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La chronique de Richemont - index

' an que dessus [MCCCC XXVIII], en mars, arriva la Pucelle devers le roy ; et les Anglois prindrent Janville, Boisgency, Meun-sur-Loire et Jargeau, et mirent des bastilles devant Orléans.
  L'an M cccc xxix, monseigneur le connestable se mit sus en armes pour aller secourir Orléans, et assembla une très belle compagnée et bonne, en laquelle estoient monseigneur de Beaumanoir, monseigneur de Rostrenen, et toutes les garnisons de Sablé, de La Flesche et de Duretail. Et de Bretagne y avoit plusieurs notables gens, comme messire Robert de Montauban, messire Guillaume de Saint-Gilles, messire Alain de La Feuillée, et plusieurs autres chevaliers et escuyers, sans compter ceulx de sa maison, et grand nombre de gens de bien de ses terres de Poitou, jusques au nombre de quatre cens lances, et huit cens archers. Et print mondit seigneur le chemin pour tirer devers Orléans. Et aussitost que le roy le sceut, il envoya monseigneur de La Jaille au devant de luy ; et le trouva à Loudun. Si le tira à part, et luy dit que le roy luy mandoit qu'il s'en retournast à sa maison, et qu'il ne fust tant hardy de passer avant ; et que s'il passoit oultre, que le roy le combatroit. Lors mondit seigneur respondit que ce qu'il en faisoit estoit pour le bien du royaume et du roy, et qu'il verroit qui le vouldroit combatre.
  Lors le seigneur de La Jaille luy dit : « Monseigneur, il me semble que vous ferez très bien. » Si print monseigneur le chemin, et tira sur la rivière de Vienne, et passa à gué, puis de là tira à Amboise ; et Regnauld de Bours, qui estoit capitaine dudit lieu d'Amboise, luy bailla le passage. Et là sceut que le siége estoit à Boisgency ; si tira tout droit le chemin devers la Beauce, pour venir joindre à ceulx du siége. Et quand il fut près, il envoya monseigneur de Rostrenen et Le Bourgeois demander logis à ceulx du siége. Et tantost on luy vint dire que la Pucelle et ceulx du siége venoient le combatre; et il respondit que s'ils venoient, qu'il les verroit. Et bientost montèrent
à cheval la Pucelle et monseigneur d'Alençon, et plusieurs autres. Toutesfois, La Hire, Girard de La Paglière, monseigneur de Guitry, et autres capitaines, demandèrent à la Pucelle qu'elle vouloit faire. Et elle leur respondit qu'il falloit aller combatre le connestable. Et ils luy respondirent que si elle y alloit, qu'elle trouveroit bien à qui parler, et qu'il y en avoit en la compagnée qui seroient plustost à luy qu'à elle, et qu'ils aimeroient mieux luy et sa compagnée que toutes les pucelles du royaume de France.

