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Chronique d'Eberhard Windecke - index
Chap.CCLIX  - Ci envoia le roi de France son excellent message à la Pucelle, laquelle accomplit grand nombre de merveilles en France.

  295 - Or sachez que, au temps même où le roi de France et les Anglais étaient en guerre, comme l'avez aussi auparavant entendu, lors surgit en Lorraine une Pucelle, qui fit merveille en France contre les Anglais, en sorte que les Anglais furent très affaiblis, et qui [aida] fort le roi de France à recouvrer sa terre, comme allez l'entendre.

  D'abord, quand la Pucelle vint au susdit roi (1), lors dut-il lui permettre de faire trois choses. La première, qu'il se démît de son royaume, y renonçât et le remit à Dieu, car il le tenant de lui. La seconde, qu'il pardonnât à tous ses sujets qui lui avaient oncques fait tort ou avaient pris parti contre lui. La troisième, qu'il s'humiliât si fort, que tous ceux qui viendraient à lui, pauvres et riches, et demanderaient grâces, il les prit en grâce, amis ou ennemis.

     Virgo, puellares artus induta virili
     Veste, Dei monitu properat relevare jacentem
     Liliferum regemque suos delere nefandos
     Hostes præcipue, qui nunc sunt Aurelianis,
     Urbe sub, ac illam deterrent obsidione.
     Et si tanta viris mens est se jungere bello
     Arma sequique sua, quæ nunc parat alma Puella,
     Credite fallaces Anglos succumbere morti,
     Marte puellari Gallis sternentibus illos.
     Et tunc finis erit pugnæ, tune fœdera prisca,
     Tunc amor et pietas et cetera jura redibunt,
     Certabunt de pace viri, cunctique favebunt
     Sponte sua regi, qui rex liberabit et ipsis
     Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit.
     Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis
     Qui se Francorum prœsumat dicere regem.

  296 - (1) Ce sont les articles qui arrêtés ont été par ceux que le roi avait envoyés à la Pucelle pour faire information sur le fait de savoir s'il faut lui porter croyance ou non. Et c'étaient des maîtres en Théologie et autres que l'on tenait pour bons à éprouver la Pucelle (2).
  Item le roi avait entendu la nécessité de lui et de son royaume et avait considéré les continues prières envers Dieu de son peuple et de tous ceux aimant paix et justice. En ce propos il ne doit point (3) débouter ni rejeter (4) la Pucelle qui se dit être envoyée de Dieu, mais doit (5) lui donner secours, nonobstant que ses promesses soient humaines (6). Aussi ne doit-il tant tôt ni tant légèrement croire en elle (7) ; mais, en suivant la Sainte Ecriture, comme dit l'apôtre saint Paul (8) "Probate spiritus si ex Deo sint", doit-on enquérir de ses moeurs et de ses oeuvres, et par dévote oraison requérir certains signes divins ou œuvres de Dieu, par quoi on puisse éprouver qu'elle vient de Dieu (9) ; car ainsi commanda Dieu au roi Achas qu'il lui demandât signe quand il lui plairait qu'il lui donnât victoire, selon ce que fut écrit "Pete tibi signum a Deo tuo" (10) ; et aussi, de cette sorte, lui donna-t-il alors signe, et à plusieurs autres.

                         

Item le roi a ainsi observé envers la Pucelle les deux manières de la devant dite probation, celle des sages maîtres et aussi celle de demander par oraison signe de Dieu.
  Quant à la première, il a fait éprouver la Pucelle, par sages maîtres, de sa vie, de sa naissance, de ses mœurs ou façons et de son intention, et a gardé auprès de lui la Pucelle bien par l'espace de six semaines, et l'a fait éprouver par toutes gens d'expérience, clercs, religieux et profanes, femmes et hommes, secrètement et publiquement. Et en ladite Pucelle n'a-t-on trouvé rien de mal, fors que tout bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplicité. Et de sa naissance et de sa vie sont dites plusieurs choses qu'on tient pour vraies.

  Quant à la seconde probation, le roi lui demanda signe des choses dont elle avait charge. Sur quoi répondit la Pucelle au roi que devant la ville d'Orléans elle donnerait signe, et non auparavant (11), car ainsi Dieu l'avait ordonné.
  Comme le roi avait entendu la probation de la Pucelle, faite en tant qu'a été possible, et comment on ne trouva nul mal en elle, et apprit aussi qu'elle voulait donner signe devant Orléans, et considéré sa constance et persévérance en son propos et sa requête instante d'aller à Orléans, et qu'alors on y verrait signes de divin secours, lors conseillé fut au roi qu'il ne devait point l'empêcher d'aller à Orléans avec ses gens et devait la faire conduire honnêtement en mettant espoir en Dieu ; car, qu'on la reboute ou délaisse sans apparence de mal de sa part, ce serait répugner au Saint-Esprit et se rendre indigne de l'aide de Dieu, comme dit Gamaliel en un conseil des Juifs au regard des apôtres.


