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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 33 : Christine de Pisan |
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Dans un petit poëme, écrit à l'âge de soixante-sept ans,
après avoir rappelé l'exil du roi, elle exprime sa joie de
voir enfin revenir :
L'an mil quatre cens vingt et neuf
Reprint à luire li soleil,
Il ramené le bon temps neuf.
Elle entreprend de raconter ce miracle ;
Chose est bien digne de mémoire
Que Dieu par une vierge tendre.
Ait adès voulu (chose est voire)
Sur France si grant grace estendre
Tu, Johanne, de bonne heure née,
Benoist soit cil qui te créa !
Elle cite Moïse, délivrant Israël, et Josué:
Il estoit homme
Fort et puissant. Mais tout en somme
Veci femme, simple bergière
Plus preux qu'onc homs ne fut à Romme.
Quant à Dieu, c'est chose légère.
Elle cite Gédéon, Esther, Judith et Débora ; mais Dieu a
fait plus encore par la Pucelle :
Car Merlin, et Sebile et Bede,
Plus de cinq cens a la veïrent
En esperit.
Elle rappelle le siége d'Orléans :
Hée ! quel honneur au féminin
Sexe!...
Une fillette de seize ans
(N'est-ce pas chose fors nature?)
A qui armes ne sont pesans,
Ains semble que sa nourriture
Y soit, tant y est fort et dure.
Si rabaissez, Anglois, vos cornes,
Car jamais n'aurez beau gibier
En France, ne menez vos sornes ;
Matez estes en l'eschiquier.
Vous ne pensiez pas l'autrier
Où tant vous monstriez perilleux ;
Mais n'estiez encour ou sentier
Où Dieu abat les orgueilleux.
Jà cuidiés France avoir gaingnée,
Et qu'elle vous deust demourer.
Autrement va, faulse mesgniée !
Vous irés ailleurs tabourer,
Se ne voulez assavourer
La mort, comme vos compaignons.
Que loups pourroient bien devourer ;
Car mors gisent par les sillons.
Et sachez que, par elle, Anglois
Seront mis jus sans relever,
Car Dieu le veult, qui ot les voix
Des bons qu'ils ont voulu grever.
Le sanc des occis sans lever
Crie contre eulz. Dieu ne veult plus
Le souffrir ; ains les resprouver
Comme mauvais, il est conclus.
Elle entrevoit un plus vaste horizon :
En chrestienté et en l'Église
Sera par elle mis concorde,
Des Sarrasins fera essart
En conquerant la Sainte Terre.
Mais le sentiment national la ramène aux Anglais :
Si est tout le mains qu'affaire ait
Que destruire l'Englescherie
Le tems advenir mocquerie
En sera faict : jus sont rué.
Elle interpelle les Français rebelles :
Ne voiez-vous qu'il vous fust mieulx
Estre alez droit que le revers
Pour devenir aux Anglais serfs ?
Mais maintenant le roi est sacré :
A très grant triumphe et puissance,
Fu Charles couronné à Rains.
Elle ne doute point que la France ne lui revienne :
Avecques lui la Pucellette,
En retournant par son païs,
Cité, ne chastel, ne villette
Ne remaint. Amez ou hays
Qu'ils soient, ou soient esbaïs,
Ou assurez, les habitants
Se rendent ; peu sont envahys
Tant sont sa puissance doubtans !
Paris pourtant lui donne quelque inquiétude :
Ne sçai se Paris se rendra,
Car encoures n'y sont-ilz mie,
Ne se la Pucelle attendra.
Mais elle ne s'y arrête pas :
Car ens entrera, qui qu'en groigne ;
La Pucelle lui a promis.
Paris, tu cuides que Bourgoigue
Defende qu'il ne soit ens mis ?
Non fera, car ses ennemis
Point ne se fait. Nul n'est puissance
Qui l'en gardast, et tu soubmis
Seras et ton oultrccuidance.
Elle date sa pièce :
L'an dessusdit mil quatre cens
Et vingt et neuf, le jour où fine
Le mois de juillet.
(Procès, t. V, p. 4 et suiv.)
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
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