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Chronique de Jean Chartier - index
Siège mis devant Troys en Champagne

près que ledit roy de France eult esté devant icelle cité d'Aucerre (1) pour trois jours, se partit avec son ost en tirant vers Saint-Florentin, laquelle ville de Saint-Florentin luy fist obéissance. Et de là print son chemin droit à Trois à Champaigne, et tant chevaucha qu'il vint logier devant la cité de Trois (2), en laquelle avoit bien de cinq à six cens Anglois et Bourgongnons. Et à l'arivée saillirent iceulx Angloiz et Bourgongnons sur l'ost du roy, lequel roy et son ost fut logié d'un costé et d'autre par l'espace de six ou sept jours en parlementant et cuidant tous-jours que icelle cité lui feist obéissance. Mais aucun appoinctement ne s'i povoit trouver, et avoit en l'ost si très grant chierté de pain et d'autres vivres, car il avoit en icellui ost de six à sept mille hommes, qui n'avoit mangié du pain passé avoit huit jours. Et vivoient le plus (1) des gens d'icelui ost de fèves et de blé frotté en espy (2).
  Et manda ledit roy venir devers lui le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le conte de Ven-dosme, et plussieurs autres seigneurs et cappi-taines, avecques autres gens de son conseil en grant nombre pour avoir avis qu'il avoit à faire (3). Et là fut mis en termes et délibération audit conseil par l'arcevesque de Rains, chancellier de France, que ledit ost ne povoit bonnement de-mourer devant ladite ville de Trois, par plussieurs raisons, premièrement pour la grant famine qui estoit oudit ost, et que vivres ne venoient en icellui ost de nulle part, et aussy qu'il n'y avoit plus homme qui eust point d'argent; et oultre, que c'estoit merveilleuse chose de prendre la ville de Trois, qui estoit forte, bien garnie de vivres, de gens d'armes et de peuple, et, selon ce c'om povoit veoir, ceulx de dedens n'avoient point de voulenté de rendre et mettre icelle ville en l'obéissance du roy de France; et aussy qu'il n'y avoit bombardes ne artillerie à souffisant nombre pour gaigner et combatre icelle ville ; et d'autre part n'y avoit ville françoise dont on peust avoir aide ne secours plus près que Gien sur Loire, de laquelle ville ilz estoient à plus de trente lieues jucques à l'ost. Et si alégua et dist plussieurs autres raisons et inconvéniens dont il estoit vray semblable qui povoient advenir en icellui ost (4). Et commanda le roy audit chancellier qu'il demandast par oppinion à ceulx qui présens estoient à ce conseil qu'il estoit à faire pour le meilleur.
  Et adonc commença ledit chancellier à demander à plussieurs, les chargant que chacun s'aquictast loyaulment envers le roy de le conseiller de ce qu'il avoit à faire sur ce que dit est. Et furent presque tous ceulx de ce conseil d'oppinion que, veu et considéré les choses dessus desclairées et que le roy avoit esté reffusé à ladite ville d'Auxerre, laquelle n'estoit garnie de gens d'armes ne si forte que icelle ville de Trois, et plussieurs autres choses que ung chacun alleguoit selon son entendement, furent d'oppinion que ledit roy et son ost s'en retournassent.
  Et vint ledit chancellier à demander à ung ancien conseiller nommé Messire Robert le Masson, seigneur de Trèves, lequel respondit par son oppinion qu'il falloit envoier quérir ladite Jehanne la Pucelle, dont dessus est faite mencion, laquelle estoit en l'ost et non pas au conseil, et que bien povoit estre qu'elle diroit quelle chose qui seroit prouffitable pour le roy et sa compaignie. Et dist oultre que, quand le roy estoit party qu'il avoit entreprins ce voyage, il ne l'avoit pas fait par la grant puissance de gens d'armes qu'il eust, ne par le grant argent de quoy il fust garny pour paier ses gens d'armes, ne aussy parce que icellui voyage lui semblast bien possible, maiz seullement avoit entreprins icellui voyage par l'admonnestement de Jehanne la Pucelle, laquelle disoit tousjours qu'il tirast avant pour aller à son couronnement à Rains, et que il ne trouveroit que bien pou de résistence, et que c'estoit le plaisir et voulenté de Dieu, et que se icelle Jehanne ne conseilloit aucune chose qui en icellui conseil n'eust esté dicte, qu'il estoit de la grant et commune oppinion, c'est assavoir que ledit roy et son ost s'en retournassent dont ilz estoient venus; mais que ladite Jehanne la Pucelle pourroit dire aucune chose sur laquelle le roy pourroit prendre autre conclusion. Et par l'oppinion d'icellui Messire Robert le Masson fut envoyé quérir icelle Jehanne la Pucelle.
