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Livre
VII - ROUEN - L'instruction
I
- Les interrogatoires publics - p. 45 à 102 |
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e 9 janvier 1431, l'évêque de Beauvais réunit
dans l'hôtel du Conseil du roi, près du château de
Rouen, les abbés de Fécamp et de Jumiéges, le
prieur de Longueville et cinq autres ecclésiastiques,
parmi lesquels Nicolas Loyseleur, chanoine
de la cathédrale, et il leur exposa l'état de l'affaire.
Une femme qui déshonorait son sexe par son habit,
qui professait et enseignait le mépris de la
foi catholique, Jeanne, dite la Pucelle, avait été
prise à la guerre, dans les limites de son diocèse.
Réclamée du duc de Bourgogne et de Jean de
Luxembourg par l'Université de Paris et par l'Inquisition,
réclamée par lui-même et par le roi, elle
venait enfin d'être livrée au roi, et par lui soumiseà son jugement. Il les consultait sur la marche à
suivre. Les docteurs furent d'avis qu'il fallait commencer par des informations. L'évêque en avait
déjà recueilli : il ordonna qu'on les complétât et
qu'on en fît le rapport au conseil. Puis, sur l'avis
des mêmes docteurs, il nomma promoteur ou procureur
général dans la cause Jean d'Estivet,
chassé comme lui de Beauvais, où il était son
procureur général; juge commissaire (juge d'instruction),
Jean de La Fontaine, maître ès arts;
greffiers, Guillaume Colles ou Boisguillaume et
Guillaume Manchon, notaires apostoliques à l'officialité
de Rouen; et huissier, Jean Massieu, prêtre,
doyen rural de Rouen. C'étaient les officiers du
procès qui allait commencer (1).
Le 13 janvier, il réunit dans sa maison (2) la plupart
des mêmes docteurs, avec Guillaume Haiton,
secrétaire des commandements du roi, et leur
donna lecture des informations dont il a été parlé.
On résolut de les réduire à un certain nombre
d'articles pour mettre de l'ordre et de la clarté dans la matière, dit le juge, et offrir un texte où l'on pût
voir plus sûrement s'il y avait lieu d'accuser de
crime contre la foi. Des articles ainsi dressés couraient
grand risque de substituer à la parole des
témoins la pensée du juge. Aussi le résultat ne tut-il point douteux. Dans une nouvelle séance,
tenue le 23, on décida que les articles serviraient
de base à l'interrogatoire qu'aurait à subir la
Pucelle, et l'évêque, invité à commencer l'information préparatoire, en commit le soin à Jean de
La Fontaine (3).
On différa jusqu'au milieu du mois suivant, et le
temps ne dut pas être perdu pour l'instruction de
l'affaire; car on y employa des manoeuvres que révélera
un autre procès-verbal. Le 13 février, l'évêque
tint un conseil plus nombreux. Il y avait
appelé, avec les précédents, plusieurs des principaux docteurs de l'Université de Paris : Jean Beaupère,
Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre
Maurice, Gérard Feuillet, Thomas de Courcelles.
Il reçut le serment des officiers attachés au procès,
et le lendemain Jean de la Fontaine, assisté des
deux greffiers, procéda à l'information dont il était
chargé. Elle dura trois jours. Le 19, l'évêque réunit
ses conseillers ; et, après leur avoir présenté l'état
des choses, il résolut, sur leur avis, de s'adjoindre, en l'absence de l'inquisiteur de France, le vice-inquisiteur
Jean Lemaître. On s'ajourna jusqu'à
l'après-midi, afin de le recevoir et de l'entendre. Il
vint, mais il allégua que sa commission était pour
le diocèse de Rouen, et que l'évêque, bien que s'étant
fait donner régulièrement le droit territorial
dans ce diocèse, informait d'une affaire qui se rapportait au diocèse de Beauvais. L'objection était
spécieuse ; on remit au lendemain pour donner le
temps au conseil d'en délibérer, et à Lemaître d'y
réfléchir encore. Le conseil déclara que la commission
de Lemaître, telle qu'elle se trouvait, était
valable, mais que, pour plus de sûreté, on inviterait
l'inquisiteur à venir lui-même, ou à envoyer
des pouvoirs plus explicites ; et Lemaître, tout en
gardant ses scrupules, dit qu'il ne faisait point
opposition à ce qu'on agît sans lui. L'évêque, pour
ne lui laisser par la suite aucun prétexte de rester à l'écart, promit de lui communiquer tout ce qui
avait été fait ou se ferait encore dans l'affaire (4).
Tout était prêt : Jeanne nous va revenir.
Le 20 février, sans plus attendre, elle fut sommée
de comparaître devant l'assemblée de ses
juges le lendemain mercredi, à huit heures du
matin. Elle répondit qu'elle le ferait volontiers
mais sachant bien qui étaient ses juges et pourquoi
on la voulait juger, elle demanda que l'évêque
s'adjoignît des ecclésiastiques du parti de la France
en nombre égal à ceux du parti de l'Angleterre ; en
même temps, elle sollicitait de lui, comme une
faveur, qu'il lui permît d'entendre la messe avant
de comparaître. L'huissier chargé de l'assignation
transmit à l'évêque sa demande et sa prière ;
mais l'une ne fut pas plus goûtée que l'autre. L'évêque,
ayant pris conseil des docteurs, jugea que,
vu les crimes dont elle était accusée et l'abominable
habit qu'elle s'obstinait à porter, il n'y avait
pas lieu de l'admettre aux divins offices. Quant à
la demande touchant le tribunal, il n'en fut pas
même question (5).
Au jour et à l'heure fixés (21 février, à huit heures
du matin), l'évêque siégea dans la chapelle du
château. Aux assesseurs qu'il avait déjà réunis, il avait adjoint d'autres docteurs ; mais ce n'étaient
pas ceux que demandait Jeanne. Lecture faite des
pièces de procédure, le promoteur Jean d'Estivet demanda que la prévenue fût amenée et interrogée (6).
Jeanne parut donc.
L'évêque ayant rappelé sommairement les circonstances
qui le faisaient juge de la captive, le
bruit public qui l'accusait, l'ordre du roi, l'enquête,
l'avis des docteurs, invita Jeanne à parler
en toute sincérité, sans subterfuge et sans détour,
et la requit judiciairement de prêter serment de
dire la vérité sur toute chose dont on l'interrogerait.
Jeanne dit : « Je ne sais de quoi vous me voulez interroger.
Peut-être me demanderiez-vous des choses que je
ne vous dirai pas.
— Jurerez-vous, reprit l'évêque, de dire la vérité
sur les choses qui vous seront demandées touchant
la foi, et que vous saurez ?
— Pour ce qui est de mon père, de ma mère et
de ce que j'ai fait depuis que j'ai pris le chemin de
France, je jurerai volontiers; mais, pour les révélations que j'ai eues de Dieu, je n'en ai jamais rien
dit à personne qu'au roi Charles, et je n'en dirai rien quand on me devrait couper la tête : parce
que mon conseil [ses voix] m'a défendu d'en rien
dire à personne. Du reste, avant huit jours je saurai
bien si j'en dois parler. »
L'évêque eut beau redoubler ses instances, il ne
put la faire renoncer à cette réserve. Les genoux en
terre et les deux mains sur l'Évangile, elle jura de
dire, autant qu'elle le pourrait, la vérité, mais seulement
sur les choses dont elle serait requise touchant
la foi (7).
Alors l'évêque lui demanda quel était son nom,
son surnom.
« Dans mon pays, dit-elle, on m'appelait Jeannette.
Depuis que je suis en France on m'appelle
Jeanne. Du surnom, je ne sais.
— Où êtes-vous née ?
— A Domremy, qui fait un avec Greux. C'est à
Greux qu'est la principale église.
— Comment s'appellent votre père et votre
mère ?
— Mon père se nomme Jacques d'Arc ; ma mère,
Isabelle.
— Où avez-vous été baptisée ?
— A Domremy. »
L'évêque l'interrogea sur ses parrain et marraine,
sur celui qui la baptisa, sur son âge à elle :
elle avait environ dix-neuf ans! Et comme il lui
demandait ce qu'elle savait : « J'ai, dit-elle, appris de ma mère : Notre Père ; Je vous salue, Marie; Je crois en Dieu; c'est de ma
mère je que tiens ma croyance.
— Dites Notre Père.
— Je vous le dirai volontiers si vous voulez
m'entendre en confession. »
Elle le demandait pour juge au tribunal de Dieu !
Et comme il offrait de lui donner un ou deux personnages
de langue française devant lesquels elle
dirait : Notre Père, elle répondit : « Je ne le dirai que s'ils m'entendent en confession (8). »
L'évêque, avant de la renvoyer, lui défendit de
sortir de prison, sous peine d'être réputée convaincue
du crime d'hérésie. Elle répondit qu'elle
n'acceptait pas la défense, et que si elle s'échappait,
nul ne lui pourrait reprocher d'avoir violé sa
foi, parce qu'elle ne l'avait donnée à personne ; et elle prit cette occasion de se plaindre d'être liée
par des chaînes de fer. Mais comme l'évêque répondait
que ces précautions étaient commandées par ses tentatives d'évasion antérieures, elle n'insista
pas, et, loin de chercher une excuse : « C'est vrai, dit-elle : j'ai voulu et je voudrais
encore m'échapper de prison, comme c'est le droit
de tout prisonnier. »
Elle fut commise à la garde de Jean Gris, écuyer
du roi, et de deux autres Anglais, Jean Berwoit et Guillaume Talbot, qui jurèrent sur l'Évangile de
ne la laisser communiquer avec personne, et on
l'ajourna au lendemain pour la suite de l'interrogatoire (9).
Cette première séance avait bien peu avancé l'affaire.
Avec les préliminaires communs de tout
procès, le serment, les noms, l'origine, on n'y
trouve que la demande du Pater, formalité d'usage
en matière d'hérésie, et l'injonction de ne point
chercher à fuir. Mais ce vide même du procès-verbal
fait comprendre combien vif et prolongé
avait été le débat sur le serment, signalé avant l'interrogatoire
; et cela est confirmé par les dépositions
postérieures. Au témoignage du greffier Manchon,
ce fut une scène de tumulte. Quand il fut
question des visions, sans doute quand Jeanne fit
ses réserves sur ce point, chacun prenait la parole :
elle était interrompue à chaque mot; et, pour que
le fond fût digne de la forme, il y avait, on l'a vu,
derrière un rideau, dans l'encoignure d'une fenêtre,
des greffiers apostés par l'évêque, qui recueillaient
les charges, supprimant les excuses, et venaient
effrontément opposer leur minute à celle
des greffiers officiels. Le scandale fut si grand, au
moins pour le débat, que l'on dut changer de salle
et prendre quelques dispositions propres à le diminuer (10).