  Cependant monseigneur chevauchoit en belle ordonnance, et furent tous esbahis qu'il fust arrivé. Et vers la Maladrerie, la Pucelle arriva devers luy, et monseigneur d'Alençon, monseigneur de Laval, monseigneur de Lohéac, monseigneur le bastard d'Orléans, et plusieurs capitaines, qui luy firent grande chère, et furent bien aise de sa venue. La Pucelle descendit à pied, et monseigneur aussi ; et vint ladite Pucelle embrasser mondit seigneur par les jambes. Et lors il parla à elle, et luy dit :
  « Jehanne, on m'a« dit que vous me voulez combatre. Je ne sçay si vous estes de par Dieu, ou non. Si vous estes de par Dieu, je ne vous crains de rien, car Dieu sçait mon bon vouloir ; si vous estes de par le diable, je vous crains encore moins. »
  Lors tirèrent droit au siége, et ne luy baillèrent point de logis pour celle nuit. Si print mondit seigneur à faire le guet : car vous sçavez que les nouveaux venus doibvent le guet. Si firent le guet ceste nuit devant le chasteau, et fut le plus beau guet qui eust esté en France passé a long temps.
Et ceste nuit fut faite la composition, et se rendirent au bien matin. Et le jour devant, le sire de Tallebot et le sire de Scales, Fastolf et autres capitaines, estoient arrivés à Meun-sur-Loire pour venir combatre ceulx du siége de Boisgency. Et quand ils sceurent que monseigneur le connestable y estoit venu, ils changèrent propos, et prindrent conseil d'eulx en aller. Et dit on aussi à mondit seigneur, sitost qu'il fut arrivé au siége, qu'il falloit envoyer des gens au pont de Meun, qui tenoit pour les François, ou autrement qu'il seroit perdu. Et incontinent y envoya vingt lances et les archers. Si les conduirent Charles de La Ramée et Pierre Baugi. Et au matin, quand les Anglois s'en fuient partis de Boisgency, la Pucelle et tous les seigneurs montèrent à cheval pour aller vers Meun. Et lors vindrent les nouvelles que les Anglois s'en alloient, et commencèrent à retourner droit à la ville chacun en son logis. Puis vint monseigneur de Rostrenen, qui s'approcha de monseigneur le connestable; si l'advertit, et dit:
  « Si vous faites tirer vostre estendard en avant, tout le monde vous suivra. »  Et ainsi fut fait; et vint la Pucelle et tous les autres après. Et fut conclu de tirer après les Anglois.
  Et furent mis les mieux montés en l'avant garde, et gens ordonnés pour les chevaucher et arrester, et faire mettre en bataille. Si furent des premiers Poton et La Hire, Penensac, Girard de La Paglière, Amadoc (1), Stevenot, et plusieurs gens de bien à cheval. Et monseigneur le connestable, monseigneur d'Alençon, la Pucelle, monseigneur de Laval, monseigneur de Lohéac, le mareschal de Rays, le bastard d'Orléans et Gaucourt, et grand nombre de seigneurs venoient en ordonnance par ceste belle Beauce. Si venoient bien grand train. Et quand les premiers eurent bien chevauché environ cinq lieues, ils commencèrent à voir les Anglois, et adonc galopèrent grand erre, et la bataille après. Et en telle manière les chevauchèrent, que lesdits Anglois n'eurent pas le loisir de se mettre en bataille, et furent en grand desarroy, car ils avoient mal choisy selon leurs cas : car le pays estoit trop plain. Si furent desconfits à un village en Beauce qui a nom Patay, et là environ. Si furent là morts bien deux mille et deux cents, ainsi que disoient les héraults et poursuivants. Et fut en la fin du mois de may. Et furent prisonniers le sire de Tallebot et le sire de Scales ; et fut Tallebot prisonnier des archers de Poton, et monseigneur de Beaumanoir eut pour prisonnier messire Henry Branche, et plusieurs autres prisonniers ; et messire Jehan Fastolf s'enfuit, et autres dont je ne sçay pas les noms.
  Monseigneur le connestable et les autres seigneurs couchèrent celle nuit à Patay sur le champ, car bien estoient las et avoient eu grand chaud. Et bientost après, comme ils cuidoient tirer en avant, le roy manda à monseigneur le connestable qu'il s'en retournast en sa maison; et mondit seigneur envoya devers luy luy supplier que ce fust son plaisir qu'il le servist, et que bien et loyaument le serviroit luy et le royaume. Et y envoya monseigneur de Beaumanoir et monseigneur de Rostrenen ; et prioit La Trimouille qu'il luy pleust le laisser servir le roy, et qu'il feroit tout ce qu'il luy plairoit. Et fut jusques à le baiser aux genoux, et oncques n'en voulut rien faire. Et luy fit mander le roy qu'il s'en allast, et que mieux aimeroit jamais n'estre couronné que mondit seigneur y fust. Et en effet convint à mondit seigneur s'en revenir à Partenay à toute sa belle compagnée : dont despuis s'en repentirent quand le duc de Betfort leur offrit la bataille à Montpillouer. Et aussi envoyèrent monseigneur de La Marche, qui cuidoit venir servir le roy, et avoit très belle compagnée : dont despuis, comme dit est, en eurent bien à faire. Si s'en vint monseigneur le connestable à Partenay, et en s'en venant on lui ferma toutes les villes et passages ; et luy firent tout le pis qu'ils peurent, pour ce qu'il avoit fait tout le mieux qu'il avoit peu.

   

                                                         

