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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-8 - [Comment Pothon de Saincte-Treille et Lyonel de Wandonne firent armes à Arras en la présence du duc de Bourgongne.] |
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n ces propres jours furent faictes armes à Arras en la présence du duc de Bourgongne, juge en ceste partie, de Pothon de Saincte-Treille d'une part, et de Lyonnel de Wandonne d'autre part. C'estassavoir que ledit Pothon avoit requis Lyonnel qu'ilz peussent courir l'ung contre l'autre, tant qu'ilz eussent assis l'ung sur l'autre six coups de lance, ou icelles rompues. Et à l'opposite ledit Lyonnel avoit requis à Pothon de combatre après, de haches, tant qu'elles pourraient durer. En après, quant le jour fut venu et qu'ilz se furent préparez, Pothon entra premier au champ comme appellant, acompaigné de ses gens bien gentement, et ala faire la révérence au duc de Bourgongne qui estoit en son eschaffault, et puis se retrayt. Et assez tost après entra ledit Lyonnel de Wandonne, acompaigne de messire Jehan de Luxembourg, qui le servit tout le jour de lances, et aucuns autres de ses seigneurs et amis. Et, comme avoit fait ledit Pothon, ala faire la révérence au duc, et puis se mist à son lez au bout des lices, et puis assez tost après ilz se préparèrent à courre l'ung contre l'autre. Si coururent plusieurs coups moult roidement, entre lesquelz y eust de chascune partie aucunes lances rompues et froissées l'ung sur l'autre. Toutes voyes, sur la fin, le heaume Lyonnel fut ung petit cassé du fer de son adversaire, et de ce eut la teste blécée, non mie grandement. Et pour tant, le duc de Bourgongne, de ce adverti, les fist cesser de plus courre l'ung contre l'autre ce jour, touchant les armes à cheval. Le lendemain le duc de Bourgongne revint en son eschaffault, environ dix heures, acompaigne du conte de Richemont et des seigneurs de son conseil, pour actendre les champions qui devoient faire leurs armes à pied. Et assez tost après entra Lyonnel de Wandonne (1), toujours acompaigné de messire Jehan de Luxembourg, et ala, comme il avoit fait le jour précédent, faire la révérence au duc Phelippe, et puis retourna dedans son pavillon, et là actendit son adversaire, lequel vint tantost après. Et après qu'il eut faicte la révérence audit duc, se retrahy dedens son pavillon. Et tantost, comme il est de coustume en tel cas, fut crié par ung hérault que tout homme vuidast les lices, et que nul ne donnast empeschemens aux champions, sur peine capitale. Et adonc, Lyonnel de Wandonne, qui estoit appellant, yssit de son pavillon, sa hache en son poing, et marcha le grant pas sur son ennemy, lequel, quant il le vit approcher, yssit hors de son pavillon et ala à l'encontre dudit Lyonnel. Lequel Lyonnel l'assaillit vigeureusement, en gectant plusieurs coups de sa hache à bras tourné contre icellui Pothon, et aucunes fois frappoit de estoc, sans cesser, ne refrener son alaine. Et en ce faisant, Pothon recevoit froidement ses coups sur sa hache, en les détournant à son povoir arrière de lui. Et quant il vit son poinct, il approcha ledit Lyonnel et le férit plusieurs coups de la poincte de sa hache par dessoubz la visière de son bacinet, et tant fist qu'il lui leva ladicte visière, tant que on veoit plainement le visaige dudit Lyonnel. Lequel se voyant en ce danger fist tant, qu'il print la hache de Pothon d'une main dessoubz son bras, et Pothon print Lyonnel d'une main par le bort de son bacinet et le esgratina de son gantelet au visaige. Et en ce faisant et hardiant l'ung l'autre, Lyonnel referma sa visière à peu près. Et tantost le duc de Bourgongne les fist prendre en ce point par ceulx qu'il avoit commis à garder le champ, desquelz ilz furent menez devant le duc, lequel présentement leur ordonna à demourer bons amis ensamble, tant comme il touchoit leurs armes cydessus déclarées. Et sur ce retournèrent chascun en leurs hostelz. Et fist là ledit Pothon de grans bonbans avecques ses gens. Et le lendemain coururent de fer de lance l'ung contre l'autre, Rifflart de Champremy, tenant le parti du roy Charles, contre le bastard de Rosbecque; et rompirent l'ung l'autre aucunes lances. Mais en conclusion ledit Rifflard fut enferré tout parmi son harnois, que on vit le costé, et néantmoins ne fut point percé au vif. Pour lequel coup le duc de Bourgongne les fist cesser et retourner en leurs hostels, chascun acompaignez de ses gens. Et dedans briefz jours s'en retourna ledit Pothon avec les siens en la conté de Guise.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Il capturera Jeanne d'Arc le 23 mai 1430 à Compiègne. (ndlr)
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