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La chronique d'Antonio Morosini - index

e toutes les Chroniques que les pays étrangers à la querelle anglo-française nous ont transmises sur la Libératrice, voici certainement la plus intéressante. La première par ordre de date, elle est écrite au cours même des événements, au fur et à mesure qu'ils s'accomplissent.

  Elle a une forme à part, puisqu'elle consiste en une correspondance, due principalement à un noble Vénitien mandant à son père les événements qui se passaient en France, d'un lieu particulièrement bien situé pour être bien renseigné. A tous ces titres, la Chronique Morosini, inédite jusqu'ici et presque inconnue, doit trouver place dans les histoires de la Pucelle, non seulement comme la première des Chroniques étrangères, mais aussi comme celle qui nous fait saisir sur le fait même l'impression produite dans la chrétienté entière par la céleste apparition.

  ...Faire connaître le concours de circonstances qui ont amené le précieux document entre ses mains, c'est justice, parce que ce sera faire connaître ceux qui ont provoqué et secondé ses recherches Une revue française, dont il a oublié le nom, parla en 1893 d'un ouvrage publié à Trieste sous ce titre : Di Giovanna d'Arco ressuscitata degli stude storici. L'auteur, Mme Adèle Butti, affirmait que la Chronique inédite de Morosini, dont une copie était à Venise et l'original à Vienne, renfermait de longues et intéressantes pages sur la Libératrice française.
  Le R. P. Rivière signala cette indication à l'auteur de la Vraie Jeanne d'Arc qui, occupé alors à l'édition du volume précédent, n'y prêta qu'une demi-attention et se contenta de parler à son éditeur de la voie par laquelle il pourrait se procurer le volume de Mme Butti. Il n'y avait eu aucune démarche effective, lorsqu'une lettre de Venise sur un sujet différent réveilla ses souvenirs et son attention. Il demanda qu'on lui fît faire une transcription des pages consacrées à la Pucelle ; il y eut des difficultés. Il s'adressa à Vienne et ne fut pas plus heureux. C'est alors qu'il s'adressa à M. Léopold Delisle, administrateur général de la Bibliothèque nationale à Paris. Il le savait aussi complaisant que savant, et connu du monde érudit dans l'Europe entière. Un mot de sa part, espérait-il, lui ouvrirait des portes jusqu'alors fermées. Son attente ne fut pas trompée. M. Castellani, bibliothécaire de la Marcienne à Venise, fit le meilleur accueil à la demande de son collègue de Paris, et confia la transcription du document demandé à M. Vittorio Baroncelli, son sous-bibliothécaire. Quelques jours après, il arrivait transcrit avec le meilleur goût. M. Baroncelli avertissait que ce n'était qu'une partie des pages consacrées par Morosini à la Pucelle. Elles ne prenaient pas assez haut, ne se prolongeaient pas assez loin. On s'empressa de demander le tout. La découverte était beaucoup plus précieuse qu'on ne l'avait imaginé, non seulement pour l'histoire de l'Héroïne, mais aussi pour celle de la France et de la chrétienté à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe. C'est ce qui résulte de l'inspection de la Chronique, et aussi d'une notice publiée en 1843 dans l'Archivio storico-italiano (t. V, p. 334), notice que découvrit M. Delisle, et dont il voulut bien, avant de la traduire dans le Journal des Savants, donner connaissance à celui qui avait attiré son attention sur le manuscrit si longtemps oublié.