  Et icelle venue en icellui conseil, fist la révérence au roy, ainssy qu'elle avoit acoustumé. Et luy fut dit par ledit chancellier que le roy l'avoit envoyé quérir affin de lui faire dire et desclairer son oppinion pour conclure sur les grandes neccessités de l'ost comment ladite ville de Trois estoit forte et garnie de vivres et de gens d'armes. Et lui exposa et dist tous les grans inconvéniens et doubtes qui là avoient esté débatus audit conseil et que de ce elle dist son oppinion au roy et quelle chose il luy sembloit que on avoit à faire au sourplus. Laquelle tourna sa parolle au roy et lui demanda s'elle seroit creue de ce qu'elle lui diroit. A quoy il respondit que s'elle disoit chose qui feust prouffitable et raisonnable, que voluntiers on la crerroit. Et re-print de rechief sa parolle et demanda s'elle seroit creue, et le roy respondit que ouy, selon ce qu'elle diroit. Et adonc lui dist ses parolles : « Gentil roy de France, se vous vouliez demourer devant vostre ville de Trois, elle sera en vostre obéissance dedens deux jours, soit par force ou par amour, et n'en faictes nulle doubte. » Adonc lui fut respondu par le chancellier : « Jehanne, qui seroit certain de l'avoir dedans six jours, on l'attendrait bien. Maiz je ne scay s'çil est vrai ce que vous dictes. » Et de rechief dist que n'en faisoit nulle doubte. A l'oppinion de laquelle Jehanne la Pucelle le roy et son conseil s'ares-tèrent et fut conclud de là demourer.
  Et à celle heure monta ladite Jehanne la Pucelle sur ung coursier, ung baston en sa main, et mist en besongne chevalliers, escuiers et autres gens de tous estaz à porter fagos, huys, tables, fenestres et chevrons, pour faire taudiz et aprouchemens contre ladite ville pour asseoir une petite bombarde, autres canons estans en l'ost, et faisoit de merveilleuses dilligences, ainssy comme eust peu faire ung cappitaine qui eust esté nourry tout son temps à la guerre. Et pou de temps après parlementèrent ceulx de ladite ville, et vindrent l'évesque et plussieurs autres de ladite ville, tant de gens de guerre que de bourgeois, devers le roy. Et finablement prindrent composicion et traictié ; c'est assavoir que les gens de guerre s'en yroient eulx et leurs biens, et ceulx de ladite ville demoureroient en l'obéissance du roy, et luy rendroient ladite ville, laquelle il receut. Et le landemain entra le roy dedens (5), lui et ses gens, environ neuf heures du matin. De laquelle tant Angloiz que Bourgongnons s'en allèrent où bon leur sembla. Et en devoient enmener leurs prisonniers, maiz ladite Jehanne les leur osta à la porte. Et faillict que le roy contentast iceulx gens d'armes de leurs finances.
  Et laissa le roy en icelle ville de Trois bailly, cappitaines et autres officiers de par luy. Et cedit jour que ledit roy de France entra en ladite ville de Troyes demoura garde de sondit ost ledit Messire Ambrois de Loré, lequel demoura garde sur les champs, lequel ost passa le landemain parmy ladite ville.

                                                 


Source : "Chronique de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville - 1868.

Notes (Vallet de Viriville) :
1 La plupart.

2 Des épis de blé que les soldats frottaient dans leurs mains ou autrement, de manière à isoler le grain, qu'ils mangeaient ainsi.

3 Cette séance eut lieu le 8 juillet.

4 Traduisez : Qui vraisemblablement pouvaient advenir.

5 Le 9 juillet.




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