Le lendemain (jeudi, 22 février) le tribunal se réunit
dans une chambre, dite chambre de parement
ou d'apprêt (paramenti) (11), située au bout de la grande salle du château : quelques nouveaux membres
des chapitres de Paris ou de Rouen s'étaient
joints au conseil de l'évêque. Jeanne étant amenée,
l'évêque l'invita à prêter le serment pur et simple
de dire la vérité sur tout. Elle dit qu'elle avait juré
la vieille et qu'il suffisait. Il insista; elle répondit : « Je vous ai prêté serment hier, cela vous doit
suffire ; vous me chargez trop. »
Et, quoi que l'on fît, elle ne prêta encore que le
serment de dire la vérité sur les choses qui touchaient
la foi.
L'évêque remit à Jean Beaupère le soin de poursuivre
l'interrogatoire (12).
Le savant docteur essaya de prendre Jeanne par
la douceur et par l'équivoque ; il l'exhorta à bien
répondre sur ce qu'on lui demanderait, comme elle
l'avait juré.
« Vous pourriez bien, répondit Jeanne, démêlant
l'artifice, me demander telle chose dont je
vous dirai la vérité, tandis que sur telle autre, je
ne vous la dirai pas. » Et gémissant en elle-même
de voir des hommes d'Église, des ministres de
Dieu, persécuter ainsi l'œuvre de Dieu, elle ajouta :
« Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez
vouloir que je fusse hors de vos mains ; je n'ai rien
fait que par révélation (13). »
Jean Beaupère, craignant de l'effaroucher, la ramena
sur un terrain où elle pouvait s'abandonner
sans défiance. Il lui demanda l'âge qu'elle avait
lorsqu'elle partit de la maison de son père.
« Je ne sais, dit-elle.
— Avez-vous appris quelque métier en votre
jeunesse ?
— Oui, j'ai appris à coudre et à filer. »
Et elle ajoutait, avec un naïf orgueil de jeune
fille, qu'elle ne craignait, à ce métier, aucune
femme de Rouen. Elle parla aussi de sa retraite à
Neufchâteau, et dit que tant qu'elle fut dans la
maison de son père, elle s'occupait des soins du
ménage, et n'allait pas (communément) aux
champs garder les brebis ou le bétail (14).
Le docteur alors, changeant de matière, sans
paraître changer de terrain, lui demanda si elle se
confessait tous les ans.
« Oui, dit-elle, à mon curé, et quand il était
empêché, à un autre, avec sa permission ; quelquefois,
deux ou trois, je pense, je me suis confessée à des religieux mendiants : c'était à Neufchâteau.
Je communiais à la fête de Pâques.
— Et à d'autres fêtes?
— Passez outre. »
De ses communions à ses révélations le passage était naturel. Jeanne n'hésita point à le franchir.
Elle dit à quel âge et comment elle l'avait entendu
pour la première fois la voix qui lui venait de
Dieu, les clartés qui se manifestaient à elle avec
la voix, les avis qu'elle en avait reçus pour se
conduira et venir en France; son impatience d'y
obéir, sa défiance de soi-même, et comment enfin,
sur la révélation précise du but à atteindre et de la route à suivre, elle alla avec son oncle à Vaucouleurs,
reconnut le sire de Baudricourt, et obtint
de lui, après plusieurs refus, l'escorte avec
laquelle elle vint en habit d'homme trouver le roi à Chinon (15).
Ce récit avait été entrecoupé de questions qui
cachaient autant de piéges : sur l'habit d'homme
qu'elle avait pris et par quel conseil; sur le duc
d'Orléans ; sur plusieurs expressions de sa lettre
aux Anglais devant Orléans ; sur la manière dont
elle avait reconnu le roi. La Pucelle en devina plusieurs
et les sut éviter. On avait répandu divers
bruits sur le signe qu'elle avait donné au roi pour
se faire agréer. Elle refusa absolument de rien
dire qui s'y rattachât. Interrogée si, quand la voix
lui désigna le roi, la lumière qui se manifestait communément à elle s'était produite en ce lieu,
elle répondit :
« Passez outre.
— Avez-vous vu un ange au-dessus de votre
roi ?
— De grâce, passez outre. »
Elle dit pourtant que le roi, avant de la mettre à l'œuvre, avait eu de belles révélations.
« Quelles révélations votre roi a-t-il eues ?
— Je ne vous le dirai pas, ce n'est pas l'heure
de répondre ; mais, envoyez au roi et il vous le
dira. »
Elle déclarait d'ailleurs avoir su de la voix, qu'à
son arrivée le roi la recevrait sans trop de retard.
Elle dit que ceux de son parti avaient bien reconnu
la voix comme venant de Dieu, et elle citait en témoignage
Charles de Bourbon, comte de Clermont,
et deux ou trois autres. Elle ajoutait qu'il ne se
passait pas de jour qu'elle n'entendît cette voix,
et qu'elle en avait bien besoin; que d'ailleurs elle
ne lui avait jamais demandé d'autre récompense que le salut de son âme (16).
L'interrogatoire se termina par plusieurs questions
qui avaient pour objet de convaincre ses
voix de mauvais conseils, par exemple, dans l'affaire de Paris. Jeanne confessa que la voix lui
avait dit de rester à Saint-Denis (après l'échec).
Elle déclara qu'elle y voulait demeurer, qu'elle
en avait été emmenée par les seigneurs contre
sa volonté; qu'elle n'en serait point partie si elle
n'avait pas été blessée. Sa blessure rappelait son échec : elle convint qu'elle avait commandé une
escarmouche contre la ville de Paris.
« N'était-ce pas, dit le docteur, un jour de fête ?
— Je le crois, dit Jeanne.
— Était-ce bien ?
— Passez outre (17). »
On s'arrêta pour ce jour-là : et la journée devait
sembler bonne aux ennemis de Jeanne. Toute cette
histoire de ses révélations, ce qu'elle en avait dit,
ce qu'elle n'en avait pas voulu dire, offrait assez
de prise aux commentaires envenimés. On comptait
bien y revenir dans la séance suivante, qui
fut remise au samedi.
Dans cette troisième séance, à laquelle assistèrent
un plus grand nombre de docteurs, l'évêque
revint à la charge pour obtenir de Jeanne un serment
absolu et sans condition. Elle lui dit : « Laissez-moi parler. Par ma foi, vous pourriez me demander
des choses que je ne vous dirais pas ; » et
expliquant sa pensée : « Il se peut que de plusieurs
choses que vous pourriez me demander je ne vous
dise pas la vérité, en ce qui touche mes révélations, par exemple. Car vous pourriez me contraindre à dire telle chose que j'ai juré de ne pas
dire, et ainsi je serais parjure : ce que vous ne
devriez pas vouloir. » Et comme l'évêque insistait,
en rappelant sans doute le droit qu'il en avait
comme juge, elle ajouta : « Je vous le dis, prenez
bien garde à ce que vous dites, que vous êtes mon
juge : car vous prenez sur vous une grande charge
et vous me chargez trop. C'est assez, il me semble,
d'avoir juré deux fois en jugement. »
L'évêque lui remontra qu'il ne lui demandait
qu'un serment, un serment tout simple et sans
réserve. Elle répondit : « Vous pouvez bien surseoir
(ne pas insister davantage), j'ai assez juré
par deux fois. » Elle ajoutait que tout le clergé de
Paris et de Rouen ne la saurait condamner, s'il
n'avait droit. Elle promettait d'ailleurs de dire la
vérité sur sa venue en France, sans toutefois s'engager à tout dire : car huit jours n'y suffiraient
pas.
« Voulez-vous, dit l'évêque prendre conseil des
assistants, si vous devez jurer ou non ?
— Je veux bien dire la vérité sur ma venue en
France et pas autrement. Il ne faut point m'en
parler davantage.
— Mais en refusant de jurer, vous vous rendez
suspecte. »
Même réponse.
Sur de nouvelles instances, elle répéta « qu'elle
dirait ce qu'elle savait et point tout ce qu'elle savait; et fatiguée de ce débat : « Je viens de la part de Dieu, dit-elle, et je n'ai rien à faire ici;
renvoyez-moi à Dieu de qui je viens. » Et comme
l'évêque la sommait de jurer, sous peine d'être
tenue pour coupable des choses qu'on lui imputait,
elle répondit : « Passez outre (18). »
Il fallut bien que l'évêque se résignât à passer
outre. Il se réduisit à requérir qu'elle jurât de dire
la vérité sur ce qui toucherait le procès. Dans ces termes sa conscience était en repos : elle fit le
serment.
L'évêque remit encore à Jean Beaupère l'achèvement
de l'interrogatoire.
Jean Beaupère commença par une question qui
pouvait sembler pleine d'intérêt pour Jeanne : il lui
demanda depuis quand elle se trouvait n'ayant bu
ni mangé. On était en carême; et si elle avait pris
la moindre chose, elle devenait, malgré son jeune âge, véhémentement suspecte de mépris pour les
commandements de l'Église. Elle répondit : « Je
n'ai ni bu ni mangé depuis hier à midi. »
C'est à jeûn qu'il lui fallait soutenir les émotions
et les fatigues de ces journées ! Puis il revint
sur le sujet de ses voix. Il lui demanda à quelle heure elle avait entendu la voix qui venait à elle.
Elle répondit :
« Je l'ai entendue hier et aujourd'hui.
— A quelle heure, hier ?
— Le matin, à vêpres et à l'Ave Maria, et il
m'est plusieurs fois arrivé de l'entendre bien plus
souvent.
— Que faisiez-vous hier matin quand la voix est
venue à vous ?
— Je dormais, et elle m'a éveillée.
— Est-ce en vous touchant le bras ?
— Elle ma éveillée sans me toucher.
— Était-elle dans votre chambre?
— Je ne sais, mais elle était dans le château.
— L'avez-vous remerciée, avez-vous fléchi les
genoux ? »
Elle répondit qu'elle l'avait remerciée, et qu'étant
dans son lit, elle s'était assise et avait joint
les mains, après avoir imploré son conseil, dont
elle avait demandé le secours auprès de Dieu pour
qu'il l'éclairât dans ses réponses.
« Et que vous a dit la voix ?
— Elle m'a dit de répondre hardiment, et que
Dieu m'aiderait.
— La voix vous a-t-elle dit quelques paroles
avant que vous l'eussiez implorée.
— Oui, mais je n'ai pas tout compris; et quand
je fus éveillée, elle m'a dit de répondre hardiment. »
Et se tournant vers l'évêque :
« Vous dites que vous êtes mon juge. Prenez
garde à ce que vous faites, parce qu'en vérité je suis envoyée de Dieu, et vous vous mettez en grand danger. »
Mais le juge était aveugle; et tout l'effort du
procès tend visiblement moins à découvrir la vérité
qu'à justifier l'accusation.
En l'interrogeant sur ses visions, Jean Beaupère
avait voulu savoir d'abord si ce n'était point quelque
illusion de son esprit. Il y revint, non plus
pour en contester la réalité, mais pour en attaquer
l'origine, en les convainquant de mensonge ou
d'erreur. Il lui demanda si la voix n'avait point
varié dans ses conseils.
« Non, dit Jeanne, elle ne s'est jamais contredite.
Elle m'a dit cette nuit même de répondre hardiment.
— Vous a-t-elle défendu de dire tout ce qu'on
vous demanderait ?
— Je ne vous répondrai pas sur ce point; j'ai
des révélations qui touchent le roi et que je ne
vous dirai point.
