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Chronique
de Jean Chartier
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Armée de gens de guerre |
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n ce mesme temps ensuivant que icellui duc d'Alençon eust acquicté ses obtages, le roy Charles de France, dont dessus est faicte mention, fist une grant armée par le moien et amonnestement de Jehanne la Pucelle, de laquelle est dessus parlé. Et manda ledit duc d'Alençon de toutes pars pour venir au service du roy, plus pour accompaigner icelle Jehanne la Pucelle que autrement. En espérance qu'elle venoit de par Dieu , plus que pour gaiges ne autre prouffit qu'ilz eussent du roy, s'asemblèrent grant compaignie de gens d'armes et d'archiers avec icellui duc d'Alençon et ladite Jehanne la Pucelle, à laquelle toutes gens d'armes avoient grant espérance : le bastard d'Orléans, le sire de Boussac, mareschal de France, le sire de Grasville, maistre des erbalestiers, le sire de Culent, admiral de France, Messire Ambrois, sire de Loré, Estienne de Vignolle dit La Hire, Gaultier de Bussac et plussieurs autres cappitaines. Lesquelz duc d'Alençon et autres dessus nommez allèrent devant la ville de Guergeau, et là se mirent à siège, et après plussieurs escarmouches firent asseoir leurs bombardes et faire plussieurs aprochemens pour gaigner et conquester icelle ville de Gergeau, laquelle tenoit le party des Angloiz, et en estoit cappitaine et garde pour le roy d'Angleterre le conte de Sufford, Anglois, et avoit en sa compaignie de six à sept cens Angloiz.
Et environ huit jours après le siège mis, fut assaillye de toutes pars et finablement fut prinse d'assault. En laquelle fut prisonnier ledit conte de Sufford, par ung escuier nommé Guillaume Regnault; lequel conte fist chevallier icellui Guillaume Regnault. Et y fut prins aussi le sire de la Poulle, son frère (1). Et y fut mort Messire Alexandre de la Poulle, son autre frère, et bien trois ou quatre cens Angloiz, et les autres prisonniers. Lesquelz prisonniers furent les plus (2) tués, sur aucuns débatz d'aucuns François, entre Gergeau et Orléans. Et se tira ladite armée audit lieu d'Orléans. Ce venu à la congnoessance du roy que ladite ville de Gergeau avoit ainssy esté prinse d'assault comme dit est, manda gens d'armes de toutes pars pour venir et soy joindre avecquez ledit duc d'Alençon, Jehanne la Pucelle et autres seigneurs et cappitaines dudit lieu d'Orléans. Et s'en vindrent logier ès champs devant la ville de Meun, sur la rivière de Loire, et gaignèrent le pont près dudit lieu sur les Angloiz. Et ce fait, y establirent garnison pour tousjours obvier aux entreprises desditz Angloiz, et pour les surmonter en conquestant sur eulx ce que injustement avoient occupé sur le royaulme de France, de longtemps et sans raison.
Le duc d'Alençon, qui avait été pris à la journée de Verneuil, venait,
en acquittant sa rançon, de délivrer ses otages et ses répondants. Le
roi Charles, sur les instances de la Pucelle, leva une grande armée, et le
duc d'Alençon manda de toutes parts des gens au service du roi, plus
pour les mettre à la suite de Jeanne la Pucelle que pour tout autre
motif ; dans l'espérance qu'elle était divinement envoyée, beaucoup plus
que pour la paye et profits à attendre du roi. Grande compagnie de gens
d'armes et d'archers vinrent pareillement joindre le duc d'Alençon et la
Pucelle, dans laquelle on mettait grande espérance. On y voyait réunis
le bâtard d'Orléans, le sire de Boussac, maréchal de France, de Culan, amiral de France, messire Ambroise de Loré, La Hire, Gaultier de
Boussac. Tous allèrent ensemble devant Jargeau, et y mirent le siège;
et après plusieurs grands engagements ils firent dresser les bombardes,
confectionner plusieurs machines d'approche, afin de conquérir cette
ville, occupée par les Anglais. Le comte de Suffolk, qui avait en sa
compagnie de six à sept cents Anglais, y commandait pour le roi
d'Angleterre.
Après environ huit jours de siège (3), la ville fut assaillie de
toutes parts et finalement emportée d'assaut. Le comte de Suffolk fut
fait prisonnier par un écuyer nommé Guillaume Regnault, que ledit
comte fit chevalier; fut pris comme lui son frère
le sire de La Poule; son autre frère Alexandre de La Poule fut tué avec
d'autres Anglais au nombre de trois à quatre cents ; les autres furent
faits prisonniers ; la plupart de ces derniers furent tués par suite de
débats survenus parmi les Français entre Jargeau et Orléans. L'armée
rentra dans cette ville. Le roi de France ayant eu connaissance de la prise de Jargeau manda
de toutes parts des gens d'armes pour qu'ils s'adjoignissent au duc
d'Alençon, à la Pucelle, et aux autres chefs de guerre.
Bientôt après le duc d'Alençon et ceux qui étaient à sa suite partirent
d'Orléans et se mirent aux champs devant la ville de Meung-sur-Loire ;
ils gagnèrent sur les Anglais le pont qui est près de la ville, y établirent
une garnison pour résistera leurs entreprises et les abattre, en continuant à conquérir sur eux ce que depuis longtemps ils occupaient sans raison
au royaume de France.
Source
: "Chronique
de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville -
1868.
Mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III.
Notes (Vallet de Viriville & Ayroles) :
1 Frère du Comte de Suffolk.
2 La plupart.
3 Ce fut 2 jours après. Chartier reproduit l'erreur de la chronique de la Pucelle.
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