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Journal
du siège d'Orléans
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Avril 1429 |
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1 avril :
e vendredy d'aprez qui fut premier jour du mois d'avril, et en cellui
an mil quatre cens vingt neuf, alèrent les François
escarmouscher les Anglois prez de leur boulevart, qu'ilz avoyent
faict de nouvel à la grange Cuyveret. Pour quoy ilz saillirent
contre eulz à tout deux estandars, et demourèrent
là grant espace de temps l'un devant l'autre et tirans les
ungs contre les autres de canons, couleuvrines et autre traict,
tellement que de chacune partie y en eut plusieurs bleciez.
*
* *
2 avril :
e lendemain arrivèrent dedans Orléans neuf beufz gras,
et deux chevaulz chargez de cheveraulx et de vivres. Et ce jour
meismes, aprez midy, escarmouchèrent les Franchois de rechef
le boulevart de la grange Cuyveret, là où ilz furent
bien recueilliz ; car de la bastille Sainct Lorens saillirent contre
eulz environ quatre cens combatans, portant avec eulz deux estandars,
dont l'un estoit celui de sainct George, estant my party de blanc
et de rouge, et ayant ou milleu une croix ; et vindrent jusques
à sainct Maturin et ou champ Turpin (1),
chargant fort sur les-François, lesquelz furent mis en belle
ordonnance par le bastard d'Orléans, le seigneur de Graville,
La Hire, Poton et Tilloy : tant qu'ilz se portèrent
très vaillamment, et y eut très forte et grousse escarmousche.
Durant laquelle tirèrent merveilleusement de chacune partie
de leurs canons, bombardes, couleuvrines et autre traict, tellement
que en fin y furent plusieurs tuez et blecez, tant des Françoys
comme des Angloys.
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3 avril :
Le dimanche ensuivant, dit Quasimodo, c'est le jour de Pasques clouses,
saillirent aucuns habitans d'Orléans et gangnèrent
environ Sainct Loup ung chalan, ouquel avoit neuf tonneaulx de vin,
et ung pourceau, et de la venoison, qu'on cuidoit mener aux Angloys,
en celle bastille de Sainct Loup ; mais ceulx d'Orléans beurent
le vin, et mengèrent le pourceau et la venoison.
Et celluy mesme jour, eut forte escarmousche, entre
les paiges des François et ceux des Angloys, entre les deux
isles Sainct Lorens ; et n'avoyent escuz, sinon de petiz paniers
; et gectoient pierres et calloux, les ungs contre les autres. Au
derrenier firent ceulx des François reculler les autres des
Angloys ausquelz regarder y avoit mout de gens. Et pour celle escarmouche
et autres que deppuis firent devant Orléans les paiges françois,
estoit leur cappitaine l'un d'eulx gentilhomme du Daulphiné,
nommé Aymart de Puiseux : lequel fut depuis nommé
Capdorat par La Hire, tant parce qu'il estoit fort blanc, comme
aussi parce qu'il estoit fort esveillé et de grant hardiesse
entre les autres ; et bien le monstra deppuis en plusieurs faictg
d'armes, tant en ce royaume, comme ès Allemaignes et ailleurs.
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4 avril :
Le lendemain, jour de lundy, ainsi que on ouvroit les portes de la
ville, y arrivèrent aucuns Francoys, qui estoient alez courir
dedans Meung, dont ilz avoient tué le cappitaine, et enmenoient
quarante trois chefz de grousses aumailles, combien que plusieurs
d'eulg estoient navrez.
Cellui jour aprez midy, eut une autre bataille entre
les paiges, qui estoient habillez comme devant ; et là fut
tué d'un coup de pierre l'ung des paiges angloys, et si y
eut plusieurs blechiez d'une part et d'autre : combien que en la
fin gaignèrent les paiges angloys l'estandart des paiges
françoys.
