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L'abréviateur du procès
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p. 12 à 14 du ms. |
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R FAULT IL retourner a mon propos.
Le roy, voyant qu'il estoit tres neccessaire de promptement secourir
ceulx qui estoyent assiegez dedens la ville d'Orléans, il assembla son conseil,
auquel fut appellee ladicte Jhenne, pour adviser comment on pourroit
secourir et envitailler les assiegez. Laquelle chose elle entreprint faire se
on luy voulloit bailler des gens d'armes. Le roy oult conseil avec ses
cappitaines, lesquelz voyans et considerans la grande neccessité en quoy
estoyent lesdits assiegez, la grande prosperité des Angloys, qui tousiours
eu paravant estoyent venuz a chef de toutes leurs entreprinses, et l'extremité
en laquelle estoyent les affaires du roy et du royaulme, ilz furent
d'oppinion que le roy debvoit faire par le conseil de ladicte Pucelle ; et
fut conclud ainsy faire. Et pour la conduire et accompaigner, luy furent
baillez les syres de Rays et de Loré. Lesquelz la menerent a Bloitz, ou
estoyent messyres Regnault de Chartres, archevesque de Rains, chancelier
de France, le bastard d'Orleans, La Hyre, Poton et aultres cappitaines, par
lesquelz ladicte Jhenne et sa compaignie furent receuz honorablement ;
et cesdits adviserent de pourveoir a toute diligence de ce qui estoit neccessaire
pour advitailler ladicte ville d'Orléans. C'est assavoir de vivres, de chariostz, charettes, chevaulx, et aultres choses requises en tel cas. Et ce
pendant que on faisoit la provision des choses dessusdictes, ladicte Pucelle
escripvit unes lectres au roy d'Angleterre, au duc de Bethfort, et aultres
syres et cappitaines du pays, dont la teneur enssuit :
[13] Jhesus Maria † (1)
Roy d'Engleterre, et vous, duc de Bethfort, qui vous dictes regent du
royaulme de France ; vous, Guillaume de la Poule, conte de Sufforlt,
Jhen, syre de Talbot, et vous, Thommas, seigneur de Scalles, qui vous
dictes lieutenant dudit Bethfort, faictes raison au Roy du ciel. Rendez
a la Pucelle, qui est envoyee de par Dieu, le Roy du ciel, les clefz de toutes
les villes que vous avez prinses et violees en France. Elle est icy venue de par
Dieu pour reclamer le sang royal. Elle est toute preste de faire paix, si
vous luy voulez faire raison, par ainsy que voulez vuider de France. Et
que amendez les dommaiges que y avez fais. Et rendez les deniers que avez
receuz, de tout le temps que l'avez tenu.
Et entre vous, archers, compaignons de guerre, gentilzhommes et aultres
qui estes devant la ville d'Orleans, allez vous en de par Dieu en vostre pays.
Et sy ainsy ne le faictes, actendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous yra
veoir bresvement a voz bien grans dommaiges.
Roy d'Angleterre, se ainsy ne le faictes, je suis chef de la guerre, et vous
asseure que, en quelque lieu que je trouveré voz gens en France, je les
combattray et les chasseray ; et ferais aller hors, veullent ou non. Et
se ilz ne veullent obayr, je les feray tous occire. Je suis ici envoyee de par
Dieu, le Roy du ciel, pour les combatre et pour les boutter hors de toute
France. Et se ilz veullent obayr, je les prendray a mercy. Et ne ayez point
en vostre oppinion de y demeurer plus ; [14] car vous ne tiendrez point
le royaulme de France de Dieu, le Roy du ciel, filz de la Vierge Marie.
Ains le tiendra Charles, le vray herithier, car Dieu, le Roy du ciel, le veult.
Et luy est revelé par la Pucelle que bien bref il entrera a Paris, en bonne
et belle compaignie. Et si vous ne voulez croire les nouvelles de par Dieu
et de par la Pucelle, je vous advise que, en quelque lieu que nous vous
trouverons, nous vous ferons et frapperons dedens. Et y ferons ung si
grand hay hay, que depuis mil ans en France n'y en eust ung si grand.
Et croyez fermement que le Roy du ciel envoira tant de force a la Pucelle,
que vous ne voz gens d'armes ne luy sçauriez nuire, ne aux gens de sa
compaignie. Et aux horions voirra l'on qui aura le meilleur droit.
Et vous, duc de Bethfort, qui tenez le siege devant Orléans, la Pucelle
vous prie que ne vous faciez point destruire. Et se vous luy faictes la raison,
encoires pourrez vous venir veoir que les Françoys feront le plus beau fait
qui oncques fut faict pour la chrestienté.
Et vous pry me faire responce si vous voulez faire paix, en la cité d'Orleans,
ou nous espoerons estre bien bref ; et se ainsy ne le faictes, de voz
groz dommaiges, vous souviengne.
Escript ce mardy de la sepmaine saincte.
Source
: Édition de "La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle".1952 - Paul Doncoeur.
Notes :
1
Le ms d'Orléans donne de ce
texte deux versions. La première, ici présente, est assez différente de la version des mss notariés. Elle est
plusieurs fois meilleure. On ne sait d'où elle provient. (Doncoeur)
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