  L'an ci-dessus (1428 a. st.), en mars, arriva la Pucelle devers le roi; et les Anglais prirent Janville et Baugency, et Meung-sur-Loire, et Jargeau et mirent des bastilles devant Orléans.
  L'an mil CCCCXXIX; mondit seigneur le Connétable se mit sus en armes pour aller secourir Orléans ; il assembla une très belle et bonne compagnie, en laquelle étaient Monseigneur de Beaumanoir, Monseigneur de Rostrelen et toutes les garnisons de Sablé et de La Flèche, de Durestal (aujourd'hui Durtal) et toutes les garnisons de ces Basses-Marches, et plusieurs notables de Bretagne, comme Robert de Montauban, Messire Guillaume de Saint-Gilles, Messire Alain de Fueillée, Messire Brangon de Herpagon, messire Louis de Scorrailles, ceux de sa maison, et grand nombre de gens de bien de ses terres de Poitou jusques au nombre de cccc (400) lances et 800 archers, et mondit seigneur prit le chemin pour Orléans. Aussitôt que le roi le sut, il envoya Monseigneur de La Jaille au-devant de lui, il le trouva à Loudun ; il le tira à part et lui dit que le roi lui mandait qu'il s'en retournât à sa maison, et qu'il ne fût pas si hardi de passer en avant, et que, s'il passait outre, le roi le combattrait. Lors mondit seigneur répondit que ce qu'il faisait, il le faisait pour le bien du royaume et du roi, et qu'il verrait qui voudrait combattre contre.
  Lors le seigneur de La Jaille lui dit : « Monseigneur, il me semble que vous ferez très bien ». Ainsi Monseigneur continua son chemin, et tira sur la rivière de la Vienne, qu'il passa à gué; puis de là il tira à Amboise, et Regnault de Velourt, qui était capitaine dudit lieu d'Amboise, lui bailla le passage; et là il sut que le siège était à Baugency. Il tira tout droit le chemin vers la Beauce pour venir joindre ceux du siège, et, quand il fut près, il envoya Mgr de Rostrelen et Le Bourgeois, demander un logis à ceux du siège. Et aussitôt on vint lui dire que la Pucelle et ceux du siège venaient pour le combattre ; et il répondit que s'ils venaient il les verrait. Et bientôt, montèrent à cheval la Pucelle, Mgr d'Alençon et plusieurs autres. Toutefois, La Hire, Girard de la Paglère, Mgr de Guitri et d'autres capitaines demandèrent à la Pucelle ce qu'elle voulait faire, et elle leur répondit qu'il fallait aller combattre le Connétable. Ils répondirent que si elle y allait, elle trouverait bien à qui parler, et qu'il y en avait dans la compagnie qui seraient à lui plutôt qu'à elle, et qu'ils aimeraient mieux lui et sa compagnie, que toutes les Pucelles du royaume de France.

CHAPITRE L. — COMMENT LA PUCELLE ARRIVA DEVANT MONSEIGNEUR LE CONNÉTABLE :
  Cependant Monseigneur chevauchait en belle ordonnance, et tous furent ébahis qu'il fût arrivé. Vers la Maladrerie, la Pucelle arriva devers lui, et avec elle Mgr d'Alençon et Mgr de Laval, Mgr de Lohéac, Mgr le bâtard d'Orléans, et plusieurs capitaines qui lui firent grande chère, et furent bien aises de sa venue. La Pucelle descendit à pied et Monseigneur aussi, et ladite Pucelle vint embrasser mondit seigneur par les jambes. Et alors il parla à elle et lui dit :
  « Jeanne, on m'a dit que vous me voulez combattre ; je ne sais si vous êtes de par Dieu ou non ; si vous êtes de par Dieu, je ne vous crains en rien, car Dieu sait mon bon vouloir ; si vous êtes de par le diable, je vous crains moins encore ».
  Et alors ils tirèrent droit au siège ; ils ne lui baillèrent pas de logis pour cette nuit. Mondit seigneur se prit à faire le guet ; car nous savons que les nouveaux venus doivent faire le guet (2). Ils firent le guet cette nuit devant le château ; et ce fut le plus beau guet qui eût été fait en France, il y a bien longtemps dans le passé. Et cette nuit fut faite la composition par les assiégés, et ils se rendirent de bien matin.  Le jour de devant, les sires de Talbot et le sire de Scales et Fastolf et autres capitaines étaient arrivés à Meung-sur-Loire, dans le dessein de venir combattre ceux du siège à Baugency. Quand ils surent que Mgr le Connétable y était venu, ils changèrent de propos, et prirent conseil de s'en aller. Et aussi on dit à Monseigneur, sitôt qu'il fût arrivé, qu'il fallait envoyer des gens au pont de Meung, qui tenait pour les Français, ou autrement qu'il serait perdu. Incontinent il y envoya XX lances et les archers ; Charles de la Ramée et Pierre Dangi les y conduisirent. Au matin, quand les Anglais furent partis de Baugency, la Pucelle et tous les seigneurs partirent à cheval pour aller vers Meung. Et alors vinrent les nouvelles que les Anglais s'en allaient, et alors la Pucelle et les seigneurs commencèrent à retourner à la ville, chacun à son logis. Puis vint Mgr de Rostrelen qui s'approcha de Mgr le Connétable, l'avertit et dit :
  « Si vous faites tirer votre étendard en avant, tout le monde vous suivra ». Et ainsi il fut fait. La Pucelle et tous les autres vinrent après ; et il fut conclu de tirer après les Anglais.
  Les mieux montés furent mis à l'avant-garde, et des gens furent ordonnés pour chevaucher les ennemis, les arrêter et les faire mettre en bataille. Furent des premiers, Poton et La Hire, Penenzac, Giraud de La Paglère, Amadoc, Setevenot et plusieurs gens de bien à cheval. Mgr le Connétable, Mgr d'Alençon, la Pucelle, Mgr de Laval, Mgr de Lohéac, le maréchal de Rays, le bâtard d'Orléans, Gaucourt et grand nombre de seigneurs venaient en ordonnance par cette belle Beauce, et ils venaient à bien grand train. Quand les premiers eurent bien chevauché environ cinq lieues, ils commencèrent à voir les Anglais, et alors ils galopèrent à grande course, et l'armée à la suite. Ils chevauchèrent en telle manière que lesdits Anglais n'eurent pas loisir de se mettre en bataille, et ils furent en grand désarroi ; car ils avaient mal choisi en cette conjoncture ; le pays était trop plat. Ils furent ainsi déconfits à un village en Beauce qui a nom Patay, aux environs. Là furent tués bien XXIIc (2200), ainsi que disaient les hérauts et poursuivants, et fut en la fin du mois de mai (3). Furent prisonniers le sire de Talbot, le sire de Scales. Talbot fut prisonnier des archers de Poton ; Mgr de Beaumanoir eut pour prisonnier messire Henri Branche et plusieurs autres. Messire Jean Fastolf s'enfuit, ainsi que d'autres dont je ne sais pas les noms. Mgr le Connétable et les autres seigneurs couchèrent cette nuit à Patay, sur le champ, car ils étaient bien las et avaient eu grand chaud. Bientôt après, comme ils pensaient tirer en avant, le roi manda à Mgr le Connétable qu'il s'en retournât à sa maison. Mondit seigneur envoya devers lui le supplier que ce fût son plaisir qu'il le servît, et que bien et loyalement il le servirait lui et le royaume; il y envoya Mgr de Beaumanoir et Mgr de Rostrelen ; et il priait La Trémoille qu'il lui plût de le laisser servir le roi, et qu'il ferait tout ce qu'il lui plairait ; il fut jusquesà le baiser à genoux; et jamais il n'en voulut rien faire. Le roi lui fit mander qu'il s'en allât ; qu'il aimerait mieux n'être jamais couronné que mondit seigneur y fût. Et en effet, il convint à mondit seigneur de s'en revenir à Parthenay avec toute sa belle compagnie; ce dont on se repentit plus tard, quand le duc de Bedford lui offrit la bataille à Montépilloy (4). Ils renvoyèrent aussi Mgr de La Marche (5) qui pensait venir servir le roi, et avait très belle compagnie ; dont, dans la suite, comme il est dit, ils eurent bien besoin. Ainsi Monseigneur s'en vint à Parthenay ; et, en s'en venant, on lui ferma toutes les villes et passages, et ils lui firent tout le pis qu'ils purent, pour ce qu'il avait fait tout le mieux qu'il avait pu (6).


