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La chronique de Morosini
Lettre 10 - index
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u cours de 1429.
Par lettre ser Pancrazio Giustiniani écrit de Bruges à messer Marco, son père, le 16 juillet :
De nouveau, il y a ce que je vous ai écrit d'ici, et d'abord, que le cardinal d'Angleterre, qui était avec ces 4000 Anglais qui devaient aller contre les Hussites, est parti hier de Calais pour aller à Paris, et on dit qu'il devait « passer » de bref en tout autant d'Anglais; et on n'a rien su de plus sur cette affaire (1).
Après le départ de monseigneur de Bourgogne, quelques-uns disent qu'il est arrivé à Paris, d'autres disent que non, qu'il n'a pas voulu y aller et qu'il se trouve à Senlis avec ses gens et cherche à entrer en négociations (2) avec le dauphin et avec ses propres beaux-frères qui sont Charles de Bourbon et le comte de Richemont, et à se mettre d'accord avec eux; mais on écrit que l'on n'en croit rien (3).
On écrit encore que le dauphin, avec la Pucelle et tous ses gens, qui sont au nombre de plus de 25.000 (4), a passé par Troyes en Champagne et beaucoup d'autres lieux, parce qu'il a l'intention de se trouver pour aller à Reims (5) et que pour le présent il ne se soucie de prendre des terres (6); qu'aussitôt arrivé à Reims, il sera couronné et sera obéi par tous ses fidèles. Il en est qui disent le contraire; mais chacun n'en parle qu'à sa volonté. Tant y a-t-il, cependant, que l'opinion commune est que le dauphin sera couronné, et l'on tient pour certain que, s'il en arrive ainsi ou qu'il en soit déjà arrivé ainsi (7), dès qu'il sera parti de là, son droit chemin sera en son pays (8); et il paraît aussi que beaucoup ont dit que, si Dieu n'y met pas la main, il en doit être ainsi; mais qu'un parti rencontrant l'autre, il y aura assez de forces pour une bataille (9), et l'on dit qu'à cette bataille veut être le duc de Bourgogne en personne, qui a fait grands commandements par toutes ses terres. Que Dieu veuille y pourvoir (10)! Mais faites votre compte qu'en tout ce qu'il fait, le dauphin ne fait rien que par le conseil de la damoiselle, laquelle lui dit qu'elle chassera du tout les Anglais de France (11).
X (pages 1008-1013, f° 507). (*)
Per letera scrive ser Pangrati Zustignan da Broza a miser Marcho so pare de dy xvj. de Iuio :
de nuovo quelo che de qui ve scrisy eser prima, che el gardenal di Ingletera, che iera con queli iiijM. ingelexi, che deveva andar contra i Usi, partise ieri da Cales per eser a Paris, e dixese deveva pasar de brieve ala suma de altry tanti ingelexi, ne altro in quela se ave a dir.
Monsignor de Borgogna da può el se parti alguni dixe che l'è zionto a Paris, e per alguni de no, e ch'el non dà voiudo andar, e ch'el dito se truova a Sanlis, una giente, e circha largo a tratar parlamento chon suò cugnadi e con el dolfino, che è Carlo de Barbon e'l conte de Uziamonte, e meterse d'acordo, ma de questo se scrive niente de crede.
Scrivese anchora el dolfino chon la poncela e con tuta la soa giente, in suma sono pluy de XXVM, eser pasadi da Tros de Canpagna e da molti altry luogi, per chaxiom à anemo de trovarse per andar a Rens, e che de tuor tere per lo prexente non sende cura, che subito a Rens zionto là el sera incoronado, e sera hobidiente dai suo fedeli, e chi dixe el contrario, ma ziaschuno parla se non per la soa voluntade, ma tanto è, che opinion è che questo doilino incoronado sia, e tiense se cusi seguirà, over ch'el sia seguido, e partidi hi sera de la el so dreto camin sera in so paixe, e par ancora, a dito molti, che se Dio non de meta la man soa, cusy debia eser, ma a una ziornada, per caxon sera forzo una parte con 1'altra, schontrandose, e vien dito che a questa ziornada de vuol eser Borg. in persona, el qual a fato gran comandamento per tuti suo luogi; Dio che può proveza, ma fe vostro conto, chomo fa el dolfino, niente fa se non per lo conseio dela donzela, la qual i dixe al tuto la cacerà ingelexi de Franza.