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* *
5 avril :
Le mardy, cincquiesme d'icelluy mois, arrivèrent aux portes
ouvrans dedans Orléans, cent et ung pourceaulx, et six beufz
gras, que marchans y amenoient de Berry ; lesquelz passèrent
au droit de Sainct Aignan d'Orléans. Contre lesquelz saillirent
moult hastivement les Angloys des Tournelles, si toust qu'ilz les
apperceurent ; mais ce fut trop tart, car ilz perdirent leur peine.
Ce mesme jour arrivèrent aussi deux chevaulx,
chargiez de beurre et frommaigea, et dix sept pourceaulx qu'on y
amena de Chasteaudin. Et si vint aussi nouvelles que les François
estans en garnison en celle ville de Chastiaudun avoient que tué
que prins et destroussez trente ou quarante Angloys qui apportoyent
grant argent aux autres Angloys de l'ost.
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7 avril :
Le jeudy aprez, septiesme d'icelluy mois, arrivèrent aux Angloys
de la bastille Sainct Lorens plusieurs vivres et autres habillements
de guerre, sans trouver aucun empeschement.
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* *
8 avril :
Le lendemain arrivèrent devers le matin dedans la cité
vingt six bestes aumailles, que aucuns Françoys qui en estoient
de la garnison avoient gangniez en Normandye.
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9 avril :
Le samedy ensuivant, neufviesme du mesme moys, y arrivèrent
aussi vers le matin, dix sept pourceaulx et huict chevaulx (les
deux chargez de cheveriaulx et cochons, et les six autres de blé),
qui furent amenezde Chasteaudun. D'autre part firent les Angloys
environ ce temps ung autre boulevart et foussé au droit du
Pressouer Ars (2).
Pour lesquelz empescher, saillirent les Françoys,
et alèrent les Françoys, et alèrent jusques
au boulevart ; mais il survint une grant pluie et merveilleux temps,
qui dura longuement : pour quoy ilz ne peurent acomplir leur intencion,
et s'en retournèrent dedans la cité sans riens
faire.
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12 avril :
Le mardy après, douziesme d'icelluy moys, se partirent d'Orléans
de nuyt aucuns Françoys et alèrent à Sainct-Marceau
ou val de Loire, et rompirent et percèrent l'église
; dedans laquelle ilz trouvèrent vingt Angloys, qu'ilz prindrent
et emmenèrent prisonniers dedans leur ville, combien qu'ilz
y perdirent deux de leur compaignons.
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13 avril :
Et le lendemain, fut apporté dedans Orléans grant argent
pour souldoyer ceulx de la garnison qui en avoyent bien mestier.
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15 avril :
Le vendredy quinziesme jour du mesmes avril, firent et parfirent
une moult belle bastille et forte, très bien faicte, entre
Saint Pouair et Sainct Ladre, en une place qui comprenoit
grant ensainte ; dedans laquelle mirent et laissèrent plusieurs
seigneurs et gentilzhommes d'Angleterre, avecques grant nombre d'autres
gens de guerre, voulans garder que par là prez ne peussent
plus estre menez aucuns vivres aucuns vivres dedans Orléans ; ainsi comme ilz avoient veu
faire plusieurs foiz par avant, malgré les gens de leurs
autres bastilles.
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16 avril :
Le lendemain venoyent de Bloys à Orléans par le chemin
de Fleury aux Choux, aucun nombre de bestial et autres vivres, que
les Angloys cuidèrent destrousser, et leur alèrent
au devant, mais trop tart, car la cloche du beffroy sonna pour scourir
les vivres. Ce qui fut faict, et tellement qu'ilz arrivèrent
sauvement dedans la ville.
Ce mesme jour, vindrent courir devant les Tournelles
environ cincquante hommes d'armes françoys d'aucunes garnisons
de Sauloigne, et enmenèrent bien quinze Angloys prisonniers.
Et la nuyt ensuivant celluy jour, se partirent de la ville
aucuns François qui tuèrent trois Angloys ; faisans
le guet emprèz l'Orbecte (3).