  La Chronique Morosini est une histoire de Venise à partir de la fondation de la ville. Les cinquante premiers feuillets faisant défaut, l'histoire dont nous sommes en possession ne commence en réalité qu'à l'année de l'élection du doge Dandolo (1192). Pour une raison semblable, il est impossible de fixer jusqu'où l'auteur l'avait conduite ; elle est fruste à la fin, et finit à l'année 1433.
  Le manuscrit de Vienne est du XVe siècle. Il fut donné par le signor Annibale degli abati Olivieri di Pesaro à Marco Foscarini, mort dans la suite doge de Venise en 1763. Les manuscrits de Marco Foscarini ayant été achetés par le gouvernement autrichien, la Chronique Morosini fut transférée à Vienne en 1801 ; et elle y a pris place parmi les manuscrits de l'Etat, sous les numéros 6586-6587. La ville de Venise en a fait depuis tirer une copie, certifiée exacte par le commandeur Bartolomeo Cecchetti.
  Cette copie est cotée MMXLVIII, à la bibliothèque Saint-Marc.
  La notice publiée par l'Archivio storico-italiano est celle que l'un des possesseurs a mise en tête du manuscrit. On y lit que la Chronique, succincte d'abord, s'étend au fur et à mesure qu'elle se rapproche des temps où l'auteur a commencé à écrire. C'est de 1374 à 1380. Dès lors ce n'est pas tant une histoire qu'un journal. L'auteur y consigne tout ce qui se passe à Venise : guerres, alliances, ambassades, délibérations des divers corps de la Sérénissime République, navires en partance, leur chargement, leur retour ou leur capture, les joutes, les réjouissances publiques ; tout y est signalé avec la date de l'année, du mois et du jour. Morosini ne se contente pas de rapporter ce qui se passe dans la République; il inscrit les nouvelles qui lui arrivent du monde connu, tant par lettres que par récits oraux. Or Venise était alors la reine des mers; il n'y avait pas de meilleur centre d'informations. Les trois mille cinq cents vaisseaux de Venise cinglaient vers la mer Noire et vers la Baltique, touchaient à Trébizonde et à Lübeck. C'était surtout par Venise que les États chrétiens échangeaient leurs produits, que le Levant et le monde musulman et même indien communiquaient avec l'Occident. Les galères vénitiennes portèrent souvent les croisés ; et c'est à Venise surtout que s'embarquaient les pèlerins de Terre-Sainte. Venise avait partout des comptoirs et des agents. On trouvera dans les lettres qui vont suivre la mention de la Scarcella, mot dont la traduction littérale est malle, dans le sens où nous disons la malle des Indes, la malle du Japon.
  Morosini n'enregistrant pas seulement les événements qui regardaient Venise : sa Chronique, ou mieux son Journal, intéresse aussi les autres États. Ainsi l'a pensé la Société de l'Histoire de France ; elle a confié à M. Germain Lefèvre-Pontalis le soin d'extraire du manuscrit ce qui intéresse nos Annales. La Société de l'Histoire de France et M. Germain Lefèvre-Pontalis ont des relations et un crédit auxquels ne saurait prétendre un simple religieux. Ils ont obtenu ce que, d'après des renseignements précédents, j'aurais inutilement sollicité, le dépôt pour quelque temps, à la Bibliothèque nationale de Paris, du manuscrit original de Vienne. M. Lefèvre-Pontalis a bien voulu permettre que la copie vénitienne, œuvre de M. Baroncelli, fut collationnée avec le texte primitif. Un paléographe de mérite, M. Vaesens, a fait ce travail: il n'a relevé que peu de variantes altérant le sens.

  Ce sens n'est pas toujours facile à saisir. Encore aujourd'hui le vénitien diffère de l'italien, mais au XVe siècle nombreux étaient les dialectes de la langue de Dante, et comme toutes les langues vivantes, l'italien a subi dans l'espace de cinq siècles de nombreux changements. On peut comprendre le français actuel, et être souvent arrêté dans la lecture de Froissard ou de Joinville. Morosini usait-il de la main d'un scribe ou était-il à lui-même son propre secrétaire ? Il y a certainement des incorrections dans le texte. On peut les constater parfois en voyant dans la même lettre sur le même fait des assertions peu concordantes; elles sont manifestes dans les lettres VII et VIII par la comparaison avec le texte de ces mêmes documents empruntés à une autre collection, et publiés dans la Scintilla des 17 et 24 février 1895. Aussi des Italiens de naissance, mis en présence du texte de Morosini, se sont-ils déclarés incompétents, ou n'ont donné que des traductions qui n'en étaient pas. J'ai profité du bon vouloir de l'un de mes frères, qui avait passé plusieurs années en Italie, pour essayer, dans les Études Religieuses, une traduction que j'eusse voulu meilleure. Je promettais de continuer les efforts. M. Baroncelli a bien voulu me venir encore en aide ; et m'a envoyé une traduction en italien moderne. Non seulement M. le sous-bibliothécaire comprend notre langue; il l'écrit ; il a bien voulu corriger les épreuves du texte que l'on trouvera aux Pièces justificatives. Je suis heureux de lui en exprimer ici toute ma gratitude.

