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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.I-231 - [Comment le seigneur de l'Isle-Adam, mareschal de France, fut envoié à Joigny. Et la reddicion de la ville et chastel de Meleun par les asségez. Et quels termes on leur tint]

r convient retourner à l'estat du siége de Meleun où estoient, comme vous avez oy, les roys de France et d'Angleterre et le duc de Bourgongne. Durant lequel siége le seigneur de l'Isle-Adam, qui encore estoit mareschal de France, fut de par le roy envoyé en garnison à Joingny, à tout foison de gens d'armes, pour tenir frontière contre les Daulphinois qui très fort dégastoient le pays. Et après quant il eut séjourné et assis ses gens audit lieu de Joingny, peu de temps après retourna audit siége de Meleun. Et avoit fait une cote de blanc gris, à tout laquelle il ala devers le roy d'Angleterre pour aucuns affaires touchans son office, et lui venu devant lui, après qu'il eut faict la révérence comme il appartenoit et dit aucunes paroles touchans iceulx afaires, le roy d'Angleterre lui demanda par manière de jeu : « Comment l'Isle-Adam, est-ce cy la robe d'un ma reschal de France ? » Auquel il fist response, regardant ledit roy en la face : « Sire la coustume des François est telle, que se ung homme parle à ung autre, de quelque estat ou auctorité qu'il soit, la veue baissée, on dit qu'il est mauvais et qu'il n'est point preudomme, puisqu'il n'ose regarder cellui à qui il parle en la chère (1).» Et le roi lui dist : « Ce n'est point nostre guise. »
  Après lesquelles paroles et aucunes autres, le sire de l'Isle-Adam print congié dudit roy et sortit de sa présence. Si perceut assez bien à ceste foiz qu'il n'estoit pas bien en sa grace, et assez tost après lui fut ostée l'office de mareschal de France, et encores depuis lui advint une autre aventure. Car le roy dessusdit le fist tenir prisonnier, comme vous orrez cy après.
  En oultre durant icellui siége se féry en l'ost du roy d'Angleterre grande mortalité de épidémie; par quoy il perdit grant nombre de ses gens. Et d'autre costé se départyt de l'ost le duc de Bourgongne, le prince d'Orenge et plusieurs autres grans seigneurs. Pour lequel partement le duc de Bourgongne, voiant aussi son ost affeblir, manda hastivement messire Jehan de Luxembourg, pour lors capitaine de Picardie et par le roy de France, lui mandant que sans délay assemblast le plus grant nombre de gens d'armes et de traict qu'il povoit, et qu'il les conduisist et menast audit siége de Meleun. Lequel de Luxembourg, comme lui avoit mandé ledit duc, se prépara de toutes pars, et incontinent assembla gens d'armes et de trait à venir autour de Péronne, et tantost après, avec iceulz, par le Pont Saincte Maixence ala devers Meleun. Mais quant il vint au dessus de Meleun aiant ses gens en bataille, les asségez ce voians cuidèrent avoir leur secours et commencèrent à faire sonner leurs cloches et monter sur la muraille, crians haultement à ceulx de l'ost qu'ilz meissent leurs selles et qu'ilz seroient deslogez. Mais tantost après perçeurent assez que c'estoient leurs ennemis. Pour quoy, les testes baissées, faisant cesser toute joye, descendirent de leurs murs, non aians espérance de ce jour en avant d'avoir secours du Daulphin, leur seigneur. Et tantost après, ledit messire Jehan de Luxembourg, à tout ses gens, fut envoié loger en la ville de Brieconterobert (2) et là se tint jusques à la reddicion de ladicte ville de Meleun. Et, ce pendant, le roy de France envoia ses lectres en plusieurs bonnes villes du royaume de France, par lesquelles il mandoit expressément à chacusne d'icelles qu'elles envoiassent certains commis de par eulx à Paris devers lui, pour y estre le quatriesme jour de janvier, afin d'avoir conseil et délibéracion avec les nobles et gens d'église, sur la réparacion et autres afaires du royaume.
  En après, les asségez de Meleun, voyans le grant danger où ilz estoient, non aians espérance, comme dit est, d'avoir quelque secours, car desjà par plusieurs foiz avoient envoyé devers le Daulphin lui noncier la pestilence où ilz estoient contrains par force de famine menger chevaulx et autres vivres non appartenans à créature humaine, en lui requérant qu'il les voulsist secourir et oster de ce danger où ilz estoient pour soustenir sa querelle, comme promis leur avoit. A quoy finablement fut respondu par les gouverneurs dudit Daulphin, que de présent n'avoient point si grant puissance que pour les délivrer de la puissance du roy d'Angleterre et du duc de Bourgongne, et qu'ilz feissent avec eulx du mieux qu'ilz pourroient. Sur laquelle response se commencèrent à parlementer et traicter avecques les gens dudit roy d'Angleterre qui à ce furent commis ; entre lesquelz estoient le conte de Varvich, le seigneur de Cornouaille et aucuns autres. Lesquelz en la fin furent d'accord, après ce que ledit siége par grant labeurs eut esté continué le temps et espace de dix sept sepmaines, par les condicions cy après déclairiées.
  Premièrement, fut ordonné que lesdiz asségez rendroient loyaument et de fait aux roys de France et d'Angleterre la ville et chastel de Meleun et se mectroient tous générallement, tant hommes d'armes, bourgois et habitans, comme toutes autres personnes estant en icelle ville et chastel, en la grace desditz roys.
  Item, que les deux roys dessusdiz les recevroient tous en telle manière, que s'il y en a aucuns qui soient trouvez coulpables et consentans de la mort du duc Jehan de Bourgongne, on leur fera justice et raison.
  Item, que tous les autres qui point ne seront trouvez de ce coulpables, de quelque estat qu'ilz soient, n'auront garde de mort, mais ilz demoureront prisonniers jusques à ce qu'ilz auront baillé bonne caucion de jamais eulx armer avecques les ennemis des dessusdiz roys.
  Item, que se les soupeçonnez de la mort dudit duc Jehan ne sont trouvez coulpables ou consentans, ilz demoureront soubz les condicions des dessusdiz. Et ceulx qui seront nez et subjectz de ce royaume, seront remis en la possession de leurs terres qu'ilz tenoient quant le siége fut mis devant Meleun, après qu'ilz auront baillé seureté ydoine, comme dit est.
  Item, tous les bourgois et habitans demoureront en la disposicion des deux roys.
  Item, que tousjours les dessusdiz, tant bourgois comme gens d'armes, mectront ou feront mectre toutes leurs armeures et habillemens de guerre dedans le chastel de Meleun en tel lieu qu'ilz puissent venir à congnoissance, sans ce qu'ilz les despiècent ou dégastent, et pareillement ils y feront mectre tous leurs biens meubles.
  Item, rendront ou feront rendre toutes personnes qu'ilz ont prisonniers à cause de la guerre et leur quicteront leurs fois, et aussi quicteront tous ceulx qu'ilz ont reçeu sur leur foiz et autrement, devant le siége mis.
  Item, pour la seureté des choses dessusdictes, bailleront en hostages douze nobles des plus notables après les capitaines, et six bourgois de la ville.
  Item, que messire Fortin, chevalier anglois ou escossois, et tous les Anglois et Escossois, demoureront en la voulenté du roy d'Angleterre. »