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17 avril :
Le dimenche ensuivant, dix septiesme d'icellui mois d'avril,
arrivèrent dedans Orléans, Poton de Sainctes Trailles,
et autres embassadeurs, qui estoyent alez avecques eulx devers
le duc de Bourgoingne
et le conte de Ligny, et amenèrent avec eulx la trompette
dudict duc de Bourgoingue. Lequel, si toust qu'il sceut la requeste
de ceulx d'Orléans, s'en ala et messire Jehan de Luxembourg
avecques luy devers le duc de Bethefort, soy disant régent
de ce royaume pour le roy Henry d'Angleterre, en luy remonstrant
la pitié qui estoit au duc d'Orléans ; et luy avoit
requis et prié bien chierement qu'il lui pleust faire lever
et departir le siège estans mis devant sa principalle ville
et cité d'Orléans. A quoy n'avoit voulu acquiescer
pour nul d'eulx le duc de Bethefort, dont le duc de Bourgoigne n'estoit
pas contant ; et à ceste occasion envoyoit avecques les embassadeurs
sa trompette, qui de par luy commanda à tous ceulx de ses
terres et villes à luy obéissantes, estans en celluy
siege, qu'ilz s'en allassent et departissent et ne mesfeissent en
aucune manière à ceulx d'Orléans. Pour obtemperer
auquel commandement, s'en alèrent et departirent très
hastivement, plusieurs Bourguignons, Picars, Champenois et moult
d'autres des pays et obéissance d'icelluy duc de Bourgoigne.
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18 avril :
Le lendemain au matin, environ quatre heures après minuyt,
saillirent les Françoys sur l'ost des Angloys, et feirent
tant que en leur entrée, tuerent une partie de leur guet,
et gaignèrent l'un de leur estendars, et furent dedans longue
espace. Durant laquelle ilz firent grant dommaige à leurs
adversaires ; lesquelz crièrent moult effrayment à
l'arme, et se mirent tous en ordonnance le myeulx qu'ilz peurent,
adreschant contre les Françoys, qui, les cognoissans aprester,
en grant foulle yssirent de l'ost, où ilz avoient gaigné
plusieurs tasses d'argent, beacoup de robes de martres et grant
nombre d'arcs, trousses, fleiches et autres habillemens de guerre.
Toutesfois
les Anglois les poursuivirent et tindrent de tant prez, qu'il y
eut forte et grousse escramousche, où plusieurs furent tuez
et bleciez, tant d'une partie que d'autre. Et par expécial
y fut tué d'un coup de couleuvrine cellui qui portoit l'estendart
des Angloys ; combien que ceulx de la ville ne furent pas sans grant
dommaige, et bien y parut au retour, par le dueuil que firent les
femmes d'Orléans, plourans et lamentans leurs pères,
mariz, frères et parens, tuez et bleciez en celle escarmousche.
Et celluy mesmes jour furent rendus les corps de chacun cousté
; si furent enterrez en terre saincte.
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19 avril :
Le mardy aprez dix neufviesme jour du mois d'avril, environ l'heure
de vespres, arriverent en l'ost et bastilles des Angloys grant quantité
de vivres et autres habillemens de guerre, et avecques eulx plusieurs
gens d'armes, qui les conduisoient.
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20 avril :
Le lendemain, environ quatres heures du matin, se partist d'Orléans
un cappitaine nommé Amade, et seize hommes d'armes à
cheval avecques luy, qui alèrent courir environ Fleury aux
Choux, où s'estoyent logez les Angloys qui avoyent amenez
les vivres derreniers, et firent tant qu'ilz en emmenèrent
six Angloys prisonniers, qu'ilz prindrent, et plusieurs chevaulx,
arcs, trousses et autres habillemens de guerre.
Environ cellui mesmes temps, fortiffièrent les
Angloys Sainct Jehan le Blanc, ou val de Loire, et y feirent ung
guet pour garder le passaige.
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21 avril :
Le jeudy ensuivant, arrivèrent dedans Orléans trois
chevaulx, chargez de poudre à canon et de plusieurs autres
choses. D'autre part aprestèrent celluy jour ceulx d'Orléans
plusieurs canons à gecter contre les Angloys, pource qu'ilz
cuidoyent qu'ilz deussent faire aucune forte escarmousche pour leur
bienvenue, et en firent tirer merveilleusement contre eulx estans
sailliz ; pour quoy se retrahirent en leur ost ; mais plusieurs
d'eulx s'en partirent la nuyt ensuivant, pour aler au devant des
vivres que on amenoit en la ville, les voulans conquester.