  Les passages de Morosini sur la Pucelle sont au nombre de vingt-trois. Onze se composent de lettres écrites par Pancrace Justiniani à son père. Elles sont souvent fort longues et fort intéressantes; c'est la partie vive de la Chronique en ce qui regarde la Pucelle. La plupart des autres n'ont guère de valeur que comme expression du sentiment que la Pucelle produisait dans la chrétienté, et de ce que la renommée publiait sur son compte. Les Annales de Venise sont pleines des noms des Justiniani et des Morosini. Des études postérieures feront, il faut l'espérer, découvrir ce que fut l'auteur de la Chronique qui se révèle au folio 520. Il nous apprend qu'il s'appelle Antonio Morosini, et au folio 566, il nous dit avoir un frère nommé Giusto, en 1431 commissaire de la galée de Corone. Elles révéleront aussi ce que fut Pancrace Justiniani. Il est certain qu'en résidant à Bruges il était en situation de savoir, mieux que partout ailleurs, ce qui se passait en France. Capitale de la Flandre et des États septentrionaux du duc de Bourgogne, Bruges était souvent le lieu de séjour du duc ; elle était en communication constante par le commerce avec les villes déjà si industrielles de ce qui forme aujourd'hui les Pays-Bas. Justiniani est très sympathique au parti français ; il se réjouit des défaites des Anglais. Il observe, il prête l'oreille à ce qui se dit; il ne rapporte que ce qui lui semble avoir quelque fondement, et attend souvent de l'avenir la confirmation ou le démenti des nouvelles qu'il transmet sous réserve. Il mérite de prendre rang parmi les témoins de la Vénérable.

  Quelques remarques critiques accompagneront chacune des lettres reproduites. Pour faciliter la confrontation avec les autres documents, des divisions par chapitres avec des sommaires ont été introduites dans la traduction.


      

Chapitres :

- Première lettre
- Deuxième lettre
- Troisième lettre
- Quatrième lettre
- Cinquième lettre
- Sixième lettre
- Septième lettre
- Huitième lettre
- Neuvième lettre
- Dixième lettre
- Onzième lettre
- Douzième lettre
- Treizième lettre
- Quatorzième lettre
- Quinzième lettre
- Seizième lettre
- Dix-septième lettre
- Dix-huitième lettre
- Dix-neuvième lettre
- Vingtième lettre
- Vingt-et-unième lettre
- Vingt-deuxième lettre
- Vingt-troisième lettre.


                                    
             


Source : Présentation de la chronique : J.B.J. Ayroles : " La vraie Jeanne d'Arc" - tome III "La libératrice", p.567.

Les textes originaux (en vert) sont ceux publiés par J.B.J Ayroles dans " La vraie Jeanne d'Arc" - tome III "La libératrice", p.567 et suivantes.
Les notes d'érudition sont celles de Germain Lefèvre-Pontalis, parues dans "Chronique d'Antonio Morosini", t.III (1898), p.13 et suivantes, accompagnées de la traduction de Léon Dorez.


Article de Léopold Delisle à propos de la chronique de Morosini :
  Léopold Delisle dans le "Journal des savants" d'août 1895 (p.511 à 518) raconte comment, grâce au père Ayroles, il a découvert la chronique d'Antonio Morosini qui avait échappé à Jules Quicherat. Trouvée dans un manuscrit de la bibliothèque Saint-Marc à Venise, voici la relation de cette découverte qui nous permet également d'avoir un aperçu de la valeur de cette chronique :

