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Chronique
d'Eberhard Windecke
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Chap.CCLXII - Une copie de la lettre du roi d'Angleterre et
de France au duc de Bourgogne. |
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- Très cher et bien-aimé oncle,
"La fervente dilection et entière dévotion
que nous vous savons avoir, comme vrai prince de foi chrétienne,
envers notre mère la Sainte Église, et l'exaltation
de notre sainte foi chrétienne, nous exhortent et admonestent
selon raison de vous signifier et écrire ce qui, à
honneur de notre devant dite mère la Sainte Église,
fortification de notre susdite foi et extirpation d'erreurs pestilencieuses,
a été naguère en notre ville (1)
solennellement fait.
Il est jà assez commune renommée, de toutes
parts divulguée, comme quoi la femme qui se faisait nommer
Jeanne la Pucelle, erronnée devineresse, s'était,
deux ans ou plus,
contre la loi divine et l'état de son sexe féminin,
vêtue en habit d'homme, ce qui était chose monstrueuse
devant Dieu, et en tel état transportée
devers notre ennemi capital et le vôtre. Auquel et à
ceux de son parti, gens d'église, nobles et populaires, elle
donna souvent à entendre qu'elle était envoyée
de Dieu, en se présomptueusement vantant que souvent elle
était en puissance d'avoir et qu'elle avait communication
personnelle et visible avec saint Michel et grande multitude d'anges
et de saintes de Paradis, comme sainte Catherine et sainte
Marguerite. Par lesquelles faussetés données à
entendre et l'espérance qu'elle promettait de victoires futures,
a-t-elle détourné plusieurs cœurs d'hommes et
de femmes du chemin de la vérité et les a tournés
à fables et mensonges. Elle s'est aussi revêtue de
harnais convenant à chevaliers et écuyers, et a levé
étendard, et, en grand outrage, orgueil et présomption,
elle a demandé à avoir et porter les très nobles
et très excellentes armes de France, ce qu'en partie elle
obtint, et les porta en plusieurs combats et assauts, ainsi que
ses frères, comme on dit, c'est à savoir un écu
à champ d'azur à deux fleurs de lis d'or et une épée
la pointe en haut férue en une couronne. En cet état
elle s'est mise aux champs et a conduit gens d'armes en armées
et compagnies, pour faire et exercer cruautés inhumaines
en répandant le sang humain, pour faire sédition et
commotion de peuple, en l'induisant à par jurements et pernicieuse
rébellion, superstition et fausses croyances, en perturbant
toute vraie paix et renouvelant guerre mortelle, en se laissant
adorer et révérer de plusieurs comme femme sanctifiée,
et par ailleurs damnablement faisant en divers autres cas, qui longs
seraient à exprimer et qui toutes fois sont assez connus
de plusieurs, dont presque toute la Chrétienté a été encore fort scandalisée. Mais la divine puissance, ayant pitié de son peuple loyal, pour qu'il ne soit longuement fatigué de péril, ne souffrant pas qu'il s'éprenne de vaines, périlleuses et nouvelles crédulités, comme légèrement s'est maintenant montré, voulut bien permettre, de sa grande miséricorde et clémence, que la susdite femme fût prise dans votre camp et siège que teniez pour ce temps de par nous devant Compiègne (2), et par votre bon moyen fût mise en notre obéissance et domination.
Et pour ce que, dès lors, nous fûmes requis par l'évêque, en l'évêché duquel elle avait été prise (3), que icelle, comme notée et diffamée du crime de lèse-majesté divine, lui voulussions livrer comme à son juge ecclésiastique ordinaire, nous, tant pour révérence de notre mère la Sainte Église, dont la sainte ordonnance nous voulons à nos propres volontés et faits préférer, comme raison est, comme aussi pour honneur et exaltation de notre propre sainte foi, lui avons fait livrer la susdite Jeanne, afin de lui faire son procès ; et ne voulûmes pas qu'elle fût prise par les officiers de notre justice séculière pour aucune vengeance ou punition, ce qui cependant nous aurait été suffisamment licite, eu égard aux grands dommages et félonies, aux horribles homicides et détestables cruautés et autres innombrables maux, qu'elle avait commis contre notre seigneurie et notre loyal obéissant peuple. Lequel évêque s'adjoignit le vicaire (4) de l'inquisiteur et appela à lui grand et notable nombre des maîtres et docteurs en Théologie et Droit Canon, et commença à grande solennité et à due gravité le procès d'icelle Jeanne. Et après que lui et le susdit inquisiteur, juges en cette fin, eurent par plusieurs et diverses journées interrogé la susdite Jeanne, ils firent ses confessions et assertions mûrement examiner par les susdits maîtres docteurs, et généralement par toutes les Facultés d'étudiants de notre très chère et bien-aimée fille l'Université de Paris, à laquelle icelles confessions et assertions ont été envoyées. Et par l'opinion et délibération desquels, trouvèrent les susdits juges icelle Jeanne superstitieuse, devineresse, idolâtre, invoqueresse de diables, blasphémeresse de Dieu et de ses saints, schismatique et faisant par nombre de fois erreur en la foi de Jésus-Christ.
