1429
- juillet 1429
- août 1429
- septembre 1429
Source :
Présentation : "La vraie Jeanne d'Arc - La libératrice - t.III p.110 - J.-B.-J. Ayroles
Texte original : édition de
MM. Charpentier et Cuissard - 1896.
Mise partielle en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles (Ibid.)
Notes :
1. L'abbé Dubois, "Histoire du siège d'Orléans", Charpentier et Cuissart, p. 65.
2
Quant aux inexactitudes et à la partialité que l'abbé Dubois reproche aux auteurs du Journal, l'importance n'en est pas grande : rien n'est parfait sous le soleil ; nombreuses restent les pages de cette Chronique capables de renseigner sûrement et d'intéresser vivement les historiens de Jeanne d'Arc. (Chanoine Dunand).
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