  "Au mois de mai dernier, le R.P Ayroles, qui poursuit avec ardeur ses recherches sur l'histoire de Jeanne d'Arc, voulut bien m'entretenir d'un opuscule publié à Trieste en 1892, dans lequel Mme Adèle Butti avait signalé l'intérêt d'une chronique italienne d'Antonio Morosini. Cette chronique, d'après les indications de Mme Butti, devait contenir vingt et une pages in-folio relatives à la Pucelle, et il en existait deux copies modernes : l'une à la bibliothèque impériale de Vienne, en caractères illisibles, l'autre à la bibliothèque St Marc à Venise, cette dernière ayant été faite d'après l'exemplaire de Vienne, et l'exactitude en avait été vérifiée par M. le commandeur Bartolomeo Cecchetti.
  Le R.P Ayroles me pria de lui faire copier les pages du manuscrit de Venise (t.II, p.983-1004) que Mme Butti avait mentionnées comme se rapportant à Jeanne d'Arc. Je m'adressai à mon savant et obligeant collègue M.Carlo Castellani, préfet de la bibliothèque de Saint-Marc, qui, peu de jours après m'envoya la transcription des passages visés par Mme Butti. M. le sous-bibliothécaire Vittorio Baroncelli, qui avait exécuté la copie avec le plus grand soin, voulut bien m'avertir que l'exemplaire vénitien, classé à Saint-Marc sous la côte Ital.cl.VII, n°MM.XLVIII, était la copie de l'exemplaire conservé à la bibliothèque de Vienne sous les n°6586 et 6587. Il ajoutait que Mme Butti n'avait pas renvoyé à tous les articles qui concernaient Jeanne d'Arc, et il m'offrait de compléter son travail en transcrivant tout ce qui touchait à un sujet si cher aux Français. J'acceptai sa proposition avec empressement et, grâce à M. Vittorio Baroncelli, le R. P. Ayroles est aujourd'hui en possession de tout ce que Morosini nous a transmis sur les faits de Jeanne d'Arc. Espérons qu'il ne tardera pas à nous faire jouir du trésor dont il a le mérite de nous avoir révélé l'existence !
  Je me suis empressé de faire part de cette découverte à la Société de l'Histoire de France qui en publiant le recueil de Quicherat, a ouvert des voies nouvelles aux historiens de la Pucelle. C'est d'ailleurs, cette compagnie qui parait devoir être appelée à mettre en lumière, non pas le texte complet de la Chronique de Morosini, mais au moins les parties de cette chronique qui intéressent directement notre pays. Il y aura là, n'en doutons pas, la matière d'une très curieuse publication, dont s'occupe déjà M. Germain Lefèvre-Pontalis, et que ce jeune savant saura mener à bonne fin.
  Un examen rapide des extraits du manuscrit de Saint-Marc me porte à croire que la partie originale de la Chronique de Morosini est beaucoup moins un récit suivi qu'un recueil de relations adressées soit aux magistrats de la Sérénissime République ; soit à de notables Vénitiens, pour les tenir au courant des événements qui s'accomplissaient dans les pays avec lesquels ils entretenaient  des rapports de commerce.
  Les guerres dont la France était le théâtre devaient jeter une grande perturbation dans les opérations des négociants de Venise. De là, nécessité pour eux d'être exactement renseignés sur la situation des partis, sur la marche des armées et sur les intrigues diplomatiques. A cette fin, ils avaient organisé un système de courriers qui leur apportaient des dépêches rédigées par des agents généralement bien informés ; ils se faisaient, en outre communiquer les nouvelles arrivées dans différentes cités de la haute Italie.
  Les lettres et les bulletins de ce genre qu'Antonio Morosini a rassemblés forment un véritable journal, dont j'ai pu apprécier le caractère et l'importance en parcourant une partie des pièces relatives à Jeanne d'Arc. On en jugera par une courte analyse de plusieurs les morceaux sur lesquels il m'a été donné de jeter les yeux (1). Ce sont généralement des lettres privées, écrites d'Avignon, de Marseille et surtout de Bruges en dialecte vénitien.
   Je commence par citer le passage où sont décrites les armes et l'étendard de la Pucelle :
..."ladite damoiselle s'est fait faire une armure à sa taille. Elle chevauche et va armée de toutes pièces comme un soldat, et plus merveilleusement. Il paraît qu'elle a trouvé dans une église une très antique épée sur laquelle, dit-on, il y a huit croix, et elle n'a point d'autre arme.
  Elle porte aussi, un étendard blanc sur lequel est Notre Seigneur, tel qu'on le figure sur les images de la Trinité ; d'une main, il tient le globe et de l'autre il bénit. De chaque côté est un ange présentant des fleurs de lys comme celles dess rois de France.
"

