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Journal
du siège d'Orléans
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Janvier 1429 |
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1 janvier :
e samedy ensuivant, premier jour de l'an, eut une grosse escharmouche,
environ trois heures aprez midy, entre la riviere Flambert (1),
la porte Regnard (2) et la grève
: là où furent plusieurs tuez, bleciez et prins prisonniers
d'une partie et d'autre, et plus de François que d'Anglois.
L'abbé de Cerquenceaux (3) que
on disoit estre religieux et estoit moult vaillans pour les François,
y fut blécié. Là fut aussi perdu le chariot
de la couleuvrine et prins par les Anglois : par quoy les François
furent constains de reculler hastivement parce que les Anglois saillirent
à grant puissance.
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2 janvier :
Le dimenche ensuivant, à deux heures aprez minuyt, sonna la
cloche de la cité à l'effroy, parce que les Anglois
cuidèrent escheller le bolevart de la porte Regnard : maiz
ilz trouvèrent ceulx de la cité qui faisoient bon
guet, et constraingnirent les Anglois d'eulx en retourner à
grant haste dedans leur ost et bastille de Sainct Lorens des Orgerilz.
Sy ne gaignèrent que estre mouillez, car durant celle heure
pleuvoit très fort.
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3 janvier :
Le lundy ensuivant, troisiesme jour de janvier, arrivèrent
devers le matin, dedans Orléans, neuf cens cinquante quatre
pourceaulx, grous et gras, et quatre cens moutons. Et passa cellui
bestial au port de Sainct Loup (4) :
dont le peuple d'Orléans fut fort joyeulz, car ilz vindrent
au besoing.
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4 janvier :
Le mardy ensuivant, quatriesme jour d'icelluy moys, et environ trois
heures aprez minuyt, sonna la cloche du beffroy, parce que les Anglois
se vindrent présenter devant le bolevart de la porte Regnard,
où ilz firent à tous grans criz sonner leurs trompettes
et clairons et aussi firent pareillement ceulx des Tournelles, comme
s'ilz voulsissent assaillir le boulevert. Mais ceulx d'Orléans
se portèrent si grandement, et tant saigement se deffendirent
des canons et autres habillemens de guerre, que les Anglois se recullèrent
en leurs bastilles de Sainct Lorens.
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5 janvier :
Le mecredy ensuivant, vint messire Loys de Culan (5),
admiral de France et deux cens combatans avec luy, courir au Porteriau
devant les Tournelles, où estoient les ¢garnisons des
Angloys, et malgré eulx passa Loire au port de Sainct Loup
; et s'en entra luy et ses gens dedans la cyté pour sçavoir
des nouvelles, et du gouvernement d'elle et des Franchois y estans.
Auquel et à ses gens fut faict grant chière, et moult
furent louez. Car aussy s'estoient ilz portez, tres vaillamment
contre les Angloys à l'escarmouche du Porteriau.
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6 janvier :
Le jeudy suivant, feste de la Tiphaine (6),
c'est des Rois, saillirent d'Orléans, les seigneurs de Sainct-Sévère
et de Culan, messire Théaulde de Valpargue, et plusieurs
autres gens de guerre et cytoyens ; et feirent une grant escarmouche,
où ilz se portèrent très grandement contre
les Angloys, lesquelz se deffendirent bien et hardiment. Aussy estoient
ilz beaucoup de seigneurs d'Angleterre, tant de chevalliers comme
d'escuyers ; mais on ne scet leurs noms. A celle escarmouche se
porta pareillement moult bien maistre Jehan à tout sa couleuvrine.
Durant celluy temps avoient tant travaillé les
Angloys, qu'ilz avoient fait deux boulevars sur la rivière
de Loire, l'un estant en une petitte ysle,du cousté et au
droit de Sainct Lorenz (7), qui estoit
faict de fagotz, sablon et de bois ; et l'autre ou champ de Sainct-Privé (8), au droit de l'autre et sur le rivaige
de la rivière laquelle ilz passoient en celluy endroit, portans
vivres les ungs aux autres. Et pour les garder en avoient faict
cappitaine messire Lancelot de Lisle, mareschal d'Angleterre.
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10 janvier :
Le lundy, dixiesme jour d'icelluy mesmes mois, arrivèrent
dedans Orléans grant quantité de pouldres de canon,
et plusieurs vivres que on y amenoit de Bourges, pour la conforter
et secourir. En celluy jour eut aussi une très grousse et
forte escarmousche, tant des canons comme d'autre traict et
couleuvrines : dont ceulx qui les gectèrent feirent grandement
leur devoir, et tellement, qu'il y eut beaucoup d'Angloys
tuez et plusieurs prins prisonniers.
