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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-36- [Comment la duchesse Jaqueline de Baviere se parti et embla de la ville de Gand, et s'en alla au pays de Holande.] |
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n ce meisme temps le duc de Bethfort, qui se disoit régent de France, fist assambler en la ville de Paris plusieurs nobles hommes dudit royaume de France; avecques aucuns saiges des Troys Estas et les ambaxadeurs d'Angleterre, pour ensamble avoir advis et délibération sur la journée et champ de la bataille entreprins entre les ducs de Bourgongne et de Glocestre. Toute fois, après ce que la querelle eust par plusieurs journées esté visitée et débatue en conseil, fut conclue, toutes choses veues et considérées, qu'il n'y avoit point de juste cause entre eulx de appeller l'un l'autre en champ. Et pour tant, fut ordonné que ycelle journée seroit mise du tout à nient, et qu'ils ne feraient point d'amendise l'un à l'autre. Et estoient lors à Paris au conseil dessusdict, de par le duc de Bourgogne, l'évesque de Tournay, et de par le duc de Glocestre, l'évesque de Londres, et avecques eulx, de chascune partie, aucuns de leur conseil (1).
Le XVIIe jour du mois de septembre furent, en la cité d'Authun, faites les nopces solempnelment de Charles de Bourbon, conte de Clermont, fils et héritier du duc de Bourbon prisonnier en Angleterre, et de Agnés, seur maisnée du duc de Bourgongne. Aux quelles nopces fu la duchesse de Bourgongne, seur au duc Charles de Bourbon. Après laquelle feste passée et que ycelle duchesse de Bourgongne fut retournée en Digon (2), trespassa de ce siècle, et fut enterrée eu l'église des Chartreux, au dehors de ladicte ville de Digon, en grand tristesse et gémissemens des Bourguignons qui moult l'amoient, car elle estoit dame moult prudente, tant envers Dieu, comme envers le monde.
En l'an dessusdit, furent envoyés de Paris à Romme devers nostre saint père le pape, de la partie des deux royaumes de France et d'Angleterre, certains ambaxadeurs, c'est assavoir, pour le royaume de France, l'abbé d'Orcamp, docteur en théologie, et deux chevaliers lettrés (3), et pour le royaume d'Angleterre, l'abbé de Biaulieu, avecques deux chevaliers, pour sommer ledit pape comment on avoit sommé au darrain concille général fait à Constances, afin qu'il convocast et assamblast concille pour parfaire et accomplir les choses qui n'avoient esté parfaites audict darrain concille, en luy notifiant qu'il estoit trop prolonguié, et que ce estoit contre le utilité de la Sainte-Église universelle.
En cest an y eut grand descord en Angleterre entre le duc de Glocestre d'une part, et le cardinal de Wincestre son oncle, d'autre part. Et fut la cause du discord, pour ce que ycelui duc de Glocestre vouloit avoir le gouvernement du josne roy Henri (4), son nepveu, lequel avoit esté baillé en garde par Henri roy d'Angleterre son père, audit cardinal. Nientmains, par la force et puissance dudit duc de Glocestre, convint que ledit cardinal, son oncle, se retrayst dedens la grosse tour de Londres. Et y fut par trois jours, qu'il n'osoit yssir. Et si furent occis huit ou dix de ses gens. Mais en fin la paix se fist, et furent les Trois États du pays assamblés pour sur ce avoir pourveance. En la présence desquelz fut par plusieurs fois porté le jeune roy Henri, et sist (5) en siége royal, et entre les autres choses fist un duc du conte mareschal. Et dura cestuy parlement par très longue espace de temps. Ez quelz furent délibérées plusieurs grandes besongnes sur les affaires dudit josne roy et des deux royaumes, c'est assavoir de France et d'Angleterre.
Environ le mois de décembre, se départit le duc de Bethfort et la duchesse sa femme avec lui, à tout cinq cens combatans ou environ, de Paris, et vint à Amiens, où il fut par aucuns jours. Durans lesquels estoient sur les champs aucuns saquemans, jusques à mil chevaulx, desquelz estoit chief et conducteur ung nommé Sauvage de Fermainville, lequel n'estoit point amé du dessusdit duc. Et pourtant, ledit Sauvage, qui estoit logié à Esclusiers (6) vers Péronne, sachant le département d'y celui duc alant de Amiens à Dourlens petitement acompaignié, espérant ycelui soubdainement envayr et ruer jus, se départit, à tout ses gens, de ladicte ville d'Esclusiers, et de là, bien en haste, chevaulcha à Biaukesne (7) et là se loga. Mais ledit duc paravant estoit passé et logié à Dourlens (8) et de là à Saint Pol et par Terrewane (9) s'en ala à Calais et de là en Angleterre, pour blasmer et corrigier son frère Humfroy, duc de Glocestre, des entreprises qu'il avoit contre le duc de Bourgongne. Pour laquelle poursuite et en vaye dessusdicte, ledit Sauvage de Fermainville fut en la très grande indignation du duc de Bethfort, quand il vint à sa congnoissance ce qu'il avoit fait contre luy, et tant, qu'en fin, tant pour ce comme pour autres démérites, il en fut vilainement puny, comme cy-après orrez plainement déclarer.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Le pape Martin V s'éleva avec force contre ces combats entre Princes.
2 Dijon.
3
On disait aussi Chevaliers en lois.
4 Henri VI.
5 Siégea.
6 Eclusier (Somme)
7 Beauquesne (Somme)
8 Doullens (Somme)
9 Thérouanne (Pas de Calais)
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