  Je prendrai maintenant quelques extraits des dépêches postérieures. D'une lettre écrite de Bruges, le 16 juillet 1429, par Pancrace Giustiniani à son père Messire Marc :
..."Le Dauphin est passé à Troyes, avec l'intention d'aller à Reims ; il ne fait rien sans le conseil de la damoiselle, laquelle dit qu'elle chassera les Anglais de France."
  Lettre- du même, datée de Bruges, le 27 juillet 1429 :
..."Ci-dessous je dirai ce que j'ai appris des nouvelles de France le 27 de juillet. On sait de certain, par diverses voies que, environ le 12 de ce mois, le Dauphin eut Troyes de Champagne ; avant qu'il l'eut, ceux du dedans voulaient un répit de trois jours, et puis volontairement la ville se rendit à lui comme à son vrai seigneur, et lui pacifiquement pardonna à tous ses habitants et les reçut avec bonté, et tout de suite, par le commandement de la Pucelle. On dit qu'elle est la tête, le moyen, la directrice de tout, et on dit qu'elle suit le Dauphin ; et qu'il y a avec eux vingt-cinq mille hommes de cette troupe, sans ceux qui sont aux confins de la Normandie avec le duc d'Alençon.
  "Partis de Troyes, ils sont venus à Reims, où tous les rois de France se font sacrer ; ils y arrivèrent, le samedi 16ème jours de ce mois, et sans aucune difficulté leur furent ouvertes les portes de la ville ; et le dimanche 17, le Dauphin fut sacré avec toutes les cérémonies, et le sacre dura depuis tierce jusqu'aux vêpres, et la nouvelle en est arrivée par beaucoup de voies.
"

  Une lettre du même, écrite de Bruges le 2o novembre 1429, arrivée à Venise le 23 du mois suivant, fait allusion à une lettre du 4 novembre, qui avait été expédiée par la scarséla. Cette scarsela dont il est plusieurs fois fait mention devait être la valise des courriers qui faisaient le trajet entre Bruges et Venise.

  La lettre du 2o novembre donne les nouvelles qu'avait apportées un ambassadeur du duc de Bourgogne, arrivé de Paris la veille ; c'est-à-dire le 19 novembre. Le bruit courait courait que le Roi de France se mettait en mesure de tenir la campagne, au prochain printemps, avec une troupe extrêmement nombreuse. "On dit entre soi que le roi aurait cent mille hommes sur pied, c'est possible mais cela me paraît un bien gros chiffre. Tous se mettent en mouvement aux paroles de la Pucelle, laquelle, à coup sûr est en vie. Et bien nouvellement elle a pris d'assaut un château très fort à cinq lieues de Paris. Elle a aussi pu combattre sur la Loire. On raconte depuis peu de jours tant de choses des faits de celle-ci que, si c'est vérité, c'est à emerveiller ceux qui le croient et ceux qui ne le croient pas. A mon sens, chacun suivant sa guise, le redresse et l'arrange, l'amplifie ou le diminue comme il le trouve bon, mais tant y a que tout le monde s'accorde à dire qu'elle est toujours avec le roi, et tout ce qui se fera de nouveau aura le même principe ; le croire n'est pas mal, et qui ne le croit pas ne fait cependant rien contre la foi."

  Le 25 juin 1430, on annonce à la seigneurie ducale la victoire remportée à Authon, le 11 de ce mois, par le sire de Gaucourt et Rodrigue de Villandrando. Le bulletin se termine par ces mots : "la demoiselle est en bonne santé, très active et illuminée de la grâce de Dieu ; son entreprise réussit" (2)

  Nouvelles envoyées de Bruges le 3 juillet 1430 :
..."On dit que, le jour de l'Ascension (24 mai), la damoiselle était toujours avec le Roi. On dit aussi qu'elle a été prise par le Duc de Bourgogne. Nous ne savons pas ce qu'il en est, on l'apprendra. Depuis, le bruit a couru que la damoiselle avait été enfermée avec plusieurs autres damoiselles dans une forteresse, sous bonne garde ; mais grâce à Dieu, la garde ne l'a pas empêchée de s'en aller. Elle est retournée au milieu de ses gens, sans dommage pour sa personne."