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11 janvier :
Le mardy ensuivant, environ neuf heures de nuyt, fut toute la couverture
et le comble des Tournelles abatue et gectée au bas, et six
Angloys tuez dessoubz, d'un coup de canon de fer qui estoit assorty
ou boulevart de la Belle Croix du pont (9) et que on feit gecter
au bas à celle heure.
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12 janvier :
Le mercredy ensuivant, douziesme jour d'icelluy moys de janvier,
sonna la cloche à l'effroy, parce que les Angloys firent
merveilleux cry, et sonnèrent leurs trompettes et clairons
devant le bolevart de la porte Regnart. Et ce meisme jour arrivèrent
dedans Orléans, vers le matin six heures six cens pourceaux.
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15 janvier :
Le samedy ensuivant, quinziesme jour du meisme janvier, environ huit
heures de nuyt, saillirent hors de la cité le bastard d'Orléans,
le seigneur de Saincte-Sévère, et messire Jacques
de Chabannes, accompaignez de plusieurs chevaliers, escuiers, capitaines
et citoyens d'Orléans, et cuydoyent charger sur une partie
de l'est de sainct Lorens des Orgerilz ; mais les Angloys s'en aperceurent,
et crièrent alarme dedens leur ost ; par quoy ilz s'armèrent,
tellement qu'il y eut une grosse et forte escarmousche. En fin se
retrairent les François ou boulevart de la porte Regnart
car les Angloys saillirent à toutte puissance, combien que
en leur saillie furent très bien batuz.
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16 janvier :
Le dimanche ensuivant, environ deux heures aprez midy, arriverent
en l'ost des Angloys douze cents combatans, dont estoit chef messire
Jehan Fascot (10) ; et amenèrent
avecques eulx, vivres, bombardes, canons, pouldres, traicts et aultres
habillements de guerre, de quoy leurs gens de l'oust avoient grant
souffrette.
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17 janvier :
Le lundy ensuivant, dix septiesme d'icelluy moys, advint moult merveilleux
cas : car les Angloys gectèrent un canon de leur boulevart
de La Croix Boisée, dont la pierre cheut devant le boulevart
de la porte Banier, ou milieu de plus de cent personnes, sans aucun
blescher ne tuer ; mais frappa seullement par le piet ung compaignon
françois, tant qu'elle lui osta le soullier sans luy faire
aucun mal : qui est chose merveilleuse à croire.
Celui mesme jour, se devoir faire ung gaige de bataille
de six Françoys contre six Angloys ou prouchain champ de
la porte Banier, là où souloit estre le coulombier
Turpin ; mais il ne se fist point, combien qu'il ne tint aux François,
car ilz se presentèrent contre leurs adversaires, qui ne
vindrent ne comparurent, avec ce n'osèrent saillir.
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18 janvier :
Le mardy, dix huistiesme d'icelluy moys de janvier à neuf
heures de nuyt, tirèrent les Anglois, estans ès Tournelles,
un canon ou bolevart de la Belle Croix, qui frappa un nommé
Le Gastelier, natif d'Orléans, lequel, en les regardant bandoit
une arbalestre voulant tirer contre eux.
Celluy jour arrivèrent dedans Orléans,
ainsy comme aux portes deffremans, quarante chiefz d'aumailles et
deux cens pourceaux.
Celluy jour et toust après l'entrée du
bestial, guaingnerent les Angloys des Tourelles la charrière,
deux sentines et cinq cens chiefs de bestial, que marchans cuydoient
amener dedans Orléans, lesquelz furent acusez par
aucuns traistres d'ung village emprez, dit Sandillon (11),
afin qu'ilz eussent partie du butin ; et aussi fut après
le bestial butiné à Jargeau, estant lors Anglois.
Celluy mesme jour, environ trois heures après
midy, eut une grousse et forte escarmousche en une isle devant la
croiche des moulins de Sainct Aignan, parce que les Angloys rompirent
le conduict pour passer la charrière qu'ilz avoient gaingnée
au port de Sainct Loup. Et les François, tant gens de guerre
comme citoyens d'Orléans, se firent passer l'eaue en cette
isle, cuydant
recouvrer leur charrière perdue dès le matin. A l'encontre
desquelz yssit grant puissance d'Angloys, qui estoient embuchiez
derrière la turcie ung peu plus loing que Sainct Jehan le
Blanc ; et faisans grans criz se adressèrent contre les François
qui s'en retournoyent, et reculèrent vers leurs boulevars
très hastivement : ce qu'ilz ne sceurent faire si toust que
il n'y en demoura vingt
deux mors. En oultre y furent prins deux gentilzhommes, l'ung nommé
le petit Breton, qui estoit au bastard d'Orléans et l'autre
nommé Remonet (12), estant au
maréschal de Sainct Sévère. A icelle escarmousche
fut aussy perdue une couleuvrine, qui estoit à maistre Jehan,
qui fut en grant péril d'estre prins car ainsy qu'il cuyda
retraire en sa santine, d'autres se boutèrent dedans avecques
luy : tellement qu'elle enfonça en la rivière : par
quoy il se cuida retraire dedans ung grant chalan ; mais il ne peut
oncques, parce qu'il estoit jà party. Toutesfoiz, véant
le destroit dangier, feit tant qu'il saillit sur la peaultre ; qui
luy demoura en la main, ainsi qu'il s'eforça pour saillir
de l'eau ou chalan, au derrenier, non obstant toutes telles infortunitez
nageant sur la peautre vint à rive et se sauva dedans la
cité, laissant sa couleuvrine jà gaignée par
les Angloys ; qui la emportèrent aux Tournelles.