Source : Les textes originaux (en vert) sont ceux publiés par J.B.J Ayroles dans " La vraie Jeanne d'Arc" - tome III "La libératrice", p.567 et suivantes (ndlr : avec quelques petites corrections au vu du texte de Germain-Pontalis).
Les notes d'érudition sont celles de Germain Lefèvre-Pontalis, parues dans "Chronique d'Antonio Morosini", t.III (1898), p.66 et suivantes, accompagnées de la traduction de Léon Dorez.
Toutes les notes sont référencées mais les références ne sont pas toujours mentionnées ici pour plus de clarté.
Extraits des notes de G.Lefèvre-Pontalis :
1 Le corps d'armée du cardinal d'Angleterre, que Pancrazio Giustiniani, dans les additions de sa lettre du 9 juillet, signalait comme en partance, est encore en Angleterre le 5 juillet. Le renseignement intéressant, ici donné, fixe son départ de Calais pour l'intérieur de la France au 15 juillet. — Dans cette traversée et ce passage semblent bien compris et le corps d'armée du cardinal, dont la destination primitive contre les Hussites avait été modifiée, et celui de John Radclyff, en tout 3,500 à 4,000 combattants à peine. — Paris, en effet, était le but de ces troupes. Mais d'Amiens elles se dirigent d'abord sur Rouen, où Bedford est allé les attendre (Monstrelet, II, ch. LXII), et leur entrée définitive à Paris n'a lieu que le 25 juillet. (Journal de Clément de Fauquembergue, Procès, t. V, p. 453) — Ce jour même, 16 juillet, second jour de leur marche en France, Bedford, de Paris, expédiait un héraut en Angleterre pour réclamer éperdûment ce renfort. (Instruction à Jarretière, roi d'armes, en date de Paris, 16 juillet, Rymer, Fœdera.) Quant à la seconde armée, soi-disant en préparation, son chiffre est porté ici à 4.000, au lieu de 8.000 ou 3.000 naguères.
2 En réalité, le duc de Bourgogne est entré à Paris le dimanche 10 juillet, et en est reparti le samedi 16 au matin, jour même de cette lettre (Bourgeois de Paris), pour la direction de Laon. (Greffier de la Rochelle) Lettre de trois gentilshommes angevins à la reine de France et à la duchesse douairière d'Anjou, mère de la reine, en date de Reims, le 17 juillet, (F. Boyer, Variante inédite d'un document sur le sacre de Charles VII, p. 5-8, et Quicherat, Procès, t. V, p. 130.) Les documents connus ne font pas d'allusion à ce qu'il ait fait quelque halte à Senlis, point qui se trouvait sur sa route normale, à l'aller, pour se rendre d'Hesdin à Paris, et par lequel il pouvait passer, au retour, de Paris vers Laon. Cette incertitude sur la réalité de son voyage à Paris est singulière : on la constate également dans la lettre des Angevins qui vient d'être citée, écrite cependant à Reims même, le 17. (Lettre des Angevins) — Cette présente correspondance de Pancrazio Giustiniani étant datée du 16 juillet même, et de Bruges, les allusions à des négociations de paix entre le duc et le roi, qui s'y trouvent contenues en ce passage, ne peuvent se référer à l'ambassade que Philippe le Bon expédie à Charles VII, en réalité, de Laon à Reims, le 17 juillet seulement. (Greffier de la Rochelle, Lettre des Angevins, Mém. de Pie II, Procès, t. IV, p. 514; compte 38 de Jean Abonnel,* receveur général des finances du duc de Bourgogne, de janvier à décembre 1431, dans Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. II, p. 404, n. 3.) — Il s'agit seulement du bruit persistant, déjà recueilli, à plusieurs reprises, dans les correspondances précédentes, à savoir que le duc se déplace dans la direction de Paris pour traiter avec Charles VII.
3 Charles de Bourbon, comte de Clermont, et Arthur de Bretagne, comte de Richemont, connétable de France, sont en effet les deux beaux-frères de Philippe le Bon, ayant épousé ses deux sœurs, le premier, en 1425, Agnès, cadette des enfants de Bourgogne, le second, en 1423, Marguerite, veuve du dauphin de France Louis, duc de Guyenne, mort en 1415. Le comte de Clermont accompagnait en effet le roi, de l'accord de tous les textes, pendant la campagne du sacre. Quant au connétable, après une courte apparition sur le théâtre des combats, à la prise de Beaugency, le 17 juin, puis à la journée de Patay, le 18, il s'était vu écarté du roi par la tenace rivalité de La Trémoïlle, et se tenait depuis, soit retiré dans sa terre de Parthenay, soit occupé à une diversion sur les lisières de Normandie vers le Perche.