  Nouvelles de Bruges envoyées le 24 novembre 1430, reçues à Venise le 19 décembre :
..."La Pucelle a été envoyée à Rouen, au roi d'Angleterre, par Jean de Luxembourg, qui l'a livrée pour 10.000 couronnes. On ne sait ce qui en adviendra ; mais on redoute que les Anglais la fassent mourir. Vraiment ce sont des grandes et étranges choses qu'elle a faites. On écrit qu'elle a parlé à beaucoup de gens depuis qu'elle est prisonnière. Tout le monde s'accorde à dire qu'elle est de bonne vie, très honnête et très sage."

  Autres nouvelles de Bruges, en date du 15 décembre 1430 :
..."La Pucelle serait aux mains du Duc de Bourgogne, et beaucoup en tirent la conséquence que les Anglais l'auraient pour de l'argent ; et le Dauphin l'ayant su envoya une ambassade dire au Duc que pour rien au monde il ne devait consentir à un tel marché."

  Une dernière lettre, du 22 juin 1431, a trait au supplice de l'héroïne :
..."La noble damoiselle avait été gardée à Rouen dans une très étroite prison ; on disait que, par deux ou trois fois, les Anglais l'avaient voulu faire brûler comme hérétique, n'eût été messire le Dauphin de France, qui a envoyé moult menacer les Anglais ; mais nonobstant cela, à la troisième fois, beaucoup d'Anglais, avec l'aide de quelques Français, la firent ardre à Rouen. Elle, avant le martyre, était bien contrite, et très pieusement disposée ; on dit qu'alors lui apparut Madame sainte Catherine, vierge, qui la réconfortait en lui disant "Fille de Dieu, reste ferme dans ta foi, et avec cela tu seras au nombre des vierges du paradis dans la gloire". Et après elle mourut avec contrition. De quoi Messire le Dauphin, roi de France, mena un deuil très amer, annonçant l'intention de tirer une vengeance terrible des Anglais... On prétend que les succès des Français sont la cause du supplice de la Pucelle, les Anglais disant "la damoiselle une fois morte, l'entreprise du Dauphin ne réussira plus". Plaise à Dieu que ce soit le contraire !"

  Ce simple aperçu doit suffire, je crois, pour montrer l'utilité du travail à entreprendre en France sur la Chronique d'Antonio Morosini. Il est fort étonnant que personne ne s'en soit jusqu'ici occupé et que l'auteur d'un aussi curieux recueil ait passé inaperçu. Le nom d'Antonio Morosini ne figure pas dans les grands répertoires biographiques et bibliographiques. On le chercherait vainement dans la Bibliotheca historica medii oevi de Potthast et même dans la Bio-bibliographie du chanoine Ulysse Chevalier. J'ai cependant réussi à trouver sur l'œuvre et sur l'auteur des renseignements consignés dans deux livres imprimés, bein connus des érudits.
  Les notes de M.Baroncelli m'avaient appris que la copie de la bibliothèque de Saint-Marc représentait les manuscrits 6586 et 6587 de la bibliothèque impériale de Vienne. Je n'eus qu'à ouvrir le tome V des Tabalæ codicum manuscriptum ..Vindobon (p.23) pour y lire une notice ainsi conçue :

...6586-6587 (Foscarini 234-235). Chartacei XV sæculi, 319 et 393 fol - Antonio Morosini, "Cronica veneta" ab urbe condita usque ad annum millesimum quadringentesimum trigesimum tertium  ; ab initio inutila.

