Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index L.I-244 - [Comment le roy d'Angleterre se tira de Calais par Abbeville à Beauvais, et depuis à Mantes, où ala devers luy le duc de Bourgongne.]

t en ces jours, après ce que le roy d'Angleterre eut par aucuns jours ordonnées ses besongnes à Calais, il se parti, assez en haste, pour ce que les Parisiens et son oncle Excestre le hastoient, afin de secourir ladicte cité de Chartres. Si print son chemin vers la mer et ala à Monsteruel loger en l'ostel de la Couronne, et ses gens pour la pluspart se logèrent sur le plat pays, à l'entour de ladicte ville. En laquelle, ung jour devant, estoit venu le duc Phelippe de Bourgongne, pour estre à l'encontre du roy. Et pour tant qu'il estoit ocupé de maladie de fièvres, ne monta point à cheval pour aler à l'encontre d'icellui roy, mais y envoya messire Jehan de Luxembourg, et sa chevalerie, pour soy humblement excuser de non y estre alé. Et après la venue du roy séjournèrent trois jours en icelle ville pour parler ensemble et avoir conseil sur leurs afaires. Et eulx, de là partans ensemble, c'est assavoir le roy d'Angleterre et le duc de Bourgongne, alèrent loger au Vast en Pontieu. Et au passer parmy Montenay, ledit roy d'Angleterre fist ardoir la tour et molin de messire Jaques de Harecourt. Et pour ce que ledit roy vouloit passer la Somme par Abbeville, se parti de lui le duc de Bourgongne et ala audit lieu d'Abbeville traicter et tant faire que ledit roy y peust passer, laquelle chose lui fut octroiée assez envis. Mais le duc leur promist que tous leurs despens leur seraient entièrement paiez. Et, ce pendant, le roy se occupa à chaçer avecques ses princes en la forest de Crespy. Et le jour ensuivant ala loger à Saint-Riquier ; près de laquelle ville estoit ung fort chastel nommé La Ferté, où il y avoit environ soixante combatans des gens de messire Jaques de Harecourt, dont estoit capitaine le bastard de Belloy, qui par sommation suffisamment à lui faicte, rendi ladicte fortresse. Et y fut mis de par le roy et le duc de Bourgongne ung gentil homme du pays, nommé Nicaise de Boufflers, lequel tost après la remist en la main des Daulphinois, comme dessus. En oultre, dudit lieu de Saint-Riquier, s'en ala le roy anglois à Abbeville, et là fut receu honorablement par le pourchas et diligence dudit duc de Bourgongne, et lui furent faiz en icelle ville mains beaux présens. Et passèrent paisiblement toutes ses gens avecques ses chariotz, charrètes et autres bagues. Et lendemain, après que les despens furent paiez, ledit roy se mist à chemin, à tout son ost; et se partit de lui le duc de Bourgongne, par condicion qu'il lui promist de retourner vers lui assez briefment, à tout son armée. Et chevaucha par Beauvais à Gisors et de là s'en alla au Bois de Vincennes, où estoient le roy de France et la royne, sa femme; lesquelz il salua honnorablement, et pareillement fut d'eulx reçeu à moult grant joye. Et là vindrent devers lui son oncle le duc d'Excestre et plusieurs autres des gouverneurs et conseillers du roy de France, avec les-quelz furent tenus plusieurs grans consaulx sur les afaires du royaume. Entre lesquelles fut ordonné que les fleurectes, c'estassavoir les monnoies du roy qui avoient cours pour XVI.d., seroient mises et rabaissées à IIII.d. Si fut tantost ce publié par tout le royaume ès bailliages et seneschaulcies. Pour lequel rabaissement, le commun de Paris et d'autres villes commencèrent fort à murmurer contre lesdiz gouverneurs. Mais autre chose n'en porent avoir. Et encores, qui leur tourna à plus grant desplaisance et dommage, elles furent tantost remises, de IIII.d. à II.

       

  En après, icellui roy d'Angleterre assembla grant puissance de gens d'armes ou pays de France, à tout lesquelz, avecques ceulx qu'il avoit amenez d'Angleterre, se tira à Mante pour aler combatre le Daulphin, qui jà avoit esté trois sepmaines devant Chartres ; et manda le duc de Bourgongne qu'il venist devers lui, à tout ce qu'il pourrait avoir de gens, pour estre à la journée. Lequel duc se prépara hastivement pour y aler, et se tira, bien à trois mille combatans, en la ville d'Amiens et ou pays là environ, et de là par Beau-vais et Gisors se tira vers ladicte ville de Mante. Si laissa ses gens eu ung gros village et ala, à privée mesgnée (1), audit lieu de Mante devers le roy d'Angleterre, qui de sa venue et bonne diligence fut très content. Mais, ce pendant, ledit Daulphin et ceulx qui estoient avecques lui, advertis de la puissance et assemblée devant dicte, se départirent de devant Chartres et se retrahirent vers Tours en Touraine. Et pour tant, après ce que le duc de Bourgongne eut eu aucun parlement avecques le roy dessusdit, lui fut ordonné de retourner en Picardie subjuguer les Daulphinois, qui chascun jour s'esforçoient de faire plusieurs maulx oudit pays, par le moien de messire Jaques de Harecourt.

                                                 

Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Avec une petite suite de ses gens.