Le
registre du parlement de Paris tenu par Clément de
Fauquembergue
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fut le 17 janvier 1417, que Clément de Fauquembergue succéda,
comme greffier au parlement, à Nicolas de Baye, que la fatigue
obligeait au repos. Bien qu'il fut alors conseiller en la Chambre
des enquêtes, il crut ne pas déchoir en acceptant les
fonctions en apparence plus humbles. "Malui et mutas agitare
inglorius artes", écrit-il en prenant possession de
son nouveau poste ; et telle est la devise qu'il répète
chaque année au renouvellement du Parlement. Il conserva
son titre jusqu'en septembre 1435, époque à laquelle
il se retira à Cambrai, après le traité d'Arras.
Il ne revint à Paris que l'année suivante, et rentra
au Parlement comme conseiller.
Pendant dix-huit ans donc, il nota au jour le jour comme
son prédécesseur, les évènements politiques
ou autres qui se produisirent sous ses yeux ; et ainsi que celui
de Nicolas de Baye, son "Journal" peut-être considéré
comme une véritable chronique, scrupuleuse et exacte,
ayant tous les caractères d'un témoignage digne de
foi, puisque l'auteur, docte personnage, était mêlé
lui-même à ce qu'il voit et raconte. L'importance de
ce recueil, au point de vue historique, ne le cède en rien
à celui du devancier. les deux greffiers vécurent
au milieu d'une époque de trouble et d'agitation pendant
laquelle le corps auquel ils appartinrent joua un rôle considérable.
Encore au XV° siècle, en effet, le Parlement n'était
pas seulement une cour de justice ; son origine commune avec le
Grand Conseil et la Chambre des comptes avait laissé des
traces ; ils se réunissaient souvent pour des délibérations
communes. Les réunions furent nécessairement fréquentes
pendant la triste période où maitre Clément
remplit les fonctions de greffier ; c'est dire qu'il fut témoin
de ces assemblées où se discutèrent tant de
questions importantes, et, grâce à lui, nous connaissons
par le menu des évènements que seul il a pu
noter et nous transmettre...
Parmi
les témoignages contemporains de la mission de Jeanne d'Arc,
l'un des plus connus et des plus fréquemment invoqués
est celui du greffier Clément de Fauquembergue, qui est d'autant
plus précieux qu'il reflète l'état d'esprit
existant dans le milieu anglo-bourguignon. la première mention
relative à Jeanne d'Arc dans le journal de Fauquembergue
est le récit de la prise de la bastille des Tourelles, le
7 mai 1429, par les gens de guerre français, "qui, dit
notre greffier, avoit en leur compaignie une pucelle seule ayant
banniere entre lesdis ennemis, si comme on disoit." Ce brillant
fait d'armes, connu à Paris le mardi 10 mai, fit sur Fauquembergue
une forte impression qui se trahit dans ce commentaire du greffier
: "Quis eventus futurus, novit Deus, bellorum dux et princeps
potentissimus in prelio". Le récit de Fauquembergue
est, comme l'on sait, accompagné en marge d'un petit croquis
à la plume, représentant une femme à mi-corps,
tête nue, la main gauche appuyée sur la garde de son
épée et tenant de la main droite sa bannière
avec le monogramme de Jésus. Ce portrait de pure fantaisie,
qui nous montre Jeanne d'Arc vêtue d'une robe, avec de longs
cheveux, a de tout temps défrayé la curiosité,
parce qu'il est l'œuvre naïve d'un contemporain de l'héroïne.
Le nom de Jeanne d'Arc revient encore sous la plume de Fauquembergue,
lorsqu'il insère dans le registre du Conseil la relation
de la journée de Patay, où les Anglais furent défaits
par les Français, "en la compaignie desquelz estoit
la Pucelle, qui avoit esté avec eulz, le X° jour de may,
à lever le siège devant Orléans".