  Ce traictié lors accordé et parfurny, comme dit est, entre les parties, furent tantost ouvertes les portes de ladicte ville et dudit chastel, et mise en la puissance desditz roys. Et là furent commis pour recevoir et avoir l'administracion des choses dessusdictes Les gens du roy d'Angleterre et ung nommé Pierre le Véroult, lequel par les deux roys y fut commis capitaine. Et après l'accomplissement de ces besongnes, tous les gens d'armes daulphinois, desquelz estoient les principaulx messire Pierre de Bourbon, seigneur de Préaulx, et le seigneur de Barbasan, avec de cinq à six cens nobles hommes et aucunes gentilz femmes et grant partie des plus notables et plus puissants bourgois de la ville, furent menés par le commandement du roy d'Angleterre à force de gens d'armes à Paris et là emprisonnez en Chastellet, en la maison du Temple, en la bastille Saint-Anthoine et ailleurs. Item, fut défendu de par les deux roys que nul n'entrast dedans ladicte ville et chastel, sur peine d'estre décapitez, sinon ceulx qui estoient à ce commis. Item, entre les autres qui furent décapitez en ladicte ville le furent deux moynes de Joy en Brie, c'est assavoir le celerier dudit lieu et damp Simon, jadis moyne du Jard, avec aucuns autres.
  Pendant que les traictiez dessusdiz se faisoient, y eut ung gentil homme de l'ostel du roy d'Angleterre, nommé Bertran de Caumont, qui en la bataille d'Azincourt, le propre jour, estant françois se rendit anglois, pour tant que en Guienne il tenoit sa terre dudit roy d'Angleterre, et pour sa vaillance estoit de lui moult amé. Mais, comme dit est, durant le traictié de Meleun, icellui mal conseillé, par convoitise de pécune qu'il en eut, aida à saulver Amenon de Lau et à soustraire hors deladicte ville, lequel Amenon, comme on disoit, avoit esté coulpable de la mort du duc de Jehan de Bourgongne. Laquelle chose vint à la congnoissance dudit roy d'Angleterre, dont grandement il fut troublé, et pour ce mesme fait fist audit Bertran coper la teste, non obstant que son frère le duc de Clarence et le duc de Bourgongne lui priassent assez de avoir pardon pour le dessusdit. Auquelz il fist responce que plus n'en parlassent, et que de son sceu ne vouloit avoir nul traistre en son ost. Et néantmoins, jà soit ce qu'il fist ceste justice pour monstrer exemple aux autres, si voulsist il qu'il lui eust cousté cinquante mille nobles et ledit Bertran n'eust onques fait ceste desloyaulté contre lui.


                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 En la chère : au visage, en face.

2 Brie-Comte-Robert.



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