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24 janvier :
Le jour de lundy, vingt quatriesme jour d'icelluy mois de janvier,
environ quatre heures, après mydi, arriva dedans Orléans
La Hire, et avecques luy trente hommes d'armes ; contre lesquelz
gectèrent les Angloys ung canon, dont, la pierre cheut au
meilleu d'eulx, lorsqu'ilz estoient à l'endroit de la porte
Regnart, combien qu'elle n'en tua ne bleça aucun qui
fut une grant merveille. Sy entrèrent sains et saulfz en
la ville et allèrent rendre graces à Nostre Seigneur
qui les avoit préservez du mal.
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26 janvier :
Le mecredy, vingt sixiesme du meismes janvier, eut une forte escarmousche
devant le boulevart de la porte Banier, parce que les Angloys, advisèrent
caultement que le souleil luysoit aux visaiges des François,
qui estoient hors du bolevart pour escarmouscher. Et saillirent
de leur ost à grosse puissance, monstrans grant semhlant
de hardiesse ; et feirent tant qu'ilz recullèrent les
François jusques à la doue des foussez du boulevart
et de la ville, dont ilz approuchèrent tant prez qu'ilz apportèrent
ung de leurs estandars en une lance près du boulevart
; combien qu'ilz n'y arrestèrent que ung petit, parce que
on leur gectoit d'Orléans et du boulevart moult espessement
de canons, bombardes, couleuvrines et autre traict. Et fut dit que
en celle escarmousche fut tué vingt Anglois, sans les blecez.
Mais des François n'y mourut que ung des archiers du mareschal
de Sainct Sévère, qui fut tué d'ung canon mesme
d'Orléans : dont son maistre et les autres seigneurs furent
bien marriz.
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27 janvier :
Le jeudy ensuivant, vingt septiesme d'icelluy moys de janvier, à
trois heures après midi, eut une très grosse
escarmousche devant le boulevart de la porte Regnard, parce
que de quatre à cinq cens combatans Angloys y vindrent de
leur bastille, faisant là très grans et merveilleux
criz. Contre lesquelz saillirent ceux d'Orléans par le boulevart
meismes, et se hasterent tant qu'ilz se mirent en desarroy, par
quoy le mareschal de Sainct Sévère les feit retourner
dedans.
Et aprez qu'il les eut mis en ordonnance, les feit de
rechef saillir, et les conduit tant bien par son sens et prouesse
qu'il contraignit les Angloys de retourner en leut ost et bastille
de Sainct Lorens.
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28 janvier :
Le lendemain jour de vendredy, arrivèrent dedans Orléans,
environ onze heures de nuyt, aucuns ambassadeurs qui avoient esté
envoyez devers le roy de par la ville pour avoir secours.
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29 janvier :
Le samedy ensuivant, vingt neuviesme jour du mesmes janvier, à
huit heures du matin, firent les Anglois grans criz en leur ost
et bastilles, se mirent en armes à grant puissance et, par
grant ordonnance, continuans tousjours leurs criz et faisans demonstrance
de grant hardiment, s'en vindrent jusques à une barriere
qui estoit en la grève devant la tour Nostre Dame, et jusques
devant le boulevart de la porte Regnart ; mais ils furent bien receuz,
car les gens de guerre et beaucoup de peuple d'Orléans saillirent
incontinent contre eulx, bien ordonnez, tellement qu'il y eut une
très forte et grande escarmousche, tant à la main
comme des canons, couleuvrines et traict ; et y eut beaucoup de
gens tuez, bleciez et prins prisonniers d'une part et d'autre. Et
par espécial y mourut ung seigneur d'Angleterre, que les
Anglois plaignirent moult
; et le portèrent enterrer à Jargueau. Et ce jour
mesmes devers le matin, aussy arriverent dedans Orléans le
seigneur de Villars, le seigneur de Sainctes Trailles et Poton
son frère, messire Ternay, et autres chevaliers et escuiers
venans de parler au roy.
