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Chronique
de Jean Chartier
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Siège mis à Compiègne par Angloiz et Bourguongnons. |
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t en l'an dessus dit, Messire Jehan de Luxembourg, le conte de Hautinton, le conte d'Arondel et plussieurs autres Angloiz et Bourgueignons, vindrent, à grant ost, mettre le siège devant la ville de Compiengne d'un costé et d'autre de la rivière d'Aise (1). Et firent plussieurs bastilles où ilz se tenoient. Et ce venu à la congnoessance de Jehanne la Pucelle, dont dessus est faicte mencion, se partit dudit lieu de Laigny pour aider à secourir les assiégés d'icelle ville, en laquelle icelle Jehanne la Pucelle entra. Et après commencèrent chacun jour grans escarmouches entre les Angloiz et Bourgueignons tenans ledit siège, d'une part, et les cappitaines et gens de ladite ville, d'aultre. Et advint ung jour que ladite Jehanne la Pucelle estoit saillie sur ledit siège moult vaillamment et hardiement; maiz aussi les Angloiz et Bourgueignons chargèrent très fort sur elle et sa compaignie, et tant qu'il fut de nécessité à ladite Jehanne la Pucelle et autres à eulx retirer. Et disoient aucuns que la barrière leur fut fermée au retourner, et autres disoient que trop grand presse y avoit à l'entrée. Et finablement fut prinse et emmenée ladite Jehanne la Pucelle par iceulx Angloiz et Bourgueignons (2).
De laquelle prinse plussieurs du party du roy de France furent dollens et couroucez; et fut tenue longuement en prison par les Bourgueignons de la compaignie dudit Luxembourg. Lequel Luxembourg la vendit aux Angloiz, qui la menèrent à Rouen, où elle fut durement traictée, et tellement que, après grant dillacion de temps, sans procès, maiz de leur voulenté indeue, la firent ardoir en icelle ville de Rouen (3) publiquement, en luy imposant plusieurs maléfices, qui fut bien inhumainement fait, veu la vie et gouvernement dont elle vivoit. Car elle se confessoit et recepvoit par chacune sepmaine le corps de nostre Seigneur, comme bonne catholique. Et n'est point à doubter que l'espée qu'elle envoya quérir en la chapelle Saincte-Katherine de Fierbois, dont dessus est faicte mention, ne fut trouvée par miracle, comme ung chascun tenoit, mesmement veu que par le moien d'icelle espée, en paravant qu'elle fust rompue, a fait de beaulx conquestz cy dessus desclairez. Et est assavoir que après la journée de Patay, ladite Jehanne la Pucelle fist faire ung cry, que nul homme de sa compaignie ne tensist aucune fame diffamée ou cuquebine. Néantmoins elle trouva aucuns trespassans son commandement, par-quoy elle les frappa tellement d'icelle espée, qu'elle fut rompue. Et tantost ce venu à la con-gnoessance du roy, fut baillée à ouvrier pour la resoulder, ce que ilz ne peurent faire, ne la peurent rassembler oncques, qui est grant aprobacion qu'elle estoit venue divinement. Et estoit chose notoire que, depuis que ladite espée fut rompue, ladite Jehanne ne prospéra en armes au prouffit du roy ne autrement, ainssi que par avant avoit fait.
Or est vray que quant icelluy siège de Compiengne eult esté tenu desdits Angloiz et Bourgueignons par l'espace de six mois ou environ, et que les François estans en icelle ville estoient en grant neccessité, se vint mettre et entrer dedens ung escuier breton nommé Jamet de Teillay (4), accompaigné de quatre vingtz à cent combatans, lequel reconforta fort lesdits assiégez, et s'i porta et gourverna moult vaillamment. Et après ce fit une armée et assemblée de mille cinq cens combatans ou environ, de laquelle estoient chiefz le conte de Vendosme, le sire de Boussac, mareschal de France ; et vindrent courir sur iceulx Angloiz et Bourgueignons tenans ledit siège devant la ville de Compiengne, lesquelz Angoiz estoient clos de foussez, et devant les portes avoient de grans bastilles, et par force à pié et à cheval entrèrent en icelle fortifficacion. Et y ot plussieurs Angloiz et Bourguei-gnons mors et prins, et plussieurs se retirèrent par dessus ung pont qu'ilz avoient fait à travers la rivière d'Aise.
