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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-95 - Comment le prince d'Orenge fut rué jus par les François. |
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n l'an dessusdit, le jour de la Trinité (1), se mist sus le prince d'Orenge, à tout douze cens combatans ou environ, lesquelz il mena ou pays de Languedoc, et y mist en son obéyssance pluiseurs chasteaulx tenans le parti du roy Charles, et pareillement fist en la Daulphiné. Dont grandement despleut audit roy et à ceulx de sa partie. Si fut par lui conclut avec ceulx de son conseil, pour y résister, que le seigneur de Gaucourt, gouverneur de la Daulphiné, messire Imbert de Groulei, seneschal de Lyon sur le Rosne, et Rodighe de Villandras, feraient leur assamblée des nobles hommes du pays et ce qu'ilz pourraient recouvrer de gens de guerre et fleur de droittes gens d'armes d'eslitte, pour ycelui pays deffendre et recouvrer. Lesquelz, quand ilz furent mis tous ensamble, se trouvèrent de quinze à seize cens combatans. Si s'en alèrent mettre le siège devant une forteresce nommée Coulembier, laquelle en assez brief terme se rendy aux dessusdiz capitaines. Et entretant, le prince d'Orenge dessusdit, qui s'estoit retrait en sa marche, sachant ses ennemis à puissance estre sur les champs, et que desjà avoient asségié y celle forteresce que ses gens tenoient, envoia hastivement et sans délay ses lettres et mesages devers les seigneurs nobles et gens de guerre du pays de Bourgongne, et aussi d'autres lieux où il avoit ses amis, aliés et bienveuillans. Si fist si bonne diligence, qu'en assez briefz jours ensuivans, il assambla très grand nombre de nobles hommes, lesquelz il conduisit et mena vers le pays où estoient ses ennemis, espérant souscourir à ladicte forteresce, qui par avant, comme dit est, s'estoit rendue en la main des François. Lesquelz François, par leurs espies, sçavoient la venue des Bourguignons, et pour ce s'estoient préparés en grand diligence pour les recepvoir et combatre. Et de fait, tous ensamble, par très bonne ordonnance, se mirent à chemin pour aller au devant d'eulx, et les rencontrèrent entre Colombier et Hauton (2). Mais les dessusdiz Bourguignons venoient parmi un bois et ne se porrent bonnement du tout rassambler, ne mettre en plaine ordonnance de bataille, par ce que yceulx François les envayrent soubdainement et viguereusement. Toutesvoyes, de prime venue y eut très dur et merveilleux rencontre. Entre lesquelz, de la partie des Bourguignons, se mist à pied ung moult vaillant chevalier, nommé messire Loys de La Chapelle, et avec lui aucuns de ses gens. Mais il fut tantost mis à mort. Finablement et pour briefve conclusion, les François obtinrent et gagnièrent le champ et demourèrent maistres. Si y furent mors sur la place environ de deux à trois cens Bourguignons largement, et si en y eut de prins sept vins ou plus. Desquelz prisonniers furent les principaulx, le seigneur de Bussy, filz au seigneur de Saint-George, le seigneur de Warenbon, lequel eut le nez abatu d'une taillarde, messire Jehan Loys, filz au seigneur de Conches, seigneur de la Frète, Thiebault de Rougemont, le seigneur de Ruppez, le seigneur d'Esquabonne, messire Jehan de Vienne, le seigneur de Rais, Jehan du Baudre, messire Duc de Sicon, Gérard de Beauvoir et pluiseurs autres, jusques au nombre dessusdit. En laquelle journée se départirent pluiseurs Bourguignons en grand desroy, lesquelz povoient estre environ de seize à dix huit cens combatans. Desquelz furent les principaulx, le dessusdit prince d'Orenge, et fut chacié jusques à Anthon, où il se sauva à grand paine, le conte de Fribourg, le seigneur de Montagu, est assavoir messire Jehan de Nuefchastel, qui portoit l'ordre de la Toison, qui lui fut ostée, le seigneur de Pasmes, et moult d'aultres notables gentilz hommes, qui s'en alèrent en fuiant par pluiseurs parties et en divers lieux. Et fut ceste besongne environ l'eure de tierce (3). En laquelle se porta très vaillamment le dessusdit Rodighe de Villandras, qui menoit l'avant garde des François. Lesquelz François, après ceste besongne, se rassamblèrent et eurent moult grand joie de leur bonne victoire, en remerciant et loant Dieu leur créateur. Et depuis, par le moyen de ceste destrousse, conquirent sur la partie de Bourgongne plusieurs villes et forteresces, dont l'une d'icelles fut Aubrune, qui estoit audict prince d'Orenge. Laquelle, après qu'elle fut prinse, fut par yceulx François démolie.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Le 4 juin.
2 Colombier et Anthon (Isère).
3 Neuf heures du matin.
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