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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice
2 : Complot de Bedford et Glocester contre la vie du Duc de
Bourgogne |
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M.
Michelet a cru en pouvoir tirer la preuve d'une pièce cotée
dans l'inventaire de la Chambre des Comptes, t.VIII, an 1424,
aux archives de Lille, pièce qui avait disparu, et qu'il
supposait soustraite et enfouie peut-être en quelque manoir
d'Angleterre. La pièce n'était qu'égarée,
perdue, on ne sait comment, avec d'autres pièces relatives
au même fait, dans une liasse de la commune de Lincelle. Elles
sont aujourd'hui, les unes comme les autres, à leur place
aux dites archives, où M. Kervyn de Lettenhove les a de nouveau
signalées, où nous avons pu les consulter après
lui ; et depuis, le conservateur de ce riche dépôt,
N. Desplanques (aujourd'hui décédé), en a fait
l'objet d'une intéressante lecture dans la réunion
annuelle des sociétés savantes à la Sorbonne
(1865). De ces divers documents, il résulterait que Glocester
avait d'abord proposé à Bedford d'enlever le duc de
Bourgogne dans un de ses voyages à Paris. Mais la tentative
ayant paru trop aventureuse, on forma le projet de le faire tuer
dans des joutes où le coup aurait pu être rapporté
au hasard. Enfn, le duc de Bourgogne ne s'étant point rendu
au tournoi donné par les princes anglais, Bedford le vint
trouver à Hesdin dans l'espoir de le ramener avec lui jusqu'au
Crotoy. Cinq cents hommes, placés en embuscade, l'attendaient
sur la route.
Deux autres lettres, signées de Suffolk, parlent
: l'une, d'un projet d'empoisonnement du duc de Bourgogne arrêté
à Paris et accepté par le conseil privé d'Angleterre
; l'autre, d'une extension de ce même complot menaçant
non seulement le duc de Bourgogne, mais le duc de Bretagne et toute
sa race.
Mais quelle est l'origine de ces diverses pièces
? On trouve dans les mêmes archives deux dépositions
d'un certain Guillaume Benoît, ancien serviteur de Suffolk.
Dans la première, mis en jugement en 1427, il confesse avoir
fabriqué les unes et concouru à fabriquer les autres
avec Richemont lui-même ou ses agents. Dans la seconde, tout
en impliquant Richemont en partie dans le faux, il persiste à
accuser de ces complots les princes anglais. Peut-on le croire ?
M. Desplanques répond oui. Il dit que ni Glocester ni Suffolk,
sans doute, n'ont écrit les pièces qu'on leur impute
pour les charger de ces menées infâmes, mais qu'après
tout ils en étaient bien capables ; que Guillaume Benoît
n'a pas inventé ces machinations ; que seulement, pour y
faire croire, il a forgé les pièces qui lui manquaient.
Il nous paraît plus sûr, en matière
si grave, de conclure que s'il a forgé les pièces
en vue du complot, il a bien pu imaginer aussi le complot même.
Nous ne nions pas la haine de Glocester, sinon de Bedford, à
l'égard du duc de Bourgogne, et nous reconnaissons que sa
haine aurait pu trouver de l'appui, entre ce prince aux mœurs
dissolues, dans la jalousie maritale de Suffolk et de Salisbury.
On a donc pu, sans trop d'invraisemblance, lui prêter des
projets homicides. On l'a fait : il y en a trace, non pas seulement
dans ce procès dont le duc de Bourgogne a conservé
les pièces en ses archives, mais dans un autre document émané
du duc de Bretagne, et qui se trouve aux archives de Dijon. Cette
pièce, qui parait être le contre-coup des rapports
de G. Benoît et de ses intrigues plus ou moins avérées
avec les affidés de Richemont, est une lettre par laquelle
le duc de Bretagne charge son chancelier d'inviter le duc de Bourgogne
à se joindre à lui pour résister à l'Anglais,
lequel a formé le dessein de les tuer tous les deux comme
il en est instruit par la comtesse de Suffolk (1).
Ainsi ces bruits étaient répandus ; mais nous n'avons
que des pièces avouées fausses, ou les déclarations
du faussaire pour en faire la preuve. Ce n'est pas sur de pareils
garants qu'on les peut accueillir. Ce qu'on doit en retirer pourtant,
c'est que, à tort ou à raison, le duc de Bourgogne
était mis en défiance contre les projets des Anglais.
Que ce soit à tort, nous le croyons, mais pour le duc, le
point n'était pas éclairci ; et, jusqu'à preuve
contraire, c'était bien assez pour le refroidir envers eux.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes :
1 "Mémoire et
instructions données au chancelier de Bretagne, envoyé
au duc de Bourgogne de la part du duc de Bretagne pour le prier
de se joindre à lui pour résister à l'Anglais
lequel a conçu le dessein de les tuer tous les deux, selon
les leltres de la comtesse de Suffolk. II s'y trouve joint un
avis secret donné au duc par le comte de Richemont, connétable
de France, et contenant que le susdit chancelier a toujours tenu
le parti des Anglais. (sans date : environ 1426). Gachard, Archives
de Dijon. (Layette LXXV, liasse 1, n°5, n°115, p.60.)
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