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23 avril :
Le samedy vingt troisiesme du mesmes mois d'avril, arrivèrent
dedans Orléans quatre chevaulx chargez de poudre de canon
et de vivres.
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24 avril :
Et le lendemain y entra le bourg de Mascaran, accompaigné
de quarante combattans.
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25 avril :
Et le jour prouchain aprez, qui fut mardy vingt sixiesme jour du
mesmes moys, y entra aussi Alain de Giron (4),
accompaigné de cent combatans.
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27 avril :
Le mercredy ensuivant, saillirent les Françoys et alèrent
en moult grant haste et belle ordonnance jusques à la croix
de Fleury, pour scourir aucuns marchans amenans vivres d'entour
Bloys, pour les avitailler, parce qu'ilz eurent nouvelles qu'ilz
avoyent empeschement ; mais ilz ne passèrent point oultre,
obstant ce que on leur vint au devant ; et leur fut dit qu'ilz n'y
feroient rien car les Angloys les avoyent jà destroussez.
Combien que d'autre part leur vint autre rerconfort de soixante
combatans venans de Beaune en Gastinoys, qui leur amenoient d'autres
pourceaulx.
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28 avril :
Le lendemain, jour de jeudy, vingt huitiesme jour d'icelluy moys
d'avril, arriverent aprez midy dedans Orléans, ung
cappitaine moult renommé appellé Fleurentin d'Illiers (5), et avecques luy le frère
de La Hire, accompaigniez de quatre cens combatans, qui venoient
de Chateaudun. Et celluy mesmes jour eut une forte et grousse escarmousche,
parce que les Angloys vindrent escarmouscher devant les boulevars
d'Orléans. Mais les gens de guerre et plusieurs citoyens
d'Orléans saillirent contre eulx et les chassèrent
jusques en leur boulevars, et feirent tant qu'ilz en tuerent et
navrèrent plusieurs, et les autres tombèrent dedans
les foussez de leurs boulevars, qui estoient pour lors environ la
grange Cuyveret et le Pressouer Ars, en aucune vallée
qui là estoit d'ancienneté. Toutesfoiz convint aux
Françoys lescher leur escarmousche et retourner en
la ville, pour la grant multitude des canons, couleuvrines et autre
traict dont tirèrent les Angloys contre eulx moult espessement,
tellement que plusieurs y furent en fin tuez d'une partie
et d'autre ; et en leur retour cheut ung des Françoys dedans
ung puys, là où il fut tué. D'autre part, sceurent
la Pucelle et autres seigneurs et cappitaines estans avecques elle,
comment les Angloys la desprisoient et en eulx mocquant d'elle et
de ses lettres, avoient retenu le hérault qui les avoit portées.
Pour quoy ilz conclurent qu'ilz marcheroient avant à tous
leurs gens d'armes, vivres et artilleries, et passeroient
par la Sauloigne, obstant que la plus grande puissance des Angloys
estoit du cousté de la Beausse ; combien que ne dirent riens
à la Pucelle, laquelle tendoit aler et passer par devant
eulx à force d'armes. Et pour ce ordonna que toutes les gens
de guerre se confessassent, et laissassent toutes leurs folles femmes
et tout le bagaige ; et en ce point s'en alèrent, et
feirent tant que ilz vinrent jusques à ung villaige nommé
Checy, là où ilz geurent la nuyt ensuivant.
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29 avril :
Le vendredy ensuivant, vingt neufviesme du mesmes moys, vinrent dedans
Orléans les nouvelles certaines comment le roy envoyoit par
la Sauloigne vivres, pouldres, canons et autres habillemens de guerre,
soubz le conduict de la Pucelle, laquelle venoit de par Nostre Seigneur
pour avitailler et reconforter la ville, et faire lever le siège,
dont furent moult reconfortez ceulx d'Orléans. Et parce que
on disoit que les Angloys mectroient peine d'empescher les vivres,
fut ordonné que chacun fust armé et bien empoint
par la cité; ce qui fut faict.
