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Journal d'un Bourgeois de Paris - index
chap.519

tem, la vigille de la Nativité Nostre-Dame en septembre, vindrent assaillir aux murs de Paris les Arminalx et le cuidoient prendre d'assault, mais pou y conquesterent, se ne fu douleur, honte et meschef, car plusieurs d'eulx furent navrez pour toute leur vie, qui par avant l'astault estoient tous sains, mais fol ne croit jà tant qu'il prent, pour eulx le dy, qui estoient plains de si grant mal eur et de si malle créance que pour le dict d'une creature qui estoit en forme de femme avec eulx, que on nommoit la Pucelle, qui c'estoit, Dieu le scet, le jour de la Saincte Nativité Nostre-Dame firent conjuration, tous d'un accord, de cellui jour assaillir Paris (1). Et s'assemblèrent bien XII mil ou plus, et vindrent [environ] heure de grant messe, entre XI et XII, leur Pucelle avec eulx et tres grant foison chariots, charettes et chevaulx, tous chargez de grans bourées à trois hars pour emplir les fossez de Paris ; et commencerent à assaillir entre la porte Sainct-Honoré et la porte Sainct-Denis, et fut l'assault tres cruel, et en assaillant disoient moult de villeines parolles à ceulx de Paris. Et là estoit leur Pucelle, à tout son estandart sur le condos des fossez, qui disoit à ceulx de Paris : « Rendez-vous, de par Jhe-sus, à nous tost, car se vous ne vous rendez avant qu'il soit [la] nuyt, nous y entrerons par force, vueillez ou non, et tous serez mis à mort sans mercy. » « Voyre, dist ung, paillarde, ribaulde ! » Et traict de son arbaleste droit à elle et lui perce la jambe tout oultre, et elle de s'enfouir, ung autre persa le pié tout oultre à cellui qui portoit son estandart; quant il se senti navré, il leva sa visiere pour veoir à oster le vireton de son pié, et ung autre lui traict, et le saigne entre les II yeulx et le navre à mort, dont la Pucelle et le duc d'Allençon jurerent depuis que mieulx ilz aymassent avoir perdu XL des meilleurs hommes d'armes de leur compaignie. L'assault fut moult cruel d'une part et d'autre, et dura bien jusques à quatre heures après disner, sans que on sceust qui eut le meilleur. Ung pou après IIII heures ceulx de Paris prin-drent cuer en eulx, et tellement les verserent de cannons et d'aure traict qui leur convint par force reculler et laisser, leur assault, et eulx en aller ; qui mieulx s'en povoit aller estoit le plus eureux, car ceulx de Paris avoient de grans cannons qui gectoient de la porte Sainct-Denis jusques par delà Sainct-Ladre largement, qui leur gectoient au dos, dont moult furent espovantez ; ainsi furent mis à la fuite, mais homme n'yssi de Paris pour les suivir, pour paour de leurs embusches. En eulx en allant ilz bouterent le feu en la granche des Mathurins, emprès les Pocherons, et mirent de leurs gens qui mors estoient à l'assault, qu'ilz avoient troussez sur leurs chevaulx, dedens cellui feu à grant foison, comme fai-soient les païens à Romme jadis. Et maudisoient moult leur Pucelle, qui leur avoit promis que sans nulle faulte ilz gaigneroient à cellui assault la ville de Paris par force, et qu'elle y ger-roit celle nuyt, et eulx tous, et qu'ilz seroient tous enrichiz des biens de la cité, et que tous seroient mis, qui y mettroient aucune deffence, à l'espée ou ars en sa maison ; mais Dieu qui mua la grant entreprinse d'Olofernes par une femme nommée Judihe ordonna par sa pitié autrement qu'ilz ne pansoient. Car l'endemain (2) y vindrent querir par sauf conduit leurs mors, et le herault qui vint avec eulx fut sarmenté du cappitaine de Paris combien il y avoit eu de navrez de leurs gens, lequel jura qu'ilz estoient bien quinze cens, dont bien Vc ou plus estoient mors ou navrez à mort. Et vray est que en cellui assault n'avoit aussi comme nulz hommes d'armes que environ XL ou L Anglois qui moult y firent bien leur devoir ; car la plus grant partie de leur charroy, en quoy ilz avoient admené leurs bourrées, ceulx de Paris leur osterent, car bien ne leur devoit pas venir de voulloir faire telle occision le jour de la Saincte Nativité Nostre-Dame.