  Toute brève qu'elle est, cette notice nous édifie sur deux points essentiels : 1° le manuscrit de Vienne date du XV° siècle et n'est pas une copie moderne, comme le croyaient les correspondants du P. Ayroles - 2° il a fait partie de la bibliothèque du célèbre Marco Foscarini, doge de Venise, mort le 31 mars 1763.
  Or il existe un catalogue détaillé des manuscrits de Marco Foscarini, que le gouvernement autrichien acquit au commencement de ce siècle pour 10.880 livres vénitiennes et qui arrivèrent à Vienne le 2 avril 1801. Ce catalogue, rédigé par Tommaso Gar a été inséré en 1843 dans le tome V de l'Archivio storico italiano, lequel porte comme second titre : Storia  arcana ed altri scritti inediti di Marco Foscarini, aggiuntovi un Catalogo, dei manoscritti storici della sua collezione (Firenze, Vieusseux, 1843 ; in-8°)
  La notice consacrée dans ce catalogue aux manusçrits CCXXXIV et CCXXXV de la collection Foscarini  est ainsi conçue :

  Cod. ccxxxiv, n° 6586.
  Ms. sur papier du xv° siècle, difficile à lire, bien conservé, 320 feuillets in-4°
  CRONACA VENETA DI ANTONIO MOROSINI, depuis l'origine de la ville jusqu'en 1433.
  Première partie de 1192 à 1415.
  Cette chronique arrive à la connaissance de Foscarini quelques années après la publication de sa Letteratura veneta ; voilà pourquoi il n'en est pas question dans cet ouvrage.
  La valeur de la chronique ressort d'une note annexée au manuscrit et qui a  peut-être été rédigée par Foscarini lui-même.

  En voici la teneur :
  "La présente chronique ainsi appelée par l'auteur, qui fut comme on le voit au feuillet 6o4 du manuscrit, Antonio Morosini.q.Marco ; est incomplète des cinquante premiers feuillets, on voit cependant que, conformément à l'usage des autres chroniqueurs, il a ecrit des annales succinctes en suivant la chronologie des Doges. Les cinquante feuillets qui  manquent au commencement contenaient l'histoire de la ville de Venise depuis la fondation jusqu'à 1192, date de l'élection du doge Enrico Dandolo.
  Plus l'auteur se rapproche du temps où il a commencé à écrire, plus il abonde en renseignements. On peut supposer qu'il se mit à l'œuvre en 1374, mais ce ne fut certainement pas après 1380, et il descend jusqu'au cours de l'année 1433 ; on ne peut savoir l'époque précise où il s'est arrêté, car il manque beaucoup de feuillets à la fin du manuscrit.
  Cette chronique que l'on pourrait appeler un très exact journal à partir de 1374, a une valeur inestimable. On y voit les moindres affaires et les faits les plus considérables de la République, les guerres offensives ou défensives qu'elle a entreprises, soit seule, soit avec des alliés, tant contre des puissances isolées que contre des princes ligués ; les délibérations du conseil des Pregadi, moins les actes qui devaient rester secrets ; les séances du Grand Conseil, avec le nombre des membres présents, le texte des motions proposées et le résultat des votes, l'envoi et le retour des ambassadeurs ; les commissions qu'ils recevaient, et les réponses qu'ils adressaient ; les expéditions des navires pour l'Egypte, la Syrie, Constantinople, Azof, Trébizonde et les autres parties du Levant, Aigues-Mortes et l'Angleterre ; les noms des capitaines et des commissaires, la nature et la valeur des chargements qu'ils portaient dans ces pays et des marchandises qu'ils en ramenaient. Antonio Morosini désigne les personnes dont il parle par les noms et les surnoms, auxquels il joint l'indication du père et celle du pays d'origine. Il mentionne les navires naufragés, ceux qui tombaient entre les mains des ennemis en temps de guerre, et ceux qui étaient la proie des corsaires ; à propos des bâtiments perdus ou pillés de part et d'autre, il fait connaitre exactement ce qu'ils portaient, la valeur et la qualité du chargement, les noms des morts, des blessés et des prisonniers ; il donne des renseignements sur les inondations, sur les dommages qui en résultaient, sur les épidémies, les tremblements de terre et les tempêtes, les grêles, les pluies successives et les sécheresses ; il décrit les processions faites pour obtenir de Dieu la cessation des calamités, et pour lui rendre grâces des victoires remportées. De tous les faits qu'il rapporte, il n'indique pas seulement l'année et le jour, il fixe encore l'heure à laquelle ils ont eu lieu. On trouve aussi dans la chronique la liste des grands princes qui sont venus à Venise, la façon, dont ils ont été reçus et traités, les présents qui leur ont été offerts, les joutes données en leur honneur, les récompenses remises aux vainqueurs. Enfin, ce qui donne le plus de prix à la chronique, c'est que l'auteur y a exactement enregistré, avec force détails, toutes les guerres de l'Europe, et aussi celles de l'Asie et de l'Afrique, qui avaient quelque rapport avec le commerce des Vénitiens. Dans les pages consacrées à la guerre entre la France et l'Angleterre, on remarque les faits de la Pucelle d'Orléans. Morosini relate tout ce qui est arrivé au concile de Constance, il rapporte les conditions des ligues et des traités de paix, il reproduit des lettres écrites des différents lieux au sujet de batailles et autres faits considérables ; en somme c'est l'histoire générale, très exacte de plus d'un demi-siècle.
  Cette chronique ou journal est écrite en langue vénitienne, en termes très simples, dont quelques-uns ne sont plus en usage. Chez l'auteur brille la vérité , la simplicité, l'impartialité, toutes qualités qui se rencontrent chez si peu d'écrivains ; et d'un bout à l'autre du recueil se révèlent avec une profonde sincérité les sentiments d'un patriote jaloux de la gloire de son pays et du bien public ; on y sent les battements d'un cœur vraiment chrétien"