Ce jour aussi y arrivèrent cincquante combatans
à piet, habillez de guisarmes et autres habillemens de guerre
; et venoient du pays de Gastinois, où ilz avoient esté
en garnison.
Cellui mesmes jour eut moult grousse escarmousche, parce
que les Françoys vouloient donner lieu et heure d'entrer
aux vivres que on leur amenoit Et pour donner aux Angloys à
entendre ailleurs, saillirent à grant puissance, et alèrent
courir et escarmouscher devant Sainct Loup d'Orléans. Et
tant les tindrent de prez, qu'il y eut plusieurs mors, blecez et
prins prisonniers d'une part et d'autre, combien que les François
apportèrent dedans leur cité ung des estandars des
Angloys. Et lors que celle escarmousche se faisoit, entrèrent
dedans la ville les vivres et artillerie que la Pucelle avoit conduicts
jusques à Checy (6). Au devant
de laquelle alla jusques à cellui villaige le bastart d'Orléans
et autres chevalliers, escuiers et gens de guerre, tant d'Orléans
comme d'autre part, moult joyeulx de la venue d'elle, qui tous luy
feirent grant reverance et belle chière, et sy feist elle
à eulx. Et là conclurent tous ensemble qu'elle n'enterroit
dedans Orléans jusques à la nuyt, pour éviter
le tumulte du peuple, et que le mareschal de Rays (7) et messire Ambroise de Loré (8),
qui parle commandement du roy l'avoyent conduicte jusques là,
s'en retourneroyent à Bloys où estoient demourez plusieurs
seigneurs et gens de guerre Françoys : ce qui fut faict ;
car ainsi comme à huyt heures au soir, malgré tous
les Angloys qui oncques n'y mirent empeschement aucun, elle y entra
armée de toutes pièces, montée sur ung cheval
blanc ; et faisoit porter devant elle son estandart, qui estoit
pareillement blanc, ouquel avait deux anges tenans chacun une fleur
de liz en leur main ; et ou panon estoit painte comme une Anonciacion
c'est l'image de Nostre Dame ayant devant elle ung ange luy présentant
ung liz.
Elle ainsi, entrant dedans Orléans, avoit à
son cousté senestre le bastart d'Orléans, armé
et monté moult richement. Et aprez venoyent plusieurs autres
nobles et vaillans seigneurs, escuyers, cappitaines et gens de guerre,
sans aucuns de la garnison, et aussy des bourgoys d'Orléans,
qui luy estoyent allez au devant.
D'autre part, la vindrent recevoir les autres gens de
guerre, bourgoys et bourgoises d'Orléans, portans grant nombre
de torches, et faisans autel joye comme se ilz veissent Dieu descendre
entre eulx, et non sans cause, car ilz avoient plusieurs ennuys,
travaulx et peines, et qui pis est grant double de non estre secouruz,
et perdre tous corps et biens. Mais ilz se sentoyent jà tous
reconfortez, et comme desassiégez, par la vertu divine qu'on
leur avoit dit estre en ceste simple Pucelle, qu'ilz regardoyent
mout affectueusement, tant hommes, femmes, que petis enfans. Et
y avoit moult merveilleuse presse à toucher à elle,
ou au cheval sur quoy elle estoit, tellement que l'un de ceulx qui
portaient les torches s'approucha tant de son estandart que le feu
se print au panon. Pourquoy elle frappa son cheval des esperons,
et le tourna autant gentement jusques au panon, dont elle en estaingnit
le feu, comme se elle eust longuement suyvy les guerres : ce que
les gens d'armes tindrent à grans merveilles, et les bourgois
de Orléans aussi ; lesquelz l'acompaignèrent au long
de leur ville et cité, faisans moult grant chière,
et par très grant honneur la conduisrent tous jusques auprez
de la porte Regnart, en l'ostel de Jacquet Boucher (9),
pour lors trésorier du duc d'Orléans, où elle
fut receue à très grant joye, avecques ses deux frères (10) et les deux gentilzhommes et leur
varlet, qui estoient venuz avecques eulx du pays de Barroys.
