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Chronique
de Jean Chartier
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Paiement de gens d'armes |
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uquel lieu de Gien sur Loire fut fait ung paiement aux gens d'armes tel qu'il ne se montoit pas plus de deux à trois francs pour homme d'armes. Duquel lieu de Gien s'en partit icelle Jehanne la Pucelle et plussieurs cappitaines de gens en sa compaignie, et s'en alla logier environ quatre lieues loing dudit Gien, en tirant le chemin de Rains, vers Auserre. Et le roy de France se partit le lendemain ensuivant en tirant celle part, et ce jour assembla tout l'ost ensamble. Et avoit on dit ost plussieurs femmes diffamées qui empeschoient aucuns gens d'armes à faire dilligence à servir le roy.
Et ce voyant, icelle Jehanne la Pucelle, après le cry fait que chacun allast avant, tira son espée et en bâtit deux ou trois tant qu'elle rompit sadite espée, dont le roy fut bien desplaisant et marry, et luy dist qu'elle deust avoir prins ung très-bon baston et frapper dessus, sans habandonner ainssy celle espée qui luy estoit venue divinement, comme elle disoit. Et chevaucha ledit roy tant qu'il vint devant la cité dudit lieu d'Aucerre; laquelle cité ne luy fist pas plaine obéissance, mais vindrent devers le roy aucuns des bourgeois d'icelle cité, et disoit on qu'ils avoient donné argent audit de la Trimoulle affin qu'ilz demeurassent en trèves icelle foiz. De laquelle chose furent bien mal contens aucuns seigneurs et cappitaines d'icellui ost, et en parlement bien fort, en murmurant contre icellui seigneur de la Trimoulle et autres estans du conseil du roy. Et voulloit tousjours icelle Jehanne la Pucelle que icelle ville fust assaillye. Et finablement demoura en icelle trève, combien que ceulx de ladite ville baillèrent plussieurs vivres à ceulx de l'ost pour leur argent, desquelz ilz avoient grand neccessité en icellui ost.
En ce lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement
tel quel; car il ne se montait pas à plus de deux ou trois francs pour chaque
homme d'armes. De ce même lieu de Gien-sur-Loire partit Jeanne la
Pucelle, ayant plusieurs autres capitaines en sa compagnie; elle alla
camper à environ quatre lieues de distance, sur le chemin de Reims par
Auxerre.
Le roi de France partit le lendemain en suivant la même route, et avant
la fin du jour toute l'armée se trouva réunie.
Il faut savoir qu'il y avait dans l'armée plusieurs femmes diffamées qui
empêchaient quelques hommes d'armes de suivre diligemment le roi. Ce
que voyant Jeanne la Pucelle, après le cri d'ordre d'aller en avant, elle
tira son épée, et en battit si bien deux ou trois qu'elle rompit son épée (1);
ce dont le roi fut fort marri ; il dit qu'elle aurait dû prendre un bâton pour
frapper de tels coups, sans employer une épée qui lui était venue divinement,
ainsi qu'elle le disait. Ce jour, le roi chevaucha tellement qu'il vint devant la cité d'Auxerre,
qui ne lui fit pas pleine obéissance. Quelques bourgeois vinrent à sa rencontre,
après avoir, disait-on, donné de l'argent à La Trémoille afin d'obtenir
pour cette fois de demeurer en trêve et abstinence de guerre; ce dont
furent très mécontents quelques capitaines de l'armée, qui s'en plaignaient
fort et accusaient le sire de La Trémoille et quelques conseillers du roi.
Jeanne maintenait constamment qu'il fallait donner assaut à la ville ; on
finit cependant par accorder l'abstinence demandée. Toutefois les habitants
d'Auxerre donnèrent pour de l'argent des vivres à l'armée, qui en sentait
une très grande nécessité et besoin.
Source
: "Chronique
de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville -
1868.
Mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III.
Notes (Vallet de Viriville) :
1 C'est à Saint-Denis que le fait arriva d'après la déposition du Duc d'Alençon.
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