 

                                                         

  Item. — La vigile de la Nativité de Notre-Dame, en septembre, les Armagnacs vinrent assaillir les murs de Paris qu'ils croyaient emporter d'assaut ; mais ils y gagnèrent peu, si ce n'est de la douleur, de la honte et du malheur ; car plusieurs d'entre eux en emportèrent blessures pour toute leur vie, qui auparavant étaient entièrement sains ; mais fou ne croit que lorsqu'il en tient. Je le dis pour eux, qui étaient si mal inspirés, étaient pleins d'une si folle créance, que sur la parole d'une créature en forme de femme qui était avec eux et qu'on nommait la Pucelle, — ce que c'était, Dieu le sait — le jour de la Nativité de Notre-Dame ils formèrent la résolution, tous d'un accord, d'assaillir Paris à pareil jour. Ils s'assemblèrent bien douze mille ou plus; ils vinrent sur l'heure de la grand'messe, entre XI et XII heures, leur Pucelle avec eux, menant très grand nombre de chariots, de charrettes, de chevaux, tous chargés de grandes bourrées à trois liens, pour combler les fossés de Paris. Ils commencèrent l'assaut entre la porte Saint-Honoré et la porte Saint-Denis. L'assaut fut très cruel. En assaillant, ils disaient beaucoup de vilaines paroles à ceux de Paris. Là était leur Pucelle, avec son étendard, sur le dos d'âne des fossés. Elle disait à ceux de Paris : « Rendez-vous à nous promptement de par Jésus; car si vous ne vous rendez pas avant la nuit, nous entrerons par force, que vous le veuillez ou non, et vous serez tous mis à mort sans merci. » — « Vraiment, dit quelqu'un, paillarde, ribaude ! » Et il lui envoie droit un trait de son arbalète qui lui perce la jambe d'outre en outre, et elle dut s'enfuir. Un autre perça d'outre en outre le pied de celui qui
portait son étendard. Quand celui-ci se sentit blessé, il leva sa visière pour voir à ôter le vireton, et un autre le vise, le saigne entre les deux yeux, et le blesse à mort ; ce dont la Pucelle et le duc d'Alençon jurèrent depuis qu'ils auraient aimé mieux perdre quarante des meilleurs hommes d'armes de leur compagnie. L'assaut fut très cruel de part et d'autre ; il dura bien jusques à quatre heures après dîner, sans que l'on sût qui avait l'avantage. Un peu après quatre heures, ceux de Paris prirent coeur en eux-mêmes; ils firent contre les assaillants de telles décharges de canons et d'autres machines de trait, que force leur fut de reculer, d'abandonner leur attaque, et de se retirer. Celui qui pouvait le mieux s'en aller était le plus heureux. Ceux de Paris avaient de grands canons qui largement atteignaient de la porte Saint Denis jusqu'au delà de Saint-Lazare; ils leur tiraient au dos, ce dont ils furent très épouvantés. Ils furent ainsi mis en fuite; mais personne ne sortit de Paris pour les suivre par peur de leurs embûches. En s'en allant ils mirent le teu à la grange des Mathurins, près des Porcherons. Ils jetèrent dans les flammes, ainsi que jadis le faisaient les païens à Rome, ceux de leurs gens morts à l'assaut, qu'ils avaient troussés en très grand nombre sur leurs chevaux. Ils maudissaient beaucoup leur Pucelle qui leur avait promis que sans faute ils gagneraient de force à cet assaut la ville de Paris ; qu'elle y coucherait cette nuit ; qu'eux tous aussi ; que tous seraient enrichis des biens de la cité ; que l'on mettrait à l'épée ou que l'on brûlerait dans les maisons tous ceux qui y mettraient quelque opposition ; mais Dieu, qui par une femme nommée Judith changea la grande entreprise d'Holopherne, disposa dans sa miséricorde qu'il en fût autrement qu'ils ne pensaient. Le lendemain ils vinrent sous sauf-conduit quérir leurs morts. Le héraut qui vint avec eux fut par le capitaine de Paris sommé de dire sous la foi du serment combien il y avait de blessés parmi leurs gens. Il jura qu'il y en avait bien quinze cents, dont bien cinq cents ou plus étaient morts ou blessés à mort. Il est vrai qu'en cet assaut, il n'y avait presque nul homme d'armes, si ce n'est quarante ou cinquante Anglais, qui y firent fort bien leur devoir. Ceux de Paris enlevèrent aux Armagnacs la plus grande partie de leurs charrois avec lesquels ils avaient amené leurs bourrées. Bien ne pouvait leur en prendre de vouloir faire pareille occision le jour de la sainte Nativité de Notre-Dame.

                                           
      


Source : Texte original et notes d'érudition : "Journal d'un bourgeois de Paris" - Alexandre Tuetey - 1881.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.513 à 530.


Notes (A. Tuetey) :
1 Voir la relation faire par le chapitre de Notre-Dame.

2 Le lendemain de l'assaut donné à Paris, des reliques égarées on ne sait par quel hasard furent trouvées dans les champs et offertes au chapitre de Notre-Dame par un garçon de la confrérie de S. Crépin et S. Crépinien ; le 9 décembre 1429, par décision des chanoines, ces reliques durent être soumises à l'examen de l'official.



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