Le lendemain vendredi, vingt-neuvième du même mois (d'avril), vint à Orléans d'une manière certaine la nouvelle que le roi envoyait par la Sologne vivres, poudres, canons et autres provisions de guerre, sous la conduite de la Pucelle, laquelle venait de par Notre-Seigneur pour ravitailler et réconforter la ville et faire lever le siège ; ce dont les habitants d'Orléans furent très réconfortés. Et parce qu'on disait que les Anglais
s'efforceraient d'empêcher l'entrée des vivres, il fut ordonné par la cité que chacun fût armé et bien en point...
...Ce même jour, il y eut grosse escarmouche, parce que les Français voulaient ménager le lieu et l'heure propices pour l'entrée des vivres qu'on leur annonçait. Afin de donner aux Anglais à entendre ailleurs, ils sortirent à grande puissance, et allèrent courir et escamoucher devant Saint-Loup d'Orléans. Ils tinrent les Anglais de si près que de part et d'autre il y eut plusieurs morts, plusieurs blessés et plusieurs prisonniers. Cependant les Français apportèrent dans la cité un étendard des Anglais. Lorsque cette escarmouche se faisait, entrèrent dans la
ville les vivres et les armes que la Pucelle avait conduits jusqu'à Chécy. Au-devant de la Pucelle, allèrent jusqu'à Chécy le bâtard d'Orléans et
d'autres chevaliers, écuyers et gens de guerre, tant d'Orléans comme
d'autres pays, fort joyeux de sa venue. Ils lui firent grande révérence et
bel accueil ; et ainsi fit-elle à eux.
Là ils arrêtèrent tous ensemble que, pour éviter le tumulte du peuple,
elle n'entrerait dans Orléans qu'à la nuit; et que le maréchal de Rais
et messire Ambroise de Loré qui, par le commandement du roi, l'avaient
conduite jusque-là, s'en retourneraient à Blois, où plusieurs seigneurs et
gens de guerre étaient demeurés. Ce qui fut fait.
Sur les huit heures du soir, malgré tous les Anglais qui n'y mirent en
rien empêchement, la Pucelle entra à Orléans, armée de toutes pièces,
montée sur un cheval blanc ; elle faisait porter devant elle son étendard
qui était pareillement blanc, auquel il y avait deux anges tenant
chacun une fleur de lis en leurs mains ; et au panon était peinte
comme une Annonciation. C'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle
un ange qui lui présente un lis. En entrant ainsi dans Orléans, elle avait à son côté gauche le bâtard d'Orléans, armé et monté très richement.
Après, venaient plusieurs autres nobles et vaillants seigneurs, écuyers,
capitaines et gens de guerre, sans compter quelques-uns de la garnison,
et aussi des bourgeois d'Orléans, qui lui étaient allés au-devant.
D'autre part vinrent la recevoir les autres gens de guerre, bourgeois
et bourgeoises d'Orléans, portant grand nombre de torches, et faisant
autres signes de joie, comme s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux,
et non sans cause, car ils avaient plusieurs ennuis, travaux et peines, et
qui, pis est, grande crainte de n'être pas secourus, et de perdre tout,
leur corps et leurs biens. Mais ils se sentaient déjà tous réconfortés
et comme désassiégés par la vertu divine qu'on leur avait dit être en
cette simple pucelle, qu'ils regardaient moult affectueusement, tant
hommes, femmes que petits enfants. Et il y avait très merveilleuse
presse à toucher au cheval sur lequel elle était, tellement que l'un de
ceux qui portaient les torches s'approcha tant de son étendard que le
feu prit au panon. Mais elle frappa son cheval des éperons, et le tourna
jusqu'au panon dont elle éteignit le feu, aussi gentiment que si elle
eut longuement suivi les guerres; ce que les gens d'armes tinrent à
grande merveille, et les bourgeois d'Orléans aussi.
