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Georges Chastellain
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L.II, chap. 47 - Comment Jehanne la Pucelle fut jugiée et arse à
Rouen |
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n a bien mémoire comment cette femme que les Français appelaient
la Pucelle avait été prise dans une sortie qu'elle fit devant Compiègne
contre les Bourguignons, et comment Messire Jean de Luxembourg la
tint pendant quelque temps prisonnière en son château de Beaurevoir.
Il l'envoya ensuite à Rouen entre les mains du roi anglais et de ses officiers pour la faire dûment interroger et examiner sur son état et sa condition. Ses faits recouvraient plusieurs hérésies et étranges choses bien périlleuses, sur lesquelles il était nécessaire d'avoir un très grand et très mûr conseil pour en décider salutairement en vraie et bonne justice, comme le cas le demandait.
C'est la vérité qu'après que cette Jeanne, dite la Pucelle, eût été prise et délivrée entre les mains du roi anglais, l'évêque du diocèse où elle
avait été prise l'avait fait demander très instamment, afin de l'avoir
devers lui pour l'examiner comme son juge ordinaire. Pour ce motif il
avait même envoyé vers le roi anglais en la cité de Rouen où il se tenait. Le roi, considérant que le cas était fort raisonnable, la lui délivra volontiers.
Ledit évêque commit pour être examinateur avec lui le vicaire de
l'inquisiteur de la foi, s'adjoignant en outre grand nombre de maîtres en
théologie, de docteurs solennels qui tous assistèrent aux interrogatoires.
Toutes les hérésies, superstitions et erreurs dans lesquelles cette femme était tombée, clairement connues et prouvées, tant par sa propre confession
comme par diverses investigations et claires circonstances de son
cas, lesdits examinateurs les ayant notées par points et par articles, les
envoyèrent à Paris pour être considérées et discutées publiquement en
l'Université, afin que jamais, en nul temps à venir, ils ne pussent être
notés pour avoir procédé légèrement en ce cas, par affection ou par haine,
mais seulement en toute voie d'équité, et en vue du salut des âmes, pour
qu'il pût et dût apparaître à tout le monde que tout avait été bien et justement
fait. Ces points vus et examinés en assemblée générale furent,
après mûre délibération de toute l'Université, jugés et condamnés comme
pleins de dol et des méchancetés de l'ennemi, et en même temps ladite
Jeanne fut jugée hérétique, blasphémeresse contre Dieu, et superstitieuse
devineresse.
Cette condamnation prononcée par toutes voies contre la personne et
les aveux de Jeanne, les examinateurs, au nom de sainte Église qui
voudrait sauver toutes les âmes, les réduire à vrai et bon état, sans faire
mourir personne par justice séculière, se contentant d'une punition salutaire
en prison ou autrement, les examinateurs n'omirent aucun effort,
aucune peine, firent de longues et de diverses instances pour que cette
femme rétractât les fausses déceptions par lesquelles l'ennemi l'avait
conduite, pour qu'elle retournât à la vraie lumière de vérité et contrition
[de ses péchés], délaissant les fausses et erronnées opinions et imaginations
qu'elle avait conçues et qu'elle maintenait contre l'honneur de la
divine majesté, et pour sa perpétuelle damnation ; mais leurs instances et
leurs labeurs portèrent si peu de fruit qu'à cause de la diabolique obstination
en laquelle elle persévérait et voulait persévérer toujours, elle
fut livrée finalement à la justice séculière, à Rouen, pour faire d'elle ce qu'elle en jugerait. L'Église se désintéressa d'elle après avoir bien saintement
fait son devoir, et elle laissa la justice temporelle agir selon l'appartenir
du cas.
Comment toute l'affaire avait été conduite et démenée, le roi anglais le notifia expressément au duc de Bourgogne, son oncle, par ses lettres, dont la teneur est celle qui suit : « Très cher et très aimé oncle, etc. » [suivent les lettres déjà rapportées
dans la Chronique de Monstrelet.] Chastellain ajoute : « Le roi d'Angleterre signifia ces choses au duc de
Bourgogne, afin que cette exécution fut publiée par lui, comme par les
autres princes chrétiens dans tous ses pays et auprès de ses sujets, pour
abolir et extirper l'erreur et les mauvaises créances qui, sur cette femme, étaient déjà éparses par toute la chrétienté. » (1)
Source
: texte original : Quicherat, t.IV, p.440
Mise en Français modernisé, J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III, p. 459.
Notes :
1 Quicherat n'a pas repris ce chapitre dans ses extraits de Chastellain. (t.IV).
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