— La voix vous a-t-elle défendu de dire vos révélations
?
— Je ne suis pas conseillée sur ce point ; donnez-moi un délai de quinze jours et je vous répondrai. »
Le juge n'acceptant pas le délai : « Si la voix me
l'a défendu, qu'en voulez-vous dire ? » Et comme
on la pressait encore : « Croyez que les hommes
ne me l'ont point défendu. »
Pour couper court, elle déclara qu'elle ne répondrait
rien ce jour-là; qu'elle ne savait pas si elle devait le dire ou non, avant qu'il lui eût été révélé;
et elle ajouta : « Je crois fermement aussi
fermement que je crois la foi chrétienne et que
Dieu nous a rachetés des peines de l'enfer, que
cette voix vient de Dieu (19). »
Le juge, la suivant dans le sens de sa déclaration,
lui demanda si cette voix, qu'elle disait lui
apparaître, était un ange ou venait de Dieu immédiatement, ou si c'était la voix d'un saint ou
d'une sainte. Elle répondit :
« Cette voix vient de la part de Dieu ; et je crois
bien que je ne vous dis pas à plain (plane) tout ce
que je sais ; mais j'ai plus peur de manquer en
disant quelque chose qui déplaise à ces voix que
je n'ai peur de vous répondre à vous-même. Pour
cette question, je vous prie de me donner délai.
— Croyez-vous donc, dit le juge, qu'il déplaise à Dieu qu'on dise la vérité ?
— Les voix m'ont commandé de dire certaines
choses au roi et point à vous ; » et ne craignant
pas d'irriter une curiosité qu'elle ne voulait pas
satisfaire, elle ajouta : » Cette nuit même, la voix
m'a dit plusieurs choses pour le bien du roi que
je voudrais bien que le roi sût, quand je devrais
ne pas boire de vin jusques à Pâques : car s'il le
savait, il en serait plus aise à son dîner.
— Mais, dit le juge, ne pourriez-vous tant faire
auprès de cette voix qu'elle voulût, sur votre demande,
en porter au roi la nouvelle ?
— Je ne sais si la voix le voudrait faire; elle ne
le ferait que si Dieu le voulait. Dieu lui-même, s'il
lui plaît, le pourra bien révéler au roi, et j'en serais
bien contente.
— Et pourquoi la voix ne parle-t-elle pas au
roi, comme elle faisait quand vous étiez en sa présence ?
— Je ne sais si c'est la volonté de Dieu : sans la
grâce de Dieu, je ne ferais rien (20).
Cette réponse ne devait pas tomber sans être relevée.
Après plusieurs autres questions sur ses visions :
si la voix lui avait révélé qu'elle dût sortir de prison
; si elle lui avait donné cette nuit des avis
pour répondre ; si dans les deux derniers jours
elle avait été accompagnée de lumière ; si elle
avait des yeux, etc. ; à quoi Jeanne répondait : « Je
ne vous dirai point tout ; je n'en ai point permission;
mon serment n'y touche pas; cette voix est
bonne et digne ; je ne suis point tenue de répondre ;» demandant néanmoins qu'on lui donnât
par écrit ce sur quoi elle ne répondait pas; — le
juge, qui n'avait point perdu de vue cette parole : « Sans la grâce de Dieu, je ne ferais rien, » lui demanda
si elle savait qu'elle fût dans la grâce :
question redoutable qui excita des réclamations et
des murmures au sein même de cette assemblée
d'hommes prévenus. « Nul ne sait s'il est digne
d'amour ou de haine, » dit l'Écriture. Et l'on voulait qu'une pauvre fille ignorante dît si elle était,
oui ou non, dans la grâce de Dieu ! Un des assesseurs
osa dire qu'elle n'était pas tenue de répondre.
— « Vous auriez mieux fait de vous taire, »
dit aigrement l'évêque qui croyait déjà tenir sa
proie; car la demande cachait un argument à
deux tranchants : « Vous savez-vous dans la
grâce ? » Si elle disait non, quel aveu ! et si elle
disait oui, quel orgueil !
Elle répondit :
« Si je n'y suis, Dieu veuille m'y mettre; et si j'y
suis, Dieu veuille m'y garder! »
Le juge demeura confondu ; — et il n'avait même
pas la ressource d'accuser cette réponse d'une
sorte d'indifférence : Jeanne ajoutait qu'elle serait
plus affligée que de toute chose au monde si elle
savait qu'elle ne fût pas dans la grâce de Dieu.
Puis, invoquant pour elle-même ce qu'on voulait tourner contre son inspiration, elle dit que, si elle était dans le péché, elle croyait que la voix ne
viendrait point à elle (21).
Le docteur de Paris n'essaya plus de l'interroger
sur ce chapitre. Il lui demanda à quel âge elle
avait entendu la voix pour la première fois (c'était à treize ans environ, elle l'avait déjà dit); et par
cette transition, il en vint à Domremy : il s'enquit
d'elle si l'on y était du parti de Bourgogne, si ceux de Maxey n'en étaient pas ; si la voix lui avait dit
de détester les Bourguignons; si elle allait avec
les enfants de son village dans les combats qu'ils
livraient aux enfants de Maxey; si elle avait un
grand désir de combattre les Bourguignons; si
elle eût souhaité d'être homme pour aller en
France. Il voulait voir si des haines de parti n'étaient
point la principale source de son inspiration,
et il n'oubliait pas ce qui pouvait rendre cette inspiration
plus suspecte encore. Il lui reparlait de
ses premières occupations et des lieux où s'était
passée son enfance, de l'arbre des fées, etc. — Et
elle, n'ayant rien à taire, s'abandonnait volontiers à ses souvenirs. Elle répétait ce qu'on disait de
l'arbre des fées, de la fontaine voisine et du bois
Chesnu. Elle sait que les malades venaient à la
fontaine boire de l'eau pour guérir : guérissaient-ils ?
elle n'en sait rien. Elle sait encore que les
convalescents allaient se promener sous le bel arbre
qu'on appelait le beau Mai; elle y allait elle-même
avec ses compagnes tresser des couronnes
pour l'image de la sainte Vierge. Elle a ouï dire que
les fées venaient sous cet arbre : elle l'a ouï de sa
marraine qui disait les avoir vues ; mais pour elle,
elle ne sait si c'est vrai, elle ne les a jamais vues.
Elle y venait pourtant avec les jeunes filles qui se plaisaient à orner de guirlandes les branches de
l'arbre, à chanter et à danser sous son ombre. Elle ajoutait qu'elle avait fait comme les autres; mais que depuis qu'elle fut appelée à venir en
France, elle se donna beaucoup moins aux jeux et
aux promenades, et qu'elle ne savait même si depuis
l'âge de discrétion il lui arriva jamais de
danser sous l'arbre ; qu'elle l'a pu faire, mais
qu'elle a plus chanté que dansé. Quant au bois
Chesnu, que l'on voit de la maison de son père, à
la distance de moins d'une demi-lieue, elle n'a
point ouï dire qu'il fût hanté par les fées. Elle a
bien su par son frère qu'on disait dans son village
qu'elle avait eu sa vocation sous l'arbre des Dames;
mais elle le nie. De même, quand elle est venue en
France, plusieurs lui ont demandé s'il n'y avait
point dans son pays un bois que l'on appelait le bois Chesnu, parce que, selon les prophéties, de
ce bois devait venir une jeune fille qui ferait des
merveilles ; mais elle déclare qu'elle n'y eut point foi (22).
Ainsi toutes les questions où on la croyait prendre
n'avaient révélé les superstitions de son pays
que pour prouver combien elle-même avait su y demeurer étrangère. Mais il y avait un crime dont on était toujours sur de la convaincre : c'était celui
de porter l'habit d'homme ; car elle-même s'y obstinait, et la candeur des juges n'en soupçonnait
pas les raisons. Chaque invitation qu'on lui
faisait sur ce point, en la montrant plus endurcie, la rendait plus coupable. On lui demanda, en
finissant, si elle voulait reprendre l'habit de
femme :
« Donnez-m'en un, dit-elle, et je le prendrai,
pourvu qu'on me laisse partir; sinon, je ne le
prendrai pas, et je me contenterai de celui-ci,
puisqu'il plaît à Dieu que je le porte. »
L'audience fut renvoyée au mardi suivant (23).
Le mardi 27, l'évêque, ouvrant la séance par sa
sommation ordinaire, invita Jeanne à prêter serment
de dire la vérité sur les choses qui touchaient
le procès ; c'est la formule qu'elle avait acceptée ;
mais dans la bouche de l'évêque elle lui devenait
suspecte. Elle répondit, faisant plus expressément
ses réserves, qu'elle dirait la vérité sur les choses
qui touchaient son procès, et non sur tout ce qu'elle
savait. L'évêque la pressa vainement de jurer pour
tout ce qu'on lui demanderait, elle répondit :
Vous devez être content, j'ai assez juré. »
Jean Beaupère reprit donc l'interrogatoire, et débutant
toujours avec une feinte bonhomie, il lui
demanda comment elle s'était portée depuis le samedi
précédent.
« Vous le voyez, dit-elle, le mieux que j'ai pu.
— Jeûnez-vous tous les jours de carême ?
ajouta-t-il.
— Est ce de votre procès ? répondit Jeanne.
— Oui.
— Eh bien, oui vraiment, j'ai toujours jeûné ce
carême. »
On le pouvait assez savoir d'ailleurs.
Jean Beaupère revint alors à ses visions. Il lui
demanda si, depuis le samedi, elle avait entendu
sa voix.
« Oui vraiment, et plusieurs fois, répondit-elle.
— Samedi même l'avez-vous entendue dans le
lieu où l'on vous interrogeait ?
— Cela n'est pas de votre procès. »
Mais elle ajouta qu'elle l'avait entendue.
« Que vous a-t-elle dit ?
— Je ne l'ai pas bien entendue ; je n'ai rien entendu
que je puisse vous redire, jusqu'à ce que je
fusse revenue dans ma chambre.
— Et que vous a-t-elle dit alors ?
— Elle m'a dit de vous répondre hardiment. »
Elle ajouta qu'elle lui demandait conseil sur les
choses dont on l'interrogeait, qu'elle répondrait sur
tous les points où elle aurait congé de Dieu, mais
que, pour ce qui regardait les révélations touchant
le roi de France, elle ne dirait rien sans
congé de sa voix : « Car si je répondais sans congé,
dit-elle, peut-être n'aurais-je plus mes voix en
garant; mais quand j'aurai congé de Dieu, je ne craindrai point de parler, parce que j'aurai bon garant (24).»
Sans chercher à savoir ce qui était le secret
d'elle et de ses voix, le juge voulut au moins la
faire parler sur ces voix elles-mêmes. C'est un des
points qu'il avait touchés déjà et sur lesquels elle
avait voulu d'abord les consulter. Il lui demanda
si c'était la voix d'un ange, d'un saint, d'une sainte
ou de Dieu sans intermédiaire.