Ils l'accompagnèrent au long de leur ville et cité, montrant très
grande allégresse, et tous la conduisirent avec très grand honneur
jusques auprès de la porte Renart, en l'hôtel de Jacques Boucher, pour
lors trésorier du duc d'Orléans, où elle fut reçue avec très grande
joie, avec ses deux frères, et les gentilshommes,
et leur valet, qui étaient tous venus du pays de Barrois.
*
* *
30 avril :
Le lendemain qui fut samedy, derrenier jour d'icellui mois d'avril,
saillirent La Hire, messire Florent d'Illiers et autres plusieurs
chevalliers et escuiers de la garnison, avecques aucuns citoyens,
et chargèrent, estandars desployez, sur l'ost des Angloys,
tant qu'ilz les firent reculler, et gangnèrent la place où
ilz avoient faict le guet qu'ilz tenoient lors à la place
de Sainct Pouoir, à deux traicts d'arc de la ville. Pour
quoy on cria fort tout au long de la cité, à celle
heure, que chacun apportast feurres, pailles et fagotz, pour bouter
le feu ès logis des Angloys dedans leur ost ; mais on n'en
feit riens, obstant que les Angloys firent terribles cris et se
mirent tous en ordonnance. Et pour ce s'en retournèrent les
Françoys, combien que avant leur retour y avoit eu très
forte et longue escarmousche, durant laquelle tirèrent merveilleusement
les canons, couleuvrines et bombardes, tant que plusieurs furent
tuez, blecez et prins prisonniers d'un party et d'autre.
La nuyt venue, envoya la Pucelle deux héraulx
devers les Angloys de l'ost, et leur manda qu'ilz luy renvoyassent
le hérault par lequel elle leur avoit envoyé ses lettres
de Bloys. Et pareillement leur manda le bastart d'Orléans
que s'ilz ne le renvoyaient, qu'il feroit mourir de male mort tous
les Angloys qui estoient prisonniers dedans Orléans, et ceulx
aussi qui par aucuns seigneurs d'Angleterre y a voient esté
envoyez pour traicter de la rençon des autres. Pour quoy
les chefz de l'ost renvoyèrent tous les héraulx et
messagiezs de la Pucelle, luy mandans par eulx qu'ilz la bruleroyent
et feroyent ardoir, et que elle n'estoit que une ribaulde, et comme
telle s'en retournast garder les vaches. Dont elle fut fort yrée
; et à ceste occasion, quant vint sur le soir, elle s'en
ala au boulevart de la Belle Croix... sur le pont et de là
parla à Glacidas et autres Anglois estans ès Tournelles,
et leur dict qu'ils se rendissent de par Dieu, leurs vies sauves
seullement. Mais Glacidas et ceulx de sa rote respondirent vilainement,
l'injuriant et appellant vachère, comme devant, crians moult
haut qu'ilz la feroient ardoir, s'ilz la povaient tenir. De quoy
elle fut aucunement yrée, et leur respondit qu'ilz mentoyent
et ce dit, s'en retira dedans la cyté.
Le lendemain qui fut samedi, dernier jour de ce mois d'avril, saillirent hors de la ville La Hire, messire Florent d' Illiers, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, avec quelques citoyens. Étendards déployés, ils chargèrent sur l'armée des Anglais avec tant d'élan qu'ils les firent reculer, et emportèrent la place où ils avaient établi le guet qu'ils tenaient alors à la place Saint-Pouair, à deux traits d'arc de la ville. Ce qui fut cause qu'à cette heure on cria tout au long de la cité que chacun apportât pailles, bottes et fagots pour mettre le feu au logis des Anglais, dans leur armée ; mais on n'en fit rien, car les Anglais firent de terribles cris et se mirent tous en ordonnance. Et pour cela les Français s'en retournèrent après une très forte et longue escarmouche, durant laquelle les canons, coulevrines et bombardes tirèrent merveilleusement, si bien que de part et d'autre plusieurs furent tués, blessés, ou faits prisonniers.