Et par lesdits conte de Vendosme, le sire de Boussac, mareschal de France et autres de leur compaignie, y eult fait de plussieurs belles armes et grans vaillances. Et à celle heure qu'ilz se combatoient à gaigner iceulx fossez et fortifficacions, ceux de la ville saillirent dehors et assaillirent vaillamment une bastille qui estoit viz à viz de leur porte, en laquelle avoit, ainssi c'om disoit, de trois à quatre cens combatans picars de la compaignie dudit de Luxembourg, lesquelz furent presque tous mors en la place. Et à celle heure fut desconfit tout le siège du costé devers la forest de ladite ville de Compiengne ; et s'aproucha fort la nuyt, parquoy convint que ledit conte de Vendosme, le mareschal de France et autres de leur campaignie entrassent en ladite ville. Et tantost commencèrent à passer de l'autre part devers la rivière plussieurs gens de guerre en bateaulx, pour ce que la saillie de dessus le pont estoit rompue. Et toute nuyt se deslogèrent Angloiz et Bourgueignons et s'en allèrent sans ordonnance en Normendie les ungtz, et les autres en Picardie, en très grant désarroy.
Et disoit on que ce iceulx conte de Vendosme et mareschal de France avec leur compaignie eussent peu passer ladite rivière, ilz eussent tous desconfitz iceulx Angloiz et Bourgueignons. Et laissèrent iceulx Angloiz deux ou trois grosses bombardes et plussieurs canons et autres artillerie et moult grant quantité de vins et de vivres. Et estoit dedens ladite ville Messire Philippe de Gamaches, abbé de Saint-Pharaon (5), lequel, ainssi c'om disoit, fut cause de tenir icelle ville de Compiengne contre iceulx Angloiz et Bourguaignons si longuement; lequel s'i porta moult vaillamment et grandement au bien du roy de France. Et en estoit cappitaine Guillaume de Flavy, lequel semblablement s'i porta vaillanment. Et devant le siège fut prins certain appoinctement pour traicter de paix entre le roy de France et le duc de Bourguongne, par lequel fut appoincté que ledit duc de Bourguongne, auroit ladite ville de Compiengne en sa main, pource que c'estoit passage de rivière, affin qu'il allast à Paris et ailleurs, pour besongner au fait d'icelui traicté. Et fut mandé audit Guillaume de Flavy, de par le roy de France, de bailler et délivrer icelle ville audit duc de Bourguongne, de laquelle chose il fut refusant, dont le roy fut d'abord très mal content, et touteffoiz plussieurs disoient que la désobéissance que icellui de Flavy avoit faicte avoit prouffité au roy, car par icelle ville furent les Angloiz et Bourgueignons très fort endommagez, et fut cause d'entretenir les autres villes que ledit roy avoit conquises.
En l'an dessus dit, messire Jean de Luxembourg, le comte de
Huntinton, le comte d'Arondel, d'autres Anglais et Bourguignons, vinrent
avec de grandes forces devant Compiègne, et l'assiégèrent des deux
côtés de l'Oise. Ils y firent des bastilles où ils se tenaient. Jeanne la
Pucelle, dès qu'elle en eut connaissance, partit de Lagny pour porter aide
et secours aux assiégés. Incontinent après son arrivée, de grandes et
nombreuses escarmouches commencèrent entre les Anglais et les Bourguignons
d'une part, et ceux de la ville de l'autre.
Or il advint qu'un jour Jeanne la Pucelle fit une sortie très vaillante
et très hardie ; mais les Anglais et les Bourguignons chargèrent aussi
très fort sur elle et sur ses hommes, en sorte qu'elle fut contrainte de
battre en retraite avec ses gens.
Quelques-uns disent que la barrière lui fut fermée au retour ; d'autres
qu'il y avait trop grande presse à l'entrée ; finalement elle fut prise par
les Anglais et les Bourguignons et amenée captive. Plusieurs gens du roi
en furent très dolents.
Les Bourguignons de la compagnie de Luxembourg la tinrent longtemps
en prison. Luxembourg la vendit aux Anglais qui l'emmenèrent à Rouen,
où elle fut cruellement traitée. Après l'avoir longuement détenue, ils la
firent brûler publiquement à Rouen, en lui imposant plusieurs maléfices,
en réalité en vertu de la loi Sic volo, sic jubeo, stat pro ratione voluntas (Je le veux, je l'ordonne, mon vouloir est raison.)... (6)
Source
: "Chronique
de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville -
1868.
Mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III.
Notes (Vallet de Viriville) :
1 Oise (ndlr).
2 La Pucelle fut prise le 23 mai 1430.
3 Elle périt le 30 mai 1431.
4 Jamet du Tillay.
5 Saint Faron de Meaux.
6 C'est ainsi que, dans le numéro 2396, Jean Chartier termine les chapitres
consacrés à la Pucelle. La manière est différente, tant dans le
manuscrit reproduit par Quicherat que dans celui qu'a reproduit Vallet
de Viriville. Il y rapporte une particularité intéressante qui ne se trouve
pas dans le texte que nous avons cru devoir préférer. (Voir texte original de Vallet de Viriville).
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