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Chronique
de la Pucelle
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- Affaire de la Richebaron |
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l y
avoit en Auvergne un grand seigneur terrien, nommé
le seigneur de la Rochebaron, qui possédoit plusieurs belles
terres et seigneuries, et tenoit le party du duc de Bourgongne et
par conséquent du roy d'Angleterre, lequel eut en sa compaignée
un Savoisien nommé le seigneur de Salenove, et se misrent
sus accompagnez de bien huict cent hommes d'armes et les archers
; et tenoient les champs et faisoient beaucoup de maux et endommogeoient
le pays en diverses manières. La chose vint à la cognoissance
du conte de Perdriac, fils du feu conte d'Armagnac, du mareschal
de France, nommé la Fayète et du seigneur de Groslée,
séneschal de Lyon et bailly de Mascon, lesquels assemblèrent
gens le plus diligemment qu'ils peurent et se mirent sur les champs
en intention de rencontrer lesdits de Rochebaron et de Salenove
: Et de faict les trouvèrent et cuidèrent frapper
sur eux, mais ils n'attendirent pas et s'enfuirent très laschement
et déshonnestement et se retirèrent en une place nommée
Bousos.
Tout au plus près d'icelle place avoit un moulin
auquel un arbalestrier mit le feu, et fut si fort et véhément
qu'il entra en la ville, dont on ne se donnoit de garde ; tellement
que les Bourguignons et Savoisiens en furent surpris, et les capitaines
trouvèrent moyen d'eulx sauver et sen allèrent. Aucuns
de leurs gens se vinrent rendre prisonniers et les autres furent
tuez et après ce lesdits seigneurs de Perdriac, le mareschal
et Groslée, allèrent devant la place de Rochebaron
et fut prinse avec toutes les autres de ce seigneur : et ceux de
leurs gens qui s'en peurent fuir furent tuez en montagnes en divers
lieux par les gens du plat pays que on nommoit Brigans ; et tout
ce pays fut lors réduit en l'obéissance du roy.
Le vicomte de Narbonne et le seigneur de Torsay (1)
mirent le siège à Cosne ; mais les ducs de Betfort
et de Bourgongne assemblèrent gens pour venir en lever le
siège, et s'en allèrent en Guyenne à une cité
vers Bordeaux, nommée Basas, devant laquelle les Anglois
mirent le siège ; et finalement lesdits seigneurs François
prirent composition de eulx rendre, au cas que dedans certain temps
les François ne se trouveroient plus forts que les Anglois.
Si estoient lors en Languedoc les comtes de Foix, d'Armignac et
autres ; et pour le gouvernement des finances estoit Maistre Guillaume
de Champeaux, évesque de Laon, qui fist toute la diligence
d'assembler gens pour aller devant la place, et fist tant qu'il
y eut assez belle compaignée. Et estoit un des principaux
chefs de guerre des Anglois un nommé Beauchamp. Le dit évesque
de Laon avoit mandé ou prié au seigneur de Laigle
vicomte de Limoges, qu'il voulust envoyer des gens ; lequel avoit
en sa compaignée un chevalier nommé Messire Louys
Juvénal des Ursins, fils du seigneur de Traignel, lequel
faisoit souvent courses sur les Anglois au pays de Guyenne, et le
dit Beauchamp Anglois le congnoissoit bien : donques ledit seigneur
de Laigle envoya ledict Juvenal des Ursins, atout vingt lances et
des arbalestriers devers ledit évesque de Laon ; il arriva
environ minuit en l'ost des François dont plusieurs fisrent
grand bruit, cuidans qu'il eust amené plus grande compaignée.
François se disposèrent le matin de combatre,
si mestier estoit ; et Beauchamp sceut la venue dudit Juvénal
des Ursins et luy envoya requérir que s'il y avoit besongne,
qu'il advisast comme ils se peussent rencontrer, car autresfois
ils avoient rompu lances ensemble, et que, s'il le prenoit, il luy
feroit bonne compaignée : Le dit Juvénal des Ursins
et aucuns seigneurs du pays furent ordonnez le matin pour aller
voir le maintien des Anglois ; et veirent que les Anglois estoient
quatre fois plus que les François et estoient en place advantaigeuse,
ayans mis paulx devant eulx et qu'il n'y avoit quelque apparence
qu'on les deust combatre, et qu'il valoit mieux laisser perdre la
place que mettre la compaignée en adventure ; et ainsi fut
fait.
Source
: édition Vallet de Viriville
Notes :
1 Grand maître des arbéltriers ou commandant général
des milices à pied.
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