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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-64
- Comment le Roy Charles de France, à tout grande et noble chevalerie et à tout grand nombre de gens d'armes, s'en vint en la cité de Rains, où il fut sacré. |
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tem, Charles, Roy de France, lui estant à Troyes en Champaigne, comme dit est dessus, vinrent devers lui aulcuns députés de Châlons en Champaigne, qui lui apportèrent les clefz de leur ville et cité, en lui promettant de par ycelle faire toute obéyssance. Après la venue desquelles, ledit roy vint audit lieu de Chaalons, où il fut des habitans bénignement et en grand humilité receu. Et là pareillement lui furent apportées les clefz de la ville de Rains, en lui promettant, comme dessus, faire toute obéyssance, elle recepvoir comme leur naturel seigneur. En laquelle cité de Rains nagaires avoit esté le seigneur de Saveuses, de par le duc de Bourgongne, avec certain nombre de gens d'armes, pour ycelle ville tenir en l'obéyssance du Roy Henry et du dessusdit duc de Bourgongne. Lequel seigneur de Saveuses venu à Rains, par le gouverneur et grand nombre des habitans lui fut promis de eulx entretenir du party et en la querelle du Roy Henry et d'ycelui duc, jusques à la mort. Mais non obstant ce, pour la crémeur qu'ilz avoient de la Pucelle, qui faisoit de grans merveilles, comme on leur donnoit à entendre, se rendirent en l'obéyssance du Roy Charles, jà soit ce que le seigneur de Chastillon et le seigneur de Saveuses, qui estoient leurs capitaines, leur remonstrassent et vouloient donner à entendre le contraire. Lesquelz deux seigneurs, voyant leur voulenté et affeccion, se départirent de ladicte ville de Rains. Car, en leurs remonstrances, ceulx de ladicte ville n'avoient en riens voulu entendre, ains leur avoit fait responces dures et assez estranges, lesquelles oyes, yceulx seigneurs de Saveuses et de Chastillon retournèrent au Chateau-Thierri. Si avoient des lors, yceulx de Rains, prins conclusion l'un avec l'autre de recepvoir le dessusdit Roy Charles. Laquelle chose ilz firent, comme dit est dessus, tant par le moyen de l'archevesque d'ycelle ville de Rains, lequel estoit chancelier du roy Charles, comme par aulcuns autres.
Si entra le Roy dedens ladicte ville et cité de Rains, le vendredi XVIe jour de juillet, avec grand nombre de sa chevalerie. Et le diemenche ensuivant, fut par ledit archevesque consacré et couronné à Roy, dedens l'église Nostre-Dame de Rains, présens ses princes et prélas et toute la baronnie et chevalerie qui là estoit. La estoient le duc d'Alençon, le conte de Clermont, le seigneur de La Trémouille, qui estoit son principal gouverneur, le seigneur de Beaumanoir, breton, le seigneur de Mailly en Touraine (1), lesquels estoient en habis royaulx, représentans les nobles pers de France, qui point n'estoient au faire le sacre et couronnement dessusdiz. Si avoient esté, lesdiz pers absens, évoqués et appelés devant le grand autel de ladite église par le roy d'armes de France, ainsi et par la manière qu'il est acoustumé de faire. Après lequel sacre fait et accompli, le Roy ala disner en l'ostel épiscopal de l'archevesque, les seigneurs et prélats en sa compaignie. Et sist à sa table ledit archevesque de Rains. Et servirent le Roy, à son disner, le duc d'Alençon et le conte de Clermont, avec pluiseurs aultres grans seigneurs. Et fist, le Roy, le jour de son sacre, trois chevaliers, desquelz le damoiseau de Commercis en fut l'un. Et à son département laissa en la cité de Rains pour capitaine Anthoine de Hollande, nepveu dudit archevesque. Et lendemain se départy de ladite ville, et ala en pélérinage à Corbeny (2) visiter Saint-Marceau. Auquel lieu lui vinrent faire obéyssance ceulx de la ville de Laon, si comme avoient fait les aultres bonnes villes dessusdictes. Duquel lieu de Corbeny le Roy ala à Soissons et à Prouvins, qui sans contredire lui firent plaine ouverture. Et constitua lors La Hire, nouvel bailly de Vermendois, ou lieu de messire Colard de Mailly, qui par avant y estoit commis de par le roy Henri d'Angleterre. Et après s'en vint le Roy et ses gens devant Chasteauthierri, où estoit dedens le seigneur de Chastillon, Jehan de Croy, Jehan de Brimeu et aulcuns aultres nobles de la partie du duc de Bourgongne, à tout quatre mille combatants ou environ. Lesquelz, tant pour ce qu'ilz sentoient la communaulté de la ville incliner à faire obéyssance au roy Charles, comme pour ce qu'ilz n'attendoient mie brief souscours et n'estoient mie pourveus à leur plaisir, rendirent ycelle forte ville et chastel en l'obéyssance du roy Charles, et s'en partirent sauvement, à tout leurs biens. Si s'en alèrent à Paris devers le duc de Bethfort, qui lors faisoit grand assamblée de gens d'armes pour venir combatre le roy Charles et sa puissance.