  Le manuscrit fut donné en 1756 à Marco Foscarini par le signore Annibale degli Abati Olivieri di Pesaro, également illustre par sa naissance et par son amour des lettres. On l'a relié pour plus de commodité en deux tomes qui portent les titres de première et seconde partie.
  Au paragraphe 3 du feuillet 515, il est dit que l'auteur de la chronique eut une sœur mariée à Francesco Cornaro da S.Fosca, lequel eut un fils du nom de Donato.
  Au feuillet 520, à la fin du premier paragraphe, nous voyons aussi que l'auteur se nommait Antonio Morosini. D'après le paragraphe 2 du feuillet 566, il eut un frère nommé Giusto. Il était en 1431 commissaire de la galée de Corone.

  Nous voilà donc bien fixés sur la date à laquelle vivait Antonio Morosini, sur la source et la nature des renseignements qu'on peut espérer trouver dans sa chronique et sur la nécessité d'y recourir pour étudier l'histoire comprise entre les années 1374 et 1433.
  Est-ce le caractère d'addition au récit continu, caractère que ces informations présentent à un degré assez marqué, est-ce leur forme par trop accentuée de légende, qui a fait exclure cette seconde série de la plupart des manuscrits, en ne la conservant que dans le manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne ? Peut-être ces deux motifs ont-ils concouru l'un comme l'autre à ce bizarre ostracisme.



Les chroniques

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Les chroniqueurs "français" :
- la geste des nobles français
- la chronique de la Pucelle
- le journal du siège d'Orléans
- la chronique de Jean Chartier
- la chronique de Perceval de Cagny
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- la chronique de Tournay
- l'histoire de Charles VII de Thomas Basin
- la chronique du héraut d'armes Berri
- le registre delphinal de Thomassin
- la chronique de Richemont
- le miroir des femmes vertueuses
- la chronique fête du 8 mai
- l'abbréviateur du procès
- doyen de St-Thibaud de Metz

Les chroniqueurs "anglo-bourguignons" :
- La chronique de Monstrelet
- La chronique des Cordeliers de Paris
- Gilles de Roy
- Le Bourgeois de Paris
- La chronique de P. Cochon
- La chronique de Jean Wavrin
- La chronique de Chastellain
- Le registre du parlement de Paris
- Les mémoires de Lefèvre de Saint Rémi

Les chroniqueurs étrangers :
- la chronique de Windecke
- la chronique de Morosini
- les mémoires de Pie II



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Jeanne d'Arc, histoire et dictionnaire