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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-46 - [Comment les Anglois vinrent en duché de Bretagne, où ils firent moult de maulx et de grans dommages - Et autres matières ]

n cest an, le conte de Sufolc et messire Thomas de Rameston, à cause de certaine guerre qu'ilz avoient au duc de Bretaigne, à tout environ douze cens combatans, alèrent coure ou pays de Bretaigne jusques bien près de la ville de Rennes, où estoit le duc, et y firent de très grans dommages, et y levèrent de très grans proies, tant prisonniers comme autres biens, à tout lesquelz retournèrent en ung groz village du pays nommé Tintenach (1). Et lendemain se mirent à chemin et rentrèrent ès marches de la basse Normendie, à tout ce qu'ilz avoient gaigné, sans avoir quelque empeschement. Et tost après ledit messire Thomas se loga en une petite ville nommée Saint-James de Buiveron (2), laquelle aultre fois avoit esté désolée, et le fist réparer et fortifier pour y demourer et y tenir garnison, adfin de faire aux Bretons guerre. Car elle estoit à demi lieue du pays. Et là demoura ycelui messire Thomas, lieutenant dudit conte de Suffort. Lequel conte estoit capitaine général de la basse Normendie. Et commencèrent les Anglois à mener forte guerre et faire plusieurs courses ou pays de Bretaigne. Pour aux quelles obvier et résister, le duc fist grand assamblée des nobles hommes de son pays, lesquelz il bailla en charge à son frère le conte de Richemont, qui nouvellement avoit esté fait connestable du royaume de France. Lequel, avec d'autres gens qu'il avoit, les mena devant ladicte ville de Saint-James de Buiveron, et de fait l'asséga très puissamment. Et y eut de la première venue grande escarmuche ; nient-mains ledit connestable se loga, et fist ycelle environner tout entour. Si commença à faire jeter et traire plusieurs de ses engiens contre la muraille, qui moult fort la dommagièrent , et au bout des dix jours ou environ , eut conseil de la faire assallir. Et dura l'assault par longue espace , très dur et merveilleux. Si estoient les Bretons bretonnans à ung costé bas où il y avoit ung petit vivier, et convenoit qu'ilz passassent par une estroite voie pour aler jusques au mur, à grand dangier. Si avoit à ce costé ung pent belevvert, dont ung chevalier anglois, nommé messire Nicolle Bourdet, avoit la charge, à tout soixante ou quatre vings combatans. Et d'aultre part y avoit une porte assez bien fournie d'Anglois. Et lors yceulx Bretons, qui dévaloient ès fossés en très grand nombre pour aler assalir, oyrent des deux costez lesdiz Anglois jetter ung très grand cry en criant Salseberi ! et Sufort ! pour lequel cry les Bretons se commençèrent à retraire en très grand desroy. Et adonc ledit messire Nicolle sailly après eulx viguereusement , et sans y trouver grand deffence en furent mis à mort et noyés oudit estanc, de six à huit cens, et avec ce en demourèrent prisonniers environ cinquante, et si furent gagniés par lesdiz Anglois dix huit estandars et une bannière. Et tost après furent portées les nouvelles audit connestable de la perte de ses gens, lequel faisoit fort assaillir de l'autre costé ; si fut de ces nouvelles moult esmerveillé, si fist sonner la retraicte, car tout le siège de devers ledit estanc estois jà levé. Si se mirent les Bretons ensamble et prinrent hastif conseil sur ce qu'ilz avoient à faire. Auquel conseil fu délibéré, que, entendu la grand perte que ycelui connestable avoit eu de ses gens, il estoit bon qu'il se départist. Et ainsy le fist-il. Mais il actendi jusques environ mienuit, et s'en retourna en la ville de Fougières, en très petite ordonnance, délaissant audit siège grand foison de bonbardes, vivres et aultres artilleries. Et ledit sire Thomas, à tout six cens combatans qu'il avoit, dont la plus grand partie estoient bléciez , demoura en celle ville , bien joyeux de sa bonne fortune, et fist bouter dedens tous les biens qui estoient demourez de ses adversaires.
  Et le second jour ensuivant, vint le conte de Suffort, à tout quinze cens combatans, lequel mena lendemain ledit Messire Thomas avec aucuns de ses gens devant ung fort moustier, qui tantost se rendi à luy, et de là se tira plus avant ou pays devers la cite de Dol ; et avoit entencion de sousjourner là. Mais entretant, le duc de Bretaigne envoya devers le conte de Suffort ung sien poursuivant, a tout ses lettres, par lesquelles luy prioit d'avoir tréves sur une forme. Ce que ledit conte accorda. Et sur ce remanda ledit messire Thomas et ses gens, lequel retourna audit Sainte-James de Buiveron, à tout grans proies. Sy fut tant parlementé entre lesdictes parties que les trèves furent données, qui durèrent trois mois ou environ , moyennant que pour les accorder le conte de Suffort eut quatre mille et cinq cens francz.
