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Chronique
de l'établissement de la fête du 8 mai
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6ème partie |
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tem, ce voyant monseigneur l'évesque d'Orléans
avec tout le clergié, et aussi par le moyen et ordonnance
de monseigneur de Dunois, frère de monseigneur
le duc d'Orléans, avec le conseil d'iceluy, et
aussi les bourgeois, manans et habitans dudit Orléans,
fut ordonné estre faicte une procession le huitiesme dudit may, et que chacun y portast lumière, et que
on iroit jusques aux Augustins, et partout où avoient
esté le estour, on y feroit stacions et service propice
en chacun lieu, et oroisons, et les douze procureurs
de la ville auroient chacun ung sierge en leur main
où seroient les armes de la ville, et qu'il en demourroit
quatre à Sainte-Croix, quatre à Saint-Evurtre et
quatre à Saint-Aignan ; et aussi que le dit jour seroient dictes vigilles audit Saint-Aignan et le landemain messe pour les trespassés, et là seroit offert pain et
vin, et chacun procureur huit deniers parisis à l'offrande
; et seroient portées les châsses des églises, en
espécial celle de monseigneur Saint Aignan, celle de
monseigneur Saint Evurtre, lesquieulx furent moyens
et protecteurs de ladicte cité et ville d'Orléans ; car en iceluy temps fut récité par aucun des Anglois estant
pour lors audit siège, avoir veu durant iceluy
siège deux prélas en abbit pontifical aller et circuir
en cheminant par sus les murs de ladicte ville d'Orléans.
Aussi autrefoiz ont esté gardes ou protecteurs
lesdits sains monseigneur Saint Evurtre et monseigneur
Saint Aignan de la dicte ville d'Orléans, au
temps que vindrent devant icelle les mescréans ; car à
la prière et requeste d'iceulx sains faicte envers Dieu,
ladicte ville fut préservée des mains desdits mescréans,
et en approchant à icelle, comme raconte l'istoire,
furent tous évuglez ad ce qu'ilz n'eurent puissance de
mal faire à la dicte ville entre cy et Saint-Loup.
On ne peult trop louer Dieu et les sains, car tout
ce qui a esté fait, ce a esté tout par la grâce de Dieu ;
ainsi donc on doit avoir grant dévocion à ladicte procession,
mesmement ceulx de ladicte ville d'Orléans,
attendu que ceulx de Bourges en Berry en font solemnité,
mais ils prenent le dimenche après l'Ascencion,
car celuy an estoit le dimenche ladicte Ascencion (1).
Et aussi plusieurs autres villes en font solempnité, car
si Orléans fust cheu entre les mains desdits Anglois,
le demourant du royaulme eust esté fort blécié. Et
pour tant, en recognoissant tousjours la grant grace
laquelle Dieu a voulu faire et démonstrer en ladicte
ville d'Orléans, en la gardant des mains de ses ennemis,
soit continuée et non pas delaissée ladicte saincte et dévote procession, sans cheoir en ingratitude, car
par icelle viennent beaucoup de maulx. Chacun est
tenu d'aller à ladicte procession et porter luminaire
ardant en sa main.
On revient autour de la ville, c'est
assavoir par devant l'église Nostre-Dame-de-Saint-Pol, et là fait on grande louenge à Nostre Dame ; et de
là à Saincte-Croix, et le sermon là, et la messe après,
et aussi, comme dessus, les vigilles au dit Saint-Aignan,
et le landemain messe pour les trespassez. Et pour ce, soit ung chacun averti de louer et de
remercier Dieu, car par aventure il y a pour le présent
de jeunes gens qui à grant paine pourroient ilz
croire ceste chose ainsi advenue, mais croiez que c'est
chose vraye et bien grant grace de Dieu ; car durant
ledit siège, oncques n'y eut aucune division entre les
gens d'armes et ceulx de la ville, non obstant que par avant ilz se entre-hayoient comme chiens et chas ;
mais quant ils furent avec ceulx de la ville, ils estoient
comme frères, et aussi ceulx de la ville ne leur
faisoient avoir aucune nécessité ou souffreté à leur pouvoir, en quelque manière que ce fust.
Et par le
bon service que ont fait les manans et habitans de ladicte
ville d'Orléans, sont et seront en la bonne grâce
du roy, lequel leur a de fait montré et monstre de
jour en jour, comme il appert par la teneur des beaulx
privileiges lesquieulx il leur a donné.