La nuit venue, la Pucelle envoya deux hérauts vers les Anglais de l'armée, pour leur mander de lui renvoyer le héraut par lequel elle leur avait
fait parvenir ses lettres de Blois. Le bâtard d'Orléans leur manda pareillement
que, s'ils ne le renvoyaient pas, il ferait mourir de male mort tous les Anglais prisonniers dans Orléans, et ceux qui y avaient été envoyés par quelques seigneurs d'Angleterre pour traiter de la rançon des autres.
C'est pourquoi les chefs de l'armée renvoyèrent tous les hérauts et
messagers de la Pucelle, lui mandant par eux qu'ils la brûleraient et la
feraient rôtir, qu'elle n'était qu'une ribaude, et s'en retournât comme telle
garder les vaches ; ce dont elle fut fort peinée.
A cette occasion, sur le soir, elle alla au boulevard de Belle-Croix, sur
le pont, et de là elle parla à Glacidas et aux autres Anglais des Tourelles,
et leur dit de se rendre de par Dieu, en se contentant d'emporter la
vie sauve ; mais Glacidas et ceux de sa suite répondirent vilainement,
l'injuriant, l'appelant vachère comme précédemment, criant très haut
qu'ils la feraient brûler, s'ils pouvaient la tenir ; ce dont elle fut un peu
affectée; elle leur répondit qu'ils mentaient, et, cela dit, elle revint dans
la cité.
Source : édition MM. Paul Charpentier et
Charles Cuissard -
1896
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles (La vraie Jeanne d'Arc - t.III)
Notes :
1 Le colombier Turpin, à un jet de pierre
de la porte Bannier, était à l'entrée de
la rue actuelle du Colombier. On distinguait aussi le champ Turpin,
situé à l'endroit où la rue du Colombier
rejoignait la rue Porte-Saint-Jean.
2 Le Pressoir ars, que les Anglais nommèrent boulevart
de Rouen, était situé dans la rue de la Mare-aux-Solognots
et sur l'emplacement de l'ancien boulevart allant de la porte
Bannier actuelle à celle de Saint Jean. Voici quelle était
de ce côté, la ligne de défense : Saint-Laurent,
la Croix-Boissée, la Grange-Cuiveret, le Pressoir ars et
la bastille entre Saint Pouair et Saint Ladre, à laquelle
les Anglais donnèrent le nom de Paris ; cette dernière
était dans le faubourg Bannier actuel, à égale
distance de Saint Paterne et des Chartreux.
3 Le quartier de l'Orbette, dans le faubourg Bourgogne.
4 Capitaine breton.
5 Florent d'Illiers, d'une famille qui a pris son nom de cette
petite ville, capitaine de Châteaudun, assista au siège
de Montargis et se signala dans maintes batailles, et mourut en
1461. Un de ses descendants fut le chevalier sieur de Radrets,
commissaire nommé en 1485 pour faire le plan de la nouvelle
enceinte d'Orléans et une rue de la ville porte son nom.
6 Sur le séjour de la Pucelle à Chécy, voiries
travaux publiés par H. Boucher de Molandon dans le Bulletin
de la Société archéologique de l'Orléanais,
t.IV, p.427 et t.IX, p.73.
7 Gilles de Laval, sire de Retz, conseiller et chambellan du roi,
maréchal de France.
8 Ambroise de Loré, chevalier manceau.
9 Jacques Boucher,
trésorier du duc d'Orléans. (Voir Jacques Boucher,
sieur de Guilleville, sa famille, son monument funéraire,
son hôtel, dans les Mémoires de la Société
archéologique, t.XXII, p.373)
10 Deux de ses frère, Jean et Pierre. Jean, prévôt
de Vaucouleurs, mourut en 1460 ; Pierre fait chevalier par lettres
du 28 juillet 1443, s'établit dans l'Orléanais.
(Cf. Maison de Pierre d'Arc, dans les Mémoires
de la Société archéologique de l'Orléanais t.XV, p.501, et Famille de Jeanne d'Arc dans l'Orléanais, Ibid., t. XVII, p.1.)
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