4 Evaluation pareille à celle des additions de la lettre du 9 juillet et semblant toujours exagérée.
5 La lettre suivante va revenir avec plus de détails sur les conditions de la reddition de Troyes, qui a eu lieu les 9 et
10 juillet, et sur le départ du roi et de l'armée, qui ont, en effet, quitté Troyes, le 11 juillet, à la première heure. — La lettre suivante donne également lieu à commenter la marche de Troyes à Reims. — Il suffit d'indiquer ici que l'armée tire directement, par Châlons, vers la direction de Reims, où elle entre le 16, jour même de cette lettre.
6 Cette expression doit répondre à quelque impression textuellement traduite. Il est curieux de la relever, presque identique, dans la dernière phrase de la lettre des Angevins, écrite à Reims même, le 17 : « Par deçà le Roy n'entend que à fere son chemin, et pour ce ne besoigne riens en autres choses. » (Boyer, Variante inédite, passage ne figurant pas dans le texte du Procès, t. V, p. 130.)
7 Prévision qui va se réaliser : Charles VII, entré à Reims le samedi 16 juillet, dans l'après-midi, y est sacré dès le lendemain dimanche 17.
8 L'impression générale est alors, en effet, que le roi, sitôt sacré, doit marcher sans arrêt sur l'Ile-de-France et sur Paris. Impression dictée par le plus sûr des instincts. A Reims, le 17, jour même du sacre, le départ pour Paris s'annonçait ouvertement pour le lendemain. « Demain s'en doibt partir le roy tenant son chemin vers Paris », porte la Lettre des Angevins. (Boyer, Var. inédite, p. 5-8, et Procès, t. V, p. 130.)
9 Prévision de bataille rangée, qui ne deviendrait discutable que plus tard, au commencement d'août, lors de la première retraite de l'armée royale sur la Seine, ou vers la mi-août, lors de la marche définitive sur Paris.
10 Ce renseignement sur la réunion de forces bourguignonnes est exact. Un mandement du maréchal du duché de Bourgogne, Antoine de Toulongeon, donnait rendez-vous à divers contingents à Châtillon-sur-Seine, à la frontière du duché, pour le 28 juillet. (De la Barre, Mém. pour l'hist. de Bourgogne, t. II, p. 202-203.)
11 Expression à laquelle le caractère absolument contemporain et désintéressé de ce document donne une portée considérable, en ce qui concerne la question de la limitation ou de l'extension de la mission de Jeanne d'Arc, question sur laquelle certains passages de correspondances antérieures ont dû appeler l'attention. (Lettres en date des derniers jours de juin et du 30 juin.) Le sentiment populaire, en tout cas, ne s'y trompe pas, et, avec le plus sûr des instincts, n'entend pas à demi l'œuvre de la Pucelle, ne la comprend pas sans la libération totale de la France. On en saisit ici sur le fait un exemple, dans ce propos si naturellement prêté à Jeanne d'Arc, et dont tout commentaire affaiblirait la portée.
Remarques d'Ayroles sur cette lettre :
[Il faut observer ici la discrétion du correspondant, qui ne donne comme certain que le débarquement du Cardinal, la convocation des troupes féodales dans les terres du duc de Bourgogne, et présente le reste comme des bruits qui trouvent des contradicteurs. Le duc Philippe s'était bien rendu à Paris, où il entra le 10 juillet ; mais en même temps qu'il resserrait son alliance avec les Anglais, il faisait des propositions de paix à Charles VII, et envoyait des ambassadeurs à Reims. Double jeu qui ne devait que trop lui réussir. En conjecturant que Charles VII allait se faire sacrer, s'il ne l'était pas déjà, Pancrace voyait juste. En disant qu'aussitôt après le sacre, il se rendrait dans son pays, il semble bien, d'après ce qui suit, qu'il faut entendre l'Ile-de-France.
Remarquer encore comment la Pucelle disait qu'elle devait absolument et entièrement chasser les Anglais du royaume.]
Notes :
* Le premier chiffre indique la pagination de la copie de Venise, le second les folios de l'original de Vienne.
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