« C'est, dit-elle, la voix de sainte Catherine et de
sainte Marguerite. »
Elle ajouta (répondant, selon toute apparence,
aux questions qu'on lui en faisait) qu'elles étaient
couronnées de belles et riches couronnes :
« Sur cela, dit-elle, j'ai congé de Dieu. Mais si
vous en faites doute, envoyez à Poitiers où j'ai été
jadis interrogée.
— Comment savez-vous que ce sont les deux
saintes ? les distinguez-vous bien l'une de l'autre ?
— Je sais que ce sont elles et je les sais distinguer.
— A quel signe ?
— Par la manière dont elles me saluent. »
Elle ajouta que depuis sept ans elles l'avaient
prise sous leur direction, et qu'elle les connaissait,
parce qu'elles se nommaient à elle.
« Sont-elles vêtues de la même étoffe ? Ont-elles
le même âge ?
— Je ne vous le dirai pas, je n'ai point congé de
vous le dire.
— Parlent-elles toutes deux ensemble ou l'une
après l'autre ?
— Je n'ai point congé de vous le dire; mais j'ai
toujours eu conseil de toutes les deux.
— Laquelle des deux s'est montrée à vous la première ?
— Je ne les ai point connues tout de suite : je
l'ai bien su un jour, mais je l'ai oublié, et si j'en
ai congé, je vous le dirai volontiers ; cela est d'ailleurs
dans les registres de Poitiers (24). »
Elle avait parlé du secours qu'elle avait reçu de
saint Michel. On lui demanda quelle était la première
voix qui vint à elle, comme elle avait treize
ans. Elle répondit que c'était saint Michel.
« Je l'ai vu, dit-elle, devant mes yeux ; et il n'était
pas seul, mais bien accompagné des anges du
ciel.
— Avez-vous vu saint Michel et les anges réellement
et corporellement ?
— Je les ai vus des yeux de mon corps aussi bien
que je vous vois, et quand ils s'éloignaient de moi
je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils m'emportassent
avec eux.
— En qu'elle figure était saint Michel ?
— Je n'ai point de réponse à vous faire; je n'en
ai point congé encore.
— Que vous a-t-il dit cette première fois ?
— Vous n'aurez point de réponse aujourd'hui. »
Elle déclara d'ailleurs qu'elle avait dit au roi,
tout en une fois, ce qui lui avait été révélé, parce
que c'est à lui qu'elle était envoyée, et qu'elle voudrait
bien que le juge eût connaissance du livre où
l'on avait consigné ses réponses à Poitiers, pourvu
que Dieu en fût content.
« Sont-ce vos voix qui vous ont défendu de parler
de vos révélations sans congé d'elles ?
— Je ne vous réponds point encore sur cela ; je
ne sais pas bien si les voix me l'ont défendu.
— Mais quel signe donnez-vous que vous ayez
cette révélation de la part de Dieu, et que ce soient
sainte Catherine et sainte Marguerite qui conversent avec vous ?
— Je vous ai dit que c'était sainte Catherine et
sainte Marguerite; croyez-moi si vous voulez.
— Vous est-il défendu de le dire ?
— Je ne sais pas encore si cela m'est défendu.
— Et comment savez-vous distinguer les points
sur lesquels vous devez répondre ou non ?
— Sur quelques points j'ai demandé congé, et
je l'ai sur plusieurs. »
Et elle dit qu'elle eût mieux aimée être tirée à
quatre chevaux que de venir en France sans permission
de Dieu (25).
Le juge remit en avant la question de l'habit
qu'elle avait pris alors. Et elle, ramenant cette
affaire qu'on voulait faire si grosse à sa véritable mesure, dit que l'habit était peu de chose, la
moindre des choses :
« Et je ne l'ai pris, ajouta-t-elle, par le conseil
d'aucun homme au monde. Je ne l'ai pris et je n'ai
rien fait que par le commandement de Dieu et des
anges.
— N'est-ce point par l'ordre de Robert de Baudricourt
?
— Non.
— Croyez-vous avoir bien fait en prenant habit
d'homme.
— Tout ce que j'ai fait par commandement de
Dieu, je crois l'avoir bien fait et j'en attends bon
garant et bon secours.
— Mais dans ce cas particulier, croyez-vous
avoir bien fait en prenant habit d'homme ?
— Je n'ai rien fait que par le commandement de
Dieu (26).»
Le juge n'avait pu l'amener à une parole qui la
mît en contradiction avec l'Ecriture. Il revint à ses
visions, à la lumière qui les accompagnait, à ses relations avec le roi surtout, et lui demanda,
comme dans la deuxième séance (22 février), s'il
y avait un ange au-dessus de la tête du roi quand elle le vit pour la première fois.
« Par la bienheureuse Marie, dit-elle, s'il y en
avait un, je ne sais, je ne l'ai pas vu.
— Y avait-il une lumière ?
— Il y avait là plus de trois cents soldats et de
cinq cents torches, sans compter la lumière spirituelle.
J'ai rarement des révélations qui ne soient accompagnées de lumière.
— Comment votre roi a-t-il ajouté foi à vos paroles ?
— Par les signes qu'il en a eus et par le clergé.
— Quelle révélation votre roi a-t-il eue ?
— Vous ne le saurez pas de moi cette année. »
Mais ils avaient d'autres moyens d'y croire, et
elle y renvoyait :
« Pendant trois semaines, dit-elle, j'ai été interrogée
par le clergé, tant à Chinon qu'à Poitiers.
Le roi a eu un signe touchant mes faits avant de
vouloir y croire, et le clergé de mon parti a été
d'opinion que, dans mon fait, il n'y avait rien que
de bien. (27) »
On ne la poussa pas d'avantage sur ce point; on
aima mieux, pour ce jour, la faire parler de certains
détails d'où l'on comptait faire sortir l'accusation de sorcellerie.
On lui demanda si elle n'avait pas été à Sainte-Catherine de Fierbois. On lui en parlait à cause de
l'épée trouvée, sur son indication, derrière l'autel
de cette église. Elle ne fît pas difficulté de raconter
comment l'épée avait été découverte :
« J'ai su qu'elle était là par mes voix, dit-elle, et
je n'avais jamais vu l'homme qui l'alla chercher. J'ai écrit aux gens d'Église du lieu qui leur plût de me la faire avoir: et ils me l'ont envoyée. Elle n'était
point fort avant sous la terre, derrière l'autel comme
il me semble : je ne sais pourtant pas bien si c'était
devant ou derrière; mais je pense avoir écrit
qu'elle était derrière l'autel. Après qu'elle eut été
trouvée, les gens d'Église du lieu la frottèrent, et la rouille tomba sans effort. Ce fut un marchand
d'armes de Tours qui l'alla chercher. »
Elle ajouta qu'elle ne l'avait plus quand elle fut
prise, mais qu'elle l'avait portée constamment jusqu'à
son départ de Saint-Denis, après l'attaque de
Paris.
Cette épée, ainsi découverte, et si longtemps victorieuse, était suspecte de magie. On lui demanda
quelle bénédiction elle avait faite ou fait faire sur elle.
« Aucune, dit-elle. Je l'aimais parce qu'elle avait été trouvée dans l'église de sainte-Catherine, que
j'aimais beaucoup.
— Ne l'avez vous pas posée sur l'autel afin
qu'elle fût heureuse ?
— Non que je sache.
— N'avez-vous pas fait quelques prières pour
que cette épée fût heureuse ?
— Il est bon à savoir que j'eusse voulu que mon
harnois fût heureux. »
On lui fit redire qu'elle n'avait plus cette épée
quand elle fut prise ; que c'est une autre qu'elle
avait déposée à Saint-Denis. A Compiègne, elle
avait l'épée de ce Bourguignon qu'elle avait pris à
Lagny (Franquet d'Arras) ; elle l'avait gardée parce qu'elle était bonne pour la guerre; bonne, disait-elle
avec une familiarité toute militaire, pour
donner de bonnes buffes et de bons torchons. Ce
qu'était devenue l'autre épée, cela ne touchait
point le procès. Mais elle dit que ses frères avaient
ses biens, ses chevaux, l'épée à ce qu'elle croit, et
le reste valant plus de douze mille écus (28).
Après l'épée, on la fit parler de sa bannière. On
lui demanda ce qu'elle aimait le plus, de sa bannière
ou de son épée:
« J'aime beaucoup plus, dit-elle, quarante fois
plus la bannière que l'épée.
— Qui vous a fait faire les peintures qu'on y
voit ?
— Je vous ai assez dit que je n'ai rien fait que du commandement de Dieu. »
Elle ajouta qu'elle portait sa bannière quand elle
chargeait l'ennemi pour éviter de tuer personne :
« Et je n'ai jamais tué personne, » dit-elle.
On prit de là occasion de l'interroger sur ses
campagnes. On lui demanda si, à Orléans au moment
de l'assaut, elle n'avait pas dit à ses gens
qu'elle recevrait seule les flèches, les viretons, les
pierres lancées par les canons ou les machines,
« Non, dit-elle, et la preuve, c'est qu'il y en eut
plus de cent blessés. Je leur ai dit de ne point
douter, et qu'ils feraient lever le siége. Moi-même, à l'assaut de la bastille du pont, j'ai été blessée
d'une flèche au cou. Mais j'ai eu grand confort de sainte Catherine; et j'ai été guérie dans les quinze
jours, sans cesser d'ailleurs de monter à cheval et
d'agir.
— Saviez-vous que vous seriez blessée?
— Je le savais, et je l'avais dit au roi, mais, nonobstant,
qu'il ne laissât point d'agir. Je l'avais su
par la voix de mes saintes. »
D'Orléans on passa à Jargeau, et on lui demanda
pourquoi elle n'avait pas reçu à rançon le capitaine
de cette ville.
« Les seigneurs de mon parti, dit-elle, ont refusé
aux Anglais le délai de quinze jours qu'ils demandaient,
leur offrant de s'en aller avec leurs chevaux
dans l'heure présente. Pour moi, j'ai dit qu'ils
s'en iraient de Jargeau en leur petite cotte, la vie
sauve, s'ils voulaient: sinon qu'ils seraient pris
d'assaut.
— Aviez-vous consulté vos voix pour savoir si
vous leur accorderiez délai ou non ?
— Je n'en ai pas souvenir (29). »
L'interrogatoire de Jeanne, si habilement qu'il
fût conduit, ne menait à aucun des résultats qu'on
espérait atteindre.. On l'avait fait parler de son
enfance, de sa vie tout entière, et on n'avait pu
trouver en elle rien qui démentît l'innocence de
ses mœurs, la pureté de sa foi, la droiture de son jugement, même sur des points où quelque participation
aux superstitions communes à son pays ou à son temps n'aurait certes pas donné le droit
de l'accuser d'hérésie. Une seule chose restait
extraordinaire dans ses paroles, c'est ce qu'elle
disait des visions qu'elle avait eues, qu'elle prétendait avoir toujours. Aucun des juges n'avait la
pensée de les déclarer impossibles : ils voulaient,
on l'a vu, s'assurer si elles n'étaient pas feintes,
ou, en les admettant comme réelles, en savoir
l'origine ; et tous les efforts qu'ils avaient faits
pour les rapporter à l'esprit du mal en y trouvant
l'erreur, la contradiction ou le mensonge, étaient
restés sans résultat. Ils ne se tenaient cependant
pas encore pour vaincus en ce point. Il y avait
dans les réserves persévérantes de Jeanne sur le
serment qu'on lui demandait chaque fois, et dans
ses réticences déclarées sur le sujet de ses révélations,
quelque chose qui, en cachant un mystère,
provoquait la curiosité des juges et redoublait leur envie d'en soulever les voiles pour la confondre.
