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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-86 - Comment Jehenne la Pucelle fut prinse des Bourguignons devant la ville de Compiengne.

tem, durant le temps que le duc de Bourgongne estoit logié à Coudin (1), comme dit est, et ses gens d'armes ès villages auprès de Coudin et de Compiengne, advint, la nuit de l'Ascencion, à cinq heures après miedy (2), que Jehenne la Pucelle, Pothon et autres capitaines françois, avec eulx de quatre à cinq cens combatans, saillirent hors, tous armés de pied et de cheval, de ladicte ville de Compiengne, par la porte du pont vers Mondidier. Et avoient intencion de combatre et ruer jus le logis de messire Baudo de Noyelle, qui estoit à Margni au bout de la chaussée, comme dit est en aultre lieu (3). Si estoit à ceste heure, messire Jehan de Luxembourg, avec lui le seigneur de Créqui et huit ou dix gentilz hommes, tous venus à cheval, non ayans si non assez petit de son logis devers le logis messire Baudo. Et regardoit par quelle manière on pourroit asségier ycelle ville de Compiengne. Et adonc yceulx François, comme dit est, commencèrent très fort à approcher ycelui logis de Marigni (4), ou quel estoient pour la plus grant partie tous désarmés. Toutefois, en assez brief terme se assamblèrent, et commença l'escarmuche très grande. Durant laquelle fut crié alarme en pluiseurs lieux, tant de la partie de Bourgongne, comme des Anglois. Et se mirent en bataille les dessusdiz Anglois contre les François, sur la prée au dehors de Venette, où ilz estoient logiés. Et estoient environ de cinq mille combatans. Et d'aultre costé les gens de messire Jehan de Luxembourg, qui estoient logiés à Claroy (5), sachans cest effroy, vindrent les aulcuns hastivement pour secourir leur seigneur et capitaine qui entretenoit ladicte escarmuche, et auquel, pour la plus grand partie, les autres se ralioient. En laquelle fut très durement navré ou visaige ledit seigneur de Créqui. Finablement, après ce que ladicte escarmuche eust duré assez longue espace, yceulx François véans leurs ennemis multiplier en grand nombre, se retrayrent devers leur ville, tous jours la Pucelle avec eulx sur le derrière, faisant grand manière de entretenir ses gens et les ramener sans perte. Mais ceulx de la partie de Bourgongne, considérans que de toutes parts auraient brief souscours, les approuchèrent vigeureusement et se férirent en eulx de plains eslans. Si fut, en conclusion, comme je fus informé, la dessusdicte Pucelle tirée jus de son cheval par ung archier, auprès duquel estoit le bastard de Wandonne, à qui elle se rendy et donna sa foy, et cil, sans délay l'emmena prisonnière à Maigni, où elle fut mise en bonne garde. Avec laquelle fut prins Pothon le Bourguignon, et aulcuns aultres, non mie en grand nombre. Et lesdiz François rentrèrent en Compiengne, dolans et courroucés de leur perte. Et par espécial eurent moult grant desplaisance pour la prinse d'ycelle Pucelle. Et à l'opposite, ceulx de la partie de Bourgongne et les Anglois en furent moult fort joyeux, plus que d'avoir prins cinq cens combatans. Car ilz ne cremoient ne redoubtoient nul capitaine ne autre chief de guerre, tant comme ilz avoient tous jours fait jusques à ce présent jour ycelle Pucelle.

                          

  Si vint assez tost après, le duc de Bourgongne, à tout sa puissance, de son logis de Coudin où il estoit logié, en la prée devant Compiengne. Et là s'assamblèrent les Anglois, ledit duc et ceulx des autres logis, en très grand nombre, faisans l'un avec l'autre gratis cris et resbaudissemens pour la prinse de ladicte Pucelle. Laquelle ycelui duc ala veoir ou logis où elle estoit, et parla avec elle aulcunes paroles, dont je ne suis mie bien record, jà soit chose que je y estoie présent (6). Après lesquelles se retraist ledit duc et toutes aultres gens chascun en leurs logis, pour ceste nuit. Et la Pucelle demoura en la garde et gouvernement de messire Jehan de Luxembourg. Lequel, dedens briefz jours ensuivans, l'envoia soubz bon conduit ou chasteau de Biaulieu, et de là à Biaurevoir (7), où elle fut par long temps, comme cy-après sera déclairé plus avant.