  Si s'entretinrent très bien ycelles tréves jusques en la fin de juing qu'elles devoient faillir. Durant lequel temps ne se peurent lesdictes parties accorder, et pour tant de rechief retournèrent à la guerre, et furent faites plusieurs choses moult dommagables par feu et par espée, par les Anglois, oudit pays de Bretaigne. Pour aux quelles obvier, le duc et le connestable, son frère, firent réparer la ville de Pont-Ourson (3), qui depart Normendie et Bretaigne, à deux lieues du Mont Saint-Michel, et y fut mise grosse garnison pour faire frontière contre lesdiz Anglois. Et certain temps ensuivant ledit conte de Suffort fut déporté du gouvernement de la Basse-Normendie, et y fut commis le conte de Warwich. Lequel assambla grans gens, et asséga ladicte ville de Pont-Ourson. Et pour ce que durant le siège les Anglois asségans avoient vivres à grant dangier, tant pour la garnison du Mont SaintMichel, comme pour autre, sy fut envoyé le seigneurd'Escalles, à tout cinq cens combatans, en la Basse Normendie, pour aconduire les vivres dessusdictes. Et ainsy qu'il s'en retournoit, à tout yceulx, les Bretons qui sçavoient son retour s'estoient mis en embusche, bien, quinze cens combatans, auprès du Mont Saint-Michel, et lors, quand ilz veirent leur point, ilz saillirent sur lesdiz Anglois, lesquelz ilz trouvèrent en bonne ordonnance. Si se deffendirent très vaillamment, et tant, que finablemeut les Bretons furent tournez à desconfiture, et en y eut de mors en la place bien huit cens. Entre lesquelz y fut mort le seigneur de Chasteaugeron, le seigneur de Coesquan, le seigneur de Chambour , le baron de Cambouches, le seigneur de Humandrie, messire Pierre Le Porc , le capitaine des Escoçois (4) et plusieurs autres nobles hommes. Et si fu prins le visconte de Rohem et plusieurs autres grans seigneurs. Après laquelle besongne les asségiez du Pont-Ourson, non ayans espérance de souscours, se rendirent sauf leurs vies, au conte de Warwich, et s'en alèrent le baston au poing, en délaissant tous leurs biens. Et y fu commis capitaine ledit seigneur d'Escalles (5). Après ceste besongne lesdiz Anglois firent emmener le baron de Soulenges, messire Pierre Le Porc et ung autre, tous mors à leur siège, et livrèrent leurs corps à ceulx dedens pour mettre en terre, et adfin qu'ilz fussent plus certains de ladicte destrousse et desconfiture, et qu'ilz se rendissent plus hastivement ; comme ilz firent.
  Environ la fin de cest an, convocqua messire Jehan de Luxembourg, ès pays de Picardie et à l'environ, environ mil combatans, tant hommes d'armes comme archiers, en intencion d'aler asségier et mettre en son obéyssance la ville de Beaumont en Argonne, que lors tenoit Guillaume de Flavi, tenant le parti du roy Charles. Lequel de Flavi et ceulx à luy obéyssans, continuelment faisoient moult de oppressions et griefz dommages aux pays à l'environ.
  En ces jours leduc Phelippe de Bourgongne, comme il avoit plusieurs fois fait assambla très grand nombre de gens d'armes en ses pays de Flandres et d'Artois et à l'environ, pour de rechief aler en Holande et asségier la duchesse Jaqueline dedens la ville de Gande (6). Et pour ceste fois escripvoit aux nobles de ses pays que son intencion estoit de achever à ceste fois la guerre dudit pays de Hollande, de devant son retour, pour laquelle ilz avoient desjà esté fort travaillez et par plusieurs fois. Lesquelles assamblées, comme dit est, il mena à l'Excluse, et là montèrent en mer pour passer au dessusdit pays de Hollande.
  Durans toutes ces tribulacions, menoient les Anglois très forte guerre sur les marches de Bretaigne. Et eurent lors yceulx Anglois et les Bretons que conduisoit le conte de Richemont, ung très grant rencontre, ouquel morurent grand quantité de combatans, tant d'un costé comme de l'autre. Mais en fin lesdiz Anglois obtindrent la journée. Et les conduisoit le conte de Warwich.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Tinteniac (Ille-et-Vilaine).

2 Saint-James de Beuvron (Manche).

3 Pontorson.

4 des Ecossais.

5 Scales.

6 Gand.


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