On résolut donc d'y revenir encore.
A la séance suivante, le jeudi 1er mars, après
avoir prêté le serment dans les termes dont elle
n'avait jamais voulu se départir, elle ajouta, pour montrer à ses juges combien elle était résolue
d'être sincère en tout ce qui lui était permis de
dire :
« Pour ce qui touche le procès, je vous dirai volontiers
toute la vérité; je vous la dirai comme si
j'étais devant le pape de Rome. »
On lui demanda quel pape elle reconnaissait
véritable. Elle répondit en demandant s'il y en avait deux : réponse accablante pour cette race de
politiques et de docteurs dont l'orgueil avait pendant
si longtemps nourri le schisme de l'Église.
L'incident toutefois donna lieu de lui demander si
elle n'avait pas reçu du comte d'Armagnac des
lettres où il la priait de lui dire auquel des trois
papes rivaux il devait obéir. — Jeanne convint du
message comme de sa réponse, à laquelle elle ne
parut pas attacher grande importance. Elle montait à cheval quand elle la fit: ce qu'elle s'en rappelait,
c'est qu'elle promettait au comte de répondre à sa lettre quand elle serait à Paris ou ailleurs,
en repos. On lui donna lecture et de la lettre du
comte et de la réponse qu'on lui attribuait. Elle la
reconnut pour une partie, mais non pour le tout.
On comprend qu'une lettre dictée comme le fut
celle-ci, ait pu être modifiée dans sa teneur par
le clerc qui l'avait écrite. Elle ne se rappelait point
par exemple, avoir dit qu'elle savait par le conseil
du Roi des rois ce que le comte devait tenir pour
vrai sur cette matière.
« Mais, dit le juge, faites-vous doute vous-même,
sur celui à qui le comte devait obéir ?
— Je ne savais que mander au comte, parce
qu'il voulait savoir à qui Dieu commandait qu'il
obéît. Mais pour moi, ajouta-t-elle, je tiens et je
crois que nous devons obéir à notre seigneur le
pape qui est à Rome : » tranchant ainsi, avec le
bon sens d'une âme simple, une question que la
science et la passion des docteurs et des grands
du monde avaient si fort embrouillée. Elle déclara d'ailleurs qu'elle avait dit au comte ne point savoir
que lui répondre sur ce sujet : que la réponse
qu'elle lui promettait avait trait à tout autre chose
et que jamais elle n'écrivit ou fît rien écrire sur le
fait des trois pontifes (30).
La lettre qu'on lui avait présentée portait les
noms de Jésus et de Marie avec une croix. On lui
demanda si ce n'était pas le signe dont elle marquait ses lettres.
« Oui, quelquefois, dit-elle, et d'autres fois non ;
et quelquefois je mettais une croix en signe que
celui de mon parti à qui j'écrivais ne fît pas ce que lui écrivais. »
Déclaration recueillie précieusement. On en fera
un sacrilége (31) !
Avec la lettre au comte d'Armagnac, on avait
encore une autre lettre de Jeanne : cette lettre si
hardie et si fière qu'elle écrivit aux Anglais pour
les sommer de lever le siége d'Orléans. Elle la reconnut,
sauf quelques mots où elle se mettait plus
en avant qu'il n'était dans sa pensée de le faire :
rendez à la Pucelle pour rendez au roi; chef de
guerre dit d'elle-même; corps pour corps appliqué à Dieu : mots que son secrétaire substitua peut-être à d'autres, ou dont elle avait perdu le souvenir;
car on ne peut accuser les Anglais de les avoir
frauduleusement introduits dans sa lettre : on les retrouve dans des copies qui ne sont point d'origine
anglaise, et on ne voit pas d'ailleurs ce qu'ils
auraient gagné à cette altération. Au surplus, elle déclara qu'elle seule avait dicté cette lettre ; qu'elle
s'était bornée à la communiquer à ceux de son
parti; et loin de rien rétracter, même dans ses fers, des espérances qu'elle exprimait alors, elle
fit une prédiction qu'on n'accusera pas d'être supposée
depuis l'événement : le procès-verbal même la constate. Elle annonça qu'avant sept ans les
Anglais laisseraient un plus grand gage que devant
Orléans, et qu'ils perdraient toute la France.
« Ils éprouveront, ajouta-t-elle, plus grand dommage
qu'ils aient jamais eu en France, et ce sera par
une grande victoire que Dieu enverra aux Français. »
Cinq ans après, en 1436, les Anglais perdaient leur
gage, Paris, et bientôt après, le reste du royaume.
« Comment savez-vous cela ? lui dit-on.
— Je le sais par révélation, et je serais bien
courroucée (32) que cela fût tant différé. »
Et sans s'inquiéter si ses paroles ne soulevaient
point contre elle toutes les colères de ses ennemis,
elle ajouta qu'elle le savait aussi sûrement qu'ils étaient là devant elle.
« Quand cela arrivera-t-il ?
— Je ne sais ni le jour ni l'heure.
— En quelle année ?
— Vous ne le saurez pas encore, mais je voudrais
bien que ce fût avant la Saint-Jean.
— N'avez-vous pas dit que ce serait avant la
Saint-Martin d'hiver ?
— Avant la Saint-Martin on verra bien des
choses et il se peut qu'on voie les Anglais jetés
bas (33).
— Qu'avez-vous dit à Jean Gris, votre gardien,
de la Saint-Martin d'hiver ?
— Je vous l'ai dit.
— De qui savez-vous que cela arrivera ?
— De sainte Catherine et de sainte Marguerite (34).»
On la reprit sur ses apparitions. On lui demanda
si saint Gabriel n'était point avec saint Michel
quand il lui apparut.
« Je ne m'en souviens pas, dit-elle.
— Depuis mardi dernier, avez-vous conversé
avec sainte Catherine et sainte Marguerite ?
— Oui, mais je ne sais l'heure.
— Quel jour ?
— Hier, aujourd'hui, il n'y a pas de jour que je
ne les entende.
— Les voyez-vous toujours dans le même habit ?
— C'est toujours la même forme; » et elle parla
de leurs riches couronnes : de leurs robes, elle ne
savait.
« Et comment, dit grossièrement le juge, savez-vous
que ce qui vous apparaît est un homme ou
une femme ?
— A la voix, et parce qu'elles me l'ont révélé.
Je ne sais rien que par révélation et par ordre de
Dieu.
— Quelle figure voyez-vous ?
— La face.
— Les saintes qui se montrent à vous ont-elles
des cheveux ?
— Cela est bon à savoir.
— Y a-t-il quelque chose entre leur couronne et
leurs cheveux ?
— Non.
— Leurs cheveux sont-ils longs et pendants ?
— Je n'en sais rien. »
Elle ne répondit pas davantage sur ce qu'on lui
demandait de leurs bras et du reste de leur corps ;
et, ramenant ses juges à ce qui était pour elle ses saintes, elle dit que leurs paroles étaient bonnes et
belles et qu'elle les entendait bien.
« Comment, dit le juge, parlent-elles, puisqu'elles
n'ont pas de membres ?
— Je m'en réfère à Dieu. »
Puis, comme elle ajoutait que cette voix était
belle, douce et humble, et parlait français, le juge
lui demanda si sainte Marguerite ne parlait pas
anglais.
« Comment, lui dit Jeanne, parlerait-elle anglais,
puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais ?
Des saintes qui ne parlent pas anglais ! »
Cette réponse tiendra sa place parmi les chefs
d'accusation (35).
Le juge, reprenant son thème favori, la description
physique des apparitions, demanda à Jeanne
si les saintes portaient avec leurs couronnes des
anneaux aux oreilles. Mais Jeanne dit qu'elle n'en
savait rien. A cette occasion, il lui demanda si elle
n'avait pas elle-même des anneaux. Elle en avait
deux qui lui avaient été pris depuis sa captivité.
Jeanne se tournant vers l'évêque :
« Vous en avez un à moi; rendez-le moi; » et
elle le pria de le lui montrer s'il l'avait.
Cet attachement à ses anneaux répondait à la
pensée de ses juges, fort enclins à y soupçonner
quelque vertu magique. On lui demanda de qui elle tenait celui qu'avaient les Bourguignons. Elle dit qu'elle l'avait reçu à Domremy de ses parents :
il n'avait point de pierres et portait gravés les noms de Jésus et de Marie. Quant à l'autre, celui
qu'avait l'évêque, elle le tenait de son frère, et elle
chargeait l'évêque de le donner à l'Église. Elle repoussait
d'ailleurs ce qu'on disait de la vertu de
ses anneaux, et déclarait qu'elle n'avait jamais
guéri personne par leur attouchement (36).
On avait déjà essayé de rattacher ses visions
aux superstitions de son pays. Ses saintes, n'étaient-ce pas ces fées dont on parlait à Domremy,
que sa marraine même prétendait avoir vues ? On
lui demanda donc si elle n'avait pas conversé avec
sainte Catherine et sainte Marguerite, sous l'arbre
dont il avait été fait mention déjà.
« Je ne sais, dit-elle.
— Et à la fontaine qui est près de l'arbre ?
— Oui, quelquefois, mais je ne me rappelle pas
ce qu'elles m'y ont dit.
— Que vous ont-elles promis là ou ailleurs ?
— Elles ne m'ont fait aucune promesse que ce
ne soit par congé de Dieu.
— Mais quelles promesses vous ont-elles faites ?
— Cela n'est pas de votre procès en tout point :
mais elles m'ont dit que messire (le roi) sera rétabli
dans son royaume, que ses ennemis le veuillent ou non ; et elles m'ont promis de me conduire en
paradis.
— Avez-vous quelque autre promesse ?
— Oui, mais je ne la dirai pas, cela ne touche
pas votre procès. Avant trois mois, je vous dirai
l'autre promesse.
— Vos voix vous ont-elles dit que vous seriez
délivrée avant trois mois ?
— Cela n'est pas de votre procès; néanmoins, je
ne sais quand je serai délivrée, mais ceux qui
voudront m'ôter du monde pourront bien s'en aller avant moi.
— Votre conseil vous a-t-il dit que vous seriez
délivrée de cette prison ?
— Reparlez-m'en dans trois mois et je vous répondrai. »
On est au 1er mars ; trois mois après, presque
jour pour jour (30 mai), elle échappait à la prison
par la mort.
Comme on la pressait de répondre :
« Demandez aux assistants qu'ils disent, sous la
foi du serment, si cela touche le procès. »
Et après que le conseil eut déclaré que cela était
du procès, elle ajouta :
« Je vous ai toujours bien dit que vous ne saurez
pas tout. Il faudra qu'un jour je sois délivrée. Je veux avoir congé pour le dire. C'est pourquoi je demande un délai.
