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Chronique
de la Pucelle
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- Du conte de Richemont rendu Françoys |
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nviron ce temps, il vint a la cognoissance du roy que Artus fils
du duc de Bretagne, comte de Richemont, avoit grand désir
de venir vers luy, dont il en estoit bien joyeux. Le dit seigneur
comte de Richemont fut prins a la bataille d'Azincourt, et estoit
dès son âge de grand, noble et vaillant courage ; et
est vray que n'avoit pas grand terre pour soutenir son estat. Le
duc de Bretagne son frère et aussi le duc de Bourgongne,
voulurent bien trouver moyen de le mettre à délivrance
; et fut comme contraint, ou jamais n'eust été délivré,
de faire ce que lesdits deux ducs ordonneroient, c'est à
sçavoir qu'il feroit serment au roy d'Angleterre de le servir
; ce qu'il fit : mais ses volontés et courage estoient toujours
à la couronne de France.
Quand ce roi d'Angleterre fut mort, il luy sembla et
aussi estoit-il vray qu'il estoit quitte de toutes les promesses
qu'il avoit faites au roy d'Angleterre ; car elles n'estoient que
personnelles, sçavoir à la personne du roy d'Angleterre
et non d'autre. Toutesfois il doutoit fort de venir devers le roy,
s'il n'avoit aucunes seuretez ; ny son frère le duc de Bretagne
ne le vouloit souffrir, veu que le dit duc avoit autresfois, comme
il estoit renommée, fait serment au roy d'Angleterre, et
le dit de Richemont servy le dit roy. Et pour ce que le roy sçavoit
assez la bonne volonté qu'il avoit, fut content pour seurté
de luy bailler pour lors en ses mains Lusignan, Chinon et Loches,
qui sont les plus belles places qu'il eust, afin d'y mettre telles
gens que bon
lui sembleroit ; et ainsi fut fait ; et il promist aussi de les
rendre ès mains du roy, la chose accomplie et parfaite.
Et fut ordonné que le roy viendroit à
Angers et là le dit comte de Richemont viendroit vers luy.
Il estoit lors bien accompaigné, car les barons d'Auvergne
et de Bourbonnois et cinq à six cents chevaliers et escuyers
se vinrent, après la dite besongne de Verneuil, offrir à
son service. Aussi firent ceux de Guyenne et de Languedoc ; et y
eut un seigneur d'Arpajon qui vint vers le roy en luy, disant qu'il
estoit encores assez puissant pour résister à ses
ennemis ; et que le roy fineroit ès pays dont il venoit de
dix à douze mille arbalestriers d'arbalestes d'acier.
Le roy s'en alla donc à Angers bien accompagné,
comme dit est, et le comte de Richemont vint devers luy en la dite
cité, habillé et monté bien gentement, et s'offroit
a son service, comme celuy auquel le courage et la volonté
n'avoit oncques changé ou mué, depuis le jour qu'il
avoit esté pris à la dicte bataille d'Azincourt, quelques
feintes que sagement il eut faites pour procurer sa délivrance,
et comme contraint. Et le roy voyant la loyale volonté du
dit comte de Richemont, le receut à grande joye et grand
honneur et fut moult joyeux de sa venue.
Et pour ce que la connestablie de France vaca par la
mort du comte de Boucan, lequel naguères avoit esté
tué à la bataille de Verneuil dont dessus est fait
mention, le roy le fit et ordonna connestable de France ; mais le
dit comte de Richemont s'excusa aucunement en bien et grandement
remonstrant la charge que c'estoit ; et après plusieurs parolles
et difficultés print et accepta charge et office de connestable
et receut l'espée et fit les sermens au roy et au royaume,
en la forme et manière accoustumée, et fist-on à
Angers grans joyes et chères. Puis remist en les mains du
roy les places qu'il avoir eues pour seureté en intencion
de se mettre sus en armes pour résister et faire guerre aux
Anglois.
Source
: édition Vallet de Viriville - éd.1859
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