             
                                    


Source : "Les sources allemandes de l'histoire de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis - 1903. Traduction de l'Allemand par Germain Lefèvre-Pontalis.

Notes :
1
On place généralement au 6 mars l'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon auprès de Charles VII. Orléans est assiégée depuis le 12 octobre 1428.

§ 295 :
1 Il s'agit ici du texte poétique bien connu, représentant non pas une prophétie, mais simplement une composition latine de seize vers, fabriquée à l'occasion de l'apparition de la Pucelle, avant la libération d'Orléans, en mars ou avril 1429.
Ces vers sont inscrits dans le manuscrit de Vienne (ms.2913) mais encore dans d'autres manuscrits, mais assez bizarrement toujours chez des chroniqueurs étrangers ou lointains.
Une traduction française contemporaine due au manuscrit breton du scribe A.de Kaerrymael l'accompagne dans le registre delphinal de Thomassin dont les versions sont ci-dessous.

  "Une vierge vestue de vestemens de homme et qui a les membres appartenans à pucelles, par la monicion de Dieu s'appareille de relever le roy pourtant les fleurs de lis qui est couchié et de chassier ses ennemis maudis et mesmement ceulx qui maintenent sont devant la cité d'Orleans laquelle ils espavantent par siege. Et se les hommes ont grant courage d'eux joindre à la bataille et d'ensuyr les armes lesquelles la saincte Pucelle appareille, croyez les faulx Anglois estre succumbés par mort par le Dieu de la bataille de la Pucelle, et les Franscoiz les trebucheront. Et adonc sera la fin de la guerre, et retourneront les ancienes aliances, et amour, pitié et autres drois retourneront et tratteront de la paix, et tous les hommes s'outroyeront au roy de leur bon gré, lequel roy leur poisera et leur administrera justice à tous et les nourrira de belle paix, et dorenavant nul Anglois ennemy portant le liépart ne sera qui presumera soy dire roy de France."

2 Le texte latin est aussi chez Windecke mais tellement d'une "pitoyable" transcription que Lefèvre-Pontalis a mis cette version de Thomassin.

§ 296 :
1 Il s'agit ici du texte également bien connu, de la consultation émanée de la Commission d'enquête réunie à Poitiers, par ordre de Charles VII, en mars-avril 1429, avec charge de dresser information au sujet de la Pucelle et d'émettre un avis motivé  sur la question de savoir si le roi devait, ou non, prêter foi à ses dires. Encore une fois ce document est transcrit dans d'autres manuscrits que le ms 2913 de Vienne de Windecke avec la même remarque que pour les vers latins c'est à dire dans des chroniques ou textes lointains ou étrangers.
Il convient de noter l'intérêt qui ressort du fait que cette pièce capitale, demeurée longtemps ignorée, ait pénétré ainsi jusqu'en Allemagne.

2 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "bons à éprouver et à interroger la Pucelle".

3 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "il ne veut point"

4
Le manuscrit strasbourgeois de Jordan ajoute : "si legèrement"

5
Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "il voulut" au lieu de "doit".

6 Phrase qui a prêté à  de nombreuses contradictions et discussions entre érudits, les textes présentant de légères variantes, certains l'interprétant dans le sens "surhumaines" comme Thomassin ou le R.P Ayroles.

7 Entendre ainsi "aussi ne doit-il trop tôt ni trop légèrement croire en elle".

8 C'est de St Jean et non St Paul que provient cette citation.

9
Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "qu'ils [les signes] viennent de Dieu". Les manuscrits français mentionnent "elle" ou "ladite Pucelle".

10 Toutes les rédactions françaises mentionnent après le texte latin une allusion  à Gedeon "et semblablement fit Gedeaon, qui demanda signe, et plusieurs autres". Idem pour le manuscrit de Jordan.


11 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan ajoute ici (en italiques) la très singulière addition sur la portée de laquelle il faut attirer l'attention car elle serait une preuve de plus de la prescience des évènements de Jeanne : "...et non auparavant, et là doit-elle aussi être blessée, car Dieu l'avait ordonné".
Il faut rappeler que la commission de Poitiers est bien antérieure au siège d'Orléans où Jeanne sera blessée le jour de l'assaut des Tourelles le 7 mai 1429.




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