— Les voix vous défendent-elles de dire la vérité ?
reprit le juge.
— Voulez-vous que je vous dise ce qui regarde
le roi de France ? Il y a bien des choses qui ne touchent
pas le procès. Mais, ajouta-t-elle, je sais que messire (le roi) gagnera le royaume de France, et je le sais comme je sais que vous êtes là, devant
moi, siégeant au tribunal. Je serais morte sans cette révélation qui me conforte tous les jours (37). »
On revint aux superstitions de son pays, où l'on
prétendait l'impliquer, et on lui demanda ce qu'elle
avait fait de sa mandragore (cette plante, convenablement
enveloppée, faisait une sorte d'amulette
dont on vantait fort les prodiges).
« Je n'ai pas de mandragore, répondit-elle, et
n'en eus jamais. J'ai bien ouï dire qu'il y en a une
près de mon village, mais je ne l'ai jamais vue, et j'ai ouï dire que c'est une chose dangereuse et
mauvaise que d'en garder; je ne sais d'ailleurs à
quoi cela sert. »
Après d'autres questions encore sur cette mandragore
de Domremy, sur le lieu où elle est, sur la
vertu qu'on lui attribue, question dont l'unique
résultat fut de montrer une fois de plus combien
Jeanne, par l'élévation de son âme, était au-dessus
de ces puérilités y on revint à ses apparitions pour les prendre encore au sens le plus bas. On lui demanda
en quelle figure lui était apparu saint
Michel :
« Je ne lui ai pas vu de couronne, dit-elle ; pour
les vêtements, je ne sais.
— Était-il nu ?
— Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le
vêtir ? »
Le juge rappelé à la pudeur par ce langage simple
et digne, se rejeta sur quelques platitudes :
« Avait-il des cheveux ?
— Pourquoi lui seraient-ils coupés ?
— Tenait-il une balance ?
— Je ne sais. »
Et s'élevant à la pensée de ses divins protecteurs,
elle disait naïvement, comme si cela pouvait élever
aussi l'âme de ses juges, qu'elle avait grande joie
en le voyant ; « et il me semble, continuait-elle, que
quand je le vois, je ne suis pas en péché mortel. »
Elle ajoutait que sainte Catherine et sainte Marguerite
la faisaient se confesser quelquefois.
Se confesser, c'est avouer ses fautes. Le juge,
cherchant à prendre son innocence en défaut, lui
demanda si, quand elle se confessait, elle croyait être en péché mortel :
« Je ne sais, dit-elle, si j'ai été en péché mortel ;
je ne crois pas en avoir fait œuvre, et Dieu me garde
d'avoir jamais été en cet état; Dieu me garde de
faire ou d'avoir jamais fait œuvre qui charge mon âme (38).
On revint alors sur ce signe donné au roi, signe
qui, selon le bruit général, avait eu de nombreux
témoins, et dont elle avait toujours fait mystère : car elle n'en pouvait parler sans livrer au public ce
que le roi n'avait dit qu'à Dieu, et révéler un doute
qui, entre les mains des ennemis du prince, devenait comme un désaveu de son origine et une arme
propre à ruiner ses droits. Elle répondit :
« Je vous ai dit que vous n'en auriez rien de mabouche;
allez lui demander.
— Avez-vous donc juré de ne point révéler ce
qu'on vous demande touchant le procès ?
— Je vous ai dit déjà que je ne vous dirais pas
ce qui touche le fait du roi; je ne dirai rien de ce
qui le regarde.
— Savez-vous le signe que vous avez donné au
roi ?
— Vous n'en saurez rien de ma part. »
Et comme on lui disait que cela touchait son
procès :
« De ce que j'ai promis de tenir secret je ne vous
dirai rien : car je l'ai promis en tel lieu que je ne
pourrais le dire sans parjure.
— A qui l'avez-vous promis ?
— A sainte Catherine et à sainte Marguerite. »
Elle ajouta qu'elle l'avait promis sans qu'elles
l'en requissent, uniquement d'elle-même, parce
que trop de gens le lui auraient demandé, si elle
n'avait pris cet engagement envers ses saintes.
On lui demanda alors si, lorsqu'elle montra ce
signe au roi, il n'y avait point quelqu'un avec lui.
« Je ne pense pas, bien qu'il y eût assez de monde
au voisinage. (Elle avait parlé au prince en secret,
mais à la vue de plusieurs témoins.)
— Avez-vous vu la couronne sur la tête du roi
quand vous lui avez montré ce signe ?
— Je ne puis vous le dire sans parjure.
— Le roi avait-il la couronne à Reims ?
— Le roi, je pense, a pris volontiers la couronne
qu'il a trouvée à Reims ; mais une bien plus riche
couronne lui fut apportée par la suite. Il ne l'a point
attendue, pour hâter la cérémonie, à la requête de
ceux de Reims, afin d'éviter la charge des hommes
de guerre. S'il l'avait attendue, il aurait eu une
couronne mille fois plus riche.
— Avez-vous vu cette couronne plus riche ?
— Je ne puis vous le dire sans parjure. Et si je
ne l'ai pas vue, j'ai ouï dire qu'elle était riche et
magnifique (opulenta) (39). »
On n'en put rien savoir davantage : cette couronne,
qui était pour le roi comme le gage et le prix
de sa mission, était-ce une chose réelle ou un pur symbole ? c'est ce qui restait encore entouré de
mystères (40).
On renvoya l'interrogatoire au surlendemain.
La séance qui se tint le samedi 3 mars, la dernière
qui fût publique, je veux dire, tenue devant les
assesseurs dans la chambre de « parement, » est une de celles qui offrent le plus de désordre dans
l'interrogatoire. On avait hâte d'en finir, et l'on voulait, avant de clore les débats, obtenir de Jeanne
quelques paroles qui donnassent plus d'apparence
aux accusations dont elle était l'objet.
Après le serment qu'on persistait à lui demander
pur et simple, et qu'elle renfermait toujours dans
les termes accoutumés, on la ramena sur ses apparitions
:
« Vous avez dit que saint Michel avait des ailes
(est-ce alors ? elle n'en a rien dit auparavant; mais
si elle ne relève pas l'affirmation, il sera constant que, de son aveu, saint Michel avait des ailes), et
vous n'avez point, continue le juge, parlé des corps
de sainte Catherine et de sainte Marguerite : qu'en
voulez-vous dire ?
— Je vous ai dit ce que je savais et je ne vous
répondrai pas autre chose. »
Et elle ajouta qu'elle les avait bien vus et savait
qu'ils étaient saints dans le paradis.
« En avez-vous vu autre chose que la face ?
— Je vous ai dit tout ce que j'en sais : mais
plutôt que de vous dire tout ce que je sais, j'aimerais
mieux que vous me fissiez couper le cou.
— Croyez-vous que saint Michel et saint Gabriel
avaient des têtes naturelles ?
— Je les ai vus eux-mêmes de mes yeux, et je
crois que ce sont eux aussi fermement que Dieu
est.
— Croyez-vous que Dieu les ait faits en la forme
où vous les voyez ?
— Oui.
— Croyez-vous que Dieu les ait créés ainsi dès
le commencement ?
— Vous n'aurez de moi rien autre chose que ce
que je vous ai répondu (41). »
Les réponses de Jeanne excluant l'idée que ses
visions fussent une simple illusion de son esprit, il
y avait, on l'a vu, pour les juges, un moyen de les faire tourner contre ces voix elles-mêmes : c'était
de montrer qu'elles l'avaient trompée. On se crut
assez sûr de la bien tenir, pour tes convaincre d'impuissance ou d'imposture en lui faisant cette
question :
« Savez-vous par révélation que vous deviez vous échapper ?
— Cela ne touche pas votre procès. Voulez-vous
que je parle contre moi ? »
Parole de bon sens qui était la condamnation de
tout ce système d'enquête : que voulait-on autre
chose, en effet, depuis qu'on l'interrogeait ?
« Vos voix vous l'ont-elles dit ? reprit le juge
insistant.
— Ce n'est pas de votre procès. Je m'en rapporte
au procès : si tout vous regardait, je vous dirais
tout. » Et elle ajouta : « Par ma foi, je ne sais ni
le jour, ni l'heure où je m'échapperai.
— Vos voix vous en ont-elles dit quelque chose
en général ?
— Oui, vraiment : elles m'ont dit que je serai
délivrée (mais je ne sais ni le jour, ni l'heure), et
que je fasse bon visage (42). »
Le juge n'avait rien à lui demander de plus sur
cette matière. Il passa à l'affaire de l'habit : si c'était
un crime, elle ne pouvait pas le nier. Mais on n'était pas fâché de savoir si le roi et son clergé,
et peut-être les voix elles-mêmes, ne pouvaient pas être reconnus fauteurs de l'hérésie. On lui demanda
donc :
« Lorsque vous êtes venue auprès du roi, ne
s'est-il pas enquis si c'était par révélation que vous
aviez changé d'habit ?
— Je vous ai répondu ; cependant je ne me rappelle
pas si cela me fut demandé. Cela a été écrit à Poitiers.
— Les docteurs qui vous ont examinée ailleurs,
quelques-uns pendant un mois, d'autres pendant
trois semaines, ne vous ont-ils pas interrogée sur ce changement d'habit ?
— Je ne m'en souviens pas. Cependant ils m'ont
demandé où j'avais pris cet habit d'homme, et je
leur ai répondu : A Vaucouleurs. »
La chose était assez simple et assez naturelle,
en effet, pour qu'un juge impartial n'ait pas l'idée
d'en chercher la légitimité dans une révélation. On insista pourtant, mais on ne put obtenir d'elle que
cette réponse :
« Je ne m'en souviens pas.
— Et la reine ?
— Je ne m'en souviens pas.
— Le roi, la reine ou quelque autre de votre
parti vous ont-ils quelquefois demandé de quitter
l'habit d'homme ?
— Cela n'est pas de votre procès.
— Ne vous l'a-t-on pas demandé au château de
Beaurevoir ?
— Oui, et j'ai répondu que je ne le quitterai point
sans le congé de Dieu. »
La dame de Beaurevoir et sa tante la demoiselle
de Luxembourg avaient fait plus que de l'y inviter :
elles lui avaient offert un habit de femme ou du drap pour le faire : « Mais, dit Jeanne, je leur ai
répondu que je n'en avais pas congé à cette heure
et qu'il n'en était pas temps encore. »
Même réponse au sujet de propositions de même
sorte qui lui avaient été faites à Arras.
« Croyez-vous que vous auriez péché en prenant
l'habit de femme ?
— J'ai mieux fait d'obéir et de servir mon souverain
seigneur. Et si je l'eusse dû faire, je l'eusse
plutôt fait à la requête de ces deux dames que
d'aucune autre en France, excepté la reine.
— Mais », dit le juge, revenant par ce détour à
la complicité de ses voix, et supposant, par une
tactique assez grossière, la question résolue au
fond, pour tirer d'elle sur un point accessoire une
déclaration qui l'engageât, « quand Dieu vous a
révélé de changer votre habit en habit d'homme, fût-ce par la voix de saint Michel, ou par la voix de
sainte Catherine ou de sainte Marguerite ?