Et dans le dessein de la ramener et réduire à l'unité et communion de notre susdite mère la Sainte Eglise et la purger de ces horribles, détestables et pernicieux crimes et péchés, et de la guérir et préserver son âme de perpétuelles peines et damnations, elle fut souvent et par bien long temps très charitablement et doucement admonestée qu'elle voulût toutes ses erreurs rejeter [et] mettre arrière, et humblement retourner à la voie et droit sentier de la vérité, ou qu'autrement elle se mettait en grave péril d'âme et de corps. Mais le très périlleux et divisé esprit d'orgueil et d'outrageuse présomption, qui toujours s'efforce et veut empêcher et perturber l'union et sûreté des loyaux Chrétiens, a en tel point occupé et détenu en la fin le cœur d'icelle Jeanne, que, pour quelque saine doctrine ou conseil ni autre douce exhortation qu'on lui administra, son cœur endurci et obstiné ne se voulut jamais laisser humilier ou amollir, mais souvent se vantait que toutes les choses qu'elle avait faites avaient été bien faites, et qu'elle les avait faites du commandement de Dieu et des saintes vierges qui visiblement lui étaient apparues, et ainsi, qui encore pis est, elle ne reconnaissait et ne voulait reconnaître, sur terre, que Dieu seulement et les saints du Paradis, et déboutait et reboutait le jugement de notre saint père le Pape, du concile général et de l'universelle Église militante. Et les juges ecclésiastiques, voyant son cœur si fortement et si longtemps endurci, la firent mener devant le clergé et devant le peuple qui là était assemblé en grande multitude, et [en] présence d'iceux furent solennellement et publiquement, par un maître en Théologie, ses cas, crimes et erreurs, à exaltacion de notre foi, extirpation de l'erreur, édification et amendement du peuple chrétien, prêches, exposés et déclarés. Et derechef fut charitablement admonestée de retourner à l'union de la Sainte Église et de corriger ses fautes et erreurs, en quoi, alors encore, elle demeura opiniâtre et endurcie. Et, ce considérant, les juges procédèrent à prononcer la sentence qui contre elle, en tel cas de droit, était introduite et ordonnée. Mais avant que la sentence contre elle fût lue, elle commença à faire semblant de convertir son cœur, disant qu'adonc elle voulait retourner à la Sainte Église. Ce que volontiers et joyeusement entendirent les juges et le clergé, et bénignement reçurent, espérant que par là son âme et son corps seraient rachetés de perdicion et peine. Adonc elle se soumit à l'ordonnance de la Sainte Eglise et révoqua de sa bouche son erreur et grand crime et les abjura publiquement, et signa de sa propre main la cédule de la révocation et abjuration, et par ainsi notre piteuse mère la Sainte Eglise, se réjouissant sur la pécheresse qui avait repentir, voulant la brebis perdue, qui dans le désert s'était égarée, ramener avec les autres, a icelle Jeanne, pour salutaire pénitence faire, condamné à la prison (5).
Mais guère de temps n'y fut, que de son orgueil, qu'on croyait être éteint en elle, elle fut rembrasée pestilentieusement par le souffle de l'Ennemi. Et tantôt la susdite malheureuse femme fit rechute en l'erreur et faux égarement qu'elle avait par avant proférés et depuis révoqués et abjurés, comme dit est. Pour lesquelles choses, et encore selon l'ordonnance et institution de la Sainte Église, afin que dorénavant elle ne contaminât pas les membres de Jésus-Christ, elle fut derechef publiquement prêchée, et comme relapse en crime des fautes par elle accoutumées, si bien qu'il fallut l'abandonner à la justice séculière, qui sur l'heure la condamna à être brûlée. Et quand elle vit que sa fin approchait, lors reconnut-elle pleinement et confessa que les esprits qu'elle avait dits lui être apparus si souvent, étaient mauvais et mensongers, et que les promesses qu'ils lui avaient souvent faites de devoir la délivrer étaient fausses, et ainsi confessa par lesdits esprits avoir été moquée [et] déçue (6).
Ici est la fin des œuvres, ici est l'issue d'icelle femme, que présentement, très cher et bien aimé oncle, nous vous signifions, pour que vous ayez pleine et véritable connaissance de la chose, parce que de cette matière vous et les autres [princes] Chrétiens deviez être avisés, afin de pourvoir, dans la mesure qui y appartient, à ce que vos sujets et les leurs ne présument croire si légèrement en telle erreur et périlleuse superstition, surtout en ce présent temps où nous voyons croître beaucoup de faux prophètes et semeurs de fausse erreur et folle croyance, qui s'élèvent contre notre mère la Sainte Eglise et par folle présomption pourraient contaminer de venin de fausse croyance le peuple chrétien, n'était que Dieu, par sa miséricorde, y pourvoie, et que ses ministres regardent diligemment à rebouter et à punir la force et la présomption des hommes réprouvés.
Donné en notre ville de Rouen, le 28e jour du mois de juin ».
A notre très cher et bien aimé oncle le duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant et de Limbourg, comte de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, de Namur, Palatin, de Hainaut, Hollande, Zélande, marquis du Saint-Empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines.
Source
: "Les sources allemandes de l'histoire
de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis
- 1903. Traduction de l'Allemand par Germain
Lefèvre-Pontalis.
Notes :
1 Rouen
2 23 mai 1430
3
Pierre Cauchon, évêque de Beauvais.
4
Jean Le Maistre. L'inquisiteur était Jean Graverend, inquisiteur de tout le royaume de France.
5 Rouen : cimetière de St-Ouen - 24 mai 1431.
6 Rouen : place du vieux-marché - 30 mai 1431.
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