Item. Ce voyant, par Mgr l'évêque d'Orléans avec tout le clergé, et aussi par l'intermédiaire et l'ordonnance de Mgr de Dunois frère de Mgr le duc d'Orléans, et du conseil d'icelui, et aussi de l'avis des bourgeois, manants et habitants d'Orléans, il fut statué qu'une procession serait faite le huitième de mai ; que chacun y porterait lumière, qu'on irait jusqu'aux Augustins, et partout où avait été le combat ; on ferait station en chacun lieu, service convenable et oraisons ; les douze procureurs de la ville auraient chacun en leurs mains un cierge où seraient les armes de la ville ; il en demeurerait quatre [des cierges] à Sainte-Croix, quatre à Saint-Euverte, quatre à Saint-Aignan ; le lendemain messe pour les
trépassés et là serait offert pain et vin, et chaque procureur donnerait à
l'offrande huit deniers parisis ; on porterait les chasses de Mgr saint
Aignan, et de Mgr saint Euverte, les médiateurs et les protecteurs de la
cité et de la ville d'Orléans. En ce temps, en effet, plusieurs Anglais, qui étaient au siège, affirmèrent avoir vu, durant le siège, deux prélats en
habits pontificaux aller en cheminant autour des murs de la ville. Aussi
avaient-ils été, Mgr saint Euverte et Mgr saint Aignan les gardes, et les
protecteurs de la ville d'Orléans, au temps que les mécréants vinrent devant icelle ; car, à la prière faite à Dieu par ces saints, la ville fut préservée des mains desdits mécréants ; et en en approchant, comme rapporte l'histoire, ils furent tous aveuglés, en sorte qu'ils n'eurent point puissance de mal faire entre ici et Saint-Loup.
On ne peut trop louer Dieu et les saints ; car tout ce qui a été fait, l'a été entièrement par la grâce de Dieu. Aussi doit-on avoir grande dévotion à ladite procession, surtout ceux de la ville d'Orléans, attendu que ceux de Bourges-en-Berry en font solemnité ; mais ils prennent le dimanche après l'Ascension (car en l'année de la délivrance, c'était ce dimanche) (2).
Plusieurs autres villes en font aussi solennité, car si Orléans fût tombé entre les mains des Anglais, le demeurant du royaume en eût été fort blessé. Ainsi, par reconnaissance pour la grande grâce que Dieu a voulu faire et démontrer en la gardant des mains de ses ennemis, que ladite
sainte et dévote procession soit continuée et non pas délaissée, sans
tomber en ingratitude, par laquelle viennent beaucoup de maux. Chacun
est tenu d'aller à ladite procession, et de porter luminaire ardent en sa
main.
On revient autour de la ville, c'est à savoir par devant l'église Notre-Dame de Saint-Paul, et là on fait grande louange à Notre-Dame, et de là à Sainte-Croix, et là le sermon, et la messe après ; et aussi comme
dessus, les vigiles à Saint-Aignan, et le lendemain messe pour les trépassés.
Et, pour cela, qu'un chacun soit averti de louer et de remercier Dieu,
car, par aventure, il y a pour le présent des jeunes gens qui pourraient à
grand'peine croire que les choses soient ainsi advenues ; mais croyez que
c'est chose vraie, et bien grande grâce de Dieu. Car durant le siège, il n'y eut jamais aucune division entre les gens
d'armes et ceux de la ville, quoique par avance ils s'entre-haïssaient
comme chiens et chats ; mais lorsqu'ils furent avec ceux de la ville, ils
furent comme frères ; et aussi ceux de la ville ne les laissaient, à leur
pouvoir, endurer nécessité ou souffrance, en quelque manière que ce fût.
Et à cause du bon service qu'ont fait les manants et les habitants de la
ville d'Orléans, ils sont et seront en la bonne grâce du roi, qui de fait le
leur a montré et le leur montre de jour eu jour, ainsi que c'est manifeste
par la teneur des beaux privilèges qu'il leur a donnés.
Sources : Texte original : Jules Quicherat - t.V, p.285 à 299.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.296 à 309.
Notes :
1 Suppléez après entre les mots dimanche et ladite ascension, ou tout
autre équivalent qui épargne à l'auteur la faute d'avoir fait tomber l'ascension
un dimanche. Il veut dire que les habitants de Bourges faisaient la fête d'Orléans
le dimanche après l'Ascension, parce que la délivrance était tombée ce
jour-là, célébrant ainsi l'anniversaire, non pas à son quantième, mais à sa
férie. Le fait se trouve ainsi rapporté d'après les registres capitulaires de la cathédrale de Bourges, dans l'Histoire du Berry (t. III, p. 25) publiée récemment par M. Raynal : « La procession dite de la Pucelle avait lieu tous les ans à Bourges, le dimanche le plus rapproché de l'anniversaire de son supplice. Elle se rendait à travers la ville, de la cathédrale à l'église des frères Prêcheurs. » Notre texte fournit de quoi corriger ce qu'il y a d'inexact
dans ce passage. (Quicherat)
2 Ce membre de phrase ne se trouve pas dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg. (Ayroles)
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