Notre greffier nous a également laissé à la
date du 2 septembre un récit très complet de l'attaque
par Jeanne d'Arc des remparts de Paris vers la porte Saint Honoré,
qui causa une grande panique parmi les Parisiens, au point qu'ils
s'empressèrent de quitter les églises où se
célébrait la fête de la Nativité Notre
Dame et de s'enfermer chez eux. Entre autres détails, Fauquembergue
rapporte qu'il y eut plusieurs morts et blessés, et "entre
les autres fut blecée en la jambe, de trait, une femme que
on appeloit la Pucelle, qui conduisat l'armée avec les autres
capitaines de Messire Charles de Valois". Le même
chroniqueur dit aussi que l'on prêtait à celui-ci les
intentions les plus hostiles à l'égard de Paris, qui
devait, paraît-il être livré à la merci
de ses gens de guerre, attendu, d'après les bruits en circulation,
qu'il avait le dessein de raser de fond en comble la ville de Paris,
"habitée par des gens très chrétiens,
chose difficile à croire".
Lorsque l'on rapproche le récit de Fauquembergue
de celui de l'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris, l'on est
frappé de la modération avec laquelle notre greffier
parle de Jeanne d'Arc, en regard des expressions méprisantes
qu'emploie le chroniqueur parisien, qui représente l'héroïne
française comme "une créature qui estoit en forme
de femme, que on nommoit la Pucelle, qui s'estoit, Dieu le scet".
C'est en termes très mesurés que Fauquembergue mentionne
la capture de Jeanne d'Arc par les Bourguignons sous les murs de
Compiègne ; à la marge de son registre, il a inscrit
les mots : captio Puelle, mots accompagnés d'un croquis
informe, à la plume, qui aurait la prétention de figurer
la tête de Jeanne d'Arc.
Le procès et la mort de Jeanne d'Arc, brûlée
comme hérétique et relapse à Rouen, sont rapportés
naturellement dans le sens anglo-bourguignon, mais sans passion
; il atténue même la sécheresse voulue de sa
relation officielle par des réflexions personnelles où
se mêlent certains accents de pitié. Le narrateur fait
appel à la miséricorde divine pour l'âme de
Jeanne d'Arc qui, sur le bûcher, donna des témoignages
de repentir : "Deus sue anime propitius et misericors".
Tel
est à grands traits, le Journal de Clément de Fauquembergue.
Félibien, comme pour le Journal de Nicolas de Baye, en a
donné d'importants extraits dans ses "Preuves de l'histoire
de Paris" ; Jules Quicherat lui a consacré une notice
et en a réuni quelques fragments dans son recueil sur le
procès de Jeanne d'Arc. Alexandre Tuetey en a donné
l'édition complète en trois volumes chez Renouart
de 1903 à 1908.
Clément de Fauquembergue, comme l'a dit justement
Quicherat, est un modéré. Après la mort de
Charles VI, il se rallia à la faction bourguignonnne, qui
avait déjà ses préférences : ce fut
sans doute par devoir ou par nécessité. Bien que toujours
respectueux en la forme, on devine qu'il n'aimait pas les Anglais
; les relations entre le régent et la capitale furent du
reste assez tendues.
Lorsque maitre Clément quitta son poste, il le
fit sans regret, presqu'avec soulagement. Il écrivait,
en effet, à la date du 17 septembre 1435 : "Conticui
tandem, et hic facto fine, quievi ab exercitio hujus officii. Deo
gratias." Il partit de Paris le 3 octobre. Ses clercs se
partagèrent la besogne ; les séances du Parlement
de Paris furent du reste très rares en 1436, et cessèrent
même complètement en avril. Elles ne reprirent régulièrement
qu'au mois de décembre, et le greffier civil fut alors
Jean de Blois.
Chapitres :
1429
- Chap. 10 mai
- Chap. 14 juin
- Chap. 18 juin
- Chap.
19 juillet
- Chap.
25 juillet
- Chap. 3 août
- Chap. 26 août
- Chap. 7 septembre
- Chap. 8 septembre
1430
- Chap. 25 mai
1431
- Chap. 30 mai
Source
: Bulletin de la société de l'histoire de France,
T33, 1896 (MM.Tuetey et Lacaille)
- "Journal de Clément de Fauquembergue" - MM.Tuetey
et Lacaille - 1903 à 1909.
Notes :
1 Jules Quicherat note de même dans les "Procès
de condamnation et de réhabilitation de Jeanne la Pucelle",
t.IV , que la rédaction de Clément de Fauquembergue
est celle d'un modéré "Plus d'une fois il atténue,
par des réflexions en latin, la dureté officielle
de sa rédaction. Son dernier mot pour Jeanne d'Arc est
une prière pour son salut".
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