Item.— Charles roi de France étant encore à Troyes, des députés de Châlons-en-Champagne vinrent lui apporter les clefs de leur ville et cité, et lui promettre de la part d'icelle de lui faire toute obéissance. Le roi,
après leur arrivée, vint audit lieu de Châlons, où les habitants le reçurent
bénignement et en toute humilité. Là lui furent pareillement apportées
les clefs de la ville de Reims, avec promesse, comme pour la ville
précédente, de lui faire toute obéissance et de le recevoir comme le
naturel seigneur de la cité.
Le seigneur de Saveuse, avec un certain nombre de gens d'armes,
avait été naguère en cette cité de Reims pour la maintenir en l'obéissance
du roi Henri et du duc ; le gouverneur et grand nombre des habitants
lui avaient promis de soutenir jusqu'à la mort le parti et la querelle duroi Henri et du duc, mais, nonobstant ce serment, par crainte de la
Pucelle, qui, d'après ce qu'on leur donnait à entendre, faisait de grandes
merveilles, ils se mirent en l'obéissance du roi Charles, quoique le seigneur
de Châtillon et le seigneur de Saveuse, leurs capitaines, leur
pussent remontrer pour Jeur persuader le contraire. Ces deux seigneurs,
voyant leur résolution et de quel côté était leur affection, quittèrent
Reims ; car les habitants de la ville n'avaient rien voulu entendre à leurs
remontrances, et leur avaient fait des réponses dures et assez étranges.
Après les avoir ouïes, les seigneurs de Saveuse et de Châtillon retournèrent à Château-Thierry.
Ceux de Reims avaient déjà décidé de recevoir le roi Charles. Ce qu'ils
firent, par l'intervention de l'Archevêque de la ville, chancelier du roi
Charles, et par l'intervention de plusieurs autres.
Le roi entra dans la
ville et cité de Reims, le vendredi, seizième jour de juillet, avec une
partie de sa chevalerie. Le dimanche qui suivit, il fut sacré et couronné
en qualité de roi par ledit Archevêque, dans l'église Notre-Dame de
Reims, en présence de ses princes et prélats, et de toute la baronnerie
et chevalerie qui étaient dans la ville. Là se trouvaient le duc d'Alençon,
le comte de Clermont, le seigneur de La Trémoille, qui était son principal
gouverneur, le seigneur de Beaumanoir, Breton, le seigneur de Mailly
en Touraine. Tous étaient en habits royaux ; ils représentaient les nobles
pairs de France, ainsi et de la manière que la coutume était de le faire.
Le sacre fait et accompli, le roi alla dîner en l'hôtel épiscopal de l'Archevêque; les seigneurs et les prélats l'accompagnaient. L'Archevêque de
Reims s'assit à sa table. Le roi fut servi à son dîner par le duc d'Alençon
et le comte de Clermont avec plusieurs autres grands seigneurs. Le roi
fit le jour de son sacre trois chevaliers dans l'église, parmi lesquels le
damoiseau de Commercy. A son départ, il laissa à Reims pour en être
le capitaine Antoine de Hellande, neveu de l'Archevêque. En sortant de Reims le roi alla en pèlerinage à Corbigny, visiter Saint-Marcou. Là, les habitants de la ville de Laon vinrent lui faire obéissance,
comme avaient fait ceux des villes dont il a été fait mention. De Corbigny
le roi vint à Soissons et à Provins, qui, sans opposition aucune, lui
firent pleine ouverture. Il constitua alors La Hire comme nouveau
bailli du Vermandois, à la place de Colard de Mailly, que le roi d'Angleterre
y avait précédemment commis.
Le roi vint ensuite avec ses gens devant Château-Thierry. Le seigneur
de Châtillon, Jean de Croy, Jean de Brimeux et quelques autres nobles,
grands seigneurs, déclarés pour le duc de Bourgogne, s'y étaient
renfermés avec environ quatre cents combattants. Sentant que l'ensemble
de la ville inclinait à faire obéissance au roi Charles, n'attendant pas
de prompt secours, n'étant pas suffisamment pourvus à leur plaisir, ils
rendirent au roi cette forte ville et son château, et la quittèrent sains et
saufs avec tous les biens. Ils allèrent à Paris vers le duc de Bedford, qui
formait une grande assemblée de gens d'armes pour venir combattre le
roi Charles et son armée.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.
Notes :
1 Lisez Maillé.
2. Corbeny (Aisne), à dix-huit kilomètres de Laon.
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