— Vous n'en aurez maintenant autre chose (43). »
On en vint alors à son étendard et aux panonceaux
de ses gens, pour y chercher quelque trace
de superstition ou de magie. On lui demanda si les gens de guerre, lorsque son roi la mit à l'oeuvre et
qu'elle se fit faire son étendard, n'avaient pas fait
faire des panonceaux à la manière du sien. Elle répondit :
« Il est bon à savoir que les seigneurs maintenaient
leurs armes ; » disant d'ailleurs que ses
compagnons de guerre firent faire leurs panonceaux à leur plaisir.
« Était-ce de toile ou de drap ?
— C'était de blanc satin ; et en aucuns il y avait
des fleurs de lis. Je n'avais du reste que deux ou
trois lances dans ma compagnie, et si les compagnons de guerre faisaient leurs panonceaux à la
ressemblance des miens, c'était pour les distinguer
des autres.
— Étaient-ils souvents renouvelés ?
— Je ne sais ; quand les lances étaient rompues,
on en faisait de nouveaux. »
— N'avez-vous pas dit, ajouta le juge dévoilant
le fond de sa pensée, que les panonceaux
faits à la ressemblance du vôtre étaient heureux ?
— Je disais à mes gens : « Entrez hardiment parmi les Anglais, » et j 'y entrais moi-même.
— Ne leur avez-vous pas dit, continua-t-il
retournant ses paroles, qu'ils portassent hardiment
leurs panonceaux, et qu'ils auraient bonheur ?
— Je leur ai bien dit ce qui est advenu et ce qui
adviendra encore.
— Ne mettiez-vous pas ou ne faisiez-vous pas
mettre de l'eau bénite sur les panonceaux quand
on les prenait nouveaux ?
— Je n'en sais rien, et s'il a été fait, ce n'a pas été de mon commandement.
— N'avez-vous pas vu qu'on y jetât de l'eau
bénite ?
— Cela n'est point de votre procès, et si je
l'ai vu faire, je n'ai point avis maintenant d'en
répondre.
— Les compagnons de guerre ne faisaient-ils
point mettre en leurs panonceaux Jésus, Maria ? » (On lui aurait fait un crime de se placer sous l'invocation de ces noms sacrés!)
Elle répondit :
« Par ma foi, je n'en sais rien.
— N'avez-vous point porté, ou fait porter, par
manière de procession, des toiles autour d'un
autel ou d'une église, pour en faire des panonceaux ?
— Non, et je ne l'ai point vu faire (44). »
On l'interrogea ensuite sur frère Richard. Elle dit qu'elle ne l'avait jamais vu avant de venir
devant Troyes, et raconta la scène de leur rencontre, qui a été rapportée en son temps. Mais Jeanne elle-même avait été l'objet d'honneurs que l'on voulait maintenant tourner à sa perte. On lui demanda si elle n'avait pas vu, ou si elle n'avait pas fait faire quelque image ou peinture d'elle-même.
Elle répondit qu'elle avait vu à Arras (au
moment où elle fut livrée aux Anglais) une peinture
entre les mains d'un Écossais; qu'elle y était
figurée toute armée, un genou en terre, présentant
des lettres au roi. Elle ajouta qu'elle n'avait
jamais vu ou fait faire aucune autre image à sa
ressemblance. On allait jusqu'à vouloir lui faire
un crime d'un tableau qui était, disait-on, dans
la maison de son hôte à Orléans, et où l'on avait
peint trois femmes avec cette inscription : Justice,
Paix, Union. Elle répondit qu'elle ne l'avait pas
vu (45).
« Savez-vous, lui dit alors le juge, que ceux de
votre parti aient fait dire des messes ou des prières
en votre honneur ?
— Je n'en sais rien, et s'ils l'ont fait, ce n'est
point par mon commandement. Toutefois, s'ils
ont prié pour moi, il m'est avis qu'ils n'ont pas
fait mal.
— Ceux de yotre parti croient-ils fermement que
vous êtes envoyée de Dieu ?
— Je ne sais s'ils le croient ; je m'en attends à leur courage (conscience); mais s'ils ne le croient,
je n'en suis pas moins envoyée de Dieu.
— Pensez-vous qu'en croyant que vous êtes
envoyée de Dieu ils aient bonne croyance ?
— S'ils croient que je suis envoyée de Dieu, ils
n'en sont point abusés.
— Connaissiez-vous les sentiments de ceux de
votre parti quand ils tous baisaient les pieds, les
mains et les vêtements ?
— Beaucoup de gens me voyaient volontiers, et
ils baisaient mes mains le moins que je pouvais ;
mais les pauvres gens venaient volontiers à moi parce que je ne leur faisais point de déplaisir, mais
les supportais selon mon pouvoir.
— Quelle révérence vous ont faite ceux de Troyes à l'entrée de la ville ?
— Aucune, et, autant que je pense, frère Richard
est entré à Troyes avec nous.
— Frère Richard n'a-t-il point fait un sermon à
votre arrivée dans la ville ?
— Je ne m'y arrêtai guère, je n'ai point couché
dans la ville; quant au sermon je n'en sais
rien.
— N'avez-vous pas été plusieurs jours à Reims ?
— Je crois que nous y fûmes quatre ou cinq
jours.
— N'avez-vous point levé quelque enfant des
fonts de baptême (46) ?
— J'en ai levé un à Troyes, mais de Reims je n'ai point de mémoire, ni de Château-Thierry. J'en
ai levé aussi deux à Saint-Denis, et je nommais volontiers les fils Charles pour l'honneur du roi,
et les filles Jeanne, et quelquefois selon que les
mères voulaient.
— Les bonnes femmes de la ville ne touchaient-elles
point de leurs anneaux l'anneau que vous
portiez ?
— Maintes femmes ont touché mes mains et
mes anneaux, mais je ne sais point leur intention (47). »
Après d'autres questions sur les gants que le roi
portait au sacre, sur son étendard qu'elle portait
elle-même près de l'autel à cette cérémonie, on lui demanda si, quand elle allait par le pays, elle recevait
souvent le sacrement de confession et le
sacrement de l'autel.
« Oui, dit-elle.
— Les receviez-vous en habit d'homme ?
— Oui, mais je n'ai point mémoire de les avoir
reçus en armes. »
Que faisaient les armes ? c'était assez de l'habit
pour qu'elle demeurât convaincue de sacrilége par
son aveu. Aussi ne lui en demanda-t-on point davantage.
On lui parla de la haquenée de l'évêque
de Senlis : autre profanation; elle l'avait prise
comme cheval de guerre ! Il est vrai qu'elle l'avait
achetée 200 saluts (2400 fr. environ). L'évêque
avait-il été payé ? Au moins avait-il reçu mandat pour l'être; mais d'ailleurs elle lui avait écrit qu'elle
lui rendrait son cheval, s'il voulait : qu'elle ne
s'en souciait pas, que la bête ne valait rien pour
la peine (48).
L'interrogatoire révéla un fait que l'histoire n'a
point mentionné, et sur lequel Jeanne s'explique
avec une simplicité qui n'ôte rien à la vertu de sa prière. On lui demanda quel âge avait l'enfant
qu'elle avait ressuscité à Lagny. Elle répondit qu'il
avait trois jours. On le porta devant l'image de la sainte Vierge, et on lui dit à elle que les jeunes
filles de la ville étaient devant cette image : on
l'invitait à y aller elle-même prier Dieu et Notre
Dame de rendre la vie à l'enfant. Elle y alla, et
pria avec les autres ; et finalement il donna signe
de vie et bâilla trois fois. Il fut baptisé et aussitôt
mourut et fut mis en terre sainte. « Et il y avait
trois jours, comme on disait, ajouta-t-elle, que
l'enfant n'avait donné signe de vie, et il était noir
comme ma cotte ; mais quand il bâilla, la couleur
lui commença à revenir. » Tout ce que Jeanne dit d'elle-même en ce récit, c'est qu'elle était avec les
jeunes filles à genoux devant Notre Dame, faisant
sa prière.
« N'a-t-on pas dit par la ville que c'est vous qui
avez fait faire cela, et que cela se fit à votre
prière ?
— Je ne m'en informai point (49). »
Après cela, on lui parla de Catherine de la
Rochelle, cette femme qui voulut faire l'inspirée,
et à qui Jeanne conseilla bonnement de retourner à son mari et de faire son ménage. Jeanne raconta
l'entrevue qu'elle eut avec elle, comme elle s'offrit
d'être témoin de ses visions, et comme elle ne
vit rien (50).
Puis on en vint à ce siège de la Charité, où Catherine
ne lui conseillait point d'aller, parce qu'il
faisait trop froid; où Jeanne était allée pourtant,
mais sans succès : c'est un échec que l'on opposait
victorieusement à son inspiration.
« Pourquoi, lui dit-on, n'y êtes-vous pas entrée,
puisque vous aviez commandement de Dieu ?
— Qui vous a dit que j'avais commandement d'y
entrer ?
— N'avez-vous pas eu conseil de votre voix ?
— Je voulais venir en France, mais les gens
d'armes me dirent que c'était le mieux d'aller devant
la Charité premièrement (51). »
On l'interrogea enfin sur son séjour à Beaurevoir.
Elle raconta comme elle avait voulu s'en échapper, sautant du haut de la tour malgré ses
voix, et comment sainte Catherine l'avait consolée
en lui disant qu'elle guérirait et que ceux de Compiègne auraient secours. On voulait faire de cette
tentative d'évasion une tentative de suicide. On lui
demanda, pour en insinuer l'intention, si elle
n'avait point dit qu'elle aimerait mieux mourir que
d'être en la main des Anglais.
« J'ai dit, reprit-elle, sans se soucier du piège,
que j'aimerais mieux rendre l'âme à Dieu que
d'être en la main des Anglais. »
On termina par l'accusation la plus étrange. On
prétendait qu'en reprenant ses sens elle s'était
courroucée et avait blasphémé le nom de Dieu.
Et de même qu'en apprenant la défection du capitaine,
de Soissons elle avait renié Dieu :
« Je n'ai, répondit-elle, jamais maugréé ni
saint ni sainte, et je n'ai point coutume de jurer (52).»
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes :
1 9 janvier, Procès, t. I, p. 5. Les ecclésiastiques réunis sont,
avec ceux qui ont été nommés, Raoul Roussel, trésorier de la cathédrale,
Nicolas de Venderez, R. Barbier et Nicole Coppequesne,
chanoines de la cathédrale. N. de Venderez avait failli devenir archevêque
de Rouen en 1423, et avait quelques prétentions encore
au siége vacant. — Actes antérieurs : ibid., p. 4 et 8-26.
2 Il demeurait chez un chanoine dont la maison était proche de
Saint-Nicolas-le-Painteur. (Procès, t. I, p. 24, et t. II, p. 11.)
3 13 et 23 janvier : t. I, p. 27. Présents, l'abbé de Fécamp,
N. de Venderez, G. Haiton, Coppequesne, La Fontaine et Loyseleur.
4 13 février : Les docteurs de Paris : t. I, p. 29. Voy. M. J. Quicherat,
ibid., et Aperçus nouveaux, p. 103 et suiv.
