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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 45 : La campagne de Paris |
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La campagne de Paris était-elle dans la mission de
Jeanne d'Arc ?
Je ne sais pourquoi l'on veut, par crainte
de compromettre la mission de Jeanne d'Arc, prétendre
qu'elle l'outre-passait en voulant délivrer Paris. Elle ne
paraît pas en avoir jugé de la sorte, si l'on en croit des
témoins qui répètent ce qu'ils ont ouï d'elle-même : « Et fit
venir le vin et me dit qu'elle m'en feroit bientost boire à
Paris, » dit le jeune comte de Laval, parlant de son entrevue
avec elle avant Jargeau (8 juin 1429) (Procès, t. V,
p. 107) ; et les trois gentilshommes angevins écrivent de
Reims le jour du sacre : « Demain s'en doist partir le roy,
tenant son chemin vers Paris. La Pucelle ne fait doubte
qu'elle ne mette Paris en l'obéissance (t. V, p. 130 ; cf.
Eberhard de Windecken, (ibid., t. IV, p. 500). » Et Alain
Chartier, bien instruit de ce qui se passait à la cour, dans
une lettre écrite à la fin du même mois (juillet, 1429), résumait,
peut-être d'après ce qu'il avait entendu dire, la
mission de Jeanne dans les termes que l'on a vus ci-dessus.
Quand et comment le roi devait-il entrer dans Paris ? Cela
ne lui était pas révélé ; et, par exemple, elle n'avait pas eu
commandement de ses voix pour tenter l'assaut du 8 septembre
: « Ce ne fut ni contre ni par le commandement de
mes voix », dit-elle (t. I, p. 169 ; cf. un autre texte, t. I,
p. 147 cité plus haut). Mais cette déclaration s'applique à
l'assaut du 8 septembre et non à la délivrance de Paris en
général. Elle voulait si bien prendre Paris, que, blessée,
elle ne prétendait pas quitter l'assaut; et qu'emportée par
les autres, elle se récriait encore, disant, au témoignage
de Perceval de Cagny: « La place eût été prise (t. IV, p. 26). » Et cela était si bien dans le plan de sa mission,
que les voix (ici c'est son propre témoignage au procès) lui
commandaient, après cet échec causé par une retraite précipitée,
de rester à Saint-Denis : « Quod vox dixit ei quod
maneret apud villam sancti Dionysii in Francia ipsaque
Johanna ibi manere volebat. » Pourquoi rester à Saint-Denis, sinon pour renouveler l'attaque ? Mais les seigneurs
ne le voulurent pas. « Sed contra ipsius voluntatem domini
eduxerunt eam. » (T. I, p. 57.) Ce n'est pas son inspiration
qui lui fait défaut, mais la volonté de la cour.
Comment donc M. du Fresne de Beaucourt entend-il qu'à
Saint-Denis « les voix l'exhortèrent à ne pas poursuivre ? »
(Correspondance littéraire, 25 avril 1860, p. 277, dans un
article sur mon ouvrage.) Les voix lui disent de rester.
Est-ce quand il est question d'aller à l'assaut ? Non, c'est
quand il s'agit d'abandonner l'expédition. Rester, c'était
donc la poursuivre ; et elle le dit assez clairement : « Si je
n'avais été blessée, je ne m'en serais point allée : « Si tamen
non fuisset læsa, non inde recessisset ; » et ses juges l'ont
si bien compris ainsi, qu'ils lui reprochent d'avoir désobéi à ses voix en quittant Saint-Denis après (et non avant)
l'attaque de Paris : « Item quod dicta Johanna fatetur se
frequenter fecisse contrarium illius quod sibi præceptum fuerat per illas revelationes quas jactat se habere a Deo :
ut puta quando recessit a sancto Dionysio post insultum
Parisiensem ; » à quoi elle répond qu'elle en eut congé
alors. (T. I, p. 259-260 dans le 37e des 70 articles.)
Je puis prendre occasion de cette note pour relever quelques
assertions que l'on trouve sur le même sujet dans les
Lettres de M. le marquis de Gaucourt à M. H. Martin.
L'auteur veut aussi réduire la mission de Jeanne d'Arc aux
faits d'Orléans et de Reims, retranchant ce qu'elle n'a pas
accompli. J'ai dit ce que je pensais de ce procédé, combien
il me semblait contraire à la critique et peu réclamé par
la foi en l'inspiration divine de Jeanne d'Arc. C'est Jeanne
elle-même qui nous a dit et ce qu'elle était appelée à faire,
et ce qu'elle ferait. Si elle n'a pas fait tout ce qu'elle était appelée à faire, ce n'est pas à elle d'en répondre, mais à
ceux qui ne l'ont pas voulu suivre.
C'est donc sans fondement que l'auteur distingue dans
sa vie une période d'inspiration divine et une période
d'inspiration propre. Et du reste, après avoir dit que dans
cette dernière période « elle ne reçoit plus d'inspirations précises, actuelles, impératives, sur les prises des villes et
sur les combats, » il ajoute : « Elle veut rester à Saint-Denis où sa voix lui dit de rester. » Nous le demandions
tout à l'heure : que voulait dire l'ordre de rester à Saint-Denis, sinon de ne pas renoncer à prendre Paris ? Si
l'assaut du 8 septembre ne lui était pas expressément
commandé, si elle y alla sans commandement de ses voix, à la requête des seigneurs, ce ne fut point malgré elle
pourtant, comme le dit M. de Gaucourt (p. 111) : car l'entreprise
n'en était pas moins implicitement dans sa mission,
comme menant à « bouter les Anglais hors de toute
France. » (Lettre de Jeanne à Bedford avant le siége d'Orléans,
Procès, t. V, p. 97). M. de Gaucourt n'a point cité
parmi les témoignages de Jeanne sur sa mission cette lettre à Bedfort, pièce capitale dans le débat, comme il le reconnaît
ailleurs : car elle appartient à la première période des campagnes de Jeanne d'Arc, et à l'un des moments les plus
solennels sans contredit, « puisqu'elle annonce sa mission
non pas à ses amis, mais à l'ennemi (p. 110). » Voilà pour
l'affaire de Paris. Quant à la délivrance du duc d'Orléans,
ce que dit l'auteur qu'il s'agissait d'une simple négociation
et non d'une expédition, est fondé sur une fausse interprétation
du texte. Les mots « quod ipse (rex), dimitteret eam
agere de illis dominis Angliæ qui erant prisonarii, » ne
veulent pas dire, comme le traduit l'auteur, p. 77, « qu'il
ait à l'envoyer agir sur les seigneurs d'Angleterre, qui étaient alors prisonniers », mais « qu'il la laissât traiter
de l'échange des seigneurs anglais qui étaient prisonniers. »
Il s'agissait bien toujours d'une négociation, mais, à défaut de libération pacifique, d'une délivrance par la force, d'une
expédition véritable : « Et si non cepisset satis extra, ipsa transiisset mare, pro eundo quæsitum in Anglia cum potentia ; » ou, comme dit le texte français : « Et se elle n'eust
prins assez prinse de ça, elle eust passé la mer pour ce
aler querir à puissance en Angleterre » (Quicherat, t. I,
p. 133). On ne s'explique pas comment l'auteur n'a pas
remarqué ces lignes qui précèdent immédiatement celles
qu'il a traduites. On s'explique moins encore que dans le
passage d'Alain Chartier : « Fac... coronato Parisius
reddas, regnumque restituas, » il ait pris restituas pour un
futur (p. 96) : ce qui change la mission donnée à Jeanne en
une prédiction démentie par l'événement.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
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