                                                 


Sources : Procès de condamnation et de réhabilitation - J. Quicherat - t.IV, p.303 à 313.

Mise en français modernisé et ajouts de parties non mentionnées par Quicherat : J.B.J Ayroles - "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III p.254 à 267.

Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Lisez Amador. C'était le prénom du frère de La Hire.

2 Pareille obligation n'incombait nullement à un connétable.

3. Erreur : ce fut le 18 juin.

4 Charles VII fit offrir la bataille à Bedford, qui s'obstina à rester dans ses fortes positions.

5 C'était Jacques de Bourbon, expulsé du royaume de Naples par sa femme, Jeanne II. Il s'était déclaré d'abord pour le parti bourguignon.

6 Gruel ne parle plus de la Pucelle.
Il est certain que lorsque, par le traité de Saumur (7 octobre 1435). Richemont avait eu, selon ses expressions, Charles VII, entre ses mains, il avait tyranniquement et brutalement usé de son pouvoir ; il n'y avait pas encore un an qu'il avait pris les armes pour ressaisir ce pouvoir qu'il ne se consolait pas d'avoir perdu ; mais, en ce moment, tout porte à croire qu'il revenait sincèrement. Une des conditions de la grâce dont la Pucelle était l'instrument, c'est qu'elle ne fût pas un moyen de vengeance des offenses passées, nous a dit Gerson. Les haines de parti devaient cesser; une réconciliation générale devait s'opérer. C'est sans doute pour engager le roi à recevoir dans sa clémence Richemont et son parti que Gelu archevêque d'Embrun, écrivit la belle leltre citée dans la Pucelle devant l'Église de son temps. Les rancunes de La Trémoille prévalurent au grand mécontentement de la Pucelle ; elle voyait ainsi les faveurs célestes entravées, et elle devait sentir qu'elle était elle-même un objet de méfiance, de la part de ceux qui, voulant à tout prix se maintenir au pouvoir, redoutaient son influence.





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