Absence de
l'inquisiteur : L'inquisiteur Le Graverend était alors occupé d'un
autre procès dans le diocèse de Coutances (Ch. de Beaurepaire;
Recherches, etc., p. 80.
Le vice-inquisiteur: t. I, p. 31-36.
A proprement parler, dit M. Ch. de Beaurepaire, il n'y avait pas en
France de tribunaux de l'Inquisition, mais une forme de procéder
inquisitoriale. Ainsi l'inquisiteur n'a point de prétoire particulier,
point de prisons, point d'officiers spéciaux pour la recherche ou
la poursuite des crimes. Il intervient sur l'appel de l'ordinaire ; il
lui prête le concours de sa science théologique, il emprunte, quand
il en est besoin, ses agents à l'officialité, et ne réserve, en général,
aux religieux de son ordre que la mission d'amener à résipiscence
les prévenus, et de signaler publiquement au peuple leurs erreurs.
On eût supprimé l'inquisition, que l'on n'eût probablement rien
changé ni à la forme de procéder, ni à l'intolérance des esprits, ni
aux terribles suites des condamnations en matière de foi dont il
faut accuser surtout la société civile, puisque, dans les sentences
mêmes qui livraient les hérétiques au bras séculier, on ne manquait
pas, les formes valant encore mieux que les hommes, d'implorer à
l'égard des condamnés la clémence et la douceur (Recherches, etc., p. 83, 84). »
5 Assignation, etc. : t. I, p. 40-43.
6 Assesseurs de la 1re séance publique : Ils sont pour la plupart
ou de Paris ou de la province de Rouen : Gilles, abbé de Fécamp,
Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Châtillon, chanoine d'Évreux, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Jean
de Nibat, Jacques Guesdon, Jean Fabri ou Lefebvre, depuis évêque
de Démétriade, Maurice, du Quesnay, G. Lebouchier, P. Houdenc,
Pierre Maurice, Richard du Prat (Prati) et G. Feuillet, docteurs en
théologie ; Nicolas de Jumièges, G. de Conti, abbé de Sainte-Catherine,
et G. Bonnel, abbé de Cormeilles, Jean Garin, chanoine,
Raoul Roussel, docteur utriusque juris, G. Haiton, N. Coppequesne,
Jean Lemaître, Richard de Grouchet, P. Minier, J. Pigache,
R. Sauvage, bacheliers en théologie; Robert Barbier,
D. Gastinel, J. Ledoux. N. de Venderez, J. Basset, J. de La Fontaine,
J. Bruillot, A Morel, J. Colombelle, Laurent Dubust et
R. Auguy, chanoines de Rouen ; André Marguerie, Jean Alespée,
Geoffroy du Crotay, Gilles Deschamps, licenciés en droit civil, t. I,
p. 38-40.
7 Serment: t. I, p. 45.
8 Serment: t. I, p. 46. Ibid., p. 47. La demande de la récitation
du Pater et du Credo à l'accusé au commencement de l'instance était dans les usages de l'Inquisition. Voy. Llorente, Hist. de l'Inquisition,
ch. IX art. 5: t. I, p. 303.
9 Procès : t I, p. 47.
10 Scandales de la 1re séance: t. III, p. 135 (Manchon) ; t. II, p. 12
(le même).
11 Cf. sur ce mot Froissart, IV, 63, t. III, p. 316 de l'édition du
Panthéon littéraire.
12 2e séance ; nouveaux assesseurs : Jean Pinchon, chanoine,
l'abbé de Préaux (Jean Moret), frère G. l'Ermite, G. Desjardins,
Robert Morellet et Jean Le Roy, chanoines, t. I, p. 49.
13 Procès, t. I, p. 50.
14 Ibid., p. 51.
15 t. I, p. 51-56: « Dum esset ætatis XIII annorum ipsa habuit
vocem a Deo. Interrogata qualiter videbat claritatem quam ibi
adesse dicebat cum illa claritas esset a latere : nihil ad hoc respondit,
sed transivit ad alia. Dixit præterea quod si ipsa esset in uno
nemore, bene audiret voces venientes ad eam, etc. » Nous abrégeons
ici cette déposition de Jeanne dont nous avons reproduit les détails
en leur lieu dans l'histoire.
16 t. I, p. 51-56 : « Dixit etiam quod illi de parte sua bene cognoverunt
quod vox eidem Johannee transmissa erat ex parte Dei, et
quod viderunt et cognoverunt ipsam vocem, asserens ipsa Johanna
quod hoc bene scit. Ultra dixit quod rex suus et plures alii audiverunt
et viderunt voces venientes ad ipsam Johannam; et ibi
aderat Karolus de Borbonio et duo aut tres alii. » — Nous reviendrons
sur plusieurs points de cet interrogatoire.
17 t. I, p 55.
18 3e séance; nouveaux assesseurs: Jean Charpentier, Denis de
Sabeiras, G. de Baudrebois, Nicole Medici, R. Legaigneur (Lucratoris),
les abbés de Saint-Ouen et de Saint-Georges, les prieurs de
Saint-Lô et de Rigy, J. Duquemin, R. de Saulx, Bureau de Cormeilles,
M. de Foville ; t. I, p. 58. — Débat sur le serment : ibid.,
p. 60.
19 Procès, t. I, p. 62.
20 t. I, p. 63, 64.
21 t. I, p. 64, 65: « Ipse loquens præsens dixit quod non erat
conveniens quæstio tali mulieri, » t. II, p. 367 (Fabri) ; — « quod
erat maxima quæstio et quod ipsa Johanna non debebat respondere
dictæ quæstioni ; ipse episcopus Belvacensis eidem loquenti
dixit : «Melius vobis fuisset si tacuissetis, » t. III, p. 175 (le même). — « De quo responso interrogantes fuerunt multum stupefacti, et
illa hora dimiserunt, nec amplius interrogaverunt pro illa vice, »
ibid., p. 163 (G. Colles). Il faut l'entendre d'une simple suspension
de l'interrogatoire.
22 t. I, p. 66-68: « An vox dixerit ei, dum juvenis esset, quod
adiret Burgundos : respondit quod, postquam intellexit illas voces
esse pro rege Franciæ, ipsa non dilexit Burgundos. Item dixit quod
Burgundi habebunt guerram, nisi faciant quod debent ; et hoc scit
per prædictam vocem. — An ipsa in sua juvenili setate habuit magnam
intentionem persequendi Burgundos : respondit quod habebat
magnam voluntatem seu affectionem quod rex suus haberet
regnum suum, » etc. (t. I, p. 65-68). — Sur ces points encore nous
avons reproduit en leur lieu, dans l'histoire, les principaux traits
des déclarations de Jeanne d'Arc.
23 Séance du 27 : On y trouve deux ou trois membres nouveaux :
J. De Favo, J. Le Vautier et N. Caval : mais plusieurs autres sont
absents (t. I, p. 69-71).
24 t.I, p. 71-72.
25 t.I, p. 72-74.
26 t.I, p. 74.
27 t.I, p.75.
28 t.I, 75-78.
29 t.I, p.78-80.
30 Séance du 1er mars : On y compte cinquante-huit assesseurs,
t. I, p. 80. — Sur les trois papes et la lettre de Jeanne au comte
d'Armagnac, voy. l'appendice, n°15.
31 t I, p. 83.
32 Le mot courroucé n'implique aucune idée de colère comme
dans l'acception actuelle : il se prend partout pour affligé dans notre
vieille langue. Exemple : « Les ducs de Berri et de Bourgogne s'en
vinrent à Abbeville et trouvèrent le roi en petit état de santé, dont
ils furent tous courroucés. » (Froissart, IV, 35, t. III, p. 122, col. 1,Éd. Buchon.) — « En ces vacations trépassa de ce siècle à Paris, à
la Sorbonne, ce vaillant clerc dont je parlois maintenant, maître
Jean de Gignicourt, dont le roi de France et tous les seigneurs furent
moult courroucés. » (Froissart, IV, 36, ibid., p. 194. — On
pourrait multiplier ces exemples. (Froissart, I, 29 partie, 161,
ibid., t. I, p. 470; II, 216, ibid., t. II, p. 292; IV, 30, ibid., t. III, p. 169, etc). Les expressions contestées de la lettre se trouvent
aussi dans le texte de l'Anonyme de la Rochelle (Revue historique,
t. IV, p. 331).
33 Prédiction sur les Anglais : « Arrêtons-nous ici, dit L'Averdy,
pour observer que Paris s'est soumis à Charles VII en 1436, avant
six années révolues depuis cette espèce de prédiction, et que, depuis
la mort de la Pucelle, les affaires des Anglais ont continué de plus en plus à tomber en décadence. » (Notice des manuscrits,
t. III, p. 45.) On peut remarquer d'ailleurs que le terme de sept
ans porte tout spécialement, même dans la rédaction du procèsverbal,
sur le gage que devaient laisser les Anglais, c'est-à-dire
Paris. Le reste en était la conséquence.
34 t. I, p. 84.
35 t. I, p 85, 86.
36 t. I, p. 86, 87. Voy. l'appendice n°16.
37 t. I, p. 87, 88. — Les trois mois entre l'annonce de sa délivrance
et sa mort : Goerres, La Pucelle d'Orléans, ch. xxx.
38 t. I, p. 88-90.
39 t. I, p. 90, 91.
40 Le signe du roi. Nous aurons à revenir sur ce sujet. L'explication
des paroles de Jeanne et la justification de sa conduite se
trouvent dans le mémoire composé par Th. de Leliis et présenté
aux juges de la réhabilitation, t. II, p. 35-37. L'Averdy adopte complétement
l'interprétation, et il a très-bien montré comment Jeanne,
ne pouvant révéler le signe du roi, a dû recourir à l'allégorie. (Notice
des man., t. III, p. 65-71.) Cf. Lebrun des Charmettes. t. II,
p. 409 et t. III, p. 30.
41 Séance du 3 mars : On n'y compte que quarante et un assesseurs. Érard, qui doit avoir un si grand rôle au procès par la suite,
y figure pour la première fois avec Nicole Lami. Gilles Quenivet et
Rolland l'Écrivain, t. I, p. 91-93.
42 t. I, p. 94.
43 t. I, p. 94-96.
44 t. I, p. 96-98.
45 t. I, p. 99-101.
46 Nous dirions, selon nos usages, tenu sur les fonts de baptême.
47 t. I, p. 101-103.
48 Les gants du sacre : Interroguée qu'elle fist à Rains des gans
où son roy fut sacré : respond : « Il y oult une livrée de gans pour
bailler aux chevaliez et nobles qui là estaient. Et en y oult ung qui
perdit ses gans; » mais ne dist point qu'elle les feroit retrouver, etc. T. I, p. 104, 105.
49 t. I, p. 105.
50 Catherine de la Rochelle, t. I, p. 106-109. Voy. ci-dessus, t. I,
p. 316.
51 Procès, t. I, p. 109.
52 t. I, p. 109-110.
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