                                                     


  Tandis que le duc de Bourgogne était logé à Coudun, comme il a été dit, et ses gens d'armes dans les autres villages autour de Coudun et de Compiègne, il advint la veille au soir de l'Ascension (8), à cinq heures après midi, que Jeanne la Pucelle, Poton et d'autres capitaines, appuyés de cinq à six cents combattants, bien armés, les uns à pied, les autres à cheval, saillirent de Compiègne par la porte du pont, du côté de Montdidier. Ils avaient l'intention de combattre Messire Baudot de Noyelle et de s'emparer de son logis, qui, comme il a été dit ailleurs, était à Margny, au bout de la chaussée. A cette heure même, Messire Jean de Luxembourg était venu de son logis vers celui de Messire Baudot, avec le seigneur de Créquy, huit ou dix gentilshommes arrivés tous à cheval, n'ayant qu'une assez petite suite. Ils regardaient de quelle manière on pourrait assiéger Compiègne, quand les Français commencèrent à approcher très fort de Margny où ils étaient, pour la plupart tous désarmés. Cependant ils se réunirent en assez peu de temps, et une très grande mêlée commença, durant laquelle on cria à l'arme de plusieurs côtés, tant du côté des Bourguignons que du côté des Anglais. Les Anglais se mirent en ordre de bataille contre les Français sur la prairie, en dehors de Venette où ils étaient établis. Ils étaient environ cinq cents combattants. D'un autre côté, les gens de messire Jean de Luxembourg, logés à Clairoy sachant cette surprise, vinrent, plusieurs hâtivement, secourir leur seigneur et capitaine, qui soutenait l'attaque, et autour duquel la plupart des autres se ralliaient; le seigneur de Créquy fut très durement blessé au visage durant le combat. Le combat avait duré assez longtemps, lorsque les Français, voyant leurs ennemis se multiplier en grand nombre, se retirèrent vers la ville, la Pucelle toujours avec eux, sur les derrières, faisant grande manière de soutenir ses gens et de les ramener sans perte. Mais ceux de la partie de Bourgogne, considérant que de toutes parts leur arrivaient prompts secours, les approchèrent vigoureusement, et se jetèrent sur eux de plein élan. A la fin, la Pucelle, ainsi que j'en fus informé, fut tirée en bas de son cheval par un archer auprès duquel était le bâtard de Wendonne, auquel elle se rendit et donna sa foi. Celui-ci l'emmena à Margny, où elle fut mise sous bonne garde. Avec elle furent pris Poton le Bourguignon et quelques autres, mais pas en grand nombre. Les Français rentrèrent à Compiègne, chagrins et attristés de leur perte ; ils eurent spécialement un grand déplaisir de la prise de la Pucelle. Au contraire, ceux du parti bourguignon et les Anglais en furent très joyeux, plus que d'avoir pris cinq cents combattants ; car ils ne craignaient et ne redoutaient aucun capitaine, aucun chef de guerre, autant que jusqu'à ce jour ils avaient redouté cette Pucelle.

  Bientôt après, le duc de Bourgogne vint avec ses gens de guerre de son logis de Coudun en la prairie devant Compiègne. Là se rassemblèrent les Anglais, le duc, et ceux des autres postes en très grand nombre, poussant ensemble de grands cris et se laissant aller à de grandes réjouissances pour la prise de la Pucelle. Le duc alla la voir au lieu où elle était, lui adressa quelques paroles dont je n'ai pas souvenance, quoique je fusse présent. Le duc et tous les autres se retirèrent ensuite, chacun en leur logis, pour la nuit. La Pucelle demeura en la garde et sous le gouvernement de Messire Jean de Luxembourg, qui dans les jours suivants l'envoya sous bonne escorte au château de Beaulieu, et de là à Beaurevoir, où elle fut longtemps prisonnière, ainsi que cela sera plus pleinement démontré dans la suite (9).


                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : Ayroles, t.III, p.430 et suiv.

Notes :
1 Coudun.

2. Ce passage prouve que Monstrelet commençait le jour à midi.

3 Page.

4 Margny (Oise) a une demi-lieue de Compiègne.

5 A demi-lieue de Compiègne, comme on l'a vu plus haut.

6 Puisque Monstrelet parle ici en témoin oculaire, il s'ensuit qu'il devait faire partie de la suite du duc de Bourgogne à cette fameuse entrevue.

7 Beaulieu (Oise) et Beaurevoir (Aisne).

8 Ayroles : La nuit de l'Ascension. L'on comptait la journée à partir des premières vêpres d'une fête, ou à partir de la soirée. En 1430, l'Ascension tombait le 25 mai. La vigile était censée commencée le 23 au soir.

9 Ayroles : Monstrelet ne tient pas sa parole. Du séjour à Beaurevoir, de la vente de la prisonnière aux Anglais, du procès, il ne dit rien...


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