Celluy mesme jour de samedy vingt neufviesme d'icelluy
meisme moys de janvier, fut donné seureté d'une part
et d'autre à La Hire et messire Lancelot de Lisle de parler
ensemble : ce qu'ilz firent environ l'heure de fremer les portes.
Mais après qu'ilz eurent parlé ensemble et que l'eure
de la seureté fut passée, comme chacun d'eulx s'en
retournoit devers ses gens, ceulx d'Orléans gectèrent
un canon qui frappa messire Lancelot, tellement qu'il luy enleva
la teste : dont ceulx de l'ost furent très doulans car il
estoit leur mareschal et bien vaillant homme.
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30 janvier :
Le jour d'après, qui fut dimanche, eut une forte escarmousche,
parce que les Angloys levoient des charniers, c'est des eschallas,
des vignes d'environ Sainct Ladre et Sainct Jehan de la Ruelle,
prez d'Orléans, et les emportoient en leur ost pour eulx
choffer. Pour quoy le mareschal de Sainct Sévère,
la Hire, Pothon, messire Jacques de Chabannes, messire Denis de
Chailly (13), messire Cernais, Arragonnois,
et plusieurs autres d'Orléans en saillirent hors et se frappèrent
en eulx, et les assaillirent vaillammant, tellement qu'ilz en tuèrent
sept, et en amenèrent quatorze prisonniers dedans leur cyté.
En laquelle celluy jour trespassa ung vaillant bourgois qui en estoit
natif, nommé Simon de Beaugener, qui avoit esté blécié
en la gorge d'un traict des adversaires.
Celluy mesmes dimanche, se partit d'Orléans durant
la nuit le bastart d'Orléans accompaigné de plusieurs
chevaliers et escuiers, pour aler à Blois devers Charles,
conte de Clermont, fils aisné du duc de Bourbon ; pourquoy
les Anglois, les oyant parler, crièrent à l'arme ;
et se feirent fort guet, doubtant qu'ilz ne voulussent assaillir
en leurs bastilles.
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31 janvier :
Et l'endemain, jour de lundy, trente et ungiesme et dernier d'icelluy
moys de janvier, arriverent dedans Orléans juit chevaulx
chargez de huisles et de gresses.
Source
: édition MM. Paul Charpentier et
Charles Cuissard -
1896
Notes : 1 Il n'a jamais
existé de rivière de ce nom, c'était un bras
de la Loire formant une petite île en face de la Tour de
la barre-Flambert. Comme il y avait une grève entre ce
bras et le mur de la ville, on y avait construit une barrière
pour empêcher les Anglais d'aborder de ce côté.
2 A l'entrée de la rue du Tabour.
3 L'abbaye de Cerquenceaux se trouvait dans le diocèse
de Sens à deux lieues de Nemours. L'abbé qui la
gouvernait à cette époque est inconnu.
4 Ce port était sur la rive gauche, face au monastère de Saint-Loup, à l'endroit où
se joignent les communes de Saint-Jean-le-Blanc et Saint-Denis,
auprès des maisons nommées l'Amérique et
les Bouteroues (en 1896).
5 Louis de Culan, baron de Châteauneuf-en-Berry,
conseiller et chambellan du roi, amiral de France en 1412, mourut
en 1444.
6 C'est le nom qu'on donnait à l'Épiphanie, d'après
le Nécrologe ms. de Sainte-Croix, n° 112 bis. On disait
aussi Tiphanie.
7 Cette ile portait le nom de Charlemagne, d'aprés les
comptes de forteresse de 1429 ; il ne faut pas la confondre avec
une île du même nom du côté de Saint-Loup.
Celle qui se trouvait au droit de Saint-Laurent n'existait plus
en 1689. Un peu plus bas, on voyait l'Île de la Madeleine.
8 Sur la rive gauche de la Loire.
9 Le boulevard de la Belle Croix fut élevé entre
les mottes et ce monument par les Orléannais, après
la prise des Tourelles par les Anglais. Il était défendu
par une si grande quantité de bois et de pieux que lorsqu'on
le détruisit, on en chargea quarante-deux voitures, d'après
les comptes de forteresse de 1429.
10 Jean Falstolf, chevalier, grand maître d'hôtel du
Duc de Bedford, capitaine de Honfleur.
11 Sandillon : village à deux lieus d'Orléans, du
côté de la Sologne.
C'est dans ce village que serait morte la mère de Jeanne. (ndlr)
12 On trouve sous Louis XI un gascon Raymond d'Ossaigne surnommé
le cadet Remonet.
13 Capitaine de Moret.
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